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La constitution de l’État : l’exécutif, le législatif et la conformité à la nature des choses

XVIIIᵉ siècles

Section 2. L’invention de la constitution comme acte de la société et d’une nouvelle hiérarchie des normes par des philosophes jusnaturalistes

A. La constitution de la société : deux contrats et une ordonnance (Pufendorf)

1. La constitution de l’État : l’exécutif, le législatif et la conformité à la nature des choses

Chez Rousseau, les parties constituant l’État sont toujours le prince et le peuple (a). En outre, la constitution doit être conforme à la nature des choses (b).

a. Les parties constituant l’État : le prince et le peuple

183. La constitution de l’État peut désigner l’ensemble des parties entrant dans sa composition864.

Ces parties étaient originellement comprises comme des communautés (Ordres ou États), mais elles sont également conçues comme les organes ou les fonctions de l’État (indépendamment des communautés qui le composent). Chez Rousseau, la constitution est composée du pouvoir législatif exercé par le peuple et du pouvoir exécutif exercé par le prince. Les autres organes de l’État sont

fondamentales chez Rousseau » in Revista de Filosofia, Aurora, Curitiba, v. 28, n. 43, p. 19-48, janv./abr. 2016. 859« Il y aura toujours une grande différence entre soumettre une multitude, et régir une société. Que des hommes épars

soient successivement asservis à un seul, en quelque nombre qu’ils puissent être, je ne vois qu’un maître et des esclaves, je ne vois point un peuple et son chef ; c’est si l’on veut une agrégation, mais non pas une association ; il n’y a ni bien public ni corps politique. » Rousseau, Op. cit., I, V, p. 50.

860ROUSSEAU, op. cit., I, V, éd. cit., p. 51. 861Voir supra, ce chapitre, Section 2, § 1, C.

862Les deux sont synonymes chez Rousseau, voir supra, ce chapitre, Section 2, § 1, C.

863« Cependant pour que le corps du Gouvernement ait une existence une vie réelle qui le distingue du corps de l’État, pour que tous ses membres puissent agir de concert et répondre à la fin pour laquelle il est institué, il lui faut un moi particulier, une sensibilité commune à ses membres, une force une volonté propre qui tende à sa conservation. […] Les difficultés sont dans la manière d’ordonner dans le tout, ce tout subalterne, de sorte qu’ il n’altère point la

constitution générale en affermissant la sienne, qu’il distingue toujours sa force particulière destinée à sa propre

conservation de la force publique destinée à la conservation de l’État, et qu’en un mot il soit toujours prêt à sacrifier le Gouvernement au peuple et non le peuple au Gouvernement. » ROUSSEAU, op. cit., III, I, éd. cit., p. 96. 864Voir supra.

accessoires ; il ne font pas partie de la constitution de l’État, ne forment pas son essence. Ils peuvent donc être supprimés sans que la constitution ne soit altérée865. Dans tout État, il n’existe donc que

deux organes, qui sont aussi deux puissances (ou pouvoirs) : d’une part, le Prince, ou Gouvernement, en charge de l’exécutif et d’autre part, le Peuple ou Souverain, en charge du législatif. La constitution de l’État et sa pérennité résultent d’un équilibre entre ces deux pouvoirs politiques :

« Comme la volonté particulière agit sans cesse contre la volonté générale, ainsi le Gouvernement fait un effort continuel contre la Souveraineté. Plus cet effort augmente, plus la constitution s’altère, et comme il n’y a point d’autre volonté de corps qui résistant à celle du Prince fasse équilibre avec elle, il doit arriver tôt ou tard que le Prince opprime enfin le Souverain et rompe le traité Social. »866

La constitution est ainsi maintenue par l’existence d’un équilibre, d’une balance du pouvoir au sein de l’État. Rousseau reconnaît donc, à la suite de Locke, la nécessité de répartir les pouvoirs dans l’État entre différents organes. En ce sens, Rousseau est partisan d’une certaine balance des pouvoirs, qu’il exprime d’ailleurs en termes mathématiques867. Il s’oppose ainsi à toute

concentration du pouvoir, même entre les mains du souverain868.

