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Données socioéconomiques récentes

Aspects épistémologiques et méthodologiques

4. En finir avec l’opposition quantitatif–qualitatif ?

2.2 Données socioéconomiques récentes

Suivant toujours les démarches conventionnelles de présentation du contexte, je résume ici deux enquêtes socio-économiques concernant Ouahigouya, sélectionnées parce qu’étant les plus récentes. Je les discuterai ensuite en regard des réflexions de Latouche présentées au chapitre deux. La première étude a été réalisée par Boissard (1996) dans le cadre d’un mémoire de géographie. Elle consiste en un diagnostic socio– économique de la ville et s’inscrit dans un projet gouvernemental burkinabè lancé en 1990 visant à freiner l’exode rural à travers le développement de dix villes moyennes, parmi lesquelles Ouahigouya. Quatrième ville du pays après Ouagadougou (capitale), Bobo Dioulasso et Koudougou, Ouahigouya a connu une évolution démographique relativement tardive. En effet, créée ex–nihilo vers 1870, la ville atteint 10'000 habitants peu avant 1960 seulement. En 1991, date de la dernière enquête démographique, elle en compte un peu plus de 55'000, dont plus de la moitié en dessous de 15 ans. La ville connaît un taux d’émigration important, pour des raisons historiques (zone traditionnelle d’émigration depuis la période coloniale) ; climatiques (désertification),

démographique (forte densité par rapport aux terres cultivables) ; économiques (en dehors du commerce, la ville génère peu d’emplois13). A l’origine, la ville était découpée en neuf quartiers hiérarchisés autour de la résidence royale. En 1984, elle a été divisée en 14 secteurs ou circonscriptions administratives. Les limites des quartiers et des secteurs ne se recouvrent pas, et chaque secteur regroupe un ou plusieurs quartiers traditionnels. Boissard distingue les secteurs de la « vieille ville », les secteurs de la « ville moderne » et les secteurs ruraux (non lotis). Les différences entre les trois types de secteurs sont d’ordre démographique (de 24 et 31 habitants par concession en vieille ville, de 17 à 19 dans les secteurs ruraux, de 10 à 15 dans les secteurs modernes) ; et d’ordre économique (revenus des chefs de ménage très bas dans les secteurs ruraux, plus élevés dans les secteurs de la vieille ville ainsi que dans les secteurs modernes). De manière générale, le niveau de vie reste bas et les besoins en infrastructures sont sérieux (approvisionnement en eau et en électricité, en particulier).

En matière d’éducation, Ouahigouya constitue le centre de formation le plus important de la région nord du pays. On y trouve des établissements d’enseignement primaire (18 écoles primaires, 10 écoles coraniques et 13 medersas –enseignement franco–arabe) ; secondaire (2 lycées publics et 7 collèges privés) ; professionnel (2 centres de formation féminines, 1 centre d’apprentissage de la mission catholique, 1 centre de perfectionnement des artisans ruraux, 1 centre de formation artisanale). Si le taux de scolarisation est globalement relativement élevé (74%), il varie en fonction de types de secteurs d’une part, et d’autre part, les statistiques laissent entrevoir un taux d’abandon fort élevé. En effet, dans les 350 concessions enquêtées, Boissard note que seulement 6% de la population de plus de 15 ans détient le BEPC. Dans le même échantillon, 39 personnes sont en possession d’un bac, et 15 sont titulaires d’une licence universitaire. Parallèlement aux enseignements cités, on compte plusieurs centres d’alphabétisation en mooré (langue des Mossi).

En matière de santé, la ville dispose d’un centre hospitalier de 220 lits, six dispensaires, trois maternités fonctionnelles, deux cabinets de soins privés, un centre anti–lèpre et anti–tuberculeux, deux pharmacies, quatre dépôts pharmaceutiques, une école de santé publique. Cinq secteurs ne possèdent aucune infrastructure. Malgré les aides de diverses ONG pour améliorer les prestations du centre hospitalier, les moyens à disposition demeurent insuffisants en regard du nombre d’habitants. Dans les dépenses globales des ménages, la santé vient en seconde position, après l’alimentation.

