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XVIIIᵉ siècles

Section 1. L’extension des significations de la notion de constitution et l’invention d’une conception contractualiste et artificielle de la société au

A. La société juridique : un contrat organisant une communauté

99. Le XVIIᵉ siècle hérite de deux conceptions juridiques de la notion de société qui conçoivent toutes deux la société comme un contrat organisant une communauté. D’une part, les sociétés commerciales théorisées par le Digeste (1) ; d’autre part, les sociétés religieuses et corporation (2).

1. Sociétés commerciales

100. Le Digeste prévoit au titre II de son livre XVII, que « La société peut être contractée ou pour toujours, c’est-à-dire pendant la vie des associés, ou pour ne durer qu’un certain temps, ou sous certaines conditions. »340 La plupart des dictionnaires de jurisprudence reprennent cette définition

qui considère la société comme un contrat341 et exige le consentement libre de tous les associés pour

sa formation342. Certains dictionnaires mettent l’accent sur le caractère fondateur de la société qui

établit, par contrat, une communauté343. Néanmoins, ils distinguent la communauté de la société,

seule cette dernière a un caractère volontaire344.

Le critère distinctif de la société est donc l’existence d’un contrat, écrit ou non, exprimant le consentement libre des associés et fondant ainsi une communauté. Cette notion latine de société fut reprise à la période médiévale pour fonder la théorie de l’universitas345.

2. Sociétés religieuses et corporations

101. Au Moyen-Âge, les universitas préfigurent une conception contractuelle de la communauté. Elles sont des groupements « où l’autorité trouve sa source dans la masse de gouvernés qui la

340« Societas coïri potest, vel in perpetuum, id est, du vivunt, vel ad tempus, vel ex tempore, vel sub conditione. » Les

cinquante livres du Digeste ou des Pandectes de l’Empereur Justinien, traduit en français par M. Hulot, Metz-Paris,

1803, p. 501.

341Par exemple, L’Encyclopédie prévoit : « Les sociétés qui se contractent entre marchands, ou entre particuliers, sont une convention entre deux ou plusieurs personnes, par laquelle ils mettent en commun entre eux tous leurs biens ou une partie, ou quelque commerce, ouvrage, ou autre affaire, pour en partager les profits, & en supporter la perte en commun, chacun selon leur fonds, ou ce qui est réglé par le traité de société. » Nous soulignons. Article « Société (jurisprudence) » rédigé par Boucher d’Argis.

342« Pour former une société, il faut le consentement de tous les associés. » Ibid.

343« La société et la communauté ne sont pas la même chose ; la société est le contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent de mettre quelque chose en commun. Lorsqu’en exécution de ce contrat, elles ont effectivement mis en commun ce qu’elles étaient convenu d’y mettre, c’est une communauté qui se forme entr’elles. Cette espèce de communauté s’appelle aussi société, parce qu’elle est formée en exécution d’un contrat de société. » M. de Felice, Code de l’humanité, ou la législation universelle, naturelle, civile et politique, Tome XII, Yverdon, 1778, p. 710.

344« Il y a aussi une communauté qui se forme entre plusieurs personnes, sans qu’il soit intervenu entr’elles aucune convention, ni par conséquent aucun contrat de société ; comme lorsqu’une succession est échue à plusieurs héritiers, ou qu’un legs a été fait conjointement à plusieurs légataires, il y a une communauté de succession entre ces héritiers, il y a entre ces légataires une communauté de choses qui leur ont été léguées ; mais il n’y a pas entre eux de société. » Ibid. p. 710-711.

345Sur cette notion voir Pierre MICHAUD-QUANTIN, Universitas. Expressions du mouvement communautaire dans

confèrent à des gouvernants qui en sont les dépositaires et l’exerce en son nom »346.

L’Encyclopédie, dans son article consacré à la société en jurisprudence, dresse une liste de ces diverses sociétés non commerciales : elles peuvent être « relatives à la religion » (« communautés & congrégations, ordres religieux »), « aux affaires temporelles » (« les communautés d’habitans, les corps de ville »), « à l’administration de la justice » (« compagnies établies pour rendre la justice »), « aux arts & aux sciences » (colleges, les académies, & autres sociétés littéraires) ou « à des titres d’honneur » (« ordres royaux & militaires »). Le terme société permet donc de renvoyer à l’ensemble des ordres et corporations de l’Ancien Régime. Selon Pierre Michaud-Quantin, ce développement de l’emploi de terme société est en relation avec la définition du Digeste et atteste de la volonté de mettre l’accent sur le caractère volontaire de la communauté347.

Ces universitas disposent d’un pouvoir d’auto-organisation, qui tend à les autonomiser et à les constituer comme des ordres juridiques partiels disposant d’une autonomie normative348 et de la

capacité de faire observer les règles qu’elle édicte349. Elles doivent être autorisées par le pouvoir

souverain qu’il soit spirituel ou temporel350, mais elles acquièrent progressivement un « statut de

droit public » qui « leur permet d’échapper à l’emprise de leur supérieur naturel »351.

D’un point de vue juridique, la société se définit donc comme la création volontaire d’une communauté qui choisit librement ses règles de fonctionnement et s’assigne un but déterminé. Bien qu’elles n’aient pas d’existence juridique, les sociétés de pensée répondent à la même définition.

346Pierre MICHAUD-QUANTIN, op. cit., p. 268.

347« Un même point de vue semble réunir ces divers emplois de societas, la collectivité qui est désignée par ce terme n’est pas considérée abstraitement en soi, mais sous son aspect concret de groupement de personnes à qui l’on donne ou l’on retire son adhésion, dont on renforce ou affaiblit l’association. […] La querelle des séculiers contre les mendiants dans la décennie 1250-1260 amène à préciser encore cette notion que l’on pourrait ainsi formuler : dans l’Université il y a deux éléments, une situation juridique, i.e. habere corpus qui a été concédé, et le groupement formé librement par les maîtres la societas, à laquelle a été concédée le privilège en cause. L’autorité supérieure peut prendre toutes les décisions qu’elle veut à l’égard de l’universitas-corpus, mais elle ne peut rien vis-à-vis de l’universitas-societas qui relève de l’initiative et de la spontanéité de ses membres.[…]

« Cette spécialisation de sens semble être en dépendance de la notion de société commerciale telle que l’exposent les diverses lois de Dig. 17.2 où il est constamment question de coire, contrahere, societatem, ce qui est un acte que l’on accompli volontairement (ex volontate). Innocent IV reprend l’un de ces termes dans son commentaire de la décrétale Dilecta en représentant par deux expressions la démarche des fondateurs d’une collectivité : ils entre ensemble (coeunt) dans la société, où ils constituent (faciunt) le collège. » Ibid., p. 269.

348« L’universitas tend dès qu’elle se constitue, même sous une forme très élémentaire, à se dégager de la soumission à un pouvoir étranger, imposé du dehors afin de lui substituer aussi largement que possible celui qui émane d’elle et représente la volonté collective de ses membres. » Ibid., p. 268.

349« La jouissance de libertés comme la capacité d’exercer une juridiction, c’est-à-dire sous deux aspects la possibilité d’exprimer une volonté dont la société tiendra compte, apparaissent comme des attributs de la personnalité morale et juridique par laquelle se définit l’universitas, que ses membres reçoivent par participation, non pas en tant qu’individus, mais en tant qu’ils lui appartiennent et la constituent. » Ibid., p. 269.

350Ibid., p. 219.

351Albert RIGAUDIÈRE, « Pratiques politiques et droit public dans la France des XIVe et XVᵉ siècles » in Archives de

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