• Aucun résultat trouvé

Conclusion du Chapitre

Section 1. Le démantèlement de l’ordre traditionnel par les partis parlementaire et royaliste au moyen du droit naturel et de la notion de constitution

A. La théorisation de la constitution de la monarchie par Montesquieu et Le Paige

2. La promotion d’une constitution parlementaire pour la monarchie française par Le Paige

207. Les parlements d’Ancien Régime reçurent favorablement l’Esprit des Lois967. Ils ne tardèrent

pas à s’approprier son vocabulaire (dépôt des lois, corps intermédiaires, etc.) ainsi que l’idée d’une monarchie tempérée968. Toutefois, le caractère très modéré des propositions de Montesquieu ne

fournissait pas des arguments directement opératoires pour servir de soutien à une révolte parlementaire. Adrien Le Paige969 est le premier à définir formellement la constitution de la

monarchie française qu’il appelle « notre » constitution (a). Elle se compose pour lui du roi et du parlement (b).

a.L’invention de la constitution de la monarchie française ou « notre » constitution par Le Paige

208. Adrien Le Paige, avocat au Parlement de Paris, publie en 1753 et 1754 deux importants volumes intitulés Lettres historiques sur les fonctions essentielles du Parlement ; sur le droit des

Pairs, et sur les lois fondamentales du Royaume. Dans cet ouvrage, il emploie fréquemment le

terme de constitution pour défendre les droits des parlements : « constitution de notre

965« Les pouvoirs intermédiaires subordonnés et dépendants constituent la nature du gouvernement monarchique, c’est-à-dire de celui où un seul gouverne par des lois fondamentales. » EDL, éd. cit., vol. 1, II, IV, p. 139.

966Élie CARCASSONNE, op. cit., p. 296. 967Élie CARCASSONNE, op. cit., p. 261-296.

968« Si l’on examine, à dater de 1750, les déclarations officielles du Parlement de Paris, on y trouve, non pas une adhésion expresse aux théories de Montesquieu, mais des analogies de pensée et de termes, et comme une réminiscence vague, mais prolongée, de l’idéal monarchique défini par l’Esprit des lois. » Élie CARCASSONNE,

op. cit., p. 286.

969Sur Adrien LE PAIGE voir André COCATRE-ZILGIEN, « Les doctrines politiques des milieux parlementaires dans la seconde moitié du XVIIIᵉ siècle ou Les avocats dans la bataille idéologique prérévolutionnaire », loc. cit. ; Élie CARACASSONNE, op. cit., p. 271-277 ; Keith Michael BAKER, Au tribunal de l’opinion... ; Francesco DI DONATO, art. cit. ; André LEMAIRE, op. cit., p. 211 et s.

Monarchie »970, de « notre État »971, de « notre Gouvernement »972 ou de la « Monarchie

française »973. Le débat sur la notion de constitution concerne alors directement la monarchie

française. Il devient clairement politique et perd en généralité. La constitution n’est plus celle d’une société fondée théoriquement ou d’un régime politique décrit rationnellement, mais celle d’un État déterminé : la monarchie française.

209. Dans cet ouvrage, Le Paige offre une synthèse des différentes idées sur la constitution et les met au service d’une conception parlementaire de la constitution. Il reprend ainsi à son compte l’idée d’un récit des origines974, d’une fondation de l’État975, en énonçant dans les termes suivant son

programme scientifique : « Je suis obligé, Monsieur, de remonter jusqu’à la première enfance de notre état. »976 Il qualifie alors la constitution de « fondamentale »977, « essentielle » et

« primitive »978. La constitution est un ordre établi originalement et perpétré par « une tradition qui

depuis l’origine de la Monarchie ne s’est jamais interrompue »979. Dans cette conception, tenter de

la modifier, c’est attenter à la monarchie même. La constitution est ainsi immuable et se maintient à travers les âges : « pendant ces trois siècles, nos Rois ont toujours eu les mêmes idées que Charlemagne, et leurs autres Prédécesseurs, sur la constitution équitable de notre Monarchie, et sur le nature de notre Gouvernement. »980

Sa présentation est marquée idéologiquement et vise à faire l’apologie de cette constitution en suscitant l’adhésion de son lecteur : le genre littéraire employé est celui du récit épistolaire qui interpelle ainsi le lecteur. Il accentue cette proximité en recourant à l’adjectif possessif « notre »981

pour désigner la constitution et en la qualifiant de « sage »982, « pleine d’équité »983, « équitable »984,

970Lettres historiques, sur les fonctions essentielles du parlement ; sur le droit des pairs et sur les lois fondamentales

du Royaume, première partie (I), 1753, p. 1 et 3.

