• Aucun résultat trouvé

Significations et interprétations de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : contribution à l'histoire de la notion de constitution

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Significations et interprétations de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : contribution à l'histoire de la notion de constitution"

Copied!
951
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: tel-02521720

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02521720

Submitted on 27 Mar 2020

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Significations et interprétations de l’article 16 de la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 :

contribution à l’histoire de la notion de constitution

Margaux Bouaziz

To cite this version:

Margaux Bouaziz. Significations et interprétations de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : contribution à l’histoire de la notion de constitution. Droit. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2019. Français. �NNT : 2019PA01D072�. �tel-02521720�

(2)

École de droit de la Sorbonne – Droit public et droit fiscal

Thèse pour l'obtention du doctorat en droit public

présentée et soutenue publiquement le 11 décembre 2019

par

Margaux BOUAZIZ

Significations et interprétations de l'article 16 de la Déclaration

des droits de l'homme et du citoyen de 1789

Contribution à l'histoire de la notion de constitution

sous la direction de M. le Professeur Michel VERPEAUX

Jury

M. Arnaud LE PILLOUER, Professeur, Université Paris-Ouest Nanterre La Défense, rapporteur M. François SAINT-BONNET, Professeur, Université Paris II Panthéon-Assas, rapporteur M. Bernard DOLEZ, Professeur, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

M. Guillaume TUSSEAU, Professeur, Sciences Po

(3)
(4)
(5)
(6)

Remerciements

Mes remerciements vont d’abord au Professeur Michel Verpeaux qui m’a proposé de travailler sur l’article 16 et m’a offert ainsi un très beau sujet. Je lui suis aussi reconnaissante de la liberté qu’il m’a laissée dans l’orientation de mes recherches et de l’attention exigeante qu’il a portée au suivi de ma thèse et à la relecture de mes travaux. Ses remarques, conseils et encouragements furent très précieux.

Je remercie également les Professeurs Arnaud Le Pillouer, François Saint-Bonnet, Bernard Dolez et Guillaume Tusseau de me faire l’honneur de faire partie du jury et de bien vouloir évaluer mon travail.

Je voudrais aussi exprimer toute ma gratitude envers le Professeur Otto Pfersmann pour la formation intellectuelle et l’exigence scientifique qu’il a essayé de me transmettre par ses enseignements, pour le temps qu’il m’a accordé pour discuter de mes recherches et pour les précieux conseils qu’il m’a donnée.

Je remercie également Pasquale Pasquino qui m’a encouragée dans mes choix scientifiques et a souvent accepté de discuter de mes recherches et de leurs orientations. Ses recommandations et son soutien furent une aide considérable.

Les Professeurs Xavier Philippe, Pierre Brunet et Éric Desmond ont accepté de me rencontrer pour discuter de mes recherches, qu’ils trouvent dans ces lignes l’expression de ma reconnaissance. À la Professeure Vanessa Barbé, qui m’a soutenue, encouragée et relue, je témoigne toute mon amitié et ma gratitude pour son aide et ses conseils.

À mes parents, qui m’ont apportée leur soutien continu tout au long de ces années de thèse, à mon compagnon, aux ami.es et membres de ma famille qui m’ont écoutée, soutenue et encouragée, j’exprime ici toute mon affection et ma reconnaissance. Je remercie particulièrement ceux qui m’ont aidée à corriger mon manuscrit mon père, Rodolphe, Bertrand, Mathilde, Marie, Garance, Pascal, Nina, Louise, Julia, Clémentine, Arthur, Brice et Sixtine.

(7)
(8)

Liste des principales abréviations

AP Archives Parlementaires

art. cit. article cité

Baudouin Collection générale des Décrets rendus

par l’Assemblée Nationale

BN Bibliothèque Nationale

CE Conseil d’État

Cons. const. Conseil constitutionnel

cons. considérant

Convention EDH Convention européenne des droits de

l'homme et des libertés fondamentales

Cour EDH Cour européenne des droits de l'homme

et des libertés fondamentales

Duquesnoy Journal d’Adrien Duquesnoy

EDL L'Esprit des lois

Flammermont Remontrances du Parlement de Paris au

XVIIIᵉ siècle

Ibid. Ibidem

Id. Idem

Le Hodey Journal des États-Généraux

loc. cit. loco citato

op. cit. opus citatum

préc. précité(e)

PV Procès-verbal

RDP Revue du droit public

Réimp. Mon. Réimpression de l’ancien Moniteur

RFDC Revue française de droit administratif

RFDC Revue française de droit constitutionnel

spéc. spécialement

(9)

Avertissement

L’orthographe des textes reproduits datant des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles a été modernisée. En revanche, les majuscules ont toutes été maintenues.

Conformément aux conventions en usage, une majuscule a été mise aux mots désignant une personne, un acte, un événement historique ou une institution identifiés (le Roi, pour désigner Louis XVI, le Parlement de Paris, la Constitution de 1791, la Déclaration de 1789, l’Assemblée des Notables, les Ordres, la séance de la Flagellation, la Révolution, les États-généraux, les Notables). En revanche, il n’a pas été mis de majuscules aux termes ne désignant pas une institution ou un acte en particulier (les parlements, les projets de déclaration, les rangs, la notion de constitution).

(10)

SOMMAIRE

Partie 1. L’origine de l’article 16 : les mutations des conceptions du pouvoir politique et l’invention de la constitution aux XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles

Chapitre 1. La constitution de la société, une création des philosophes jusnaturalistes et contractualistes

Chapitre 2. Le développement des constitutionnalismes parlementaire, patriote et royaliste dans la seconde moitié du XVIIIᵉ siècle

Partie 2. L’adoption de l’article 16 : la consécration de la conception patriote de la constitution

Chapitre 3. Le schisme au sein du constitutionnalisme libéral et la victoire du constitutionnalisme patriote

Chapitre 4. La consécration juridique d’une conception patriote de la constitution

Partie 3. La mythification de l’article 16 de la Déclaration de 1789

Chapitre 5. L’article 16 comme élément de théorie politique Chapitre 6. L’article 16 comme norme constitutionnelle

(11)
(12)

Introduction générale

« L’histoire d’un concept n’est pas, en tout et pour tout, celle de son affinement progressif, de sa

rationalité continûment croissante, de son gradient d’abstraction, mais celle de ses divers champs de constitution et de validité, celle de ses règles successives d’usage, des milieux théoriques et multiples où s’est poursuivie et achevée son élaboration. »

Michel FOUCAULT1

« I have always stressed that the approach I commend is addressed only to those who are interested in

trying to recover the historical identity of philosophical texts. But of course you can do all sorts of things with such texts besides trying to understand them. You can seek solace in them, you can deconstruct them, you can paper the walls with them if you like. I have never been an enemy of such pluralism; I have simply been talking about something else. »

Quentin SKINNER2

1. L’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. » Il fut adopté le 26 août 1789 par l’Assemblée nationale.

Le point de départ de la présente recherche est un constat : l’invocation très fréquente de l’article 16 dans la doctrine publiciste contemporaine et dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans les manuels de droit constitutionnel, il est quasiment toujours cité pour définir la notion3 de constitution et celle de séparation des pouvoirs. Dans la jurisprudence

1 Michel FOUCAULT, L’archéologie du savoir, Gallimard, 1969, p. 11.

2 [T.d.A.] « J’ai toujours souligné que l’approche que je préconise s’adresse seulement à ceux qui veulent essayer de retrouver l’identité historique de textes philosophiques. Mais bien sûr, à part chercher à les comprendre, vous pouvez faire toutes sortes de choses avec de tels textes. Vous pouvez y chercher du réconfort, vous pouvez les déconstruire, vous pouvez vous en servir de papier peint si vous le voulez. Je n’ai jamais été l’ennemi d’un tel pluralisme ; je parle simplement d’autre chose. », « On Encountering the Past – Interview with Quentin Skinner » par Petri KOIKKALAINEN Sami SYRJAMAKI, in Finnish yearbook of political thought, vol. 6., 2002, p. 34 et s. 3 Le terme notion est employé dans le sens de « notion-concept », c’est-à-dire pour désigner l’association d’ un

ensemble d’idée abstraites un mot. Voir sur ce point Jacques GUILHAUMOU et Raymonde MONNIER (dir.), Des

(13)

constitutionnelle, il est invoqué par le Conseil constitutionnel dans un tiers des décisions QPC, et dans un quart des décisions DC depuis 19884. Ces deux types d’interprétation ne se placent pas sur

le même plan. Dans le cas des manuels, il s’agit de resituer l’article 16 dans le cadre d’une histoire des idées constitutionnelles. En revanche, dans le cas du Conseil constitutionnel, l’objet de cette interprétation est d’en déduire une norme juridique. Le premier type d’interprétation présuppose un certain attachement à la signification historique de ce terme, alors que le second n’implique pas nécessairement le souhait de se conformer à la signification originelle de l’article. Ce dernier fait donc l’objet de diverses interprétations lui attribuant diverses significations.

