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Ouahigouya présentée par trois de ses habitants

Aspects épistémologiques et méthodologiques

4. En finir avec l’opposition quantitatif–qualitatif ?

2.3 Ouahigouya présentée par trois de ses habitants

Ainsi, si les données issues de ce type d’enquêtes ne sont pas inutiles, elles demeurent néanmoins, comme le suggère Latouche, insuffisantes, d'autant plus, me semble-t-il, dans le cadre d'une démarche compréhensive dont l’intérêt est de découvrir de l'intérieur le monde auquel on s’intéresse. Je me suis ainsi souvent demandé, sur place, comment je pourrais transmettre aux lecteurs de la recherche ce que mon regard croisait quotidiennement lorsque je traversais la ville, l’ambiance et l’atmosphère qui se dégageaient du lieu. Il me semblait qu’il y avait là des éléments nécessaires à la compréhension de la recherche. J’écris dans mon journal de terrain le 2 mai : « Quand

je traverse la ville à mobylette et que je pense à la rédaction de ma thèse, j’imagine un chapitre comprenant un texte assez libre sur Ouahigouya. A quoi ressemble cette ville ? Qu’est–ce que je vois, qu’est–ce que je ressens quand je la traverse, quand je m’arrête au bord de la route pour acheter des bananes ou de l’essence ? Quelques pages décrivant l’endroit, et significatives pour qui ne connaît pas la région. Car s’il faut baigner dans le contexte pour pouvoir récolter des données, quels éléments de ce contexte le lecteur doit–il avoir entre les mains pour saisir au mieux la restitution de ces mêmes données ? Connaître le nombre de médecins par habitants, le seuil de pauvreté, les tendances religieuses est–il suffisant ? Sinon, par quoi compléter ? (p.

53) ».

Réfléchissant toujours à la question lors du travail de restitution des données, j’ai choisi d’apporter comme complément aux données « classiques » trois petits textes rédigés à ma demande par des personnes de mon entourage à Ouahigouya. Cette demande était ainsi formulée : Comment décririez–vous la ville de Ouahigouya et ses

habitants à qui ne la connaît pas ? Que diriez–vous de l’ambiance et de l’atmosphère qui se dégagent de la ville ? Les trois personnes sollicitées ayant répondu

favorablement à ma demande, je désire intégrer leurs textes. Le lecteur jugera lui–même de la pertinence ou non de cette démarche, sachant qu’il ne s’agit pas de produire une

n’est pas effectué dans tous les centres de consultation. Pour l’ensemble du pays, ONUSIDA estime ce taux à 7%

description objective ou exhaustive du lieu de l’enquête, mais plutôt d’essayer de le faire vivre. Le premier texte est d’Ismaël Belem. Agé de 29 ans, Ismaël travaillait, au moment de l’enquête, au sein d’une petite ONG locale dans le domaine du soutien scolaire. Il suit actuellement une formation en soins infirmiers. L’auteur du second texte est un ancien enseignant ayant travaillé longtemps dans le domaine de l’alphabétisation. Actuellement à la retraite, il occupe depuis 1995 la fonction de chef coutumier dans le village de Ouindigui, situé à une soixantaine de kilomètres de Ouahigouya. Il fut mon interlocuteur privilégié tout au long du travail de terrain (cf. point 3.2 dans ce chapitre ainsi que le livret annexé). Le troisième texte est d’une lycéenne, Joli Maïga, membre de la famille qui m’a hébergée.