Cela n’exprime pas forcément une priorité, mais traduit plutôt le coût extrêmement élevé des frais de santé. Les maladies les plus courantes mises en évidence par Boissard sont le paludisme, la diarrhée infantile et les infections respiratoires (toux, bronchites, rhumes …). En 1993, la mortalité infantile représentait 80% des décès enregistrés dans la commune.

En matière de culture et de loisirs, Ouahigouya est une ville plutôt dynamique selon Boissard, en référence au nombre d’associations recensées, 90 au total. Ce nombre appelle néanmoins quelques remarques. La grande majorité de ces associations sont des groupements de femmes, actifs davantage dans le domaine de la promotion féminine que dans l’animation socio–culturelle. Par ailleurs, de nombreuses associations n’ont qu’une existence nominale, faute de moyens financiers pour organiser des spectacles. Il n’en reste pas moins une propension forte à se regrouper ou à s’associer.

La seconde étude, plus récente (Schulze & Tankoano, 2000), concernant Ouahigouya s’intitule Etude sur la pauvreté en milieu semi-urbain14 : cas de Ouahigouya. Elle fait ressortir des éléments semblables au diagnostic de Boissard.

Partant d’un double objectif, décrire l’état de pauvreté du point de vue des habitants et construire une analyse des dynamiques de lutte contre la pauvreté, les chercheurs font l’hypothèse que le degré de pauvreté varie en fonction des secteurs de la ville d’une part, et qu’à l’intérieur de chaque secteur, il est lié au niveau d’instruction du chef de ménage, à ses activités ainsi qu’à la taille de son ménage (nombre de femmes en particulier). Questionnaires et entretiens sont à la source des résultats produits, qui mettent en évidence deux types de pauvreté, l’une économique, l’autre humaine.

La première est mise en évidence par la description des dépenses des ménages. Il ressort de cette description que 27,6% des ménages de la commune vivent en dessous du seuil de pauvreté, ce qui équivaut à 40,31% des individus de l’échantillon de l’étude (253 ménages ; les ménages comprennent en moyenne 14 personnes). Des différences apparaissent entre secteurs de la ville, expliquées par les auteurs par le degré de ruralité ou de modernité de ces derniers : le niveau de vie descend des secteurs modernes aux secteurs ruraux.

Le second type de pauvreté qualifiée d’humaine par les auteurs de l’étude, se situe à plusieurs niveaux. Celui de l’éducation : plus de 70% des chefs de ménages interrogés

n’ont pas profité d’une éducation formelle et 13,4% d’entre eux seulement sont alphabétisés dans une langue nationale ; en dehors du chef de ménage, seuls 30,8% des ménages comprend au moins une personne sachant lire, écrire et calculer dans une langue nationale. Du côté des enfants, le taux de scolarisation est de 80,4% (école primaire, lycée, école coranique et medersa). Ce taux moyen assez élevé descend dans les secteurs ruraux à moins de 70%. Le coût de l’inscription et des fournitures constitue l’obstacle principal à la scolarisation. Le niveau sanitaire : 40% des enquêtés ne recourent pas au dispensaire lorsqu’ils sont malades, 30% ne recourent pas à l’hôpital. Dans les deux cas, la raison évoquée est le coût élevé des soins. Comme autres « facettes » de la pauvreté humaine, les auteurs désignent la taille moyenne des ménages15 (14 personnes), le taux élevé d’habitat en banco (63,6%), le manque d’outils agricoles et le problème de l’évacuation des ordures et des eaux usées.

S’intéressant également à la manière dont les habitants définissent la pauvreté (à travers, toutefois, un questionnaire « imposant » les indicateurs déterminés par les chercheurs), les auteurs mettent en évidence le manque d’alimentation, le climat, le chômage, le coût de la scolarité et des soins. Une mauvaise gestion des ressources des ménages est également souvent citée par les enquêtés (38%), de même que la dépendance à autrui (17,8%). La solidarité est à la fois désignée comme cause de la pauvreté (perte de la solidarité) et comme potentiel dans la lutte contre la pauvreté.

