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Qu’est-ce que vous avez appris que les enfants n’apprennent plus aujourd’hui ?

Procédés d’analyse

Chapitre 6 Les discours

3) Qu’est-ce que vous avez appris que les enfants n’apprennent plus aujourd’hui ?

Avant, on apprenait à tisser les pagnes traditionnels, à s’occuper des moutons, et à un certain âge, si tu dépasses cet âge là, ton père te retire maintenant pour les travaux champêtres. Aujourd’hui comme il y a l’école, tu ne peux plus dire à un enfant de faire tous ces différents travaux, surtout que l’école là, c’est presque la moitié de la saison pluvieuse. C’est un peu difficile.

Si tu mets un enfant à l’école, l’école là joue beaucoup, si l’enfant ne réussit pas, maintenant il ne connaît rien de l’école, il ne connaît rien du village. Maintenant, cet enfant devient comme un pied atrophié, un pied qui n’a plus de nerfs fonctionnels. [E1]

L’éducation constitue, comme la famille, un autre thème puisé dans les éléments d’entrée en matière cités ou développés spontanément par les interlocuteurs. Dans le premier extrait, une vieille fait part du respect, dans le passé, de la jeune fille envers ses parents, que ce soit à travers les travaux qui lui incombent, les conseils et les

autorisations qu’elle leur demande ou par une obéissance qui paraît ici presque inconditionnelle. Inversement, aujourd’hui, tous ces aspects semblent avoir disparu au profit d’une liberté sans limite. « Les filles sortent comme elles veulent, ce n’est pas leur problème » est une formule récurrente dans les entretiens. De même que le sentiment, chez les vieilles surtout, que les filles d’aujourd’hui ne font rien. « Elle, elle dit que dans son jeune âge, elle a commencé à cultiver, à faire les travaux ménagers, c’est pas comme maintenant : les filles ne font rien. […] Elle apprenait la vie du foyer avant de se marier. »

Les relations parents-enfants ou vieux-jeunes sont fréquemment évoquées par les vieux, et sous plusieurs rubriques. Elles apparaissent à propos de l’éducation, du mariage, du travail, des préoccupations face à la vie actuelle. Certains parlent d’un changement de mentalité. Alors que, dans le passé, l’enfant va « automatiquement respecter » un adulte qui entre dans la cour en le saluant et en lui tendant une calebasse d’eau, les enfants aujourd’hui peuvent « s’asseoir et vous regarder comme ça ».

Maintenant, quand vous voyez un enfant, pour qu’il vous salue même, d’abord c’est un problème. Qu’il s’approche de vous, dire qu’il veut vous tendre un verre d’eau, ça c’est un problème. Les enfants se fichent, se fichent éperdument, ils s’en fichent de qui que ce soit ; l’enfant actuel, il veut avoir tout, avoir de l’argent, avoir ce qui est luxe, mais ne rien faire. [E3]

Pour exprimer la différence entre eux-mêmes et les jeunes, les vieux ont souvent employé des exemples d’une similitude frappante, et cela dans des entretiens différents. Ils disent : « Avant, nos parents pouvaient nous envoyer faire 20, 30 km à pied, nous partions ; aujourd’hui, si tu envoies un enfant à 20, 30 km à vélo, il ne partira pas. » Ou bien :

Quand j’étais enfant, on m’envoyait jusqu’à Thiou à pied et en ce temps il y avait des lions qui dévoraient les gens, les parents savent qu’il y a des lions dans la brousse mais ils vont t’envoyer pour que tu saches te débrouiller. Mais de nos jours, si tu envoies un enfant d’ici au marché, même si c’est à vélo, il ne partira pas. [E1]

Dans l’extrait numéro 1 toujours, l’interlocutrice développe, à ma demande, une explication concernant les phénomènes constatés concernant les comportements des filles. Il s’agirait d’un manque de moyens généralisé, tant au niveau gouvernemental qu’au niveau individuel. On retrouve des facteurs déjà évoqués auparavant tel le déficit pluviométrique et le chômage. Les frais de scolarisation, pris en charge avant par le gouvernement, incombent à présent aux parents qui peinent à s’en acquitter. On se

souvient que certaines femmes déploraient la démission des hommes face à ces difficultés. La vieille poursuit ainsi :

L’éducation de l’enfant est laissée à la mère, à la mère toute seule, et si tu as plusieurs enfants et tu n’as pas de moyens, tu dois courir ici, tu dois courir là, pour les éduquer c’est difficile. Donc les enfants s’éduquent eux-mêmes, ils s’éduquent entre eux, ce qui fait que vraiment ça ne peut pas aller. [E8]

Pour certains, le problème est lié à la réduction des liens parents–enfants : « Si aujourd’hui les enfants sont mal éduqués par rapport au passé, c’est tout simplement parce que les parents disent qu’aujourd’hui, mon enfant c’est mon enfant, c’est pas pour quelqu’un ». Pour d’autres, ce sont les moyens financiers qui créent une distance entre les jeunes et leurs parents. Les premiers, moins dépendants matériellement, se sentent moins obligés envers les seconds.

