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2 Collecte de données et constitution du corpus

2.2 Constitution du corpus MITo

L’outillage L’approche ethnographique accorde une place centrale à la récolte de données écologiques, c'est-à-dire des données spontanées n'étant pas élicitées, que ce soit dans un contexte de laboratoire ou de linguistique de terrain (Bowern, 2008). Les productions langagières qui forment ces données se produisent donc « naturellement », sans l’intervention active du chercheur. Dans le cas des interactions en face-à-face, cela signifie que les interactions existent malgré la recherche et ne pas à cause de la recherche (Wilson & Guardiola, 2015). Catherine Kerbrat-Orecchioni trace les grandes lignes d’une approche méthodologique pour ce recueil de données écologiques :

Si l’on veut savoir comment les choses se passent vraiment dans les interactions quotidiennes, le seul moyen fiable consiste à enregistrer des échanges se déroulant entre personnes réelles dans des situations réelles,

puis à les transcrire de la façon la plus fidèle possible, le corpus étant constitué à la fois par l’enregistrement (auquel il faut sans cesse revenir) et par sa transcription, artefact indispensable pour pouvoir procéder commodément à l’analyse (Kerbrat-Orecchioni, 2007, p. 2)

Les données principales exploitées dans les analyses de cette thèse seront donc des enregistrements d'échanges ayant lieu entre les touristes et les conseillers de l’OdT, dans le cadre habituel des services fournis par celui-ci. Nous avons procédé à la constitution d'un corpus constitué principalement d’enregistrements ainsi que de leurs transcriptions et annotations : « MITo » (Corpus Marseillais d’Interactions Touristiques/Marseille Interaction

in Tourism Corpus)101.

2.2.1 Enregistrement

Les enregistrements qui forment la base du corpus MITo sont des enregistrements audio effectués pendant une période d’observation comprenant plusieurs séances d’observation entre avril et mai 2014. Pour obtenir ces enregistrements audio, un enregistreur portable – le Zoom H4 – a été utilisé. Afin de contourner certains problèmes rencontrés au niveau du bruit ambiant, une solution a été trouvée qui consistait à utiliser les microphones intégrés à l’enregistreur ainsi que deux microphones « cravate » placés stratégiquement pour mieux capturer les voix des touristes et des conseillers. L’enregistreur tournait pour des périodes d’à peu près une heure102 avant d’être remis en marche et/ou déplacé à un autre guichet. La

disposition du matériel a été choisie pour faire en sorte que l’enregistreur soit non- envahissant et subtil. Cette disposition, ainsi que les périodes assez longues d’enregistrement, ont été choisies pour contourner au moins en partie le « paradoxe de l’observateur » tel qu’il est défini par Labov (1972b, p. 113)103. L’utilisation peu envahissante du matériel assure une perturbation moindre des participants, et la longueur des enregistrements laisse le temps aux conseillers de s'habituer à sa présence.

2.2.2 Considérations éthiques

Le fait d’enregistrer des participants en milieu naturel soulève cependant certaines considérations éthiques. Plusieurs précautions pour éviter autant que possible d’enregistrer les personnes à leur insu. Le consentement éclairé de tous les conseillers enregistrés a été obtenu avant de commencer les observations en utilisant un formulaire de consentement. L’affluence de visiteurs à l’OdT a rendu une démarche similaire auprès des touristes extrêmement difficile, voire impossible. La solution choisie s’inspire des avertissements d’enregistrements réalisés pendant les appels téléphoniques des centres d’appels. Il s’agissait à l'OdT de placer un panneau à côté du guichet concerné qui expliquait le fait que 101 Cf. Annexe 4. 102 Pour des raisons de stockage. 103 « To obtain the data most important for linguistic theory, we have to observe how people speak when they are not being observed ». / «Pour obtenir les données les plus importantes pour la théorie linguistique, il faut observer comment les gens parlent quand ils ne sont pas observés ».

l’interaction était susceptible d’être enregistrée, ainsi que les raisons de cet enregistrement, c'est-à-dire une étude universitaire. La possibilité d’obtenir un renseignement à un autre guichet était aussi signalée. Ainsi, nous avons donné aux touristes la possibilité de choisir de participer (ou pas) à l’enregistrement. En outre, nous avons été présent tout au long des enregistrements pour répondre à toute demande de renseignement ou pour intervenir en cas de problème, un fait signalé sur les panneaux et expliqué à chaque conseiller avant le début de chaque enregistrement.

La motivation principale derrière ces mesures ne relève pas seulement d’une conviction éthique sur la nécessité d’informer les participants, mais aussi d’une volonté de ne pas déranger le travail entrepris à l’OdT. Ceci traduit un souhait de notre part de respecter le contrat moral établi avec l'OdT, en même temps qu'une tentative d’éviter tout dérangement qui modifierait le comportement des participants.