Les termes de signification et d’interprétation sont ici pris dans le sens qu’ils ont dans le langage courant5. L’interprétation de l’article 16 est le processus par lequel un individu ou un

groupe d’individus attribue à cet article une, ou plusieurs, idées ou normes, c’est-à-dire qu’il en détermine une signification6. Le choix du pluriel dans le titre de l’étude se justifie par l’existence

d’une pluralité de significations attribuées à l’article 16, chacune étant le résultat de processus d’interprétation, susceptibles d’être également analysés.

La thèse n’adopte pas une attitude sceptique vis-à-vis de la possibilité de la connaissance de la signification d’un texte au moment de son adoption. Si une réponse définitive ne peut certainement être apportée, une tentative de reconstruction du sens originel, aussi imparfaite soit-elle, semble pouvoir être entreprise. Elle doit néanmoins prendre en compte les critiques adressées aux recherches de significations originelles, notamment celle relatives à l’intentionnalisme7.

À partir de la reconstruction de cette signification originelle, la recherche entreprise vise à déterminer si les interprétations contemporaines de l’article 16, qu’elles soient doctrinales ou jurisprudentielles correspondent à la signification historique de cet article. Parmi les significations

novembre 2002, coll. « études révolutionnaires », n°4, Société des études roberspierristes, 2003, p. 55.

4 Au 1er octobre 2019, l’article 16 a été invoqué par le Conseil constitutionnel dans 233 QPC, sur 703, et dans 139

DC, sur 540 (ce chiffre correspond à la période janvier 1988-octobre 2019). 1988 est la première année où le Conseil s’est expressément fondé sur l’article 16 pour prendre une décision.

5 « Au sens le plus large et le plus général, une interprétation suppose une relation entre deux ensembles de telle sorte que l’ensemble de départ est constitué de signes (ou interpretandum) et l’ensemble d’arrivée (interpretans) d’actions qui s’y rapportent, quel que soit le mode de ce rapport. Elle constitue soit l’action de se référer à l’ensemble de départ soit le résultat de cette action. Mais les manières de se référer à un ensemble de signes peuvent être formellement et matériellement extrêmement différentes selon le degré de détermination de l’interpretans et le médium par lequel l’action se réalise. Formellement, une interprétation sera contenue dans l’intervalle dont les ultimes limites sont d’une part une simple mention de l’interpretandum et d’autre part une stricte réplication. Matériellement, l’interpretans peut consister en toute sorte d’action suffisant à la référence formelle. Il peut s’agir d’un texte ou de toute production de signes, d’un jeu, de toute suite plus ou moins coordonnée d’actions. » Otto PFERSMANN, « Le sophisme onomastique : changer au lieu de connaître. L’interprétation de la Constitution » in

L’interprétation constitutionnelle, Actes de la table ronde de l’Association internationale de droit constitutionnel organisée à Bordeaux les 15 et 16 octobre 2004 sous la direction de Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Dalloz,

2005, p. 33.

6 Dans cette thèse aucune distinction n’est faite entre la notion de sens et celle de signification, qui sont employées de de manière interchangeable.

(14)

attribuées à l’article 16, il serait ainsi possible d’évaluer leur degré d’éloignement vis-à-vis de sa signification originelle. L’étude ne présuppose pas pour autant un devoir de respecter la signification originelle d’un texte, mais cherche simplement à interroger la pertinence de se référer à un texte lorsque l’interprétation qui en est donnée est très éloignée de cette signification historique.

Après avoir abordé la question de l’utilité de l’étude (I) et de la délimitation de son objet (II), il convient d’en exposer la méthode (III), les sources (IV) et la démonstration générale (V). I. Utilité de l’étude

2. Une telle étude pourrait ne pas apparaître immédiatement nécessaire. De nombreux travaux ont déjà été consacrés à la Révolution, à la Déclaration, à la notion de constitution et à celle de séparation des pouvoirs. Il apparaît légitime de se demander si ces études ne répondent pas déjà à la question de la signification de l’article 16 à la Révolution. La première limite des recherches déjà entreprises sur cette question réside dans les sources qu’elles ont retenues (A). En dehors de cette question, les études existantes apparaissent insuffisantes pour comprendre et analyser les significations et interprétations de l’article 16. Peu de recherches ont été consacrées à l’analyse des questions constitutionnelles, c’est-à-dire des éléments relatifs à l’organisation du pouvoir politique, contenues dans la Déclaration (B) et celles portant sur les notions de constitution, de société (C), de séparation des pouvoirs et de garantie des droits (D) ne permettent pas d’en déterminer la signification dans l’article 16. Enfin, s’agissant du droit constitutionnel contemporain, il n’existe pas d’étude d’ensemble de la jurisprudence et de la doctrine portant sur cette disposition (E).

A. Le problème des sources du début de la Révolution

3. Concernant la Révolution, la plupart des travaux juridiques se heurtent à un problème de sources, spécialement pour les débuts de la Révolution. L’historiographie révolutionnaire a, depuis longtemps, fait la critique des Archives parlementaires établies sous la Troisième République8.

Pourtant, en raison de la difficulté de l’accès aux sources de cette période, les travaux juridiques s’en remettent le plus souvent à ces archives pour étudier les débats parlementaires de la Révolution. Ce choix, qui s’explique pour des raisons pratiques, apparaît néanmoins discutable, spécialement s’agissant de la période allant de l’ouverture des États-généraux à la fin de l’année

8 Par exemple, dès 1901, François-Alphonse AULARD explique qu’il « ne [s’est] jamais servi de ces Archives pour les débats des Assemblées. Le récit des séances qu’on y trouve est fait sans méthode, sans critique, sans indication de sources. On ne sait pas ce que c’est. Si ce recueil est officiel par son mode de publication, les comptes rendus des débats qu’il contient ne sont pas officiels, et n’ont aucun caractère d’authenticité. » Histoire politique de la

Révolution francaise, origines et développement de la démocratie et de la République (1789-1804), 2 vol., Armand

(15)

17899.

Pour cette période, cela conduit notamment à exclure de l’étude des débuts de la Révolution les discours des privilégiés et certains actes royaux. Le débat qui a lieu du mois du mai au mois d’août 1789 est alors présenté de manière extrêmement tronquée, ce qui ne permet pas une pleine compréhension du contexte politique. Cette lecture conduit souvent à penser la Révolution comme une révolte contre l’absolutisme, ce qui ne prend en compte ni les tendances libérales de certains ministres du Roi et d’une partie des privilégiés, ni la bataille que mène le Tiers contre les Ordres privilégiés. Seuls les discours des patriotes sont analysés et ces discours sont coupés de leur contexte plus large d’énonciation.

