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Recherches en sciences sociales sur le sida en contexte africain

Depuis son apparition dans les années 80, le sida a été l’objet de tant d’articles et d’études diverses que les recherches bibliographiques concernant le phénomène peuvent s’avérer difficiles et décourageantes. Pour éviter l’errance en la matière, l’objectif qui guide la revue effectuée ici est de mettre en évidence les enseignements (thématique, théorique, méthodologique) tirés des recherches en sciences sociales sur le sida concernant le continent africain2.

Parmi les pays du continent les plus étudiés, on compte l’Ouganda, la Tanzanie, le Rwanda, et le Zaïre. Concernant l’Afrique de l’Ouest en particulier, la Côte d’Ivoire semble la plus représentée. Les thèmes prédominants concernent l’impact démographique et économique de l’épidémie, et la majorité des études sont orientées sur la prévention. L’anthropologie (anthropologie de la maladie ou anthropologie sociale) constitue le champ disciplinaire le plus représenté.

1.1 Définitions

Le sida a été défini par certains comme la « maladie du développement ». Cette expression, citée dans le chapitre premier de ce travail, indique que le drame du sida est directement relié à nombre de problèmes ou phénomènes propres à l’Afrique contemporaine, et que les conditions de sa prise en charge passent par des refontes dans le domaine politique, économique, social et sanitaire3. Dans la même perspective, on trouve également l’expression « maladie de la pauvreté ».

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Les principaux ouvrages dressant un bilan des recherches sur le sida en Afrique sont les suivants : Dozon, J.P, Vidal, L. (1993). Les sciences sociales face au sida. Cas africains autour de l’exemple ivoirien, Paris : ORSTOM ; Benoist, J. & Desclaux, A. (1996). Anthropologie et sida : bilan et perspectives, Paris : Karthala ; Becker, C., Dozon , J.P., Obbo, C. & Touré M. (1999). Vivre et penser le sida en

Afrique, Paris : Karthala. 3

L’expression « maladie du développement » a été définie par les chercheurs anglosaxons Miller et Carballo. Elle est citée par Dozon, in J. Vallin. (1994). Populations africaines et sida. Paris : La

D’autres parlent de « maladie sociale ». Il s’agit, à leurs yeux, de « (...) considérer le sida comme une maladie sociale qui se développe dans le contexte d’un partage inégal des richesses, d’une transformation massive des forces d’organisation de la famille et des rapports entre hommes et femmes » (Bibeau & Murbach, 1991, p. 10).

Une autre formulation fréquemment employée est celle de « troisième épidémie » qui désigne l’importance des questions débordant le champ biologique: « Il est nécessaire de considérer le sida comme trois épidémies distinctes mais cependant intimement reliées. La première est l’infection HIV. La seconde est la maladie à proprement parler (sida). Enfin, la troisième épidémie est celle, à l’échelle mondiale également, de la réaction sociale, culturelle, économique et politique au sida, réaction aussi capitale dans la lutte contre le sida que la maladie elle-même » (Mann, cité par Ray, 1989, p. 243).

Le sida est également défini par certains en terme de « laboratoire » : « Maladie métaphore devenue phénomène mondial, le sida a créé, comme plusieurs l’ont dit, une situation quasi expérimentale, un laboratoire dans lequel non seulement de nouvelles substances pharmacologiques sont testées et les processus de constructions de la connaissance scientifique interrogés, mais dans lequel sont également mises à l’épreuve des pratiques sociales, éthiques, politiques, économiques et juridiques » (Bibeau & Murbach, op.cit., p. 7).

Quant au malade, il est souvent considéré comme un « révélateur social » 4 en tant qu’il met à jour des intérêts, des incertitudes et des angoisses collectives cachés en temps normal par la vie quotidienne, ou refoulés par crainte ou par indifférence. Dans la même perspective, d’autres parlent de « réformateur social ».

Deux remarques s’imposent par rapport à ces définitions. La première concerne les métaphores renvoyant aux conditions socioéconomiques de l’Afrique contemporaine. A l’origine, les travaux des sciences sociales sur le sida ont été initiés suite au constat de l’impuissance à guérir de la biomédecine. Les progrès thérapeutiques ont néanmoins changé la situation et on parle actuellement de maladie chronique. Cependant, comme le notent Becker et al. (op. cit.), « cette situation n’est véritablement en train de changer que dans les pays du Nord (…). Elle ne change guère en revanche au

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L’expression révélateur social a été utilisée pour la première fois lors d’un congrès sur le sida à Montréal par Daniel Defert, président de l’association AIDES. Cette paternité est rappelée par Héritier-