2.2.3 Transcription et annotation

Les enregistrements bruts ont été découpés, afin d'isoler chacune des interactions et ainsi faciliter le travail. Etant donné le fait que ces interactions sont des interactions de service, elles ont presque toujours une ouverture et une clôture claires et définies, ce qui rend leur séparation non problématique. Le bruit ambiant a été réduit exceptionnellement sur certains enregistrements. A part ces processus de découpage et de réduction de bruit, tous les enregistrements audio ont été préservés tels quels pour garder leur caractère écologique.

En ce qui concerne le processus de transcription, annotation et analyse, les enregistrements ont été soumis à plusieurs écoutes et analyses préliminaires pour identifier les premiers phénomènes frappants et pertinents. Ensuite, les interactions ont été transcrites et annotées selon les conventions de transcription données en Annexe 1. Ces conventions, basées sur celles de Gail Jefferson (2004), permettent l’annotation de nombreux phénomènes subtils, tout en préservant la lisibilité des données. Cette transcription et annotation ont été complétées par un traitement utilisant le logiciel Praat (Boersma & Weenink, 2016). Ce traitement a consisté à transcrire les interactions de façon orthographique, identifier les phases interactionnelles et annoter certains phénomènes jugés pertinents.

2.2.4 Autres données

Outre les enregistrements audio d’interactions touriste-conseiller, nous accordons une place considérable aux données issues d’autres sources, le matériel langagier à lui seul n'étant pas suffisant pour décrire et analyser profondément une situation de parole. Catherine Kerbrat-Orecchioni (2007, p. 3) rappelle qu’« il faut autant que possible prendre en compte la totalité du matériel sémiotique ainsi que tous les éléments pertinents du

contexte » quand il s’agit d’analyser des interactions en face-à-face. La récolte des données

issues d’autres sources que l’interaction et leur inclusion dans les analyses permettent une prise en compte globale du matériel sémiotique disponible et du contexte. En outre, ce

processus contribue à la triangulation des données dans l’analyse. Le corpus MITo comprend donc des données issues de l’observation, des entretiens et du recueil de documents touristiques.

Comme mentionné ci-dessus, nous étions présent tout au long des enregistrements en tant qu’observateur. L’approche adoptée pour l’observation des interactions à l’OdT relevait d’une observation « non-participante », c'est-à-dire une technique d’observation dans laquelle le chercheur ne se trouve pas directement impliqué dans l’interaction comme participant. Nous nous sommes positionné dans un rôle de « observateur total »104 (Gold,

1958), c'est-à-dire que nous n’avons pas participé à la situation sociale observée105. Pour ce faire, nous nous sommes positionné de manière à ne pas être clairement visible par les participants – que ce soit les touristes ou les conseillers. Ainsi nous avons pu observer le déroulement des interactions tout en contournant (partiellement) le paradoxe de l’observateur évoqué précédemment.

Nous avons pris des notes concernant les aspects « non-verbaux » (ou « extra-verbaux ») pertinents des interactions tels que certains éléments liés au gestuel, au contexte immédiat ou à d’éventuels « particularités » d’une interaction – une interruption liée à un phénomène inaudible sur les enregistrements, par exemple. Certaines métadonnées concernant les touristes ont également été notées, telles que l’âge approximatif, le sexe, le nombre de participants – interlocuteurs et accompagnateurs « listeners ».

Le corpus MITo est complété par des données issues d’autres sources, notamment des entretiens et un recueil de documents touristiques disponibles à l’OdT. En ce qui concerne les entretiens, plusieurs entretiens informels avec des conseillers et des touristes ont été entrepris « sur le vif ». Il s’agissait de saisir des opportunités de contacts avec des conseillers et des touristes pour poser des questions concernant principalement leurs interactions, l’expérience touristique ou le fonctionnement de l’OdT. La plupart de ces données ont été capturées sous forme de notes mais certains échanges font partie des enregistrements. Ensuite, un entretien semi-directif plus « formel » a été organisé avec un membre de l’équipe de direction de l’OdT106.

La collecte de documents a concerné surtout la documentation disponible pour les touristes, comme des cartes, des plans, des guides ou des prospectus. Ces documents permettent une analyse plus fine des conseils donnés aux touristes et du rôle des conseillers, ainsi qu'une compréhension de l’univers sémiotique de l’OdT. En outre, la documentation joue très souvent un rôle central dans les interactions touriste-conseiller107.

Ainsi, son analyse en rapport avec les données interactionnelles est très importante. La récolte de documents a été complétée par des photographies du « paysage » de l’OdT ainsi qu’un certain nombre de documents « internes » de l’OdT. 104 « Complete observer ». 105 La notion de non-participation dans une situation sociale que l’on observe est clairement problématique puisque notre présence même constitue une participation mais le « complete observer » essaie de s’approcher au maximum de cette « non-participation ». 106 « Entretien DO ». Cf. Annexe 4. 107 Cf. Chapitre 6, partie 5.1.2.