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Regards des vieux sur le passé et sur le présent

Procédés d’analyse

Chapitre 6 Les discours

1. Regards des vieux sur le passé et sur le présent

Comme explicité au chapitre quatre, les vieux étaient invités, lors des entretiens, à raconter comment ils avaient vécu dans le passé. De cette entrée en matière très libre ont été progressivement –au fil des entretiens– repérés certains thèmes qui ont enrichi au fur et à mesure la production du matériel empirique. Comme je l’évoquais plus haut, la tentative de construire une première condensation des données fondée sur les thèmes évoqués par les interlocuteurs, n’a pas abouti, faute de pertinence. Après réflexion, le principe de condensation qui semblait présenter le moins d’ambiguïté, autrement dit le moins de risque d’enfermer les discours dans des catégories sémantiques prédéfinies, était celui des marquages temporels : les discours présentent tous des éléments de l’ordre du présent et des éléments de l’ordre du passé et cette première distinction met en évidence la perspective comparative sur laquelle les discours ont été construits. Le passé s’éclaire par le présent et vice et versa. L’indicateur le plus fréquent est d’ordre linguistique, il s’agit des adverbes avant et aujourd’hui. A côté de ces termes génériques, on en trouve d’autres, comme à l’époque, dans l’ancien temps / maintenant,

de nos jours, actuellement, présentement.

Exemple

La vie a beaucoup changé. Aujourd’hui la vie est très facile. Avant les gens travaillaient très dur ici, c’était un quartier de forgerons, et dans ce quartier de forgerons, les gens partaient en brousse chercher du charbon, revenir pour faire la forge. Ils faisaient des pioches, des haches, des coupes-coupes. Tous les travaux se faisaient à la main. Actuellement les gens cultivent, ils ne font plus la forge comme avant. Ils cultivent et ils font aussi du jardinage. Maintenant les travaux sont moins difficiles qu’avant. [E8]

Un autre indicateur, présent ou non avec le premier, est le temps des verbes. Toutefois, si l’emploi de l’imparfait renvoie systématiquement au passé, il n’en va pas de même du présent qui peut relater une action située dans un contexte antérieur.

Exemple

A l’époque, toute l’activité était basée sur l’agriculture. Le matin on se lève, on prend son enfant, on le met au dos, on rejoint le mari aux champs pour cultiver la terre. Du retour du champ, on enlève le mil du grenier, on écrase ça dans les meules traditionnelles pour faire le repas du soir. [E10]

Si l’organisation des discours en fonction des marqueurs temporels repérés et répertoriés est pertinente, c’est-à-dire qu’elle amène de la compréhension à la lecture des discours par rapport à la thématique du changement social, elle n’en est pas pour le moins infaillible. Certaines parties d’entretien présentent ainsi des éléments qu’on ne peut rattacher ni au passé ni au présent. Les cas les plus explicites sont les définitions de proverbes, ces derniers étant, par définition, intemporels :

[«Quand le tour du bouc arrive, il faut tendre la gorge pour se faire égorger.»]

Ca veut dire quand vous avez un problème et que vous n’arrivez pas à le résoudre, vous n’allez pas le donner à quelqu’un d’autre […] si vous n’avez personne derrière vous pour vous aider et qu’il faut faire la chose, il faut affronter la chose quand même. [E6]

D’autres énoncés sont ambigus parce qu’ils ne permettent pas de situer clairement l’action décrite :

Quelquefois si tu es femme et tu te maries, si tu es malade, la famille se regroupe, la famille choisit des gens pour aller te chercher si ton mari n’a pas les moyens pour te soigner. Mais si toi tu es partie de ton propre gré, même si [quand] tu partais, tu étais malade, la famille n’intervient pas, la famille te laisse. Même si tu viens mourir dans la famille, comme le mari a pris soin de leur enfant, qu’il n’a pas refusé, la famille peut encore chercher une autre fille pour donner à ce monsieur. [E4]

Cette intervention fait suite à une prise de parole en réponse à la question avant, si

quelqu’un tombait malade dans une famille, comment ça se passait. On ne peut

cependant affirmer sans risque de se tromper que la situation relatée est exclusive du passé.

Parfois également, l’utilisation plurielle des temps verbaux ne permet pas non plus de distinction univoque :

Dans l’ancien temps, quand on a des enfants, on leur apprend à cultiver, il n’ y a pas de techniques comme ça, on les encourageait à cultiver. Bon, avec la pénétration de l’école en Afrique, on mettait aussi certains enfants à l’école. Les filles, elles apprenaient à aller chercher de l’eau, prendre du bois pour apprendre à préparer. Les filles, elles n’ont pas la chance d’aller à l’école, elles sont destinées aux travaux domestiques à la maison, préparer, aller chercher du bois, aller chercher de l’eau. [E10]

Ici, on peut –pourrait– penser que l’interlocutrice, en affirmant que les filles n’ont pas la chance d’aller à l’école, parle du présent.

Si l’on peut distinguer un passé d’un présent, il est très difficile, voire impossible dans presque tous les cas, de situer ce passé dans un temps historique. Passé proche ou passé lointain, les interlocuteurs précisent rarement. Les locutions adverbiales employées seules sont les moins déterminantes (avant, si les parents donnaient une fille

en mariage, que le foyer lui plaise ou non, elle est obligée de rester car il s’agit d’une décision prise par les aînés de la famille). Parfois on précise en disant par exemple la

vie après les indépendances, ou bien quand j’étais petite. Ailleurs, c’est une référence à un mythe pour expliquer l’organisation et la cohabitation des différentes familles en pays mossi et le pouvoir des anciens qui permet de se situer (moi je suis un Kouroumbè,

les Yoyonse si vous voulez, nous sommes arrivés ici, on est tombé ici quand il a fait un éclair et la case est tombée). Parfois c’est une référence à la religion, musulmane ou

chrétienne (avec la religion, tout a changé) qui permet également de situer les propos. Si une inscription chronologique précise amène dans certains cas une meilleure compréhension, elle n’avait toutefois pas été jugée nécessaire, et aucune clarification n’était demandée en cours d’entretien. En effet, les raisons des changements intervenus qui importaient le plus étaient moins celles liées à des événements historiques que celles évoquées et ressenties par les vieux. Le marquage temporel tel qu’il est exprimé suffit donc à alimenter la réflexion sur le changement social telle qu’elle a été envisagée dans la problématique.

La première question phare s’intitule « Entrée en matière ». A travers elle, l’objectif est de mettre en évidence les éléments cités spontanément et en priorité par les interlocuteurs. Elle doit donc offrir à ces derniers de s’exprimer comme ils le souhaitent et sur n’importe quel aspect touchant à la vie dans le passé. En ce sens, elle constitue une sorte de réservoir à thèmes pour la suite de l’entretien : ce sont les éléments évoqués ici par les vieux qui contribueront à la construction progressive d’une grille.

1.1 Entrée en matière

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