971Ibid., I, p. 27. 972Ibid., I, p. 32. 973Ibid., I, p. 28.

974« Tant il est vrai, que les principes les plus précieux de notre droit public remontent jusqu’à ce premier âge, que c’est de-là qu’ils sont venus de main en main jusqu’à nous, par une tradition que les Rois et les Peuples ont toujours également respectée ; et ce qu’on ne saurait trop remarquer, c’est cette vénération seule, qui a fait depuis 1600 ans, et qui fait encore aujourd’hui leur sureté commune. » Ibid. I, p. 30.

« Presque toutes nos autres Lois fondamentales sont dans le même cas ; également établies sur une tradition, qui remonte à l’origine même de la Monarchie, et dont nous ne trouvons les premiers vestiges que dans Tacite. » Ibid. I, p. 31.

975« Fondateurs mêmes de l’État » , Ibid., I, p. 152 ; « Fondateurs de la Monarchie » , Ibid., I, p. 153 ; « Monarques fondateurs de notre Gouvernement », Ibid., I, p. 318 ; II, p. 15.

976Ibid. p. 3. 977Ibid. I, p. 21. 978Ibid. I, p. 22. 979Ibid. II, p. 15. 980Ibid. I, p. 319.

981Voir en ce sens BAKER, Au tribunal de l’opinion..., p. 60. 982Lettres historiques, I, p. 294.

983Ibid. I, p. 236. 984Ibid. I, p. 318.

« admirable »985. Il contribue ainsi à connoter positivement la notion de constitution, à susciter

l’attachement au respect de cette dernière, et renforce l’idée de son inviolabilité.

210. Par ailleurs, il prétend présenter un ouvrage scientifique, appuyé sur de nombreuses sources historiques, qui confirmeraient la validité des thèses parlementaires. Il cite de nombreux « monuments », ce qui contraignit quiconque voulait le contredire à faire de même. Il ouvre ainsi la voie à un nombre important de publications qui tentèrent d’établir historiquement les droits et privilèges du Roi, des parlements ou encore de la Noblesse986. Son emploi de la notion de

constitution vise à la transformer en véritable arme politique contre l’absolutisme royal. Il reprend ainsi partiellement les thèses et les formules de Montesquieu pour les adapter à la rhétorique de la résistance parlementaire.

b. La constitution française : un roi et un parlement

211. Dans la théorie de Le Paige, la fonction de contrepoids que Montesquieu donnait à la Noblesse et aux corps intermédiaires est confiée toute entière au Parlement. Selon lui, le Parlement est aussi ancien que le Roi et ils sont tous deux essentiels à l’existence de la Monarchie ; il les place ainsi sur un pied d’égalité :

« Concluons-en qu’on ne peut assez admirer, la sagesse qui a présidé à la Constitution primitive de notre

Gouvernement, et qui a établi tout à la fois cette Puissance Monarchique donc la justice et l’équité sont la

règle ; et ce Parlement aussi ancien que la Monarchie même, dont la fonction éminente est d’être le dépositaire & le conservateur des Loix constitutives de l’Etat. »987

La constitution est conçue comme l’ordre fondamental qui fut établi dans l’État à l’occasion de sa fondation ; cet ordre doit être respecté et protégé. Il considère que le parlement est le gardien de la constitution (i), que le roi est détenteur des deux puissances législative et exécutive (ii) et que ce dernier est soumis aux lois par la constitution même qui assure ainsi une garantie contre l’arbitraire et le despotisme (iii).

i. Le Parlement, gardien de la constitution

212. Pour Le Paige, des lois régissent l’ordre politique et le Parlement a pour fonction de les garder. Son raisonnement conduit implicitement à soumettre le Roi aux parlements, car il est soumis aux lois que les parlements conservent988. La notion de constitution sert donc à légitimer la

985Ibid. II, p. 50.

986Pour une étude détaillée de ces écrits voir Élie CARCASSONNE, op. cit. et Keith Michael BAKER, Au tribunal de

l’opinion..., éd. cit.

987Nous soulignons, Lettres historiques, I, p. 32.

988« Quand nous entendons nos Rois aux-même nous dire, comme Henri IV, que la première Loi du Souverain, est de

place de contre-pouvoir donnée aux parlements.

