• Aucun résultat trouvé

1.2.1 L'adaptation des permissions à une guerre imprévue

13- La rationalisation des permissions : 1er octobre 1916 – 11 novembre 1918.

1.3.4. Les permissions, une question pacifiée, de l'automne 1917 à la démobilisation

1.3.4.1. Des soldats satisfaits

Plusieurs enquêtes menées par le GQG, ainsi que les rapports des commissions de Contrôle postal, attestent que les permissions cessent d'être un sujet de plainte pour les soldats à partir de l'automne 1917. Dès le mois d'octobre 1917, les permissions ne figurent plus parmi les facteurs qui agissent défavorablement sur le moral des hommes. Jusqu'au début de l'année 1918, il est d'ailleurs peu question des permissions dans la correspondance374. A l'inverse, elles sont considérées comme un facteur favorable, et 83 % des hommes interrogés par le 2ème bureau du GQG sont satisfaits par les permissions375. En décembre 1917, l'indice de satisfaction s'élève à 87 %, et seuls 5 % des hommes

373 JO, Débats de la Chambre des députés, séance du 1er février 1918, p. 276 à 284, et séance du 3 octobre

1918, p. 2561-2562.

374 SHAT, 7N867, état de l'opinion d'après le Contrôle postal, rapports du 15 août 1917 au 15 janvier 1918. 375 SHAT16N2638, GQG 2ème bureau.

souhaitent une augmentation du pourcentage des permissions376. Depuis le 1er octobre

1917, la durée des permissions du front a été portée à dix jours, et le taux moyen de permissionnaires est désormais fixé à 13,33 % par unité, ce qui constitue selon le ministre de la Guerre "l'extrême limite" compatible avec la "sécurité de notre armée", puisque l'allongement des congés fait passer, selon ses calculs de 400 000 à 520 000 le nombre d'hommes absents simultanément377. Ce réalisme s'oppose à l'attitude de certains députés, tels Jules Nadi, qui considère que même dix jours sont encore trop courts, même si le rapporteur de la commission de l'Armée, Bouilloux-Lafont, tente de le modérer en rappelant que la sagesse veut que l'on ne promette "que ce qu'on peut tenir"378.

C'est à juste titre que les hommes sont satisfaits du nouveau régime, puisque le 30 septembre 1917, tous les unités des armées du Nord et du Nord Est sont à jour de leur allocation de permission, à l'exception d'un millier d'hommes qui doivent partir la première semaine d'octobre, tout en conservant leur permission pour la période qui commencera alors379. La moyenne du taux de permissionnaires entre le 10 octobre 1917 et le 1er janvier 1918 est de 13,75 % à l'échelle de l'ensemble du front occidental, dépassant le seuil de 13 % imposé par Pétain380. La diminution du taux de départ entre le 10 janvier et le 1er février 1918, qui atteint alors 8,42 %, s'explique par l'avance et l'échelonnement des tours de départ lors de la première série de permission (1er octobre 1917 – 31 janvier 1918), qui a

permis de faire partir un grand nombre d'hommes. C'est donc un bilan positif que le Général en chef peut présenter au ministre le 19 février : tous les militaires des armées du Nord et du Nord Est ont bénéficié de leur permission pour cette période, sauf de "rares exceptions" dues à des renonciations volontaires, des mesures disciplinaires ou des suspensions momentanées pour cause d'épidémie381. Le 1er février 1918, les permissions reprennent au taux élevé de 14,34 % en moyenne, et se maintient à plus de 14 % jusqu'au

376 Ibid.

377 JO, Débats de la Chambre des députés, 31 juillet 1917. La réalité est en-deçà de ce qu'il avance, puisqu'on

compte à l'époque 2,3 millions de soldats. Même en ajoutant les officiers, le nombre de permissionnaires tourne autour de 310 000, et non de 500 000.

Décision du ministre de la Guerre du 4 août 1918, circulaire n°20.364K adressée au Général en chef et aux généraux commandant les régions et les gouvernements militaires.