L a constitution de l’État doit assurer une répartition et un équilibre du pouvoir, mais elle doit également être conforme à la nature des choses.

b. La nécessité de conformer la constitution à la nature des choses

184. Un État bien constitué est un État établi conformément à la nature et à la justice. La constitution d’un État est ainsi le résultat d’une négociation entre l’ordre naturel des choses et

865« Quand on ne peut établir une exacte proportion entre les parties constitutives de l’État, ou que des causes indestructibles en altère sans cesse les rapports, alors on institue une magistrature particulière qui ne fait point corps avec les autres, qui replace chaque terme dans son vrai rapport, et qui fait une liaison ou un moyen terme dans soit entre le Prince et le Peuple, soit entre le Prince et le Souverain, soit à la fois des deux côtés s’il est nécessaire. […] Le Tribunat n’est point une partie constitutive de la Cité, et ne doit avoir aucune portion de la puissance législative ni de l’exécutrice, mais c’est en cela même que la sienne est plus grande : car ne pouvant rien fait il peut tout empêcher. […] Ce moyen me paraît sans inconvénient, parce que comme je l’ai dit, le Tribunat ne faisant point

partie de la constitution peut être ôté sans qu’elle en souffre » Nous soulignons. ROUSSEAU, op. cit., IV, V,

p. 157-159.

866Nous soulignons. Ibid., III, X, p. 120.

867« Le Gouvernement reçoit du Souverain les ordres qu’il donne au peuple, et pour que l’État soit dans un bon

équilibre il faut, tout compensé, qu’il y ait égalité entre le produit ou la puissance du Gouvernement pris en lui-

même et le produit ou la puissance des citoyens, qui sont souverains d’un côté et sujets de l’autre.

« De plus, on ne saurait altérer aucun des trois termes sans rompre à l’instant la proportion. Si le Souverain veut gouverner, ou si le magistrat veut donner des lois, ou si les sujets refusent d’obéir, le désordre succède à la règle, la force et la volonté n’agissent plus de concert, et l’État dissous tombe ainsi dans le despotisme ou dans l’anarchie. » Nous soulignons. ROUSSEAU, op. cit., III, I, p. 93.

868« Le pouvoir législatif une fois établi, il s’agit d’établir de même le pouvoir exécutif ; car ce dernier, qui n’opère que par des actes particuliers, n’étant pas de l’essence de l’autre, en est naturellement séparé. S’il était possible que le Souverain, considéré comme tel, eût la puissance exécutive, le droit et le fait seraient tellement confondus qu’on ne

saurait plus ce qui est loi et ce qui ne l’est pas, et le corps politique ainsi dénaturé serait bientôt en proie à la

l’ordre artificiel des lois. La pérennité de l’État dépend de l’harmonie existant entre ces deux ordre869. Ainsi, suivant qu’il existe une harmonie entre ordre naturel et ordre légal, l’État est bien ou

mal constitué870.

185. La bonne constitution de l’État ne concerne donc pas uniquement l’ordre politique, mais elle doit, de manière plus générale, organiser un bon ordre social, concernant tant les mœurs qui règnent dans l’État, que les qualités des citoyens qui le composent871. Un État bien constitué est donc,

comme chez les Grecs, et les Romains, celui qui encourage les citoyens à être vertueux et les conduit vers de bonnes mœurs. La vertu citoyenne et la qualité des lois sont ainsi coextensives dans les États bien constitués : « loin de s’affaiblir les lois acquièrent sans cesse une force nouvelle dans

tout État bien constitué »872 ; « Mieux l’État est constitué, plus les affaires publiques l’emportent sur

les privées dans l’esprit des Citoyens. »873

La constitution de l’État ne se réduit pas à l’organisation du pouvoir politique, mais renvoie de manière générale à l’ensemble de l’ordre social et politique. En cela notamment, la constitution de l’État se distingue de la constitution du gouvernement.

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