Ouahigouya vue par Ismaël Belem

Ouahigouya, localité située dans la province du Yatenga, se trouve à 187 km de Ouagadougou, la capitale. C’est une ville historique en plein essor. Sa situation géographique la fait souffrir des aléas climatiques. Actualité récente : le royaume du Yatenga était en deuil il y a deux mois (mars 2001). Le Naaba Guigma [roi du Yatenga] a rendu l’âme. Il a été inhumé, comme il est de coutume pour les rois du Yatenga, à Somiaga, village situé à 5 km sur l’axe Ouahigouya–Ouagadougou. Le nouveau roi a été intronisé quelques semaines plus tard. Il s’appelle Naaba Kiiba, ce qui signifie « roi des orphelins » en mooré. Ouahigouya compte 14 quartiers. Les ethnies dominantes sont celles des Mossis et des Peuhls. Nous rencontrons aussi des ressortissants maliens, ghanéens, togolais … ce qui donne lieu à un important brassage de la population. Le patrimoine culturel de la province du Yatenga est très riche et la population de cette région est très accueillante. Les infrastructures ne sont pas en reste : on y trouve les services de l’Etat, des banques, des centres de santé, des lieux de loisir, des restaurants et des hôtels. Il faut dire toutefois que la ville de Ouahigouya présente deux visages : les anciens quartiers avec leurs constructions en terre (banco) et les quartiers modernes avec leurs maisons en dur. Caractéristique des villes des pays sous–développés, Ouahigouya n’échappe pas à certains problèmes sociaux : la mendicité, la pauvreté extrême de la population, les maladies, le manque de nourriture et de logement constituent ainsi le lot de bien des familles. Le banditisme et les vols sont cependant moins fréquents qu’ailleurs. Le trafic routier à Ouahigouya est moins dense qu’à Ouagadougou ; il en va de même pour la population. Voici pour terminer deux points de vue contrastés sur la ville :

(PNUD 2001).

M. Ibrahim : Pour moi, Ouahigouya est le paradis sur terre. Même Ouagadougou, qui est pourtant la capitale, ne procure pas la joie de vivre de Ouahigouya. Il y a de la solidarité entre les hommes. Lorsque tu es en situation de malheur ou de bonheur, il y a toujours du monde pour te soutenir. A Ouagadougou, c’est le contraire.

M. Issa : Je préfère la vie au village que la vie en ville. La ville occasionne d’énormes dépenses comme l’eau, l’électricité, le bois…. Les gens circulent assez mal, les accidents sont nombreux. La solidarité n’est pas présente à Ouahigouya comme dans nos villages.

Ouahigouya présentée par Saïdou Kagone, dit Naaba Ligdi

Histoire Ouahigouya, ville moyenne de 40'000 habitants environ en l’an 2000, est une

cité qui a été fondée par le roi autoproclamé Naaba Kango pour abriter la capitale du Yatenga. Jusqu’à l’arrivée des Français, la cité, disposée sur la rive droite d’un cours d’eau coulant d’Ouest en Est, se développe uniquement du côté sud, à travers un dispositif simple de trois pièces :

1. Au centre le palais royal entouré des gens de service (palefreniers, garde rapprochée –un groupe à l’Ouest, l’autre à l’Est) ;

2. A l’Ouest, c’est le quartier dit « des Mossi », les fondateurs du royaume. C’est le quartier des courtisans, des officiers de l’armée, des princes. Il abrite le Togo Naaba, Premier Ministre, porte–parole du Roi, chef de province ; le Baloum Naaba, chef de palais, protocole du roi, ministre des affaires étrangères, également chef de province ; le Ouïdi Naaba, chef de la cavalerie, commandeur des princes et des armées, chef de province lui aussi. On y trouve également le Tom Naaba, officier des cérémonies d’intronisation de tous les chefs du royaume, excepté celle du Roi. Ce quartier est la pièce d’avant–garde de la cité. Il se situe toujours à l’ouest, qui symbolise l’avant dans le système mossi.

3. A l’Est, c’est Bingo, l’arrière–garde où siège le chef de Bingo, chef de l’infanterie, commandeur des mercenaires étrangers, des esclaves, des artisans, des armuriers, des gardiens de bétail, des marchands. Chef de province et ministre d’Etat, il siège tous les vendredis au palais avec les autres chefs de province.17 Le chef de Bingo est le gardien des

trésors, des symboles et des effets sacrés du royaume.