L’abandon des Archives parlementaires au profit de sources plus hétérogènes a permis à la présente recherche de présenter de nouveaux résultats sur des questions qui avaient déjà été abordées sur la base des Archives parlementaires. Les sources choisies sur cette période donnent moins l’impression de l’accès à un débat parlementaire dans les formes qu’il peut prendre aujourd’hui. Néanmoins, elles permettent un nouvel éclairage sur les débats du début de la Révolution.

Ce problème du choix des sources et de la vision partielle du débat constituant de la Révolution qu’elles offrent est par exemple illustré dans la thèse de Pierre Duclos portant sur la notion de Constitution dans l’œuvre de l’Assemblée constituante de 178910.

B. L’insuffisance des études consacrées aux questions constitutionnelles contenues dans la Déclaration

4. S’agissant de la Déclaration, l’ouvrage de Stéphane Rials apparaît comme une référence tant pour les juristes que pour les historiens. Il précise dans son avant-propos qu’il a fait « le choix de privilégier dans [sa] présentation la question de la signification des droits de l’homme et du citoyen et de laisser en partie dans l’ombre […] non seulement la question de la souveraineté mais l’étude des linéaments ambigus du constitutionnalisme ultérieur que comporte la Déclaration. »11 Aussi, s’il

consacre quelques pages à l’article 1612, il ne fait pas des notions de constitution et de séparation

des pouvoirs l’objet central de son étude.

L’important travail de Stéphane Rials informe néanmoins sur l’intérêt d’entreprendre une telle recherche historique, tant du point de vue de l’histoire des idées politiques, que de l’histoire politique elle-même13. S’agissant de l’aspect proprement historique du processus d’adoption de la

9 Voir infra, Sources.

10 Pierre DUCLOS, La notion de Constitution dans l’œuvre de l’Assemblée constituante de 1789, Dalloz, 1932. 11 Stéphane RIALS, La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Hachette, coll. "Pluriel", 1988, p. 15. 12 Ibid., p. 251-255 et 373-376.

13 « Outre l’intérêt propre que l’histoire de la production d’un tel texte présente, elle permet d’une part d’éviter certains des probables contresens multipliés par ceux qui le prennent en lui-même – ce qui peut être de bonne méthode pour un juge mais ne saurait l’être pour qui essaie de comprendre quelle(s) signification(s) subjective(s) il a pu revêtir

(16)

Déclaration, l’essentiel se trouve dans son ouvrage. Cependant, l’utilisation d’autres sources dans la présente étude permet d’apporter un éclairage nouveau sur certains aspects14.

5. La déclaration, étudiée à de nombreuses reprises15, l’a donc peu été sous l’angle des

principes politiques qu’elle pose et souvent en utilisant uniquement les Archives parlementaires pour étudier les débats révolutionnaires. La présente étude entend ainsi proposer une présentation de l’origine à la fois intellectuelle et politique de l’article 16.

C. L’insuffisance des études consacrées à l’histoire des termes de constitution et de société

6. Concernant la notion de constitution, la plupart des ouvrages qui y sont consacrés s’intéressent au concept de constitution, et ce indépendamment de l’emploi du terme de constitution lui-même. La question de la signification de ce terme au XVIIIᵉ siècle est le plus souvent évacuée pour se concentrer sur le concept, qui pourrait se retrouver sous des terminologies variées. La littérature sur ce point est extrêmement abondante. Le travail de Paul Bastid offre un panorama général de l’histoire de l’idée de constitution16. Sur la période médiévale, l’ouvrage de référence est

celui de J. G. A. Pocock17. Avec des délimitations temporelles incluant le XVIIIᵉ siècle, il est

pour ses auteurs – et d’autre part de ne pas éluder certaines des questions qui se sont posées en cours de route – fallait-il une déclaration ? et, si oui, fallait-il une déclaration autonome au regard de la constitution ? fallait-il une déclaration des droits ou une déclaration des droits et des devoirs ? – mais dont, une fois un parti adopté, rien n’a subsisté dans le document final. » Ibid., p. 15.

14 Stéphane Rials explique qu’il a fait « le choix de privilégier, certes non exclusivement, [les Archives parlementaires] en dépit de certains de ses défauts souvent – à bon droit – soulignés. » Ibid., p. 15.

15 Voir par exemple : George JELLINEK, La déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Contribution à

l’Histoire du droit constitutionnel moderne, 1902 ; Émile BOUTMY, « La déclaration des droits de l’homme et du

citoyen et M. Jellinek » in Annales des sciences politiques, Tome XVII, Juillet 1902, p. 415 ; George JELLINEK, « La déclaration des droits de l’homme et du citoyen (Réponse de M. Jellinek à M. Boutmy) » in R.D.P., Tome XVIII, p. 25 ; Vincent MARCAGGI, Les origines de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, Fontemoing, 1912 ; Jean MORANGE, La déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (26 août 1789), P.U.F., coll. « Que sais-je? », 3ème éd., 2002 ; Gérard CONAC, Marc DEBENE, Gérard TEBOUL (dir.), La déclaration des droits de

l’homme et du citoyen de 1789, Histoire analyse et commentaires, Economia, 1993 ; Jean-Pierre DUBOIS,

« Déclaration des droits et dispositions fondamentales » in 1791 La première constitution francaise, Actes du

colloque de Dijon 26 et 27 septembre 1991 sous la direction de Jean BART, Jean-Jacques CLÈRE, Claude

COURVOISIER, Michel VERPEAUX, Economia, 1993, p. 43 ; Michel GANZIN, « La Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen : droit naturel et droit positif » in Jean IMBERT, Henri MOREL, Germain SICARD, Michel GANZIN, Antoine LECA, Christian BRUSCHI, Les principes de 1789, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1989, p. 81 ; Patrick WACHSMANN, « Déclaration ou constitution des droits ? » in 1789 et l’invention de la

Constitution, Actes du colloque de Paris organisé par l’Association Francaise de Science Politique : 2, 3 et 4 mars 1989 sous la direction de Michel TROPER et Lucien JAUME, L.D.G.J. / Bruylant, 1994, p. 44 ; Id., « Naturalisme

et volontarisme dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789 » in Droits, n°2, 1985, p. 13 ; Marcel THOMANN, « Origines et sources doctrinales de la Déclaration des droits » in Droits, n°8, 1988, p. 55 ; Michel TROPER, « La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789 » in La Déclaration des droits de l’homme

et du citoyen et la jurisprudence, Colloque des 25 et 26 mai 1989 au Conseil constitutionnel, P.U.F., 1989, p. 13.

16 Paul BASTID, L’idée de constitution, coll. « Classiques », série politique et constitutionnelle, Economia, 1985. 17 §6. J. G. A. POCOCK, The ancient constitution and the feudal law. A study of English historical thought in the

Seventeenth century, Cambridge University press, Cambridge, 1957, réd. 1987 ; L’ancienne constitution et le droit féodal. Étude sur la pensée historique dans l’Angleterre du XVIIᵉ, P.U.F., 2000.

(17)

possible de citer les études d’Élie Carcassonne18, d’Élina Lemaire19, de Philippe Pichot-Bravard20,

d’Apostolos Papatolias21, de Claude Courvoisier22 et de Mauro Barberis23.

7. Quelques travaux se sont concentrés plus précisément sur le terme de constitution et sa construction conceptuelle. Dans le contexte anglais, l’article de Gerald Stourzh24 apporte un

éclairage bienvenu, mais il ne traite pas du cas français. En France, les premiers travaux sur le vocabulaire révolutionnaire sont anciens. Ferdinand Brunot consacre un tome entier de son Histoire

de la langue francaise à la Révolution et à l’Empire25. Deux thèses dédiées au vocabulaire

révolutionnaire de la seconde moitié du XVIIIᵉ siècle paraissent dans le premier quart du XXᵉ siècle26. Toutefois, ces travaux lexicologiques ne font que rendre compte des mutations et des

évolutions du langage sans rechercher les causes de telles mutations ou les raisons politiques de telles évolutions. Cette question a été abordée notamment dans la thèse d’Arnaud Vergne27 et dans

un article de Wolfgang Schmale28 qui traitent de la place qu’a pris la notion de constitution dans les

discours des parlements et des cours de l’Ancien Régime.

