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La solidarité, c’est une philosophie, la société humaine doit vivre avec des principes élaborés par le temps, codifiés par la morale, il faut que la société se définisse avant de commencer à vivre […]

Procédés d’analyse

Chapitre 6 Les discours

4) La solidarité, c’est une philosophie, la société humaine doit vivre avec des principes élaborés par le temps, codifiés par la morale, il faut que la société se définisse avant de commencer à vivre […]

en Afrique, il y a une philosophie : on souffre ensemble on bien on rit ensemble, souffrance jamais seul, la joie aussi jamais seul, on est tous ensemble pour subir le même sort.

C’est pourquoi l’Afrique a subi vaillamment, philosophiquement, la pénétration coloniale, c’est une fatalité, une étape dans sa vie, il faut accepter cela, et les réactions viennent après, tardivement, lorsque les gens ont pigé le pour et le contre, quand ils se sentent agressés dans leur civilisation, dans les choses qu’ils adorent et qu’ils ne veulent pas lâcher. S’ils sont agressés, ils réagissent et comme il le dit si bien, ils agissent ensemble, ils réagissent ensemble, et comme ils n’ont pas de chose écrite, de lecture qui leur sert de référence, c’est ce que le temps a élaboré comme philosophie, comme mode de vie, comme préceptes moraux, ce que le temps et les anciens ont élaboré et mis ensemble et qui devient maintenant le totem, c’est-à-dire les choses sacrées qu’on ne doit pas violer. La solidarité en Afrique, elle était la chose la mieux protégée.

Il n’y a pas d’exclus, c’est la fortune qui a amené les exclus, la morale africaine n’a jamais eu d’exclus, c’est tellement ordonné, c’est sérieux, les aïeux sont tellement à cheval sur cette vertu là, tout peut se gâter sauf ça.

La solidarité ça s’apprenait à la base, depuis la naissance. Celui-ci est mon frère, nous sommes de même mère, moi j’ai mes enfants, garçons ou filles, c’est lui qui les prend en éducation, il ne commande rien, ses enfants ça m’appartient, je les éduque, lui il éduque les miens, on empêche les enfants de faire une distinction entre les parents, c’est pour donner à ses enfants la notion de solidarité dès la base, dès la naissance ils vivent ça pratiquement. Les enfants des sœurs, des cousins, tout ça, vous arrivez dans la concession, il y a là une case, là une case, les enfants de cette femme là appellent celle-la leur mère, les enfants de cette case là appellent celle qui est là leur mère. On empêche les femmes de faire la discrimination, la femme de là-bas qui commande les enfants ici, elle partage tout avec ces enfants, elles ne s’occupe pas de ceux qui sont là, pourtant ce sont ses propres enfants, et vice-versa.

Ce qui m’intéresse aussi, c’est de savoir ce qu’elle est devenue, cette solidarité ?

Elle est malade, malade, frappée par le sida, c’est une autre forme de sida, l’égoïsme. C’est le sida social. [E2]

Dans la définition de la problématique (chapitre deux), j’utilise de façon synonyme les termes lien social et solidarité, dans une acception large. Au moment de la mise en place de la démarche empirique s’est néanmoins posée la question de quelle terminologie utiliser qui exprime le plus adéquatement la façon d’être ensemble propre au contexte : autrement dit le choix d’une terminologie qui fasse sens sur le terrain. Le terme solidarité semblait le plus approprié, mais la crainte qu’il ne soit trop chargé de valeurs et que cela réduise ce qu’on pourrait en dire m’avait amenée à l’aborder de manière indirecte, en passant, comme je l’ai montré, par l’exploration de la vie quotidienne. L’emploi de ce terme n’était toutefois pas exclu. Il pouvait, au contraire, permettre de compléter l’information. Parfois, comme le montrent les extraits cités, le terme est utilisé spontanément par les interlocuteurs dans l’une ou l’autre des réponses développées. Dans ce cas, il est réintroduit sous forme de relance : Et tout ça, ça a des

conséquences sur cette solidarité dont vous parliez tout à l’heure ? S’il n’est pas

évoqué, il est simplement introduit : On parle souvent de la solidarité, qu’est-ce que

c’est pour vous ?