Avant, c’était le chef de ménage qui avait la nourriture pour toute sa famille, mais aujourd’hui, comme les enfants ont assez de moyens, les enfants sortent pour manger. Comme ils ne veulent rien de toi, ils ne te demandent rien, ils ne voient pas pourquoi ils vont t’écouter. [E4]

Un vieux désignent les Blancs :

Si aujourd’hui on ne peut pas avoir la main sur les enfants, c’est dû à vous les Blancs. Toi tu es une fille, tu es venue depuis la Suisse. Avant, même pour aller à Youba à côté là, si tu n’étais pas un homme, tu ne pouvais pas aller. Maintenant, toi tu as quitté la Suisse pour venir jusqu’ici.[E4]

Comment les vieux réagissent-ils face aux constats qu’ils dressent ? Pour certains, c’est une fatalité contre laquelle ils ne peuvent rien.

La vie actuelle, c’est une jeune génération, la génération passée avec la génération actuelle on ne peut plus faire quelque chose, tout le monde est civilisé, les jeunes voient que ce qui est passé ; ça ne leur plaît plus. Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse, on a laissé tomber. [E5]

D’autres se sentent obligés de suivre les jeunes à cause de leur âge avancé :

[…] la vie d’aujourd’hui, n’est pas ce que nous attendions, mais comme nous sommes âgés, nous n’avons pas assez de force, nous sommes obligés de suivre ce que les jeunes demandent aujourd’hui ; mais cela ne veut pas dire que nous sommes contents de ce que les jeunes font. [E4]

Un vieux, qui a éduqué des dizaines d’enfants en plus des siens propres, déclare qu’il ne veut pas se conformer aux comportements actuels. Il laisse chacun éduquer ses enfants à sa façon mais refuse toute nouvelle responsabilité en la matière.

Maintenant, si d’autres encore, amis ou parents, m’amènent des enfants, je refuse, parce que mon âge est dépassé, je n’ai plus de force pour obliger les enfants à faire comme moi je veux, donc si j’essaie de forcer, mon énergie ne permet pas ça, et ensuite je risque d’avoir des déceptions, les enfants vont me décourager, ils vont me dire ‘vieux con’, alors que vieux con, moi je ne veux pas ça. Je préfère rester con, sous-entendu moi-même, mais que quelqu’un me le dise, moi je ne veux pas. Voilà.[E3]

En quoi consistait l’éducation dans le passé ? L’interlocuteur de l’extrait numéro

2 met l’accent sur la connaissance de la culture. Connaître la culture, précise–t-il, c’est

connaître ce qu’on est, c’est connaître les lois auxquelles on doit se soumettre (parmi lesquelles les totems), c’est connaître ses origines. Comme on l’a vu plus haut, c’est au chef de famille d’assurer l’éducation des membres de la famille, et la transmission se fait oralement :

A tous les enfants qui viennent, il faut leur apprendre tout ça [l’histoire de la famille] ; dans l’éducation de la famille, on oublie rien, puisqu’il n’y a pas d’écriture, pas de livres, chaque famille a sa bibliothèque, c’est le chef de clan, il doit savoir raconter d’où il venait, à telle époque, à tel endroit […]. [2]

Ces connaissances familiales se transmettaient principalement lors des réunions de famille, au moment du repas. « C’est souvent au moment des repas, les vieux étaient très parleurs avant, c’est pas comme aujourd’hui, on prend les repas en silence. Avant, au moment de prendre les repas, nos grands-parents nous racontaient beaucoup de choses. » Ou lors de cérémonies :

Au cours des funérailles avant, on profitait aussi pour faire de l’éducation. Quand les gens viennent saluer la famille, c’est-à-dire appuyer la famille avec leurs biens, on profitait pour expliquer les relations qui existaient entre telle famille et telle famille. […] surtout les alliances de famille pour les mariages, chaque fois qu’il y a des funérailles, on s’assoit pour répéter à quelle occasion on a sympathisé avec telle famille […]. [Kagoné]

Qu’en est-il aujourd’hui ? « Tôt ou tard » regrette l’interlocuteur de l’extrait

numéro 2, « nos enfants ne vont pas connaître nos origines », car les enfants partent

s’installer dans les villes et « n’ont plus l’esprit de famille ». Les vieux eux-mêmes tentent-ils d’être « une courroie de transmission » ? Certains citadins amènent leurs enfants au village régulièrement dans le but de leur faire connaître leurs origines.

