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2 Entre dynamiques langagières et dynamiques sociales

2.1 La sociolinguistique à l’épreuve de la globalisation

2.2.3 Description et interprétation

De la conception du langage comme indissociable de son contexte social découle la nécessité de pouvoir décrire et interpréter une situation de communication dans tous ses aspects. Cela relève de fait d'une vaste entreprise, pour laquelle il convient d'employer des

31 Nous considérons ici que « conversation » renvoie à un certain type d’interaction mais que cette

observation vaut pour tout type d’interaction verbale.

32 « Le langage est le contexte, il s’agit de l’architecture même du comportement social et, ainsi, il fait partie

de la structure sociale et des relations sociales ».

33 « Habituellement, nous prenons le genre, l’ethnicité et la classe sociale comme des paramètres et des

frontières préétablis dans lesquels nous créons nous propres identités sociales. L’étude du langage comme discours interactionnel démontre que ces paramètres ne sont pas constants qui vont de soi mais qu’ils sont produits à travers la communication ».

méthodes opérantes, qui soient donc compréhensives, afin d'appréhender une situation sociale dans sa totalité.

Hymes a proposé un outil méthodologique et conceptuel facilitant l’exploration des interactions entre langage et vie sociale. Son « modèle » SPEAKING (Hymes, 1986 [1972]) établit une liste des principaux éléments à prendre en compte pour analyser une situation (sociale) de communication : setting (ou scene), participants, ends, act sequence, key,

instrumentalities, norms, genre34. Tous ces éléments sont interconnectés mais chacun y joue

un rôle précis. Ce modèle n'est pas l'unique méthode employée en sociolinguistique, mais il a constitué une base sur laquelle la plupart des méthodes développées par la suite se sont au moins partiellement appuyées. De plus, le modèle de Hymes fournit l'avantage d'identifier et de rappeler de manière simple certaines composantes essentielles à la compréhension d'une situation de communication

Il convient par ailleurs d’évoquer ici l'influence primordiale de l'anthropologie, indissociable des fondements du courant ethnographique en sociolinguistique, et de ses postulats méthodologiques. Clifford Geertz, notamment, a profondément influencé la redéfinition de la pratique ethnographique moderne. Il a proposé une conception sémiotique de la culture, et une pratique ethnographique qui ne soit pas « une science expérimentale en quête de loi mais […] une science interprétative en quête de sens » (Geertz, 1998, p. 75). La méthode qu'il suggère, la « description dense », doit selon lui être pratiquée à l'échelle microscopique, permettant ainsi à l'ethnographe d’aborder les « grands mots qui nous effraient tous » (Geertz, 1998, p. 87) – tels que le Changement, le Pouvoir, la Violence, l'Autorité, par exemple – à partir des « petites » situations sociales. L'ethnographie devient alors une porte d'entrée vers le macro, mais devant se faire par l'interprétation du micro.

On retrouve une telle approche méthodologique en sociolinguistique, dans la mesure où il s'agit d'adopter une perspective holiste et compréhensive. Cette approche transparaît notamment dans la conception du langage comme constitué d'un ensemble de ressources, mobilisées par les acteurs pour créer des réseaux de significations

2.2.4 Le langage comme ensemble de ressources

La prise en compte de la complexité des situations sociales entraine une conception du langage – et des langues – radicalement différente ce celles d’autres disciplines en sciences du langage. L’approche ethnographique considère qu’une vision de la langue comme étant une entité fixe, délimitée et homogène – faisant école dans certains domaines de la linguistique35 – est inopérante et insuffisante. Les sociolinguistes ethnographes ont donc développé un certain nombre de termes et de conceptualisations permettant la description et l’interprétation de la « parole » comme un acte social faisant partie intégrante de son contexte ou, autrement dit, une analyse du langage-en-société.

34 Hymes propose lui-même un mnémonique français correspondant : PARLANT (participants, actes, raison

(résultat), locale, agents, normes, ton, types.

Défini comme un ensemble de « ressources », le langage comprend des éléments « linguistiques » (phonétiques, morphosyntaxiques, lexicaux, etc.) et des éléments « extra- linguistiques » (gestualité, connaissances sociales, etc.) pouvant conjointement être employés par des acteurs sociaux pour communiquer. Cette définition se retrouve dans la notion d'« instrumentalities », à la fois canaux et formes de parole, chez Hymes (1986 [1972], p. 63).

Un ensemble de ressources disponibles pour les acteurs sociaux compose un « répertoire » chez un locuteur :

A repertoire comprises a set of ways of speaking […] speech styles, on the one hand, and contexts of discourse, on the other, together with the relations of appropriateness obtaining between styles and contexts36 (Hymes, 1973, p.

67)

Ainsi, selon cette conception, un locuteur ne dispose donc pas d’une (ou de plusieurs) « langue(s) » pour interagir mais un répertoire de ressources communicatives. Pour Blommaert (2010, p. 43), ces répertoires sont souvent construits à partir de « morceaux » de ce que l’on définit traditionnellement comme des « langues » et prennent forme en tant que registres ou genres dans des schémas concrets spécifiques.

Hymes propose par ailleurs trois concepts pour décrire le processus de communication :

speech situations, speech events et speech acts. Les speech situations peuvent être décrites

comme : « situations associated with (or marked by the absence of) speech […] activities

which are in some recognizable way bounded or integral »37 (Hymes, 1986 [1972], p. 56). A l’intérieur de ces situations de parole existent des speech events, c'est-à-dire des activités qui sont régulées par des normes d’usage de la parole. Ces événements de parole peuvent être analysés en termes de speech acts, c'est-à-dire une forme d’action sociale qui articule les niveaux de grammaire linguistique avec l’ensemble du contexte et donc avec les normes sociales associées. Ces concepts permettent ainsi d'intégrer différents niveaux d’actions dans l'analyse d'une situation de communication.

Cet ensemble de concepts peut être combiné pour conceptualiser une situation sociale dans sa globalité : les acteurs sociaux ont des « répertoires » composés de « ressources ». Ces dernières sont mobilisées par les individus pour leur permettre de performer des « actes de parole », lesquels créent des « événements de parole » et, plus largement encore, des « situations de parole ».