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Objet d’étude, objet de recherche

Aspects épistémologiques et méthodologiques

3. Organisation de l'enquête et entretiens réalisés

4.5 Objet d’étude, objet de recherche

Quelle compréhension l’analyse de Fassin permet-elle de produire à propos des questions sous-jacentes aux extraits de correspondance et de notes de terrain soumis à l’analyse ? La première de ces questions concerne le rapport à l’action : quelle démarche adopter qui serve l’action dans l’immédiat et non à contre-temps, c’est-à-dire après restitution des données (cette question est essentielle car la publication/restitution

des résultats survient bien souvent alors que le contexte dans lequel ils ont été produits a déjà changé) ? Cette question traduit le malaise que j’ai ressenti en tant que chercheur en raison du décalage perçu entre ma fonction et celle des acteurs présents autour de moi. Le sentiment de réaliser un « exercice intellectuel » dans un contexte d’extrême pauvreté rendait difficile à mes yeux l’attribution d’un sens à ma démarche. Suivant le modèle d’Elias enrichi par Fassin, le décalage peut être exprimé en termes de rapports à l’action et à l’analyse. Mes propres rapports à ces registres étaient très différents des rapports développés par les acteurs que j’étais amenée à côtoyer, en l’occurrence ici, les agents de santé. Par la définition initiale de ma problématique, j’occupais une position de distanciation tant sur le plan de l’analyse que celui de l’action. En effet, d’une part, ma visée première était une visée de connaissance : la problématique du lien social, renouvelée à l’aune de l’interactionnisme social, marque une distanciation face aux modèles théoriques classiques. Pour reprendre les termes de Fassin (voir tableau supra), il n’y avait pas de ma part adhésion aux théories communément sollicitées pour traiter la problématique du lien social, mais critique. D’autre part, les enjeux pratiques définis dans ma recherche étaient secondaires : des activités pourraient ou non être mises en place suite aux constats mis en évidence, et sans la participation du chercheur. La distanciation était donc également de mise sur le plan de l’action. Autrement dit, j’étais plus proche d’une recherche fondamentale que d’une recherche-action (ou recherche

appliquée). Les acteurs du projet de soins à domicile que je côtoyais quotidiennement

étaient au contraire fortement engagés sur les deux axes : la visée première de leur projet est une visée pratique d’une part ; la prévention et les soins envisagés reposent sur les modèles éprouvés de l’éducation à la santé et de la biomédecine d’autre part. Pour atténuer le malaise ressenti, j’ai souhaité collaborer avec les agents de santé. Cette collaboration peut être envisagée comme un moyen de générer un équilibre entre mon propre rapport à l’action (rapport distant) et celui des agents de santé (rapport engagé). Elle pouvait en même temps me permettre de partager mon rapport à l’analyse, autrement dit de faire part de certains de mes questionnements théoriques et épistémologiques aux agents de santé.

Comment définir et mettre en place cette collaboration pour qu’elle serve en même temps les intérêts de connaissance du chercheur et les préoccupations pratiques des acteurs sur le terrain ? Je n’ai pas résolu ce problème durant mon travail de terrain puisque, malgré que j’aie entretenu de bons rapports avec tous les membres de

l’association, nous n’avons jamais travaillé ensemble. L’analyse de Fassin, en permettant de circonscrire les positions de chacun, contribue à une meilleure compréhension des malaises et des tensions perçues. Pour aller au bout du questionnement, il reste néanmoins à modéliser des procédures offrant en parallèle de la connaissance et de l’intervention (au sens de prendre part aux actions en cours dans l’intention d’en transformer le déroulement). Autrement dit des modalités qui permettent au chercheur de produire de la connaissance et en parallèle, de contribuer à la résolution des problèmes rencontrés par les acteurs sur le terrain. Certaines perspectives développées dans le domaine de l’analyse du travail, celle de Clot (1995) en particulier, qui distingue objet d’étude (lié à l’action) et objet de recherche (lié à la connaissance), peuvent proposer des outils pertinents et lever le malaise de l’ « exercice intellectuel » décrit plus haut. En effet, Clot par exemple, ne travaille qu’à partir de demandes (objets d’étude) émanant du terrain (institutions ou autres) sur lesquelles vient se greffer son objet de recherche (le développement). Cette perspective peut également offrir une part de réponse à la seconde question ressortant des extraits de correspondance, question qui porte sur la valeur de l’entreprise de recherche (est-ce

bien de faire cela) étant donné que l’objet d’étude chez Clot émane d’une demande des

acteurs sur le terrain.

En résumé, cette réflexion sur la problématique de l’intervention met en évidence les difficultés susceptibles d’être rencontrées par le chercheur sur le terrain lorsque son rapport à l’action et à l’analyse n’est pas clairement défini, autrement dit lorsque la place des enjeux pratiques et théoriques n’est pas suffisamment questionnée, en regard à l’objet d’une part, et aux réalités du terrain d’autre part. On peut par là conclure que si la réflexion relative à l’intervention vaut pour tout objet de recherche et dans tout contexte, les recherches liées à la maladie dans des contextes où l’urgence prime semblent davantage risquer de ne pas répondre aux critères épistémologiques et déontologiques attachés normalement à l’activité scientifique. La prise au sérieux de la problématique de l’intervention exigée par ce type de recherches peut donc offrir des opportunités pour penser l’intervention concernant d’autres objets.

Ce long chapitre consacré à l’enquête s’achève ici, provisoirement néanmoins. En effet, j’aurai l’occasion de reprendre certains éléments dans le bilan épistémologique développé dans la conclusion de ce travail.

Chapitre 5

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