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Est-ce que vous pouvez me raconter comment était la vie avant, comment vous avez vécu, comment ça se passait dans la vie quotidienne ?

Procédés d’analyse

Chapitre 6 Les discours

2) Est-ce que vous pouvez me raconter comment était la vie avant, comment vous avez vécu, comment ça se passait dans la vie quotidienne ?

C'est par rapport à l'éducation ou bien ?

Ca peut être par rapport à l'éducation, par rapport à la famille, ou bien par exemple des choses que vous voyez dans la vie aujourd'hui et qui vous frappent, où vous vous dites ah, quand j'étais petite c'était pas comme ça …

En tous cas pour moi il y a beaucoup de changements, parce qu’avant, les familles étaient plus unies, chaque famille est regroupée, on mangeait autour d’un seul plat, dans chaque famille il y a pas de problème. Pour la nourriture aussi, c’est le chef de famille qui s’en occupait, il enlève la nourriture, il donne, les femmes préparent et puis on mange ensemble. Et puis chaque enfant est éduqué par tout le monde. Par exemple, si un enfant se comporte mal, il est réprimandé par les parents et aussi par la famille et par d’autres personnes même, l’entourage, tout ça, tout le monde s’en occupait. De ce fait, les enfants avaient beaucoup de respect pour les grandes personnes, puisque l’éducation se fait en général. En ce qui concerne aussi l’habillement et tout ça, c’est le papa qui amenait en tous cas les habits pour les enfants, les mamans aussi contribuaient mais pas tellement, on filait du coton, les mères filaient du coton et on tissait, on donnait les pagnes aux enfants, ils se couvraient, il y a même pas de problème, même si tu n’as pas d’habit, ça ne fait rien, c’est pas ton problème. Tu peux avoir un seul pagne et ça te suffit. Pour la jeune fille en tous cas, c’est le pagne seulement, tu prends, tu attaches autour de tes reins et il y a même pas de problème. Mais tu as l’amour de tes parents, tout le monde t’aime, tu sens vraiment que tu vis dans un milieu où tu es bien entouré. Mais actuellement là, c’est pas ça.

C’est comment ?

Actuellement les enfants sont laissés à leurs parents seulement, d’ailleurs même ils n’ont pas assez de temps pour s’en occuper, si la mère est peut-être au dehors en train de chercher quelque chose pour la famille, parce que actuellement, il y a pas assez de nourriture, pas assez de mil, il y a le manque de pluie, tout ça qui joue, bon, donc il y a pas assez de nourriture. Donc chaque personne s’active à pouvoir nourrir sa famille. Les femmes s’activent, les maris, tout le monde s’y met. Mais actuellement là, ce sont les femmes qui se donnent encore plus, parce que l’éducation des enfants, la scolarisation, il faut payer tout ça, il faut que tu habilles bien les enfants, il faut que tu payes les fournitures, il faut que tu payes les médicaments, tout ceci cela, et ça cause beaucoup de problèmes, chacun est en train de courir de gauche à droite, et si un enfant se comporte mal, ce sont les parents, les deux parents là seulement qui s’en occupent. Une personne du dehors ne peut plus dire un mot et puis l’enfant là va l’écouter encore. L’enfant écoute ses parents, mais les autres, ah, ce n’est plus son problème. Ca c’est une différence, parce qu’avant, c’est toute la famille, même les voisins, tout le monde s’y mettait. Maintenant, tu corriges un enfant d’autrui, on va te dire mais pourquoi tu as frappé mon enfant, qu’est-ce que mon enfant t’a fait, ce qu’il a fait là ne mérite pas cela, donc l’enfant est laissé à ses parents. [E7]

3) Pouvez-vous me raconter comment vous viviez dans le passé, comment est-ce que ça se passait dans la vie quotidienne, le travail, dans la cour, la famille, tout ça ?

Moi j’ai eu à faire la Côte d’Ivoire quand j’étais petit, après j’ai fait le Ghana, avant que je ne me marie. Et quand je me suis marié, je me suis retrouvé ici. J’ai eu assez d’enfants, donc j’ai rencontré pas mal de travaux dans la vie. Mais aujourd’hui, il y a un problème de chômage qui se pose. Moi je n’ai plus assez de force pour travailler et mes enfants aussi qui sont là rencontrent trop de problèmes parce qu’ils n’ont pas d’emploi. Aujourd’hui, je me sens faible, je n’ai pas assez de force pour travailler et je comptais beaucoup sur mes enfants qui aujourd’hui ne peuvent pas se faire de l’emploi. C’est surtout cela ma seule préoccupation. [E1]