Plusieurs études ont été consacrées à la signification du terme de constitution chez certains auteurs. Pasquale Pasquino consacre un ouvrage à Sieyes et l’invention de la constitution en

France29, et Jacques Guilhaumou a étudié cette notion chez Sieyes30 en lien avec celle de norme et

18 Élie CARCASSONNE, Montesquieu et le problème de la Constitution francaise au XVIIIe siècle, Slatkine Reprints, Genève, 1978, réimpression de l’édition de Paris, 1927.

19 Elina LEMAIRE, Grande robe et liberté, La magistrature ancienne et les institutions libérales, P.U.F., coll. « Léviathan », 2010.

20 Philippe PICHOT-BRAVARD, Conserver l’ordre constitutionnel (XVIe-XIXe siècle), Paris, LGDJ, coll. « Bibliothèque d’histoire du droit et droit romain », 2011.

21 Apostolos PAPATOLIAS, Conception mécaniste et conception normative de la Constitution, coll. « Bibliothèque européenne Droit constitutionnel-Science politique », Sakkoulas/Bruylant, 2000.

22 Claude COURVOISIER, « L’idée de Constitution dans les cahiers de doléances » in 1791 La première constitution

francaise, Actes du colloque de Dijon 26 et 27 septembre 1991 sous la direction de Jean BART, Jean-Jacques

CLÈRE, Claude COURVOISIER, Michel VERPEAUX, Economia, 1993, p. 67.

23 Mauro BARBERIS, « Idéologies de la constitution – Histoire du constitutionnalisme » in Traité international de

droit constitutionnel, Théorie de la Constitution, sous la direction de Michel TROPER et Dominique

CHAGNOLLAUD, Dalloz, coll. « Traités Dalloz », 2012, p. 117.

24 Gerald STOURZH, « Constitution : Changing Meanings of the Term from the Early Seventeenth to the Late Eighteenth Century » in Conceptual change and the constitution, University Press of Kansas, 1988, p. 35. Trad. « Constitution - Évolution des significations du terme depuis le début du XVIIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe siècle » in Droits, n°29, 1999, p. 157.

25 Ferdinand BRUNOT, Histoire de la langue francaise des origines à nos jours, Tome VI, Le XVIIIe siècle, Première

partie : le mouvement des idées et les vocabulaires techniques, Armand Colin, Paris, 1966, p. 427 et s.

26 Max FREY, Les transformations du vocabulaire francais à l’époque de la Révolution (1789-1800), P.U.F., Paris, 1925 ; Ferdinand GOHIN, Les transformations de la langue francaise pendant la deuxième moitié du XVIIIᵉ siècle

(1740-1789), Paris, 1903.

27 Arnaud VERGNE, La notion de constitution d’après les cours et assemblées à la fin de l’Ancien Régime

(1750-1789), coll. « Romanité et modernité du droit », De Brocard, 2006.

28 Wolfgang SCHMALE, « La France, l’Allemagne et la Constitution (1789-1815) » in Annales historiques de la

Révolution francaise, n°286, 1991, p. 459.

29 Odile Jacob, 1998.

30 Sur le choix de cette orthographe sans accent voir Pasquale PASQUINO, Sieyes et l’invention de la constitution en

(18)

de nation31. Édourd Tillet a consacré un article aux usages qu’en fait Montesquieu dans ses écrits.

Un article récent d’Olivier Beaud propose une histoire du concept de constitution en France ; cet article se concentre principalement sur deux auteurs : Montesquieu et Sieyes. M. Reale a consacré une étude à la place de cette notion dans l’œuvre de Rousseau32.

D’autres recherches se sont concentrées sur un courant idéologique précis. Michel Ganzin s’est intéressé au concept de constitution dans la pensée jusnaturaliste33, Bernard Herencia à celui

des physiocrates34.

Enfin, plusieurs études d’histoire sont dédiées au débat sur l’existence de la constitution à la veille de la Révolution, mais cette vision partielle de l’histoire de cette notion perd un peu de vue le cadre plus large dans lequel s’inscrit ce débat35. Elle conduit notamment à présenter les conceptions

défendues par les privilégiés comme classique ou descriptive, alors que l’étude des périodes antérieures à la Révolution conduit à relativiser une telle affirmation.

L’ensemble de ces travaux ne suffit néanmoins pas à déterminer précisément la signification, ou les significations du terme de constitution en 1789, encore moins lorsque ce dernier est associé à celui de société.

8. S’agissant de l’étude de l’emploi du terme de constitution au cours de la Prérévolution36 et

de la Révolution, les travaux disponibles se sont peu concentrés sur l’emploi de ce terme dans les institutions de l’Ancien Régime. Pourtant, la notion de constitution n’apparaît pas à la Révolution ; elle est présente et débattue à la fois dans les institutions et dans des écrits juridiques et politiques dès la moitié du XVIIIᵉ siècle, et avec une plus grande intensité à compter des années 1770. Les députés de 1789 n’inventent donc pas cette notion ; ils en héritent. Pour comprendre l’emploi qu’ils en font, et en particulier la rupture ou la continuité que représente cet usage, il apparaît nécessaire d’avoir une perspective plus large sur la signification des notions de constitution et de société.

La thèse d’Arnaud Vergne, consacrée aux cours et aux assemblées à la fin de l’Ancien

31 Jacques GUILHAUMOU, « Sieyès et la “langue propre” du législateur-philosophe. Constitution, norme et nation » in La genèse de la norme, colloque de la société d’histoire et d’épistémologie des sciences du langage (SHESL),

janvier 1994, Archives et documents de la SHESL, Seconde série n°11, Tour, Juin 1995.

32 M. REALE, « constitution » in Dictionnaire de Jean-Jacques Rousseau sous la direction de Raymond TROUSSON et Frédéric S. EIGELDINGER, Paris , Honoré Champion, 1996, p. 173.

33 Michel GANZIN, « Le concept de constitution dans la pensée jusnaturaliste » in Association Francaise des

historiens des idées politiques, La constitution dans la pensée politique, Acte du colloque de Bastia (7-8 septembre 2000), P.U.A.M., 2001, p. 167.

34 Bernard HERENCIA, « Recherches pour une constitution physiocratique » , Annales historiques de la Révolution

francaise, n° 378, octobre-décembre 2014, p. 3.

35 Marina VALENSISE, « La constitution française » in The French Revolution and the creation of modern political

culture, sous la direction de Keith Michael BAKER, vol. 1, Pergamon Press, 1987, p. 441 ; Henri DURANTON,

« La France a-t-elle une Constitution ? Un aspect du débat idéologique à l’aube de la Révolution » in Cahiers de

l’Institut de recherches marxistes, n° 32 « La Révolution française modèle ou voie spécifique ? », 1988, p. 142-152.

(19)

Régime, présente les différentes conceptions et utilisations pratiques de la notion de constitution dans ces institutions. Néanmoins, la période de la Prérévolution n’y fait pas l’objet d’une étude séparée. Pour la pleine compréhension de cette notion à la Révolution, il est apparu pertinent, en s’appuyant notamment sur cette étude, d’analyser la redéfinition dont elle fait l’objet à cette époque. En outre, il a paru intéressant de non seulement de reconstituer le discours des cours, mais également de les comparer à celui qui pouvait être tenu dans des brochures paraissant à la même période. Enfin, Arnaud Vergne, s’étant intéressé au discours d’opposition des cours souveraines et des différentes assemblées ayant participé au débat public de la fin de l’Ancien Régime, a laissé libre le champ des travaux liminaires des États-généraux et de l’Assemblée nationale qui, à la veille de l’adoption de la Déclaration des droits, apparaissent comme particulièrement éclairants pour comprendre le sens du mot « constitution » en 1789.

