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Comment est-ce que ça se passe au quotidien quand on est chômeur, comment est-ce qu’on peut se

Procédés d’analyse

Chapitre 6 Les discours

3) Comment est-ce que ça se passe au quotidien quand on est chômeur, comment est-ce qu’on peut se

débrouiller ?

C’est très complexe. Quelqu’un qui n’a pas de travail, c’est comme s’il n’a pas de dignité, parce qu’il est chaque fois obligé de vivre aux crochets des autres, donc ce qui fait que même dans la famille on devient une charge. A un certain moment, la famille peut te supporter, mais arrivé un certain moment, elle ne peut plus parce que toi-même tu deviens une charge pour la famille. Il y a beaucoup de jeunes dans ce cas, c’est malheureusement ça. [E9]

Quand on est chômeur ici, c’est un peu difficile. Si on rencontre un problème dans la vie, ça concerne seulement la maman et le papa, sinon ça concerne pas les autres. Quand on a un peu, ça concerne tout le monde parce que tu es un peu riche, mais quand tu es pauvre, ça concerne ton père et ta mère seulement. Le chômeur va se nourrir seulement du repas de la famille en attendant de trouver du travail. S’il ne trouve pas de travail, le papa va grouiller, s’il a l’âge de se marier, pour lui trouver une femme et lui donner un champ où il va cultiver, nourrir lui et sa famille. Ca veut dire que lui il est mis à l’écart maintenant, il doit travailler pour nourrir sa famille. Parce que d’autres disent que le chômeur est celui qui ne veut pas de travail. Même si tu rencontres des problèmes, ils

ne veulent pas t’aider. Ils disent que les jeunes qui se regroupent pour boire le thé, ils se racontent des bêtises, ils ne veulent pas de travail, et seulement ils veulent vagabonder. [E6]

Comme je l’ai souligné, les jeunes se présentaient en général à chaque premier tour de parole, donnant leur nom et exposant en quelques mots leur activité et leur parcours, à l’instar de Issa dans le l’extrait numéro 1. Après avoir abandonné l’école en cours de route, il a pu obtenir une place de stage dans le secteur de la menuiserie d’une ONG nationale, où pendant trois ans il a eu l’occasion d’acquérir le métier. Il souhaite reprendre les études pour obtenir au moins le brevet d’études secondaires, tout en sachant que cela ne garantit pas de trouver une activité rémunérée. Sa priorité est de pouvoir travailler comme menuisier indépendant afin de pouvoir s’occuper, entre autres, de ses parents. Beaucoup de jeunes partagent une situation semblable. Ils ont acquis un savoir faire en tant que manœuvre, parfois même suivi une formation technique, mais leur horizon professionnel semble fermé. Ecoutons Améo :

Mon nom est Améo, je suis chômeur de mon état, débrouillard par nécessité. Vous savez, comme beaucoup de jeunes, nous avons fait la formation professionnelle en menuiserie, en élevage. Mais il n’y a pas de soutien. Or, pour réaliser un projet, il faut du soutien. Des gens qui réellement veulent et qui te comprennent pour te soutenir. Comme il n’y a pas ce soutien, nous sommes obligés de nous débrouiller, voire même de nous expatrier de temps en temps, pour essayer de travailler, de faire la main d’œuvre quelque part dans les pays limitrophes, pour avoir au moins un peu d’économies. Sinon, il y a trop de jeunes qui connaissent le travail, qui ont un travail qualifié, qui connaissent faire beaucoup de travail, mais qui sont toujours des chômeurs parce qu’il n’y a pas de soutien. Donc c’est ça qui fait que c’est tellement difficile. [E9]

Le problème qui semble se poser, c’est que les jeunes ne peuvent envisager de travailler dans un atelier déjà constitué, autrement dit chez un patron. Chacun cherche à ouvrir son propre atelier, ce qui nécessite un investissement de départ en matériel qu’aucun jeune ne peut réaliser sans soutien. Quand ils parlent de soutien, ce peut-être de la part d’un membre de la famille qui a réussi, mais, compte tenu de la situation économique générale (« la crise est généralisée » disent certains), cela s’avère peu probable ; ils comptent alors sur le soutien d’ONG ou d’associations. Car travailler sous l’égide d’un patron ne garantit pas un revenu régulier. Certains affirment avoir laissé tomber parce qu’ils ne recevaient aucun salaire :

Moi-même j’étais garagiste, j’ai fait un mois là-bas. Tu pars, tu travailles, le soir on te donne même pas une petite somme. Même pas de quoi payer le savon pour laver tes habits. A cause de cela j’ai laissé pour chercher un boulot ailleurs, si je gagne au moins le prix du pain, bon, il y a pas de problème. [E7]

En dehors des activités techniques telles que la menuiserie, la mécanique, la construction ou l’électricité, les jeunes qui n’ont pas été à l’école ou très peu se « débrouillent » avec le commerce et le maraîchage. Le commerce va du petit vendeur dans la rue au boutiquier du grand marché. Pour les premiers, on parle de « petit commerce » et ceux qui le pratiquent sont généralement indépendants. Les commerçants du grand marché ou des boutiques de la rue centrale de la ville travaillent généralement pour un patron. Dans les deux cas, il n’y a pas de revenus réguliers assurés. Ousmane, contraint d’arrêter l’école parce qu’il n’a pas voulu se convertir à la religion de sa tante, compte sur le petit commerce pour tenter de reprendre l’école et de passer les concours.

