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De manière générale, comment se passe la vie pour vous à Ouahigouya ?

Procédés d’analyse

Chapitre 6 Les discours

4) De manière générale, comment se passe la vie pour vous à Ouahigouya ?

Moi je m’appelle Amadé. La vie à Ouahigouya c’est un peu dur, moi je suis un éleveur mais je n’ai pas de moyens.

Moi je m’appelle Saïd, je suis élève au lycée. Nous on vit tous en famille, chacun vit avec sa famille, peut-être tous avec des grands-pères, et chacun se débrouille avec ce qu’il a pour nourrir sa famille, et j’espère que c’est le cas pour tout le monde. Ce que moi en tous cas je sais, c’est cela d’abord. [E6]

Comme lors des entretiens avec les vieux, l’entrée en matière adoptée avec les jeunes devait permettre à ces derniers de s’exprimer librement sur leur vie quotidienne.

Cette partie de l’entretien met donc en évidence les éléments cités spontanément par les jeunes. Ces éléments étaient ensuite approfondis et complétés par d’autres, conformément au guide présenté au chapitre quatre (point 3.3).

Les propos, récurrents, de l’entrée en matière concernent la santé, le travail, la scolarisation et indirectement, la famille. Dans l’extrait numéro 1, Abdoul parle d’épanouissement avant d’évoquer les difficultés liées à la santé. Dans la suite de ses interventions, il apporte des précisions à l’expression « on s’épanouit bien » en disant que les jeunes, « s’ils ont l’occasion d’œuvrer sur une activité donnée, ils se donnent à cœur joie, par exemple militer dans une association où chacun pourra s’épanouir, ne serait-ce que par les échanges, et puis par la suite gagner quelque chose ». Proches de cette idée d’épanouissement, plusieurs jeunes mettent l’accent sur leurs ressources, leur « génie créateur » par exemple, et sur leur vie en groupes, « autour du thé », où ils « ambiancent le coin ». Les « problèmes de santé » sont évoqués dans tous les entretiens. Comment se soigner si l’on est malade et qu’on n’a pas de quoi payer soi- même les traitements ? Si le recours aux soins traditionnels est fréquent, c’est par manque de moyens, et non en vertu de la qualité des produits de la pharmacopée.

Dans une famille, si tu es malade, pour te soigner c’est tout un problème, on finira par soigner par la pharmacopée. Et puis si tu es jeune comme ça et tu es malade, il n’y a pas quelqu’un qui va prendre sa responsabilité pour te soigner, n’en parlons pas de l’hôpital où l’on va te prescrire une ordonnance et ça pose un énorme problème. Seul ton père, s’il a les moyens, peut venir à ton secours. Si par manque de moyens ton père ne peut pas, tu finiras par rester à la maison pour te soigner, ça c’est le seul problème même. S’il arrive que tu es guéri, tant mieux. Dans le cas contraire, tu peux mourir avec cette maladie. [E2]

Le père, plus généralement les parents, sont les personnes ressources les plus sollicitées, et les plus obligées aussi lorsqu’il s’agit des frais de santé des jeunes. Les filles s’adressent en priorité à leur mère qui décide de « transmettre ou non la demande au papa ». Les grands frères sont également souvent cités. Sawiata met en garde contre l’idée que vivre en grande famille assure un soutien plus large.

Dans les grandes familles, dit-elle, chacun s’occupe de ses enfants et de ses femmes. Si on dit grande famille, ça ne veut pas dire que tu as une grande famille et que si tu as un problème, c’est toute la famille qui va t’aider. Si tu as un problème, ça n’engage que tes parents seulement. [E8]

La suite de l’exploration des discours mettra en évidence de façon plus détaillée la manière dont se décline le soutien et les différentes situations dans lesquelles il est

présent. On peut retenir à ce stade la première distinction entre famille élargie et famille restreinte parents-enfants.