Dans l’extrait numéro 1, la différence entre le passé et le présent est centrée sur un seul élément, le mariage, plus précisément le choix du conjoint pour la future mariée. La relance de l'enquêteur montre sa volonté de reprendre le propos tel quel, c'est-à-dire de parler de différence au singulier, tout en suggérant ou supposant, à travers l'expression par exemple, que les différences doivent être multiples. Dans l'ensemble des entretiens, le mariage apparaît comme l'exemple le plus représentatif, aux yeux des vieux, des changements intervenus au cours du temps. Pour parer à l’ampleur des développements sans pour autant trop les réduire, je les présente sous forme de courts extraits groupés en distinguant le passé et le présent. Concernant le passé, les éléments suivants sont évoqués:

- le mariage était demandé par la famille / ce sont les familles qui s'entendent pour donner la fille en mariage / c'est en quelque sorte une alliance entre les deux familles / ce sont les familles qui s'occupaient d'entretenir la femme puisque les deux familles s'unissent / s'il y a quelqu'un que tu estimes beaucoup, tu peux lui donner ta fille en mariage ; avant de la donner, tu dois d'abord informer certains aînés bien précis de la famille ; si les aînés acceptent, tu peux la donner, s'ils refusent, tu ne peux pas la donner / c'est la famille qui t'as donné, donc tu dois bien regarder la famille et non pas la jeune fille / toi tu jouis du mariage, mais la femme, c'est pour toute la famille / dans le mariage, s'il y a des mésententes, ce sont les deux familles qui se voient et qui règlent cela pacifiquement, et chacun revient à sa place sans aucune difficulté / avec l'évolution ces choses là sont en train de disparaître, sauf dans les villages ;

- on donnait les filles ; si vous avez un ami qui vous a fait un bienfait, on dit cette fille là c'est pour vous ; vous fabriquez votre famille / nos filles, on disait qu'on les donnait en mariage forcé, mais ce n'est pas un mariage forcé comme on le dit, c'est un mariage de consolidation des amitiés de la famille / j'étais chez mes parents, j'ai été promise à un homme, je n'ai pas choisi mon mari, j'ai été donnée ;

- c'est le chef de famille qui donnait, qui décidait, mais c'est selon les rites coutumiers; si personne dans la famille du garçon n'a jamais fait querelle à la famille

de la fille, il peut ramasser une fille dans cette famille, mais il faut vérifier / c'est règlementairement / notre culture, c'est d'étudier, on ne donne pas comme ça ;

- si une fille est donnée en mariage, elle est obligée d'accepter son nouveau foyer / si on te promettait à un homme en mariage, tu es obligée d'aller rester avec cette personne, tu ne peux pas refuser / on ne doit pas discuter, que tu le veuilles ou non, tu iras chez ton mari si on te marie / la femme n'avait qu'un seul foyer dans la vie / quand on décide que telle fille est mariée, c'est pour toute sa vie ;

- si la fille est enceinte avant le mariage, elle quitte la cour, elle va vivre avec cet individu jusqu'à son accouchement et elle a une certaine amende à payer aux coutumes ; ce sont les tantes qui s'occupent de ça, et elle perd l'honneur, elle perd l'honneur / il n'y avait pas ça, les bâtards, les enfants nés ailleurs ;

- pour le mariage, il y avait quatre pagnes et le foulard qu'elle porte, c'est tout, donc ce n'est pas compliqué / comme dot1 pour le mariage, c'était du sel en barre et il y avait aussi des nattes tissées ou du bois sec pour la maman pour préparer [faire à manger] / il y avait pas de dot, parce que la dot c'était 44 cauris2 seulement et un pagne, c'était pour faire l'honneur de la femme; symboliquement, selon les coutumes, on dit de doter la fille pour qu'à partir du jour où vous avez donné les 44 cauris, tous ceux qui étaient candidats s'écartent.

Concernant le présent :

- le mariage coutumier n'est pas considéré, le mariage religieux n'est pas considéré, c'est le mariage à l'état civil qui est considéré, de sorte que ce sont eux [les époux] avec les juges qui ont à faire, nous nous n'avons rien à faire, la famille est observateur c'est tout / s'il y a des mésententes, ce sont les deux époux qui règlent ça avec leurs témoins mais la famille ne se mêle pas, de sorte que c'est plus fragile que l'ancienne mode, il y a une désolidarisation ;

1 En Europe, la dot est un ensemble de biens que la femme apporte en se mariant en vue de participer à la subsistance

du ménage. En Afrique, c’est la famille du mari qui remet à la famille de la femme des biens ou de l’argent au moment du mariage. Il s’agit d’un dédommagement donné à la lignée de l’épouse pour compenser la perte d’un de ses membres, d’où l’expression de « compensation matrimoniale » employée par les ethnologues. (Deluz, Le Cour Grandmaison, Retel-Laurentin, 2001, p.18)