S’agissant de cette dernière période, les discours du Roi et des ministres sur la notion de constitution ont été peu étudiés. De même, parmi les débats ayant eu lieu avant la réunion des Ordres, la plupart des travaux ne se sont appuyés que sur ceux qui se déroulent au sein de l’Assemblée des députés du Tiers devenue ensuite Assemblée nationale. Les discussions se déroulant hors de cette assemblée n’ont pas été analysées par la doctrine juridique. La notion de constitution défendue par les conservateurs au printemps 1789 est largement méconnue : les discours tenus dans les chambres des Ordres privilégiés, et les débats entre les représentants des Ordres et ceux du Tiers-état au sein des conférences pour la vérification des pouvoirs, aussi appelées conférences conciliatoires, font dans la présente étude l’objet d’un examen approfondi.

9. S’agissant de la notion de société, elle a fait l’objet de moins de travaux. Certains articles ont pu se concentrer sur la notion de société chez un auteur en particulier comme l’article de M. Reale consacré à l’usage de ce terme chez Rousseau37 ou celui de Jean-Fabien Spitz dédié à la

distinction entre société et gouvernement chez Locke38. En philosophie politique, les

développements sur les théories du contrat social sont extrêmement nombreux39, mais ces

présentations s’intéressent rarement à la circulation du terme de société, Jean Terrel et Simone Goyard-Fabre ont, pour leur part, étudié les théories du contrat social, sans nécessairement s’attacher à l’emploi de ce mot. D’un point de vue historique, les sociétés de pensée furent étudiées

37 « Société / État civil », in Dictionnaire de Jean-Jacques Rousseau sous la direction de Raymond TROUSSON et Frédéric S. EIGELDINGER, Paris , Honoré Champion, 1996, p. 858.

38 Jean-Fabien SPITZ, « Les sources de la distinction entre société et gouvernement chez Locke » in Aspects de la

pensée médiévale dans la philosophie politique moderne sous la direction de Yves-Charles Zarka, coll.

« fondements de la politique », P.U.F., 1999, p. 247.

39 Voir par exemple, Simone GOYARD-FABRE, L’interminable querelle du contrat social, éd. de l’Université d’Ottawa, Ottawa, 1983 ; Jean TERREL, Les théories du pacte social. Droit naturel, souveraineté et contrat de

(20)

par Augustin Cochin40 et Fred E. Schrader41.

La première étude relative au terme de société est dû à Ferdinand Brunot42. Cette réflexion a

été poursuivie par Sonia Branca-Rosoff et Jacques Guilhaumou43. Elle a été complétée par

l’important cycle de conférences que Bruno Bernardi consacre à l’histoire du concept de société civile44. Ces études très riches sur la notion de société, ne la relient pas souvent à celle de

constitution. Il est apparu intéressant de voir les rapports qu’entretiennent les notions de société et de constitution dans les écrits de théorie politique.

10. L’étude des institutions et celle des idées politiques sont restées pour l’essentiel isolées l’une de l’autre, ou se sont mutuellement exclues. Les travaux de Keith Michael Baker font à cet égard figure d’exception45. L’article que Michel Pertué consacre à la notion de constitution à la fin du 18e

siècle46, et qui rend compte de manière fidèle d’une certaine conception de la constitution à cette

période, ne considère pas comme réellement pertinentes les recherches relatives à l’emploi de cette notion par les parlements d’Ancien Régime. Cette exclusion se justifie par l’idée qu’il serait illusoire de penser que les parlementaires « auraient occupé un lieu neutre, extérieur aux conflits internes des milieux dirigeants et par conséquent de réinscrire les rapports des cours souveraines avec la royauté dans un cadre judiciaire réel et serein »47. Il enjoint à ne pas « être dupe de la parole

des parlementaires qui poussaient à sa limite l’exercice de leurs prérogatives judiciaires pour tenter de jouer un rôle qui n’était pas le leur »48. Ces affirmations ne semblent pas réellement contestables.

Néanmoins, les patriotes n’ont pas non plus occupé un lieu neutre et la notion de constitution qu’ils forgent sert également à défendre leurs intérêts. Dans la présente étude le parti patriote est défini comme celui défendant, à la suite des théoriciens jusnaturalistes et contractualistes, l’idée qu’une

40 Augustin COCHIN, Les sociétés de pensée et la démocratie, 1920.

41 Fred E. SCHRADER, « Les sociétés secrètes et la Révolution (1740-1789) : sociabilités et socialisations » in

Cahiers d’histoire de l’institut de recherches marxistes, n°32, « La Révolution française, modèle ou voie

spécifique ? », p. 136.

42 Ferdinand BRUNOT, Histoire de la langue francaise des origines à nos jours, Tome VI, Le XVIIIe siècle, Première

partie : le mouvement des idées et les vocabulaires techniques, Armand Colin, Paris, 1966, p. 100 et s.

43 Sonia BRANCA-ROSOFF, Jacques GUILHAUMOU, « De "société" à "socialisme" : l’invention néologique et son contexte discursif. Essai de colinguisme appliqué » in Langage et société, n°83-84, Colinguisme et lexicographie, 1998, p. 39-77 ; Jacques GUILHAUMOU, « Nation, individu et société chez Sieyès » i n Genèses, n° 26, Représentations nationales et pouvoirs d’Etat, 1997, p. 4-24.

44 Bruno BERNARDI, « Société civile: genèse et actualité d’un concept » cycle de séminaire dont la retranscription est disponible en ligne, https://rousseau2.wordpress.com/etudes-dhistoire-conceptuelle/.

45 Keith Michael BAKER, « Constitution » in Dictionnaire critique de la Révolution francaise sous la direction de François FURET et Mona OZOUF, Flammarion, 1988, p. 537 ; Keith Michael BAKER, Au tribunal de l’opinion.

Essai sur l’imaginaire politique au XVIIIᵉ siècle, Payot, 1993.

46 Michel PERTUÉ, « La notion de constitution à la fin du 18e siècle » in Des notions-concepts en révolution autour

de la liberté politique à la fin du XVIIIe siècle. Journée d’études du 23 novembre 2002 sous a direction de Jacques

GUILHAUMOU et Raymonde MONNIER, coll. « études révolutionnaires », n°4, Société des études roberspierristes, 2003, p. 39.

47 Ibid., p. 42. 48 Ibid.

(21)

société composée d’individus libres et égaux, disposant de droit naturels et sociaux, a la compétence, en tant que nation, d’établir une constitution.

L’étude de l’emploi de la notion de constitution dans la doctrine patriote et celle de son usage dans les débats institutionnels sont donc souvent séparées, ce qui ne permet pas une pleine compréhension de la signification de cette notion à la veille et au début de la Révolution.

D. L’insuffisance des études consacrées aux notions de garantie des droits et de séparation des pouvoirs en 1789

11. Concernant la notion de séparation des pouvoirs à la Révolution, l’étude de référence sur le sujet est l’ouvrage de Michel Troper49. Cette thèse, par une étude des mécanismes constitutionnels

des constitutions révolutionnaires, identifie deux modèles de séparation des pouvoirs qui sont parfois en concurrence, parfois combinés à la Révolution : la balance des pouvoirs et la séparation des autorités. Cette étude, dont l’apport est indéniable, fait néanmoins une lecture des débuts de la Révolution discutable, l’analysant comme un simple rejet de l’absolutisme. Cette vision partielle de la période des débuts de la Révolution s’explique certainement par le choix des sources de l’étude : les Archives parlementaires. Cela conduit à ne prendre en compte ni les discussions constitutionnelles de la Prérévolution, ni les discours des conservateurs exprimés hors de l’Assemblée nationale.