Le second type de problèmes évoqués par Abdoul dans le premier extrait concerne le manque de travail. « Il n’y a pas de boulot, à part l’école, on ne fait rien ». Tous les jeunes qui se sont exprimés se sentent, de près ou de loin, concernés par cette situation. Il y a ceux « qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école », ceux qui ont fréquenté un moment et qui ont abandonné, ceux qui ont réussi et qui ont pour mission de soutenir les uns et les autres. L’expression « réussir » ou « réussir dans la vie » signifie globalement avoir un emploi rémunérateur. L’expression est néanmoins souvent utilisée par les jeunes interviewés pour désigner ceux qui ont suivi des études jusqu’à l’obtention d’un diplôme et qui ont trouvé un emploi dans la fonction publique. Abdoul regrette que les travaux manuels ou techniques (mécanique, menuiserie) soient réservés, dans les mentalités, à ceux qui ne sont pas allés à l’école. Il se dit qu’allier l’école ou les études à ce genre de travaux permettraient d’une part aux élèves et aux étudiants de satisfaire eux-mêmes certains besoins (fournitures scolaires, habits) et de ne pas se retrouver les mains vides –à la rue– si à l’école ça ne marche pas. Cette idée n’est pas très présente parmi les jeunes hommes interviewés. Abdoul est le seul à l’évoquer. La pensée la plus commune est de lier l’école et les études à la fonction publique, via les concours.2 Ainsi, comme l’exprime Saïdou dans l’extrait numéro 2, il y a deux catégories de jeunes : ceux qui sont allés à l’école et qui « cherchent à rejoindre une vie meilleure » en devenant instituteur ou infirmier. Et ceux qui ne sont pas allés à l’école et qui tentent de se débrouiller pour « recevoir leur pain » soit à travers le commerce, soit à travers le maraîchage en saison sèche, soit encore à travers d’autres activités. Cette distinction se retrouve dans tous les domaines exposés par les jeunes. Tout est différent si on a ou non suivi l’école et les conséquences semblent énormes.

Dans l’extrait numéro 3, Fatimata et Salimata centrent leur propos sur la situation des filles. Leur inquiétude majeure est de ne jamais être assurées de mener leurs études à terme. En effet, elles peuvent être à tout moment retirées de l’école, en particulier lorsqu’elles approchent l’âge du mariage, vers 17 ans. Mais la plupart abandonnent entre 12 et 14 ans. Si beaucoup de garçons abandonnent aussi, les filles sont d’avis que les chances de ces derniers de terminer l’école sont beaucoup plus élevées.

Ici, on n’aime pas laisser les filles aller à l’école, on leur donne pas l’occasion d’aller à l’école. Eux [les vieux] disent que la fille doit se marier, rester à la maison seulement, s’occuper des enfants et c’est le mari qui travaille. Ils disent que si tu amènes une fille à l’école, c’est une fatigue, une fatigue pour rien. Et la fille, à l’âge de 17 ans se marie, et tu peux avoir 17 ans et ne pas finir tes études. [E3]

C’est probablement pour cette raison que contrairement aux garçons, les filles interviewées exercent toutes une petite activité marchande pour payer une partie de leur matériel scolaire.

Si les vieux estiment que mettre une fille à l’école constitue une « fatigue pour rien », c’est parce que d’une part celle–ci sera ménagère une fois mariée, et d’autre part parce qu’en s’installant chez son mari, elle quitte sa famille. Elle ne rapportera donc rien en retour ; une fatigue pour rien, c’est en quelque sorte un investissement à perte. Fatimata explique ainsi comment son oncle a brusquement mis fin au payement de ses études :

Moi, dès ma 6ème, j’ai été confiée à un oncle à Bobo, et cet oncle s’occupait de ma scolarité, de mon habillement, de ma nourriture, jusqu’à un certain moment, jusqu’à ma 4ème. A ma 4ème, il voyait que

l’école, il se disait en lui que l’école des filles, c’est une fatigue, tu te fatigues pour rien, sa réussite aussi, ça rapporte très peu. Donc lui il se disait fatigué, donc il a changé de conduite. Donc moi en ce moment, je devais me débrouiller pour mon école, pour m’habiller et pour me nourrir aussi. [E3]

Outre la catégorisation faite par les jeunes entre ceux qui sont allés à l’école et ceux qui n’y sont pas allés ou qui ont été contraints à l’abandon, on peut retenir à ce stade les différences entre les filles et les garçons. On verra au fil de l’analyse les autres domaines de la vie quotidienne dans lesquels filles et garçons se démarquent, et comment. Sur le plan du lien social, j’ai évoqué la distinction faite par les jeunes entre famille élargie et famille restreinte, de même que le primat des relations entre parents et enfants (père et fils, mère et fille) en cas de problème de santé. On peut ajouter que la place ou le statut de la femme dans la configuration familiale par rapport à celle de l’homme a des conséquences sur les responsabilités qui incombent à chacun et que ces responsabilités jouent sur la « chance » d’être scolarisé à plus ou moins long terme.

L’extrait numéro 4 présente deux propos concis. Amadé centre son intervention sur le manque de moyens qui lui rend la vie difficile. Quant à Saïd, il exprime son souhait que chacun parvienne à nourrir sa famille. On retrouve dans ces propos, de même que dans les précédents, l’évocation de difficultés liées aux moyens financiers. Les formulations qui en témoignent varient : « éviter de dépenser », « c’est difficile de

poursuivre avec les moyens qui nous sont difficiles à avoir », « un travail de trois mois ne peut pas nourrir toute une famille pendant neuf mois », « mon mari n’est pas riche », « les parents disent qu’il n’y a pas d’argent pour payer ».

2.2 Questions autour du travail

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