2 Les cauris sont des coquillages provenant de l’océan indien, blancs, ovoïdes, fendus sur une de leurs faces. Ils

- comme le Blanc est venu avec son français, pour des filles qui sont parties à l'école, c'est tout un problème, c'est la fille qui vient avec son mari te montrer que c'est avec cet homme qu’elle veut vivre / c'est très difficile, si tu veux donner une fille en mariage, elle peut aller te convoquer devant les autorités; toi tu ne comprends rien de ce qu'ils veulent dire et pour finir la justice donne raison au couple et te laisse ; - comme nos mœurs sont en train de changer, nos mariages maintenant sont fragiles /

aujourd'hui il y a des divorces, les enfants se marient comme ils veulent, mais cela ne répond pas à nos coutumes / c'est parce que les filles ont le loisir de choisir leur mari qu'il y a souvent des échecs dans les ménages ;

- maintenant il y a le choix des conjoints, donc c'est très difficile pour les filles de trouver des prétendants, ce qui fait qu'il y a beaucoup de filles qui ne peuvent pas se marier / les filles-mère sans mari, sans rien, il y en a en pagaille ; pourquoi ? parce qu'il n'y a plus de totem / dans cette cour, j’ai une fille-mère, ma propre fille : je veux la chasser pour qui ? les coutumes n’ont qu’à me pardonner, je ne vais pas laisser ma fille dans les rues / c'est très difficile de prendre une femme quand on sait qu'on ne peut pas l'entretenir / de nos jours [la dot] c'est du sucre et puis de l'argent, si tu n'as pas d'argent tu ne peux pas te marier / le mariage exige plus de moyens et les jeunes n'ont pas de travail / maintenant, il faut 20 pagnes, des chaussures, beaucoup d'habits, il faut beaucoup d'argent / avant il y avait beaucoup la polygamie, maintenant les jeunes veulent une seule femme dans leur vie, donc c'est difficile.

Les extraits présentés montrent que les changements évoqués à propos du mariage concernent plusieurs domaines, tel que celui de la gestion et des prises de décision. Qui « décide », qui « donne », qui « entretient » ? Concernant le passé, les vieux invoquent la famille en précisant les membres concernés : le chef et les oncles. Ces membres se réunissent et examinent chaque union potentielle pour s’assurer qu’elle respecte les termes de l’alliance mossi ; le chef de famille entérine ensuite la décision prise. On parle du mariage comme de l’union de deux familles et non de deux individus. Les familles veillent les unes sur les autres par l’intermédiaire des neveux pour s’assurer de l’entretien des filles données. Les familles règlent les mésententes entre les époux. Les

dons sont régis par certains principes coutumiers, comme par exemple l’analyse de l’histoire des relations inter-familiales. Ces analyses doivent garantir l’absence de toute querelle entre les familles concernées. La future mariée est tenue d’accepter l’homme à qui elle a été promise et elle n’aura qu’ « un seul foyer ». S’il se trouve qu’elle est enceinte avant le mariage, elle ne peut rester dans la cour car sa situation entraîne le déshonneur de la famille entière. Elle ne pourra réintégrer son groupe qu’après un temps plus ou moins long selon les familles et après avoir demandé réparation pour sa faute auprès des ancêtres par l’intermédiaire de ses tantes et des neveux.

Pour ce qui est du présent, le pouvoir de décision de la famille, disent les vieux, n’est plus de règle dans certains milieux, notamment en ville où l’on dit que les futurs mariés choisissent leur époux(se). Cet affaiblissement du rôle de la famille est imputé à diverses institutions3 comme la mairie, l’école, les instances judiciaires qui sapent en quelque sorte les règles coutumières comme par exemple le respect des totems (cf. infra). Les conséquences évoquées sont des mariages plus fragiles, des divorces fréquents, des difficultés pour les filles de trouver un mari et la présence de filles-mères de plus en plus nombreuses.