378 JO, Débats de la Chambre des députés, séance du 31 juillet 1917, p. 2184-2185.

379 AN, C7599, Commission de l'Armée de la Chambre des députés, lettre du ministère de la Guerre au

député Bouilloux-Lafont, 10 novembre 1917.

380 SHAT, 7N567 et 16N2673, Situations des effectifs des Dix jours.

381 Les "renonciations volontaires" sont sans doute le fruit du calcul de certains militaires français qui

désirent se rendre dans le pays étranger où ils résidaient avant la guerre. Ils cumulent ainsi leurs jours de permission pour partir annuellement pour 30 jours, comme l'impose la réglementation. Ainsi, seules deux permissions annuelles de quinze jours sont accordées pour la Grande-Bretagne et l'Irlande, dans la circulaire ministérielle du 5 septembre 1917 sur les permissions et congés. Pour tous les autres pays, il s'agit d'une permission annuelle de 30 jours. JO du 6 septembre 1917. Chapitre 1, titre 9.

10 mars. Lorsque les permissions de détente sont suspendues le 26 mars, puis le 29 mai et enfin le 15 juillet 1918 pour une durée d'un mois dans les deux premiers cas, et de quinze jours dans le dernier, le taux atteint un seuil minimum le 20 juin 1918, avec moins de 1 % de permissionnaires382. Si le moral des hommes reste élevé, d'après les sondages du Contrôle postal, les plaintes au sujet de la rareté des permissions restent nombreuses. On en a un exemple dans le rapport de février-mars 1918, qui relève que ces critiques persistent, mais que le moral a "rarement été aussi bon", signe que l'influence des restrictions des départs sur le moral combattant a radicalement changé par rapport aux années précédentes383.

Dèsle 14 avril 1918, le GQG fait preuve de sa capacité d'anticipation en évaluant à 60 % les hommes ayant bénéficié de la permission qui leur est due avant le 31 mai, si bien que le reliquat, en dépit de la suspension des permissions qui dure depuis le 26 mars, pourrait être écoulé en "un ou deux départs" à un pourcentage élevé384. Le même esprit se retrouve à l'échelon du GAN, pour lequel Franchet d'Esperey préconise d'augmenter le taux de permission pour entretenir l'excellent moral des divisions qui reviennent du front et qui ont "l'impression d'avoir arrêté l'ennemi"385. C'est ce qui est appliqué à partir du 25 avril, lors de la reprise des permissions : les unités retirées d'un secteur obtiennent immédiatement un pourcentage plus élevé que les autres, mais celui-ci reste faible, 6 % pour un seul tour386. Les comptes-rendus qui remontent des divisions font alors part des

critiques des troupiers, qui demandent quand le taux normal sera rétabli :

"La question se pose particulièrement pour les DI qui sortent de la bataille, qui pratiquement ne peuvent être utilisées pendant quinze jours et pour lesquelles on pourrait peut-être envisager de gros envois de permissionnaires au moment de leurs relèves"387.

Le GQG, qui a anticipé la déception des hommes et envisagé des solutions pour ne pas laisser l'arriéré de permissions s'accumuler, met en place dès le 16 mai le régime le

382 Il est alors beaucoup plus faible que pendant la bataille de Verdun, en 1916. SHAT 16N445, télégramme

du GQG n°5219/M suspendant toutes les permissions, le 26 mars 1918 ; télégramme du GQG n°36684 du 29 mai 1918 et télégramme du GQG (sans référence) du 15 juillet 1918.

383SHAT, 7N867, Etat de l'opinion d'après le Contrôle postal, rapports du 15 janvier au 15 avril 1918. Pour une analyse du moral combattant pendant l'année 1918, J.-P. Devos et P. Waksman "Le moral à la 3e armée

en 1918, d'après les archives de la justice militaire et du Contrôle postal", Revue internationale d'histoire

militaire, 1977, n°37-3 p 89-101

384 SHAT, 16N445, note n°1849/1 du GQG sur la concession des permissions, 14 avril 1918.

385 SHAT, 16N445, note du Général Franchet d'Esperey commandant le GAN au Général en chef, 19 avril

1918.