Deux éléments principaux se dégagent des entretiens. D’une part, les informateurs considèrent la solidarité comme un élément caractéristique des sociétés africaines. Un vieux déclare ainsi, en parlant de l’hospitalité entre « promotionnaires », c’est-à-dire entre personnes ayant fréquenté l’école ensemble : « Je sais que cette fraternité existe un peu partout, mais en Afrique ici, c’est le motif de la vie, l’essentiel de la vie réside dans ça, la solidarité ». D’autre part cependant, les avis sont partagés face à sa place dans la vie actuelle. Pour certains, soit elle n’existe plus, soit elle a tendance à diminuer. Pour

d’autres, à l’inverse, elle est toujours présente. Pour d’autres encore, une distinction s’impose en fonction des situations.

Dans l’extrait numéro 1, l’interlocutrice estime que les enfants ne veulent plus prendre en compte la solidarité. Les contextes de travail, comme on l’a vu ailleurs, se sont diversifiés, et la « grande famille » se scinde peu à peu en groupements familiaux plus restreints. On a vu également que chacun cherche à développer des activités pour faire face au manque de moyens. Il se peut alors que si des intérêts collectifs demeurent, ils ne répondent plus aux mêmes besoins que par le passé. La solidarité peut par exemple revêtir d’autres formes que le travail collectif. Ainsi, si les configurations familiales changent parce qu’on ne peut plus vivre ensemble (physiquement dans une même cour), cela n’empêche pas que la solidarité demeure. Un interlocuteur déclare ainsi :

Solidarité ça existe, surtout en Afrique ici, parce que des fois des gens vivent aux dépends d’autres. Par exemple si vous avez un ami qui travaille, qui a un peu de l’argent, s’il vous voit souffrir, il peut vous aider. C’est comme dans ma famille ici, les familles qui sont ailleurs, qui sont de même famille que moi, si moi je vois que eux ils n’ont rien, qu’ils souffrent du point de vue finance, du point de vue nourriture ou autre chose, si moi j’ai, je leur donne pour qu’ils puissent sortir de leur misère. En tout cas solidarité en Afrique moi je vois que c’est comme ça. [E5]

Dans l’extrait numéro 3, les interlocutrices distinguent deux types de situation. Les cérémonies (mariage, baptême, décès …) et le quotidien. Les cérémonies constituent les lieux de rencontre par excellence et mobilisent tout un chacun. Si la solidarité est manifeste dans ce cadre, elle ne l’est par contre pas, à leurs yeux, dans le cadre des problèmes rencontrés quotidiennnement, comme le manque de nourriture ou le manque de moyens pour se soigner. L’importance de la présence aux cérémonies revient souvent dans les discours des vieux. D’où vient cette force de mobilisation ?9 Un vieux, parlant du passé, dit ceci :

On n’accepte pas des manquements à la règle de solidarité parce que c’est le pilier de la vie. […] s’il y a un malheur, un décès quelque part, tout le monde va, si vous n’êtes pas là, le doyen du village envoie poliment vous convoquer, ou si c’est une affaire de famille, vous avez manqué un membre de la famille, le doyen va vous convoquer, vous dire ‘il s’est produit tel ou tel événement, on a vu tout le monde, on ne t’a pas vu, explique-toi’. Il faut t’expliquer, il faut que le motif soit valable, sinon tu es blâmé publiquement et tu dois payer quelque chose. [E2]

Si la « règle » s’est modifiée au cours du temps, la notion de « blâme public », est encore très présente. Les jeunes par exemple, on le verra plus loin, expriment cela par la formule « on salit ton nom ». Le vieux, lui, ajoute :

On ne peut pas pardonner une absence à une cérémonie où tout le monde est concerné. On doit faire la preuve qu’on est solidaire avec les autres. Si vous ne faites pas ça, vous êtes mis à l’écart de la famille, et en Afrique, on a peur d’être mis à l’écart de la famille, à l’écart du village, du quartier, de la contrée, c’est une malédiction. Il n’y a rien de plus horrible pour un homme, de plus contraignant pour un homme que d’être frappé par l’exclusion parce qu’il a manqué à son devoir de solidarité. [E2]