L’interprétation que Michel Troper fait de la notion de séparation des pouvoirs dans l’article 16 est guidée par l’idée qu’elle n’est qu’un principe purement négatif : le rejet de la concentration des pouvoirs. Cette conclusion est due à une analyse partielle et rétrospective. En premier lieu, elle ne prendre en compte que le cadre des discussions dans l’Assemblée pour considérer le principe comme consensuel. En second lieu, elle repose sur l’idée que puisque les députés de l’Assemblée nationale de 1789 ne sont pas parvenus à se mettre rapidement d’accord sur une séparation des pouvoirs, c’est que cette notion était indéterminée pour eux. Il apparaît pertinent d’entreprendre une étude de la notion de séparation des pouvoirs contenue dans l’article 16, qui ne soit pas simplement déduite d’événements postérieurs, mais repose au contraire sur l’analyse des discussions antérieures à son adoption.

12. L’autre travail d’ampleur mené sur la notion de séparation des pouvoirs est celui de Carlos-Miguel Pimentel50. Ces recherches approfondies et précises offrent une perspective claire de

49 Michel TROPER, La séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle francaise, L.G.D.J., 1973.

50 Carlos-Miguel PIMENTEL, « Le sanctuaire vide : la séparation des pouvoirs comme superstition juridique ? »,

Pouvoirs, vol. 102, no. 3, 2002, p. 119-131 ; « De l’État de droit a l’État de jurisprudence ? Le juge de l’habilitation

et la séparation des pouvoirs » La séparation des pouvoirs. Théorie contestée et pratique renouvelée, Actes de la

(22)

l’histoire de l’idée de séparation des pouvoirs. Elles ne s’attachent néanmoins pas précisément à déterminer la signification de l’expression de séparation des pouvoirs à l’été 1789.

13. S’agissant de la notion de garantie des droits à la Révolution, peu d’études y ont été dédiées. Patrice Rolland51 a consacré un important article à la garantie des droits dans la Constitution de l’an

III, mais cette analyse ne remonte pas jusqu’à l’année 1789. Ce que recouvrait à cette notion l’été 1789 reste donc peu connu.

14. La présente étude se propose donc de rechercher quels groupes réclament une séparation des pouvoirs et une garantie des droits, de rechercher quelles peuvent être les sources de cette idée et de comprendre face à quelles autres conceptions des buts et des modalités de l’organisation politique elle est construite. L’étude des discours des conservateurs permet d’identifier notamment la défense d’une autre séparation, celle des Ordres, et la réclamation de la garantie de droits qui ne sont pas attachés à des individus, mais à des corporations.

E. L’absence d’étude d’ensemble de la jurisprudence et de la doctrine constitutionnelles relatives à l’article 16

15. Concernant l’invocation de l’article 16, peu études y ont été consacrées. Pour la période révolutionnaire, la thèse d’Isabelle Anselme est limitée à l’invocation de la Déclaration sous la législative et l’invocation de l’article 16 ne fait pas l’objet d’une étude spécifique, mais est intégrée aux développements relatif à la séparation des pouvoirs52.

S’agissant de l’invocation de l’article 16 dans la doctrine constitutionnelle, aucune étude n’a été menée pour analyser comment la doctrine constitutionnaliste l’interprète. L’utilisation qu’en fait le Conseil constitutionnel a fait l’objet de davantage d’études qui analysent les droits et principes qu’il fonde sur cet article. Néanmoins, ces travaux restent, pour l’essentiel, guidés par la volonté d’étudier un ou plusieurs droits ou principes, mais non l’invocation générale de l’article 16. Un article a été consacré à la jurisprudence du Conseil constitutionnel a qualifié l’article 16 de clef de voûte des droits et libertés53. Cet article vise essentiellement à faire l’éloge de la jurisprudence du

Conseil. Les études jurisprudentielles sont dans l’ensemble relativement indifférentes à la signification originelle de l’article 16, sans nécessairement analyser les mécanismes d’interprétation

d’Alain PARIENTE, Dalloz, 2007, p. 9.

51 Patrice ROLLAND, « La garantie des droits » in La Constitution de l’an III ou l’ordre républicain, Actes du

colloque de Dijon 3 et 4 octobre 1996, Editions de l’Université de Dijon, 1998, p. 28.

52 Isabelle ANSELME, L’invocation de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dans les débats de

l’Assemblée législative (1791-1792), coll. « Bibliothèque d’histoire du droit et de droit romain », L.G.D.J., 2013.

53 Régis FRAISSE, « L’article 16 de la Déclaration clef de voûte des droits et libertés » in Les nouveaux cahiers du

(23)

mis en œuvre. En conséquence, aucune comparaison systématique entre la signification historique supposée de cette disposition et l’interprétation qu’en donne le Conseil n’a été entreprise.

16. En s’appuyant sur les résultats des recherches historiques, l’étude se propose de comparer la signification originelle, telle qu’elle est reconstituée, avec les significations qui lui sont attribuées. Cette comparaison a pour but, d’abord, de mesurer la distance entre la signification historique de la disposition et son interprétation et, ensuite, de tenter de comprendre comment se construisent et s’élaborent de nouvelles significations, souvent relativement éloignées du sens qu’avait ce texte au moment de son adoption.

II. Définition de l’objet de l’étude

17. La détermination de la signification originelle de l’article 16 ainsi que l’étude de ses interprétations contemporaines implique d’engager des recherches à la fois sur le contexte de production de l’article 16 et sur ses contextes d’interprétation.

La présente étude propose de renouveler la question de l’analyse de l’article 16 de la Déclaration : premièrement, en retenant une approche de l’histoire des idées et de l’histoire politique appuyée sur un cadre plus large que l’immédiate Révolution ; deuxièmement, en mobilisant des corpus n’ayant pas fait l’objet d’une étude approfondie par des juristes ; troisièmement, en employant pour les analyser des méthodes différentes de celles habituellement employées.

Avant d’aborder la question de la méthode et des sources, il convient de délimiter l’objet (A) et les bornes temporelles de la présente étude (B).

A. Délimitation de l’objet

18. L’étude des significations et des interprétations de l’article 16 aurait pu recouvrir presque l’ensemble du droit constitutionnel, et une bonne partie de l’histoire des idées politiques. Les concepts de constitution, de société, de séparation des pouvoirs et de garantie des droits recouvrent un champ extrêmement étendu. Les droits et principes consacrés par le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 16 renvoient également à des notions très larges : la séparation des pouvoirs, le droit au juge, la sécurité juridique ainsi que le droit au procès équitable et à des procédures justes et équitables.

L’importance du champ conceptuel entourant l’article 16 exclut une étude exhaustive de chacun des concepts qui s’y rattachent. L’étude se concentre donc sur l’article 16 comme texte. Deux décisions ont guidé la recherche. Premièrement, pour comprendre la signification de l’article

(24)

16 au moment de son adoption, une analyse retrospective est menée. L’étude s’attache à une perspective lexicale des termes de l’article 16, à l’exclusion de la recherche de la même « idée » sous d’autres termes. Ainsi, la définition des corpus étudiés est guidée par la présence des mots de l’article 16 dans ces corpus, et principalement des mots de constitution et de société. Deuxièmement, pour l’étude des interprétations de l’article 16 postérieure à son adoption, le critère est celui de l’invocation de l’article 16, et non simplement de la parenté avec l’idée qu’il semblerait contenir.