Je m’appelle Ousmane, je suis commerçant, je fais du petit commerce, je vends la cigarette. Au début, j’ai fait mon école primaire à Ouahigouya, je suis né à Ouahigouya. Après ma tante est venue m’amener à Ouaga, j’ai fait la 6ème là-bas, ça n’allait pas, je suis retourné au village natal. […] J’ai commencé le commerce pour pouvoir payer les études. Je faisais les cours du soir au lycée, j’ai payé 7’500 pour toute l’année, pour passer le brevet ; l’année passée j’ai passé, ça n’a pas marché, puis j’ai déposé mes dossiers pour les concours, la santé, c’est ce lundi même que je compose. [E5]

La situation des commerçants du grand marché n’est pas beaucoup plus aisée. Si certains ont réussi à décoller un peu après quelques années (« je suis dans le marché de Ouahigouya depuis quelques années, je me débrouille pas mal »), d’autres se disent toujours chômeurs et ont de la peine à entrevoir un avenir serein. Abdoulaye par exemple, qui travaille comme tailleur, déclare :

[…] Moi-même j’ai peur, je me demande comment je pourrai m’en sortir avec cette misère. Je continue à avoir peur parce que je ne sais pas avec quel travail continuer pour m’en sortir. Ca fait dix ans que je travaille dans ce métier et il n’y a pas de progression. J’ai fait beaucoup de métiers, jusque-là ça ne va toujours pas, même un simple vélo à pédaler je n’en ai pas, donc je me demande comment je vais m’en sortir. [E2]

Il ajoute avec justesse :

Dans cette commune de Ouahigouya, il n’y a même pas de travail, tout le monde passe son temps à chômer, à causer. Vous voyez, la façon dont vous êtes venue nous trouver, vous-même vous sentez qu’il n’y a pas de travail. S’il y avait du travail, on ne pourrait pas se réunir dans le marché comme ça pour causer de cette façon.

Le second grand domaine d’activité des jeunes est le maraîchage, qui connaît un développement florissant.3 Il se pratique en saison sèche, de décembre à mars environ.

3 Cette activité a été initiée dans la région par les administrateurs coloniaux au début du siècle, pour leurs propres

besoins. Des jardins potagers ont ainsi été entretenus par l’Ecole de Ouahigouya, de sa création jusque dans les années 50. Après la seconde guerre mondiale, les anciens combattants créèrent des jardins, dont certains font date

Suivant les moyens d’arrosage, il est possible de continuer les cultures jusqu’en début de saison des pluies, vers le mois de mai. Pas mal de jeunes tentent ainsi de se lancer dans cette activité. Pour certains, elle est devenue une affaire familiale :

[…] En tous cas dans notre famille, nous tous on est allé à l’école, mais sauf les deux qui ont eu la chance de réussir, l’autre il est enseignant, l’autre il est à Ouaga, il fait l’université, il a pris la branche médecine, nous autres les six, on est en train de faire culture maraîchère, chaque année, nos mamans, on leur donne les tomates, les oignons, elles partent au marché et elles vendent. [E1]

Les difficultés liées à cette activité sont de deux ordres. D’une part, les jeunes ne peuvent pas s’en « contenter » comme ils disent puisque c’est une activité saisonnière ; la formule qui revient constamment pour exprimer ce fait est la suivante : « une activité de trois mois ne peut pas nourrir une famille pendant neuf mois ». Pour pouvoir se « débrouiller », il faut donc « jongler » avec plusieurs travaux. La seconde difficulté, liée à l’essor de l’activité, est la concurrence. Ceux qui ont les moyens investissent dans des systèmes d’arrosage motorisés (motopompes), obtenant des rendements beaucoup plus élevés et sur une plus longue période que ceux qui arrosent à la main. En effet, vers le mois d’avril, la chaleur est telle qu’il faut pouvoir assurer un arrosage quotidien qui nécessite forage et pompes à moteur. Issa explique ainsi :

Pour se débrouiller là-bas, pour être un jardinier, il faut quand même un peu des moyens. Ce que nous on voit, c’était notre métier quand nous étions des enfants, mais nous on trouve que c’est devenu quelque chose avec des moyens. Avant, on pouvait se débrouiller avec cela pour gagner un peu quelque chose, mais maintenant, ce sont des richards qui prennent cela parce qu’ils ont les moyens de payer des machines à pomper et puis payer les engrais. C’est tellement facile pour eux. Mais si toi tu n’as pas de moyens, tu vas aller payer deux kilos pour mettre les pommes de terre, et lui va payer des tonnes. Donc c’est la faillite, tu vas te dire que l’année qui vient, je ne vais pas faire ça. Donc tout cela fait qu’il y a maintenant plein de chômeurs. [E5]

L’activité essentielle du pays est l’agriculture, qui se pratique de mai à novembre environ. Le mil est la céréale principalement semée. Qu’en disent les jeunes ? Certains élèves ou étudiants partent aider leurs parents pendant les congés scolaires. En règle générale cependant, ils ne voient pas dans l’agriculture une issue favorable à leurs problèmes d’emploi. A la question si votre père vous donne un champ, est-ce que le

champ peut vous permettre de sortir du chômage, la plupart répondent que non. Car

comme le maraîchage, l’agriculture reste une activité saisonnière et il faut forcément

dans l’histoire de la province ; ces initiatives se poursuivirent dans les écoles de certains grands villages (Titao, Zogoré, Kossouka, Gourcy). Depuis l’indépendance, plusieurs tentatives d’extension de cette activité furent lancées, mais sans grand succès, notamment à cause du manque d’eau (1972 : foire du choux à Ouahigouya ; 1975/76 : création de l’Union des Coopératives soutenu par l’ORD). Suite à ces différents échecs collectifs, l’activité s’individualise. Depuis les années nonante, cette activité de « contre–saison » prospère ; la tomate par exemple s’exporte au Togo et depuis 2002, en Côte d’Ivoire.

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