On retrouve dans ces propos le danger ou la menace de mise à l’écart évoqué plus haut concernant les obligations du fonctionnaire envers sa famille. Je formulais plus haut l'hypothèse d'une perte du sentiment de lien davantage que le lien lui-même. Il me semble entendre ici quelque chose de similaire. Il y aurait d'un côté une aide ou entraide qu'on pourrait qualifier de gratuite (sans intérêt), et de l'autre, un soutien dicté par le devoir. Si le second persiste, la première, elle, paraît se perdre. « Aujourd’hui chacun se cherche », une expression courante dans la sous-région et sur laquelle je reviendrai dans l’analyse des entretiens menés auprès des jeunes, semble exprimer cela : « L’image renvoie au navire qui coule et chaque passager ne pense qu’à une seule chose : sauver sa tête » (Zongo, 2000, p. 158).

Dans l’extrait numéro 4, les deux interlocuteurs parlent de la solidarité comme d’une philosophie qu’ils résument ainsi : « on souffre ensemble ou bien on rit ensemble, on est tous ensemble pour subir le même sort ». La solidarité fait partie des vertus, des « choses sacrées » élaborées par les ancêtres, transmises de génération en génération. C’est une « morale » qui s’acquiert « dès la naissance », à travers l’«éducation populaire ». Les enfants sont « échangés » entre frères, entre coépouses et tous les membres de la familles participent à leur éducation. Le but, dit l’un des vieux, c’est que les enfants ne fassent pas de distinction entre les parents. Et, inversement, qu’il n’y ait pas de discrimination entre les enfants de la part de ces derniers, ajoute un autre. La solidarité est une philosophie « qui n’a jamais eu d’exclus » disent encore les vieux, c’est « la fortune qui a amené les exclus ». Une vieille exprime un point de vue semblable.

Avant, on ne pouvait pas connaître les pauvres et les riches parce que chacun a quelque chose à manger […]. Si à la fin des récoltes quelqu’un était malade et qu’il n’a pas pu cultiver, ou bien il a voyagé, il n’est pas revenu, sa famille est là, ils n’ont pas pu cultiver ils n’ont pas eu beaucoup de récoltes, les autres amenaient chacun un panier de mil pour la famille, et ça, ça les aidait à s’en sortir. [E15]

Elle ajoute :

Présentement, même si ton mari voyage ou bien s’il est malade, il n’a pas eu de mil, il n’a qu’à se débrouiller pour avoir ça, qui va lui donner ? Et c’est ça la différence, on n’a pas pitié des autres quoi, on n’a pas pitié des autres. Avant, il y avait la pitié. [E15]

La notion de pitié mise en avant ici par l’interlocutrice rejoint ce que j'évoque plus haut en parlant d'aide gratuite.

Les deux interlocuteurs de l’extrait numéro 4 toujours, partagent le point de vue d'une altération négative de la solidarité actuelle par rapport au passé. Quand on leur demande ce qu'est devenue la solidarité qu'ils dépeignent, ils la disent malade, atteinte par l'égoïsme qu'ils désignent comme une autre forme de sida, un sida non pas biologique mais social. Cette métaphore pour le moins imposante renvoie également à l'absence de pitié, et à la mort de la solidarité, mort qui semble aussi inexorable que le sida est fatal. Les gens pensent qu'ils se « suffisent à eux-mêmes » et que « les problèmes d’autrui ne sont pas leurs problèmes », disait une vieille. L’un des vieux ajoute quant à lui :

[…] solidarité, on est né avec ça, mais c’est parti, de 1925 à maintenant, 1925 où je partageais ma galette avec mes camarades ou le paquet d’arachides que je distribuais, de 1925 à maintenant il y a 75 ans, n’est- ce pas ? En 75 ans, on se hait, littéralement, on est égoïste, on veut avoir toutes les fortunes du monde, il y en a qui construisent des châteaux, des buildings, et ils croient monter au ciel avec des escaliers dorés, alors que leurs camarades meurent de faim, leurs parents même. [E2]

1.6 Questions autour de trois proverbes ou expressions

1) Quand le tour du bouc arrive, il faut tendre la gorge pour se faire égorger. Qu’est-ce que cela

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