Au flanc sud du palais sont installés les tambours (Bendego) et l’Etat major de l’armée (Gand–pusgo), le tamarinier aux boucliers. Aux abords du palais, à l’ouest et à l’est, sont aménagés de grands espaces réservés aux courses de chevaux d’apparat lors des grandes fêtes du royaume.

Telle était la configuration de la ville de Ouahigouya avant l’arrivée des Français.

Développement An l’an 2000, l’élément essentiel de Ouahigouya est le marché central.

Construit dans les années 90, il est entouré d’une zone commerciale constituée de boutiques, de vitrines et d’ateliers de tous ordres (art, artisanat, mécanique, bois, ferrerie …). Attenants au marché, on trouve quelques hôtels ainsi qu’une gare routière, le tout flanqué de petites

loges du secteur informel. Le marché comprend deux espaces : un tiers est réservé au marché traditionnel des denrées alimentaires et est géré essentiellement par des femmes. Les deux autres tiers sont des carrés bâtis et fermés. Il s’agit de boutiques de trois ordres de grandeur dans lesquelles se vendent habits, ustensiles de cuisine, tissus, objets d’art et autre matériel. La zone du marché grouille de monde sept jours sur sept, de 7 heures du matin à 1 heure de la nuit, excepté les jours de Tabaski18 et de Ramadan. Les jeunes marchands et les artisans se

présentent comme la force vive de Ouahigouya, dictant parfois leur volonté à l’administration par leurs émeutes et leurs marches. Le marché est le plus grand pourvoyeur d’emploi pour les jeunes et les enfants qui se rencontrent tous les samedis soirs dans les dancings de la ville, en semaine au cinéma et le 31 décembre pour faire sauter le pétard devant un plat de poulet, un verre de bière, de Whisky ou de Pastis.

Le marché produit les nouveaux riches qui organisent les transports, l’import–export, et dominent le domaine du bâtiment en ville. Les plus prestigieux font le pèlerinage à la Mecque et les plus importants parmi ceux–ci finissent par s’installer à Bobo Dioulasso et surtout à Ouagadougou, la capitale, où ils semblent dominer les affaires du pays. A Ouahigouya, le nombre d’Elhadj19, le nombre de voitures personnelles, de camions, de cars et de villas sont des indicateurs du développement de la ville et des efforts consentis par les citadins. L’Etat accompagne ce développement en accroissant le nombre des écoles, des collèges et des centres de santé.

Un dernier espace fait montre de développement. Il s’agit de l’espace maraîcher cernant la ville au Nord et à l’Ouest. Le maraîchage est ainsi devenu le second pourvoyeur d’emploi et de richesse, à travers la production de la tomate, de l’oignon et autres légumes.

La population La population de Ouahigouya est toute différente de celle du Yatenga. C’est

un ensemble métissé depuis la fondation de la cité. Les groupes les plus importants essayent néanmoins de garder en mémoire leurs origines paternelles. Le fondateur a trouvé sur le territoire les Sigué de Koose, les Sawadogo de Beela et de Souli. Les Ouedraogo sont les conquérants Mossi mais aussi les intégrés qui veulent cacher leur origine. Les Mandingues venus du Mali, beaucoup de Dogons, des Songhaïs, des peuhls du Macina, du Nigeria, des Yorubas … Les non intégrés sont les Gahnéens, les Togolais, les Sénégalais. Les Bella, qui sont d’anciens esclaves des Touaregs, sont actuellement les dokers de la gare routière ; leurs femmes font de l’artisanat d’art à domicile.

La population actuelle de Ouhigouya est jeune et dynamique. Elle adore le football, le cyclisme, les bals populaires. Elle fréquente la grande mosquée, la cathédrale et les dancings. Ses goûts se portent sur les produits importés, de loin préférés à la production locale: le riz thaïlandais, pakistanais, le lait hollandais, le fromage français, le poisson malien et ivoirien, la musique congolaise, ivoirienne, malienne, américaine, cubaine, zoulou. La culture s’universalise, la tradition est en décadence.