Sud et particulièrement en Afrique ou les progrès thérapeutiques sont très peu transférés malgré l’expansion de l’épidémie, en raison, dit–on notamment, de leurs coûts financiers » (p. 14). De ce fait, les recherches en sciences sociales sont davantage mobilisées dans l’hémisphère sud et les différences entre le Nord et le Sud mettent en relief « deux sortes de sida » (l’un traitable et en voie de stabilisation, l’autre incurable et en extension). Face à ce contraste, il est nécessaire, ajoutent les auteurs que les sciences sociales expriment un point de vue critique : ces dernières ne « sauraient admettre l’établissement durable d’une ‘maladie à deux vitesses’ ». Ainsi, même si les expressions métaphoriques comme « maladie du développement » s’avèrent adaptées au contexte africain, « les sciences sociales, malgré l’aptitude qu’elles auraient à en démontrer plus précisément la pertinence, ne doivent pas s’y laisser enfermer (…) » (ibid). Elles doivent développer, entre autres, un point de vue critique « consistant à dire que le sida est aussi, et peut–être surtout, affaire de volonté politique » (ibid). Certains dénoncent ainsi le qualificatif « chronique » à propos du sida, craignant une banalisation de la maladie et des conditions d’existence et de traitement des malades, en particulier en Afrique ou l’accès très difficile aux médicaments rend la définition inappropriée : « Une telle définition du sida comme maladie chronique n’apparaît guère recevable dans des contextes africains où demeure exceptionnel l’accès aux traitements antirétroviraux et toujours difficile celui aux antibiotiques susceptibles de traiter certaines affections opportunistes liées au sida » (Vidal, 1999, p. 93).

La seconde remarque est davantage personnelle et concerne le terme de laboratoire. Si cette image est adaptée pour parler du développement des produits pharmaceutiques, elle me semble particulièrement inappropriée en ce qui concerne la construction des connaissances dans le champ social, en ce qu’elle associe l’attitude du chercheur à l’expérimentateur testant ses sujets. Face à la maladie, de surcroît lorsqu’elle est incurable, et aux conséquences qu’on lui connaît, l’image a quelque chose de cynique. Elle semble évacuer les questions, pourtant incontournables, relatives à la place du chercheur et à la problématique de l’intervention (cf. chapitre quatre). 5

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Pour Geertz (1998, pp. 95-96), la notion de « laboratoire naturel » est pernicieuse pour deux raisons : d’abord parce que l’analogie est fausse (de quel genre de laboratoire parle-t-on lorsque aucun des paramètres ne sont manipulables ?), ensuite parce qu’elle conduit à penser que les données des études ethnographiques sont plus pures ou moins conditionnées que celles issues d’autres genres d’enquête

1.2 Perspectives théoriques

D’un point de vue théorique, les constats les plus fréquents concernant les recherches sur le sida en contexte africain mettent en évidence un manque de perspectives. Les recherches en sciences sociales sur le sida en Afrique demeurent par trop empiriques et ne sont pas construites sur la base de problématisations fortes. Des différences quantitatives entre les recherches anglophones et les recherches francophones sont facilement perceptibles (les premières sont beaucoup plus nombreuses, ce qui explique une part de la prédominance des recherches dans les pays africains anglophones) ; la quantité cependant ne contribue pas forcément à pallier les lacunes théoriques. Le constat, en effet, est le même dans ces recherches. « (…) bien que plus riche et plus diversifiée, la recherche anglophone n’en a pas moins multiplié les enquêtes de type CAP (connaissances, attitudes, pratiques), les ‘recherches–action’, notamment dans le domaine de la prévention, ou encore les études ethnographiques faisant de la culture et des traditions africaines la pierre d’achoppement des politiques de prévention et de lutte contre le sida ; autant d’approches et d’investigations qui se sont avérées souvent intéressantes, voire utiles, mais qui ont parfois souffert de précipitation et manqué de contextualisations et de mises en perspectives » (Becker et al., op. cit., p.13). Deux questions peuvent être posées : en quoi le sida intéresse–t–il le champ théorique des sciences sociales, l’anthropologie en particulier ? Quelles sont les perspectives théoriques qui s’offrent au chercheur ?

Selon Raynaut, le sida présente deux caractéristiques qui intéressent particulièrement le champ théorique anthropologique (1993, p. 235): a) son extension rapide à une population nombreuse (épidémisation) prend appui sur une transformation des comportements individuels qui, elle-même, est la manifestation d’une dynamique globale mettant en jeux des structures sociales, des systèmes de pensées, des pratiques collectives (cela est particulièrement valide dans le cas de l’Afrique, continent dont l’histoire récente a été marquée par une série de mutations politiques, économiques et culturelles majeures) ; b) son ampleur, son côté invalidant puis fatal et les classes d’âge qu’il met en danger menacent directement le fonctionnement des systèmes sociaux en

leur imposant des contraintes nouvelles et en réclamant d’eux des ajustements complexes et des réponses rapides.

Dans une recherche ultérieure (1996), le même anthropologue insiste sur le fait que le sida doit être intégré dans les cadres théoriques des sciences sociales. Il condamne la tentation fréquente des chercheurs, lorsque surgit un événement qui mobilise un large intérêt, de constituer une nouvelle discipline en s’inspirant de pseudo-concepts sous le prétexte de l’urgence (dans le cadre du sida, les pseudo–concepts tel que « vagabondage sexuel6 », « promiscuité sexuelle » mais aussi des catégories comme celles d’« ethnie »,

de « coutume », de « croyance », d’« habitude », de « solidarité », etc.). Pour éviter cela, l’épidémie du sida doit être considérée comme un événement historique dans la dynamique du changement social, autrement dit comme un événement qui vient s’inscrire dans le fonctionnement de systèmes sociaux déjà eux-mêmes engagés dans un puissant mouvement de changement. Les structures de parenté en Afrique par exemple, sont en pleine recomposition et le sida vient en accélérer les mutations.

Le champ anthropologique en particulier offre trois angles d’approches pour l’étude du sida (op. cit., pp. 50–51):

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