19. La nécessité d’étendre les bornes temporelles de l’étude au delà de la simple période révolutionnaire s’est rapidement imposée, afin de saisir pleinement le contexte dans lequel s’insère l’adoption de l’article 16. En excluant de l’analyse les éléments extérieurs au débat ayant lieu dans l’Assemblée, il n’apparaît pas possible de saisir pleinement sa signification. Du point de vue politique, l’article 16 est une prise de position sur ce qu’est une constitution, et cette prise de position ne peut être considérée comme consensuelle que si les éléments pris en compte se limitent aux discussions ayant lieu dans l’Assemblée le 26 août 1789. Si un cadre plus large est retenu, incluant par exemple les diverses prises de positions de l’Ordre de la Noblesse ou de certaines institutions de l’Ancien Régime, alors l’article 16 n’a plus un caractère consensuel. Il est au contraire un acte politique visant à invalider la conception de la constitution défendue par les royalistes, les parlementaires et les conservateurs. Il justifie la Révolution, autant qu’il trace les lignes communes des projets des patriotes. L’analyse du constitutionnalisme conservateur permet aussi de révéler qu’il n’est pas au service du despotisme ou de l’absolutisme, et donc que la lecture de l’article 16 comme simple rejet du despotisme ou de la monarchie absolue est extrêmement partielle.

De même, si le contexte pertinent n’est pas limité à la période de la Révolution, les transformations que connait la notion de constitution peuvent apparaître plus clairement. L’étude de la circulation de ce concept en France, à compter des années 1750, permet d’identifier quels groupes mobilisent cette notion, comment ils la définissent, à quels fins ils l’utilisent. Cette étude permet ainsi de repérer l’existence de différentes conceptions de la constitution mises en concurrence, spécialement à compter des années 1770. L’analyse des sources philosophiques des théories constitutionnalistes est également apparue pertinente pour comprendre les références mobilisées, à des degrés divers, par l’ensemble des constitutionnalismes.

Dans le cadre de cette étude, la notion de constitutionnalisme ne revoient pas nécessairement à un mouvement des idées politiques qui aurait pour objet d’obtenir la limitation du pouvoir par le droit. Elle est simplement employée pour désigner l’utilisation du terme de constitution en vue de

(25)

défendre une position politique ou juridique. Cette notion sert à caractériser les stratégies discursives utilisant le terme de constitution en identifiant quels acteurs ou institutions emploient ce mot, quand et à quelles fins ils l’emploient et ce qu’ils veulent faire en l’invoquant. Cette définition du constitutionnalisme est donc différente du sens habituellement admis pour ce terme, puisqu’elle se concentre non sur l’idée de limitation et de réglementation du pouvoir politique, qui pourrait être dénotée par de nombreux termes, mais s’intéresse uniquement à l’invocation de la constitution. Un constitutionnalisme se caractérise alors par l’existence d’une doctrine relativement uniforme qui tend généralement à défendre les intérêts du groupe qui s’en prévaut.

Le choix d’une contextualisation large permet notamment de comprendre qu’une notion de constitution très proche de la conception patriote est défendue par les parlementaires au cours de la Prérévolution, alors qu’une partie de ce même groupe s’attèle à redéfinir cette notion à partir de l’été 1788 dans un sens très conservateur. L’analyse de ces discours successifs fait apparaître l’absence de caractère neutre et descriptif de la notion de constitution défendue par certains privilégiés à la Révolution.

Cette prise en compte d’un contexte étendu permet d’analyser les inflexions que connaît la notion de constitution et de percevoir la diversité de ses acceptions non comme une forme de confusion temporaire due au fait que ce concept serait mal dégrossi, mais au contraire comme une concurrence entre de conceptions différentes de la constitution, conduisant parfois à une redéfinition afin de servir de nouveaux intérêts. La présente étude se propose ainsi d’étudier ces différents courants afin d’en identifier les spécificités et les points communs, pour restituer le caractère pluraliste du constitutionnalisme de l’Ancien Régime, et rompre avec la présentation d’un mouvement unitaire et progressif. L’objectif étant de comprendre dans quel cadre s’inscrit l’adoption de l’article 16 et à quel mouvement il appartient. À cet égard, il est apparu pertinent pour pleinement comprendre les notions de constitution et de société de relier l’étude de trois champs souvent relativement séparés : l’histoire des idées politiques, l’histoire du droit public et l’histoire politique de la Révolution.

20. S’agissant des interprétations contemporaines, il a semblé pertinent de tenter d’offrir un panorama des diverses idées ou principes juridiques rattachées aujourd’hui à l’article 16 tant par la doctrine que par le Conseil constitutionnel. L’étude de la doctrine s’est particulièrement concentrée sur son invocation dans les manuels de droit constitutionnel et dans les constructions visant à le proposer au Conseil constitutionnel comme nouveau fondement pour un droit ou un principe donné. L’étude de la jurisprudence a été limitée à l’analyse du rattachement d’une norme constitutionnelle

(26)

à l’article 16, à la fois pour voir le lien qui existe ou non avec la signification originelle de ce texte et pour comprendre par quel processus ces nouvelles significations ont été attribuées.

Le constat d’une dissociation entre la signification originelle de l’article 16 et la plupart de ses interprétations ont conduit à tenter de déterminer comment de nouvelles significations étaient apparues. Pour comprendre les interprétations de l’article 16 en tant qu’élément de théorie politique, plusieurs théories constitutionnelles des XIXᵉ et XXᵉ siècles ont été étudiées. Pour analyser ses interprétations en tant que norme constitutionnelle, les recherches ont porté à la fois son invocation dans la Constituante et dans la Législative, puis dans la doctrine juridique pour inciter le Conseil à faire évoluer sa jurisprudence.

B. Bornes temporelles

21. La recherche a été triplement limitée d’un point de vue temporel.

La première délimitation concerne les écrits philosophiques et politiques étudiés : cette délimitation temporelle est liée à la présence, dans ces textes, des termes de constitution et de société. Elle se concentre ainsi essentiellement sur le XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles.

La seconde concerne la détermination du contexte politique pertinent de l’adoption de la Déclaration. Trois périodes historiques successives ont été retenues. La première est celle de la crise de la Monarchie dans le temps relativement long, à compter du règne de Louis XV, et en particulier à compter de la parution de l’Esprit des lois, en 1748. La délimitation de cette première période (1748-1787) a été guidée par les travaux d’Arnaud Vergne54, de Jean Égret55 et de François

Olivier-Martin56, relatifs aux affrontements entre les Rois, Louis XV et Louis XVI, et les parlements

d’Ancien Régime. La seconde période est souvent désignée sous le nom de Prérévolution. Ce terme est celui de Pierre Caron ; il fut repris dans l’ouvrage éponyme de Jean Égret57. La Prérévolution

correspond aux années 1787 et 1788 et s’étend de la réunion de la première Assemblée des Notables, en février 1787, à la convocation des États-généraux en janvier 1789. Enfin, la dernière période concernée est celle du début de la Révolution elle-même jusqu’à l’adoption de la Déclaration à la fin du mois d’août 1789. Dans une moindre mesure, pour étudier la réception immédiate de l’article 16 de la Déclaration dans l’Assemblée, l’étude des discussions de l’Assemblée nationale a été étendue jusqu’en janvier 1793.

54 Arnaud VERGNE, La notion de constitution d’après les cours et assemblées à la fin de l’Ancien Régime

(1750-1789), éd. cit.

55 Jean ÉGRET, Louis XV et l’opposition parlementaire 1715-1774, Armand Colin, 1970.

56 François OLIVIER-MARTIN, L’absolutisme francais suivi de Les parlements contre l’absolutisme traditionnel au

XVIIIᵉ siècle, coll. Reprint, L.G.D.J., 1997.

57 « À une extension qui situe à 1788 ou 1787, ou même plus tôt encore, le début de la Révolution, je préfère l’admission d’une étape intermédiaire, à étudier en soi : la Prérévolution. La notion et le mot ont d’ailleurs dès à présent acquis droit de cité. » Pierre CARON, Manuel pratique pour l’étude de la Révolution francaise, Paris, 1947, p. 7 ; Jean ÉGRET, La Prérévolution francaise, 1787-1788, P.U.F., Paris, 1962.