386 SHAT, 16N445, télégramme du GQG n°21/715, 25 avril 1918.

387 SHAT, 16N445, compte-rendu de la mission du capitaine Altmayer auprès de la IIIème Armée pour le

plus favorable aux combattants qu'il est alors possible de concéder, c'est-à-dire 12 % pour les unités sortant de la bataille, et 8 % pour les autres388. A ce rythme, il est prévu que le retard au 1er octobre soit de 50 % de l'effectif, et le GQG commence à envisager les solutions au problème dès le 4 mai 1918389. Dans le même esprit, Pétain demande au ministre de la Guerre le 8 mai de "dire la vérité à l'Armée et au Pays" l'opinion publique de l'étendue des retards, pour "prévenir des déceptions qui auraient une répercussion fâcheuse sur l'état moral". Il est clair que les leçons du passé ont été tirées et qu'il ne cherche pas à s'abriter derrière les prérogatives du commandement : au contraire, il s'engage à faire tous "les efforts pour réduire au minimum" les retards. Dès le 18 mai 1918, le ministre annonce officiellement qu'il n'y aura que deux séries de départ jusqu'au 1er octobre 1918, au lieu des trois prévus, faisant appel à "l'esprit de discipline des soldats" et à "l'esprit de dévouement de leurs familles", tout en rendant publiques la promesse du Général en chef de faire tous les efforts possibles pour améliorer une situation "qu'il regrette le premier390. Pétain fait preuve de la même pédagogie à l'égard des hommes en demandant aux commandants d'armée de persuader la troupe de la nécessité des restrictions :

"La surprise que paraît provoquer parfois un tel changement de régime ne peut être que le fruit de l'ignorance. Il suffira certainement pour dissiper celle-ci d'éclairer les hommes : leur bon sens averti sera à la hauteur de l'esprit de sacrifice".

Il compte pour cela s'appuyer sur la force de persuasion des jeunes officiers placés au contact quotidien des soldats. En insistant sur la "confiance" que de tels discours produiront sur les hommes, Pétain a sans doute saisi une des évolutions majeures des ressorts de l'autorité et de la discipline pendant la Première Guerre mondiale391. A partir de la mi-mai, les hommes manifestent un grand mécontentement au sujet des restrictions apportées depuis deux mois aux permissions. On en a un exemple dans la pétition de protestation qu'un groupe de "poilus" du 34ème RI adresse à Pétain le 7 juin 1917. Dans

cette lettre, ils soulignent que certains d'entre eux n'ont pas eu de permission depuis plus de six mois alors que "pour des coups de main, des embuscades, patrouilles on est bons à nuit passée si ce n'est pas toutes les nuits donc on devrait pouvoir être bons pour aller en permission quand son tour vient". Si ce que dit la lettre est exact, il semble que les hommes aient été laissés dans l'ignorance de la persistance des suspensions des permissions et que

388 SHAT, 16N445, note n°17662 du GQG pour les Armées, 16 mai 1918. 389 SHAT, 16N445, note du GQG sur la concession des permissions, 4 mai 1918. 390 SHAT, 16N445, instruction n°5.815K du ministre de la Guerre, 18 mai 1918.

les chefs de corps n'ont pas profité des périodes de repos pour rattraper le retard. On a ici l'illustration des craintes du Général en chef évoquées plus haut, dans la mesure où la lettre se conclut en justifiant les permissions sauvages prises par certains :

"On s'étonne qu'il y en ait qui sont partis sans titre ni rien et qu'on ne peut pas trouver. Moi ça ne m'étonne pas. Beaucoup sont plus intéressés par les siens que de la guerre",

remarque le soldat392. Faute d'explications claires peut-être, certains ont en effet compris que l'on allait leur retirer cinq jours sur les trente annuels, ou qu'une période entière de permission était supprimée, alors qu'à l'époque, un rattrapage postérieur était envisagé. Pendant toute cette période de tensions entre la gestion des effectifs et les départs en permission, les signes de mécontentement des hommes sont pris au sérieux, et donnent lieu à de nombreux échanges entre les commandants d'armées et le Général en chef pour envisager des solutions rapides393.