Concernant la dynamique de lutte contre la pauvreté, les auteurs mettent en évidence un mouvement associatif varié et multiple de même qu’une volonté individuelle forte du côté des habitants. Ainsi, dans 33,8% des ménages, certains membres pratiquent l’élevage, le commerce (31,8%), l’agriculture (31,8%) ou le maraîchage (16,9%). Ces deux dernières activités sont souvent pratiquées conjointement par plusieurs membres du ménage. Du côté des associations, les activités menées dans la communes sont nombreuses, mises en œuvre la plupart du temps sous forme de projets de développement (alphabétisation, formation, octroi de crédits, planning familial). Il y a également une forte présence de partenaires extérieurs, japonais, suisse, allemands travaillant également dans le domaine de la coopération. Ouahigouya fait par ailleurs partie du programme étatique « Villes moyennes » , qui vise à investir sur le plan du développement social à travers une partie des recettes générées par les infrastructures marchandes.

14 Dominance de l’activité agricole et de l’élevage.

Dans leurs conclusions, les auteurs soulignent le chômage des jeunes mis en évidence par tous les acteurs interrogés comme une des sources de la pauvreté et la nécessité de renforcer l’éducation et la formation professionnelle. Ils notent également une augmentation des enfants déshérités et des enfants de la rue, sans toutefois amener de précisions, hormis le travail de certaines associations pour lutter contre le phénomène qu’ils qualifient de « fléau ».

Aucune des deux enquêtes n’évoque le sida, ni dans la rubrique santé, ni dans d’autres rubriques. Qu’est-ce à dire ? Il est possible que cela soit lié à l’absence de données disponibles à ce sujet. J’ai moi-même été confrontée à ce problème en n’obtenant que des informations générales par l’intermédiaire des services statistiques sanitaires régionaux.16 Le rapport sur le développement humain durable du PNUD

consacré au sida (2001), fait état, pour l’ensemble du pays, de la situation suivante : à la fin de l’année 97, le taux de prévalence était estimé à 7,17% dans la tranche d’âge 15– 49 ans, ce qui correspond à 620 000 personnes atteintes, parmi lesquelles 250 000 sont décédées depuis. Pour la fin de l’année 2000, il était estimé à 10%. Ces taux de prévalence font du Burkina Faso le troisième pays le plus touché en Afrique de l’Ouest.

Quel commentaire apporter concernant les enquêtes de Boissard et Schulze & Tankoano ? En référence à l’étude de Latouche présentée au chapitre deux, on peut affirmer sans autres qu’elles sont axées sur l’analyse des dynamiques « objectives externes » : les indicateurs privilégiés pour décrire le milieu sont d’ordre monétaire (revenus des ménages), relatifs à la couverture des besoins essentiels (approvisionnement en eau, nombre de repas par jour …), à l’accès aux services. L’analyse des dynamiques « relatives internes » liées au vécu des acteurs est totalement absente. Même dans la seconde étude en effet, malgré la distinction opérée par les auteurs entre pauvreté économique et pauvreté humaine et leur intérêt pour la façon dont les habitants conçoivent la pauvreté, l’analyse demeure le fruit d’une vision ethnocentrique liée à la définition occidentale du concept de pauvreté. A aucun moment par exemple n’est mentionnée la solidarité pour mettre en évidence les potentialités des familles face aux difficultés rencontrées ou susceptibles de survenir. La pauvreté

16 Par exemple les données disponibles dans le bulletin SIDA RETRO–INFOS N° 4 concernant le taux de

VIH/SIDA/IST au Burkina Faso en 1999 ne sont pas suffisamment significatives ; pour Ouahigouya par exemple, elles mettent en évidence uniquement le taux de séroprévalence chez les femmes enceintes (6%) et le prélèvement

humaine reste matérielle (possession ou non d’outils agricoles par exemple) et affaire de mesure (taille des ménages).

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