(27)

La dernière délimitation est relative à l’étude de la réception de l’article 16. Pour les besoins de l’étude, cette réception a été essentiellement limitée à la période contemporaine et à la doctrine juridique. Elle a toutefois été étendue à l’histoire de ces doctrines contemporaines des lendemains de la Révolution à nos jours. Ont ainsi été mobilisés des écrits contre-révolutionnaires, ceux des premiers constitutionnalistes écrivant sous la Monarchie de Juillet, ainsi que quelques auteurs de la Troisième République, qui sont considérés comme les représentants de la « doctrine classique ». Pour la période contemporaine, l’étude s’est concentrée sur les références à l’article 16 dans les manuels de droit constitutionnel, dans le contentieux constitutionnel et dans les écrits le concernant. Cette période s’étend environ du début des années 1980 à nos jours.

22. Une fois ces restrictions matérielles et temporelles définies, il restait à déterminer la méthode et les corpus pertinents, d’une part, pour comprendre la signification des notions de constitution, de société, de garantie des droits et de séparation des pouvoirs en 1789 et, d’autre part, pour analyser les constructions politiques et juridiques fondées sur l’article 16 tant immédiatement après son adoption que depuis les années 1970, à compter desquels le Conseil constitutionnel reconnaît valeur constitutionnelle à la Déclaration.

III. Méthode

23. À rebours d’une histoire du droit souvent attachée à reconstituer les continuités58, la présente

étude s’est davantage concentrée sur la recherche des ruptures, dans le cadre d’une méthodologie proche de celle définie par Michel Foucault dans L’archéologie du savoir59. Pour comprendre les

notions de constitution et de société, son objet n’est pas de retrouver ces « idées » sous des terminologies différentes, mais au contraire de comprendre pourquoi et comment apparaît dans le langage des idées politiques un nouveau terme, de tenter de définir ce qu’il recouvre et d’identifier qui l’utilise et à quelles fins60. S’agissant de l’article 16, elle vise à déterminer le cadre discursif

58 Sur cette opposition voir notamment François SAINT-BONNET, « Nemo auditur suam propriam methodum allegans » in L’interprétation constitutionnelle, Actes de la table ronde de l’Association internationale de droit

constitutionnel organisé à Bordeaux les 15 et 16 octobre 2004 sous la direction de Ferdinand

MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Dalloz, 2005, p. 95.

59 « Et le grand problème qui va se poser – qui se pose – à de telles analyses historiques n’est donc plus de savoir par quelles voies les continuités ont pu s’établir, de quelle manière un seul et même dessein a pu se maintenir et constituer, pour tant d’esprit différents et successifs, un horizon unique, quel mode d’action et quel support implique le jeu de transmissions, des reprises, des oublis et des répétitions, comment l’origine peut étendre son règne bien au-delà d’elle-même et jusqu’à cet achèvement qui n’est jamais donné, – le problème n’est plus de la tradition et de la trace, mais de la découpe et de la limite ; ce n’est plus celui du fondement qui se perpétue, c’est celui des transformations qui valent comme fondation et renouvellement des fondations. On voit alors se déployer tout un champ de questions dont quelques-uns sont déjà familières, et par lesquelles cette nouvelle forme d’histoire essaie d’élaborer sa propre théorie : comment spécifier les différents concepts qui permettent de penser la discontinuité (seuil, rupture, coupure, mutation, transformation) ? » Michel FOUCAULT, L’archéologie du savoir, éd. cit., p. 12-13.

(28)

dans lequel cet article a été adopté, ce qu’il voulait dire au moment de son adoption, et ce que voulaient faire ceux qui l’adoptèrent. Enfin, elle a pour objet de saisir comment les interprétations contemporaines de cet article ont également été construites historiquement.

24. La doctrine juridique a beaucoup écrit sur la notion de constitution. Elle s’est le plus souvent concentrée sur le concept de constitution, et ce indépendamment de l’emploi du terme même. L’idée de constitution peut alors se retrouver tant dans la politeia d’Aristote que dans les lois fondamentales de l’Ancien Régime61. La question de savoir ce qui était entendu par le terme de

constitution au XVIIIᵉ siècle, ou encore pourquoi l’usage de ce terme pour désigner cette idée s’est développé, n’est pas l’objet de ces investigations.

Lorsque la doctrine constitutionnaliste s’est intéressée à l’emploi de ce mot, elle s’est peu arrêtée sur l’usage stratégique et politique qui en est fait62. L’idée qu’un terme pourrait ne pas

simplement être un objet neutre, mais un outil dans le cadre d’une lutte politique n’est que rarement explorée. La doctrine juridique reste donc souvent indifférente à la fois à l’aspect linguistique des concepts juridiques et à la question de l’historicité même des concepts et des termes qu’elle utilise.

Ces limites relatives à l’interprétation de la notion de constitution se retrouvent s’agissant de l’analyse de l’article 16. La signification de cet énoncé vieux de plus de deux cents ans est habituellement considérée comme immédiatement accessible par le lecteur contemporain. La reconstruction de la signification des concepts qu’il contient, dans le contexte de son adoption, n’est pas considérée comme nécessaire à la pleine compréhension du texte. Cette analyse très largement décontextualisée est justifiée soit par l’idée que les concepts juridiques seraient relativement intangibles, et donc qu’ils seraient les mêmes à la Révolution et au XXIᵉ siècle, soit par celle de l’impossibilité de connaître les intentions des constituants, soit enfin par des théories de l’interprétation juridique d’après lesquelles la signification historique d’un texte est sans lien avec sa signification juridique.

Les apories d’une analyse historique détachée d’une analyse linguistique et réciproquement ont depuis longtemps été soulignées dans le champ historique. Des liens entre l’analyse historique

de les former comme des objets d’un discours et constituent ainsi leur conditions d’apparition historique. Faire une histoire des objets discursifs qui ne les enfonceraient pas dans la profondeur commune d’un sol originaire, mais déploierait le nexus des régularités qui régissent leur dispersion. » Ibid., p. 69.

61 Voir par exemple Paul BASTID, L’idée de constitution, coll. « Classiques », série politique et constitutionnelle, Economia, 1985 ; François SAINT-BONNET, « Un droit constitutionnel avant le droit constitutionnel ? » in Droits, n°32, 2000, p. 7 ; J. G. A. POCOCK, L’ancienne constitution et le droit féodal. Étude sur la pensée historique dans

l’Angleterre du XVIIᵉ, P.U.F., 2000 ; J. G. A. POCOCK, The ancient constitution and the feudal law. A study of English historical thaought in the Seventeenth century, Cambridge University press, Cambridge, 1957, 1987.

62 Les travaux d’Arnaud VERGNE font à cet égard figure d’exception puisqu’il consacre une partie entière de sa thèse à la question de l’utilisation de la notion de constitution par les parlements. Arnaud VERGNE, La notion de

Références

Documents relatifs

inspecteurs, fonctionnaires et agents publics habilités pour le contrôle de la protection des végétaux, agents habilités à effectuer des contrôles techniques à bord des aéronefs,

Les moyens consacrés à la vie étudiante sont en hausse de 134 M € par rapport à 2020, dont plus de 80 M € seront consacrés aux bourses sur critères sociaux (avec en

→ Des outils innovants avec les Campus connectés pour fournir des solutions d’accès aux études supérieures dans tous les territoires, les classes préparatoires “Talents

Pr´ esentation des mod` eles num´ eriques atmosph´ eriques et oc´ eaniques utilis´ es dans les communaut´ es nationale et internationale en m´ et´ eorologie, en oc´ eanographie

• Expertise et recherche scientifiques sur le climat et son évolution, sur les processus dynamiques, physiques et physico-chimiques de l’atmosphère et de l’océan, sur

1789 Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes

Les connaissances phonologiques et plus particulièrement la conscience phonémique associées à l’acquisition des premières connaissances alphabétiques (connaissance des

Protection de l’acquéreur immobilier – droit de rétractation – nullité du compromis de vente – remise d’un chèque par l’acquéreur antérieurement à la signature