L’existence de cette constitution implique alors ispo facto un devoir de résistance989 de la

part des parlements :

« Rapprochez ces traits, Mr., de ceux du même genre, que vous avez vu sous Charlemagne, le plus grand de nos Monarques, et sous les autres Rois de la première et deuxième Race. Ce sont toujours les mêmes

principes sur la constitution sage de notre Gouvernement. On y retrouve toujours nos Rois eux-mêmes

reconnaître dans le Parlement le droit, ou plutôt le devoir de leur résister avec fermeté, quand leur intérêt véritable et le bien de la patrie le demandent. »990

Le Paige n’écrit pourtant jamais que le pouvoir est partagé entre le Roi et le Parlement. Ce pouvoir du Parlement est même présenté comme étant dans l’intérêt du Roi lui-même, alors qu’il conduit visiblement à l’affaiblissement de sa prérogative991. La description du régime qu’il fait

s’apparenterait d’ailleurs plus à une aristocratie992 étant donné que les parlements ne doivent jamais

céder et disposent ainsi du pouvoir de décision ultime993 : ils disposent de « l’autorité du vrai, contre

lequel rien ne doit prévaloir ; l’autorité de la Justice et de l’équité, auxquelles toute autre autorité doit céder »994.

ii. Le roi, détenteur des deux puissances législatif et coactive

213. Le Paige présente ses idées sous les traits de conceptions traditionnelles, en reconnaissant au Roi le pouvoir de faire la loi et de l’exécuter :

« Mais résumant auparavant ce que je vous ai montré jusqu’ici : vous voyez, Monsieur, qu’il en résulte, 1°. que par la constitution fondamentale de l’État, il est essentiel que nous ayons un Roi ; que ce Roi dans les Lits de Justice, que l’État n’est heureux, qu’autant que le Prince est obéi d’un chacun, et que lui obéit à la

Loi ; que la vraye et solide gloire du Roi, est de soumettre sa Hauteur et sa Majesté à Justice, à rectitude, et à l’observation de ses Ordonnances ; que c’est la Justice qui affermit leur Trône ; on pourrait être tenté d’attribuer la

Noblesse de ces sentiments, à l’épurement que le Christianisme est venu mettre dans les idées des Souverains. Mais on ne peux plus douter, que ces maximes énergiques et si belles, ne forment l’essence et la Constitution même de la Monarchie, quand on les y voit établies en Lois, et mises en pratique par nos Monarques, dès nos premiers jours, et avant même que la Religion nous eut éclairés. » Ibid. I, p. 54.

989Cette idée n’est pas nouvelle voir par exemple sur ses développement dans la Noblesse au XVIᵉ siècle : Arlette JOUANNA, op. cit., notamment p. 9-11.

990Nous soulignons. Lettres historiques, I, p. 294.

991« le plus grand service, que puisse jamais rendre aux Rois eux-mêmes, le Parlement qui représente aujourd’hui ces anciennes Assemblées, est de s’opposer comme un mur d’airain, à tout ce qui pourrait affaiblir l’autorité de ces traditions et de ces Lois, qui sont la sureté commune du Prince et des peuples ; et qu’on ne peut donner assez d’éloges à la prudence de nos Monarques, qui, pour prévenir ce malheur, et dans la juste appréhension de leur propre faiblesse, ou des suites de la surprise, lui ont si fortement défendu par les Ordonnances les plus précises, de jamais leur obéir en ces sortes de cas, s’en déchargeant absolument sur sa fidélité et sur sa conscience » Ibid. I, p. 33. 992Comme l’écrit Élie CARCASSONNE, « le pouvoir royal est borné par une clause expresse, qui change la

monarchie en aristocratie, et élève au rang de Sénat suprême un corps intermédiaire “subordonné et dépendant” »,

op. cit., p. 275.

993« toute l’autorité du Parlement ne consistait, et ne consiste encore, en cette matière, qu’à être fidèle à son devoir, d’une manière inébranlable ; à ne jamais rien faire, ni registrer qui soit contraire aux Loix du Royaume, à l’intérêt véritable du Monarque et de la Monarchie, au cri de sa conscience : à savoir dire avec courage : SIRE, cela n’est pas

juste : vous ne le pouvez, ni ne le devez : Et à tout sacrifier, mourir même, s’il le faut, plutôt que d’y contribuer en

rien. » Lettres historiques, I, p. 96. 994Ibid. I, p. 97.

Outline

Documents relatifs