18 Fête du mouton marquant la fin du ramadan. 19 Musulman ayant effectué le voyage à la Mecque.

Les vêtements de la population de Ouahigouya, c’est depuis toujours le boubou malien ou sénégalais, pour les hommes comme pour les femmes. Aujourd’hui, les jeunes s’occidentalisent, les hommes en texas, les femmes en perruques.

Les risques L’éthylisme, la drogue, le tabac s’accroissent. Par complexe, par prestige, par

mode.

Les menaces La sécheresse, la surpopulation, la paupérisation, les immondices dans les

quartiers, la poussière, les moustiques, les mouches.

Les dangers d’aujourd’hui et de demain Le paludisme, les maladies pulmonaires, la

tension artérielle, le diabète, le sida. La ville est un « mouroir » pour les sidéens d’Italie, de Côte d’Ivoire, de Ouagadougou et tout le monde est conscient du sida.

Les dérives et nouveaux comportements Le libertinage sexuel, l’individualisme, les

exclusions économiques sont les dérives. La solidarité n’est plus familiale, ni ancestrale, ni éthique, elle devient catégorielle – les pauvres entre les pauvres, les riches entre les riches. C’est une solidarité non durable.

Les femmes courent les marchés pour vendre les produits maraîchers, elles voyagent pour des jours, des semaines.

Le constat est pessimiste concernant les valeurs que sont la solidarité, la famille, la culture, la moralité.

Les bébés sont abandonnés, les femmes dédaignées, le pays délaissé. On émigre.

Les espoirs L’intégration africaine, les nouveaux produits médicaux, l’éducation et la

formation des jeunes, les nouvelles techniques de production (les techniques agricoles, les pluies provoquées, l’électrification), les communications, les solidarités élargies, la dynamique de la paix mondiale.

Ouahigouya sous la plume de Joli Maïga

Ma ville s’appelle Ouahigouya. Elle est située au Nord du Burkina Faso, mon pays. Ma ville présente quelques sites touristiques comme la grande place de Naaba Kongo, qui fut chef de Ouahigouya. Il y a également des grottes qui sont situées à quelques kilomètres de la ville. Nous n’avons que deux saisons : la saison sèche de novembre à avril et la saison pluvieuse je juin à octobre.

Ouahigouya est la quatrième ville du pays. Elle est alimentée en électricité et il existe des coins de distraction tels que le cinéma et les dancings et les coins de lecture qui aident souvent les élèves. La ville n’est pas toute goudronnée. Les gens vivent en famille, et lors d’un mariage, les femmes, les hommes et les enfants dansent. La mariée est conduite dans la chambre de sa belle–mère où elle fait sept jours sans sortir. On organise de grandes lessives et la mariée lave les habits de son mari.

A Ouahigouya, la langue nationale la plus parlée est le mooré et la langue coloniale est le français. La vie y est moins chère que dans la capitale. A l’école, les élèves sont de plus en

plus nombreux dans les classes. A l’école primaire, ils peuvent dépasser la centaine. Il y a plusieurs collèges et lycées, également des lycées professionnels et techniques. Les habitants de Ouahigouya pratiquent surtout l’agriculture et moyennement l’élevage. Les cultures maraîchères sont très abondantes : choux, tomates, oignons, patates sont disponibles toute l’année. Ouahigouya est une ville désertique mais la plantation d’arbres se fait chaque année, comme dans le reste du territoire burkinabè. Les plus grandes épidémies sont la malaria, la tuberculose, la poliomyélite. Le gouvernement lutte contre toutes ces épidémies, raison pour laquelle il y a des sessions de vaccination organisées chaque année. La pauvreté est également présente : sur dix personnes, six sont pauvres. A cause de cela existe la mendicité qui a néanmoins d’autres causes, comme le manque d’habitations et surtout le lévirat20. Les vieilles pratiquaient l’excision, mais actuellement, on est en train de l’abolir.

La ville de Ouahigouya comprend quinze secteurs et trois grandes sociétés générales de transports. Ouahigouya est une ville intéressante où toute personne est la bienvenue !

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