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Sociolinguistique et tourisme : un nombre croissant de recherches

3 Regards sociolinguistiques sur le tourisme

3.3 Sociolinguistique et tourisme : un nombre croissant de recherches

La légitimation du tourisme comme un véritable terrain d’étude a ouvert la voie à des recherches sociolinguistiques portant sur ce domaine. Ceci semble provenir d’une reconnaissance croissante du milieu touristique comme un terrain pertinent pour explorer les questions portant sur le langage et la globalisation. Cet argument apparaît en quelque sorte condensé dans un numéro spécial du Journal of Sociolinguistics de 2014 dirigé par Adam Jaworski, Crispin Thurlow et Monica Heller. Dans leur introduction, ils soulignent que le tourisme constitue un domaine d’analyse et d’application des travaux sociolinguistiques

qui peut également fonctionner comme une fenêtre sur le monde actuel de façon plus générale. Ainsi, certaines thématiques centrales à la sociolinguistique peuvent être creusées à travers ce terrain, telles que l’authenticité, la marchandisation ou les notions de communauté, d’identité ou d’idéologie (Heller, Jaworski, & Thurlow, 2014). Nous observons récemment une croissance des travaux sociolinguistiques qui placent le tourisme au centre de leurs analyses. Nous pouvons identifier un certain nombre d'approches et de thématiques « dominantes » traversant ces recherches.

Tout d’abord, l’analyse du discours et l’analyse textuelle, déjà largement pratiquées par ailleurs en sociolinguistique, sont fortement présentes dans les travaux qui apparaissent depuis l'essor de ce domaine de recherches, influencés notamment par Graham Dann. Plusieurs travaux se focalisent ainsi sur le « langage du tourisme », que ce soit par rapport à des contextes particuliers (cf. Chiwanga (2014) pour la Tanzanie, par exemple) ou sur les caractéristiques linguistiques spécifiques au langage du tourisme, telles que le languaging (Cappelli, 2006), l’utilisation des clichés (Dann, 2001) ou certains adjectifs (Manca, 2008).

L’influence de Dann vers une focalisation sur l’analyse du discours et l’analyse textuelle concerne surtout certains genres de texte, comme les publicités (Dann, 2001) ou les médias qui permettent une communication de type « bouche à oreille » tels que les réseaux sociaux, par exemple (Dann, 2012). À ces recherches, nous pouvons ajouter un certain nombre de travaux portant sur l'étude des textes touristiques provenant d’autres sources et qui fournissent, à titre d’exemple, une analyse textuelle des sites web des autorités touristiques (Maci, 2007) ou les analyses pragmatiques et sémiotiques des guides et des sites internet touristiques écrits (Santulli, Antelmi, & Held, 2009).

Dans les travaux récents, nous constatons également ce qui semble être une influence des travaux de Jaworski et Thurlow, puisque nous relevons l’apparition d’un certain nombre de questions et de thématiques communes. Par exemple, Kallen (2009) aborde le paysage linguistique, en prenant le tourisme en Irlande comme terrain – rappelant les travaux de Jaworski et Thurlow sur les environnements linguistiques en milieu touristique.

Parmi les thématiques abordées par Jaworski et Thurlow, la marchandisation du langage en milieu touristique constitue un domaine très productif dans les travaux sociolinguistiques récents sur le tourisme. Dans la plupart de ces travaux, une focalisation est réalisée sur la marchandisation de langues minoritaires. Sari Pietikäinen et Helen Kelly-Holmes (2011) explorent le rôle joué par les langues locales dans l’étiquetage de souvenirs (Pietikäinen & Kelly-Holmes, 2011) ainsi que les effets plus larges de la marchandisation de ces langues pour un marché touristique (Kelly-Holmes & Pietikäinen, 2014). Elles décrivent certaines tensions qui surgissent dans ce milieu, liées aux enjeux du choix de langue dans les rencontres entre touriste et hôte qui mettent en concurrence la « langue des touristes » (l’anglais), la langue nationale (le finnois) et les langues locales (le same du nord et le same d’inari). Elles soulignent l’importance du langage, et de certaines langues, dans la production du tourisme culturel. Ce point de vue est également mis en avant par Coupland et Coupland (2014) qui montrent comment le langage, et certaines langues, peuvent être utilisés dans la production d’authenticité dans le « tourisme de mémoire ».

Heller, Pujolar et Duchêne (2014) abordent également la question du tourisme culturel, du tourisme de mémoire et de la marchandisation des langues. En rassemblant les données de plusieurs études de terrain, ils illustrent comment le langage et les langues sont employés dans une marchandisation des identités locales et de l’authenticité de ces identités. Cette marchandisation de l’authenticité linguistique et ses liens avec les identités culturelles sont également abordés par Moïse, McLaughlin, Roy, et White (2006). Etant donné qu’il s’agit souvent de la marchandisation de langues et identités « locales », plutôt que nationales, par exemple, Heller, Pujolar et Duchêne (2014) suggèrent que le milieu touristique est un terrain idéal pour explorer les questions liées à l’économie politique dans la globalisation, et surtout le « déclin » des états-nations. Ils ajoutent que le tourisme constitue un milieu illustratif des changements concernant les discours hégémoniques qui lient les langues à des cultures et à des identités nationales.

Ces travaux portant sur la marchandisation des langues et des cultures, et surtout des langues/cultures minoritaires, sont particulièrement prévalents au sein de la recherche francophone. Dans son article de 2011 – L’économie mondialisée et le tourisme : un domaine

à explorer pour la sociolinguistique francophone ? – Claudine Moïse présente un état des

lieux des travaux francophones sur le tourisme et la globalisation d’un point de vue sociolinguistique. Elle souligne les travaux (principalement) canadiens en « discourse

analysis » sur la marchandisation linguistique (cités ci-dessus). Elle constate que les

recherches en France se focalisent surtout sur les paysages linguistiques et « la visibilité touristique des langues régionales » et leurs « fonctions identitaire et mémoriale » (Moïse, 2011, p. 7). Elle remarque que les travaux francophones sont caractérisés par une perspective économique et une focalisation sur la marchandisation des langues minoritaires. Moïse note par ailleurs que le domaine du tourisme, au sein d’une sociolinguistique sensible à la globalisation – ou « mondialisation » pour reprendre ses termes – est un terrain extrêmement prometteur pour les travaux francophones en sociolinguistique. Selon nous, cet article semble être un cri de ralliement pour une augmentation des études francophones sur ce sujet, relativement peu abordé jusqu’à présent.