[…] moi quand j’étais fonctionnaire (j’ai fait 36 ans dans la fonction publique mais je n’ai jamais servi chez moi ici), pendant les vacances, je ramasse tous les enfants, je viens les jeter ici et puis je pars, ils n’ont qu’à se frotter […], ils n’ont qu’à apprendre la vie de la famille et la culture de la famille. [E6]

D’autres pensent que les enfants ne sont pas très demandeurs et que parfois le temps manque : « Des fois on n’a pas le temps pour leur raconter, et puis aussi, si on leur raconte, ils n’arrivent pas à saisir, et surtout ils ne demandent pas aussi. Ce que je connais de la famille, eux ils ne le connaissent pas. » Naaba Kagoné constate que les gens ne parlent plus comme avant.

Moi-même, j’ai réuni mes enfants pour leur expliquer notre histoire –nos ancêtres sont venus de Songhaï depuis 1591, etc.– je leur ai raconté notre histoire deux fois seulement, de mon vivant, à mes propres enfants. Avant, nos parents nous rabâchaient les oreilles avec ça tous les jours, tous les jours ils répètent

les mêmes choses, d’où ils viennent, quelles voies ils ont suivi, les familles qui sont arrivées, les années où les récoltes ont bien donné, l’immigration, comment ils ont changé de village, ils expliquent tout.

Selon lui, l’école s’est probablement substituée à l’éducation familiale.

[…] les gens ont démissionné, les gens pensent peut-être que la formation large n’est pas importante, que c’est la formation de l’école qui est importante. Les familles ont démissionné, il y a très peu de gens qui se mettent à expliquer à leurs enfants leur passé, tout ça, c’est très peu. [Kagoné]

A côté des connaissances historiques et morales propres à chaque famille, l’éducation d’autrefois comporte aussi des composantes techniques ou artisanales, comme la garde des animaux, le tissage, la culture vivrière pour les garçons, le filage du coton, les travaux ménagers, la culture, pour les filles. Les changements survenus au cours du temps semblent avoir eu sur ces savoirs les mêmes conséquences que sur les précédents, c’est-à-dire qu’ils se transmettent de moins en moins. L’école est aussi mise en cause, comme on peut le voir dans l’extrait numéro 3. Un vieux explique comment il a appris à cultiver en travaillant aux champs avec son père. « C’est pas question de papier, apprendre à lire et écrire » dit-il, et pourtant « le travail que nous sommes nés trouver, on le connaît et on le fait très bien ». Il ajoute : « Mais maintenant, mes enfants qui sont ici, ils ne savent pas cultiver, ils ne savent pas cultiver ». Pour quelles raisons ?

Ils sont nés trouver qu’on les met à l’école ; de l’école jusqu’à nos jours ils sont là, est-ce que vous voyez, donc moi je peux pas leur dire ce qui s’est passé encore, c’est ça qui est difficile, donc ces enfants là n’ont pas l’esprit de culture, donc nous on ne peut pas les forcer encore à faire quelque chose. [E5]

De manière générale, les vieux parlent beaucoup de l’école. A l’instar des interlocuteurs de l’extrait numéro 3, certains disent que l’école est positive pour ceux qui « réussissent ». Les autres se retrouvent dans une sorte de no man’s land, ils ne sont intégrés ni à l’école ni au village. Des femmes entendues plus haut mettaient l’accent sur les moyens nécessaires pour envoyer un enfant à l’école. Réussite et moyens vont de pair :

Aujourd’hui, si tu es l’enfant d’un pauvre, que tu saches ou pas, tu n’as pas la chance de continuer tes études. Aujourd’hui, les enfants qui réussissent chez nous sont ceux dont les parents sont bien à l’aise, ce sont ceux qui sont aisés. Sinon, les enfants des pauvres n’ont pas la chance de continuer. [1]

Dans l’esprit des vieux, l’éducation d’autrefois n’est guère compatible avec l’éducation d’aujourd’hui qui passe par l’école. Un vieux l’exprime ainsi : « L’école moderne contribue aux difficultés des choses aujourd’hui parce que la tradition et l’école moderne sont deux choses qui ne vont pas ensemble ».

1.4 Scénarii face à deux problèmes éventuels : la famine et la maladie

1) S’il y avait un grave problème dans la famille, par exemple un grenier vide ou bien une maladie,

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