Comment ces différentes caractéristiques sont-elles évaluées par les vieux ? Principalement en termes de solidité vs fragilité des liens. Les modalités anciennes « soudaient » les familles et les relations familiales étaient gérées collectivement, de même que les problèmes qui pouvaient survenir. Ces modalités permettaient en outre, comme le dit un vieux, de « fabriquer » sa famille, autrement dit de choisir ses alliés. Les modalités actuelles mettent en cause le respect des coutumes et fragilisent les liens traditionnels. Le terme « dangereux » est fréquent dans les discours pour signifier les conséquences que peut engendrer une union non consentie par la famille. Selon les coutumes, toutes les familles ne peuvent pas s’unir. «Il y a certaines ethnies auxquelles ton ethnie ne peut pas marier ses filles, si vous refusez, vous verrez le résultat. Par exemple avant, les Peuhls ne mariaient pas les Mossi […]». La transgression de ces interdits peut entraîner des conséquences tel que le bannissement : « […] votre fille est mariée à un de vos ennemis, c’est cela qui amène des problèmes, c’est cela qui dérange les parents […] ; ça amène des conflits, parce que le père est obligé de dire cette fille, c’est pas pour moi, je l’ai pas mise au monde. Donc on sépare cette fille de votre

3 Ce que les interlocuteurs mettent en cause renvoie aux codes civil et de la famille introduits dans la constitution en

1990. L’injonction faite aux communes par l’Etat de procéder à des mariages civils a été suivie différemment selon les régions. En pays mossi, la procédure a été très marquée. Les discours sont donc à mettre en relief avec cet arrière- plan socio–politique.

famille, c’est dangereux ». Si la fille rencontre des difficultés, peut-elle revenir à la maison? « Mais comment elle va revenir ? C’est fini, c’est fini, elle est séparée de la famille, elle est bannie de la famille ». Le refus d’aide de la part des familles réticentes au choix des conjoints est motivé ainsi : « nous ne t’avons pas donnée au garçon », « nous t’avons donné la liberté de choisir », « allez régler vos affaires entre vous ». La fille est alors « désolidarisée » de sa famille. Parfois, des compromis sont trouvés et le choix libre des conjoints, s’il est présenté et discuté en famille, est accepté. Ainsi l’explique une veuve âgée en parlant de ses filles :

Si quelqu’un veut une de mes filles en mariage, il doit venir m’exposer son problème, comme quoi je veux votre fille en mariage. Partant de là, je vais poser des questions au garçon, à savoir si vraiment il aime ma fille et si vraiment le comportement de ma fille lui plaît. Si ce dernier dit oui, il n’y a pas de problème, je peux donner ma fille en mariage. Le garçon doit aller exposer le problème à sa propre famille, comme quoi il a vu une fille dans telle famille et qu’il la veut en mariage. Si ces derniers acceptent, ils peuvent venir chez les parents de la fille pour exposer le problème. S’ils tombent d’accord, ils choisissent une date pour le mariage. Pour monter sur un arbre, il faut passer d’abord par le tronc pour atteindre les branches. Pour pouvoir célébrer un mariage, il faut avoir d’abord le consentement des parents pour que le mariage réussisse. [E16]

Deux questions peuvent être retenues à ce stade, qui se verront développées au fur et à mesure de l’exploration des données et du travail d’analyse. Que recouvre la catégorie famille telle qu’elle est utilisée par les informateurs ? Que peut-on dire concernant le mariage en terme de lien social ?

L’extrait numéro 2 montre que l’entrée en matière est jugée parfois trop vague par les vieux qui ne savent pas trop de quoi parler et demandent des précisions. L’interlocutrice évoque ici en premier lieu l’unité de la famille. Pour l’exprimer, elle donne l'exemple du repas pris en commun. Cet exemple est fréquent dans les discours pour décrire le passé et diversement formulé : « quand il y en avait pour un, il y en avait pour tout le monde », « tout le monde se rassemble devant la même écuelle et on mangeait », « dans notre temps, on était réuni dans la famille, il y a peut-être deux plats, il y a les hommes, il y a les femmes, même si vous êtes 100 personnes, tout le monde vient à l'heure où on vous appelle : ‘venez on mange’ ». Le sentiment d’unité est également exprimé ailleurs à travers l’évocation de la hiérarchie. Un vieux dit ainsi : « Les gens étaient en collectif, il y a le cercle de la famille, tout le monde est là, ils sont sous les ordres de leur père et de leur grand-père […] ». Ou dans la référence aux

travaux communs : « les familles cultivent ensemble », « à l’époque, si on dit qu’il y a un travail, tout le monde se réunit main dans la main pour exécuter ce travail ».

Actuellement, la vie collective telle que vécue et racontée par les vieux a changé. Les raisons invoquées à l’égard de ces changements concernent la division du travail (la culture n’est plus l’activité exclusive, même au village), et la possibilité d’avoir de l’argent qui permet de se nourrir en dehors de la famille ou de cuisiner des denrées alimentaires autres que le mil (céréale principale). Ces raisons sont interdépendantes puisque c’est notamment la division du travail qui permet d’exercer des activités lucratives en dehors du travail familial qui, lui, n’est pas rémunéré. Une vieille dit ainsi :

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