Un bilan effectué en août 1918 indique que les permissions accusent alors un retard d'environ deux mois sur le tour qui devait s'achever le 31 mai. Plus que le retard, c'est l'écart entre des unités vivant en contact journalier qui pose problème. Ainsi, à la 125e DI, le 131e RI n'a obtenu que 95 % de leur premier tour, alors que les 76e RI et 113e RI sont déjà partis à 6 et 18 % pour leur second tour : comme en 1917, le degré d'engagement des unités explique les différences394. Afin de rattraper ces retards, le taux normal moyen de

13 % est rétabli le 8 août, et porté le 22 août à 20 % pour les unités envoyées en zone de reconstitution395. Le second tour des permissions est finalement achevé le 15 août 1918,

avec deux mois et demi de retard sur le calendrier, tandis que le troisième tour pour l'année 1917-1918 s'achève le 30 novembre 1918, conformément aux prévisions de Pétain396. Afin d'éviter les injustices qui pourraient prêter à réclamation, chacun ne peut bénéficier de plus de deux permissions pour la période allant du 1er février au 30 novembre 1918, de telle sorte que c'est le sort des plus défavorisés qui devient la règle commune, et il est prévu que ceux qui n'ont pu partir trois fois depuis le 1er octobre 1917 aient une permission

392 SHAT, 16N445, Pétition des "poilus" du 34ème RI au Général en chef, 7 juin 1918.

393 Notamment, SHAT, 16N445, Note du Général commandant la IVème Armée pour le Général en chef, 9

juin 1918.

394 SHAT 16N445, rapport du colonel Hardouin commandant la 125ème DI, au général commandant la

VIIIème Armée, 2 août 1918 et Bilan des permissions au 1er août 1918, issu du GQG, sans date ni référence. 395 SHAT, 16N445, télégramme du GQG n°12991 pour les Armées du 8 août 1915 ; Note du Général en chef

au ministre de la Guerre, 16 août 1918 et télégramme du GQG n°35043 du 22 août 1918.

396 SHAT, 16N445, Note du 3° Bureau du GQG sur la concession des permissions, 20 septembre 1918 et

16N446, Note du GQG pour les Armées n°12349 du 9 octobre 1918, après décision ministérielle. Au sujet des prévisions de Pétain, SHAT 16N445, Note du Général en chef au ministre de la Guerre, 16 août 1918.

supplémentaire à prendre entre le 1er décembre 1918 et le 1er avril 1919397. En effet,

l'encombrement des chemins de fer à partir de septembre 1918 interdit les envois massifs de permissionnaires398. Le dernier tour de permission de la période active de la guerre s'achève donc le 30 novembre 1918, tandis que celui qui débute le 1er décembre 1918 a déjà un avant-goût de paix pour les soldats qui restent mobilisés.

L'année 1918 se singularise donc par le fait que malgré de fréquentes suspensions, les permissions ne donnent pas lieu à un mouvement de récrimination semblable à celui du printemps 1917. Le contexte d'offensives victorieuses y est sans doute pour beaucoup, puisque les hommes se rendent compte que l'on ne leur demande pas en vain de sacrifier leurs jours de congé. D'autre part, les autorités militaires respectent leurs engagements, malgré les difficultés, et s'attachent à faire partir les hommes à un taux élevé chaque fois qu'il est possible, anticipant les restrictions ou rattrapant les retards par des envois massifs. Enfin, s'il y a eu peu de permissions, l'équité a été respectée, ce qui a contribué à contenir les récriminations. Après l'armistice du 11 novembre 1918, les permissions changent de sens et s'inscrivent dans la perspective d'une démobilisation prochaine.