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XVIIIᵉ siècles

Section 2. L’invention de la constitution comme acte de la société et d’une nouvelle hiérarchie des normes par des philosophes jusnaturalistes

A. L’invention du pouvoir constituant par Hobbes

2. La définition de la constitution du commonwealth : le refus de la division du pouvoir

148. Pour qu’un commonwealth (ou une société en français) existe, il doit obéir au principe fondamental de l’ordre politique défini par Hobbes : l’attribution d’un pouvoir absolu au souverain et, son corollaire qui est l’obéissance absolue des sujets. Hobbes interdit donc toute distribution ou division du pouvoir. Instituer un corps politique en ne respectant pas ce principe conduirait, selon

mutuel l’un avec l’autre. » [T.d.A.] « The laws of God therefore are none but the laws of nature, whereof the

principal is that we should not violate our faith, that is, a commandment to obey our civil sovereigns, which we constituted over us by mutual pact one with another. » Ibid., Chap. 43.

599« Et bien que l’ignorance et la sécurité des hommes soit telle que, pour la plupart, quand le souvenir de la première constitution de leur Commonwealth est effacé, ils ne font plus attention à quel pouvoir les défend contre les ennemis, protège leurs industries et redressent les torts lorsqu’on leur cause un dommage, pourtant parce qu’aucun homme réfléchi ne peut en douter, aucune excuse ne peut être tirée de l’ignorance de l’endroit où réside la souveraineté. » [T.d.A.] « And though the ignorance and security of men be such, for the most part, as that when the memory of the

first constitution of their Commonwealth is worn out, they do not consider by whose power they use to be defended against their enemies, and to have their industry protected, and to be righted when injury is done them; yet because no man that considers can make question of it, no excuse can be derived from the ignorance of where the sovereignty is placed. » Ibidem, Chap. 26.

600Voir par exemple Ibid., Chap. 26.

601« Enlevez dans n’importe quel État l’obéissance et en conséquence la concorde du peuple, et non seulement ils ne pourront pas être prospères, mais ils seront bien vite dissouts. » [T.d.A] « Take away in any kind of state the

obedience, and consequently the concord of the people, and they shall not only not flourish, but in short time be dissolved. » Ibidem, Chap. 30.

lui, à ce qu’il soit atteint d’une maladie congénitale. Cette image prépare ainsi la métaphore anthropomorphique d’une « mauvaise constitution » du corps politique603. Le pouvoir souverain est

donc, par nature, indivisible chez Hobbes604.

Dans la conception normative que Hobbes donne du commonwealth, le pouvoir ne peut être distribué entre plusieurs organes : cela exclut, d’une part, un partage du pouvoir temporel et spirituel et, d’autre part, une répartition de l’exercice des fonctions de souveraineté. Dans le premier cas, le commonwealth risque la dissolution en cas de conflit entre ces deux pouvoirs605. Rousseau

relève d’ailleurs la pertinence de raisonnement de Hobbes et considère que ce principe est une condition nécessaire pour qu’un État ou un gouvernement soit « bien constitué »606. Dans le second

cas, le jugement de Hobbes est plus radical : un tel gouvernement n’en est tout simplement pas un, car il est divisé en trois factions indépendantes607. Tant que l’ensemble du pouvoir souverain n’est

pas concentré entre les mains d’un homme ou d’une assemblée, il n’y a pas d’État, ou seulement un État irrégulier. Tellement irrégulier, d’après Hobbes, que si ce corps politique était un corps humain, il ressemblerait à une chimère monstrueuse608.

Ce principe est pour lui une loi générale aussi vraie qu’une loi mathématique : les

603« Donc, parmi les infirmités d’un Commonwealth, je compte d’abord celles qui viennent d’une institution imparfaite, et ressemble aux maladies d’un corps naturel, qui viennent d’une procréation défectueuse. » [T.d.A] « Amongst the infirmities therefore of a Commonwealth, I will reckon in the first place those that arise from an

imperfect institution, and resemble the diseases of a natural body, which proceed from a defectuous procreation. » Ibidem, Chap. 29.

604« Il y a une sixième doctrine, évidemment et directement contraire à l’essence du Commonwealth, et c’est celle-là : que le pouvoir souverain peut être divisé. En quoi consiste la division du pouvoir du Commonwealth, à part en sa dissolution ; car les pouvoirs divisés se détruisent mutuellement. Et pour ces doctrines les hommes sont seulement vus comme ces quelques personnes qui, faisant profession des lois, font tout leur possible pour les faire dépendre de leur propre connaissance, et non du pouvoir législatif. » [T.d.A.] « There is a sixth doctrine, plainly and directly

against the essence of a Commonwealth, and it is this: that the sovereign power may be divided. For what is it to divide the power of a Commonwealth, but to dissolve it; for powers divided mutually destroy each other. And for these doctrines men are chiefly beholding to some of those that, making profession of the laws, endeavour to make them depend upon their own learning, and not upon the legislative power. » Ibidem, Chap. 29.

605« Donc lorsque ces deux pouvoirs s’opposent l’un à l’autre, le Commonwealth ne peut être qu’en grand danger d’une guerre civil et de la dissolution. » [T.d.A.] « When therefore these two powers oppose one another, the

Commonwealth cannot but be in great danger of civil war and dissolution. » Ibidem, Chap. 29.

606« De tous les Auteurs Chrétiens le philosophe Hobbes est le seul qui ait bien vu le mal et le remède, qui ait osé proposer de réunir les deux têtes de l’aigle, et de toute ramener à l’unité politique, sans laquelle jamais État ni

Gouvernement ne sera bien constitué. » Nous soulignons. op. cit., IV, VIII, , p. 168.

607« Peu de gens comprennent qu’un tel gouvernement n’est pas un gouvernement, mais la division du Commonwealth en trois factions, et l’appellent une monarchie mixte ; mais la vérité est que ce n’est pas un Commonwealth indépendant, mais trois factions indépendantes » [T.d.A.] « few perceive such government is not government, but

division of the Commonwealth into three factions, and call it mixed monarchy; yet the truth is that it is not one independent Commonwealth, but three independent factions », Ibidem, Chap. 29.

608« À quelle maladie dans un corps naturel d’homme je pourrais exactement comparer cette irrégularité d’un

Commonwealth, je l’ignore. Mais si j’avais vu un homme qui avait un autre homme sortant de son flanc, avec une

tête, des bras, un torse et un ventre à lui : s’il avait eu un autre homme sortant de son autre flanc, la comparaison aurait pu alors être exacte. » [T.d.A.] « To what disease in the natural body of man I may exactly compare this

irregularity of a Commonwealth, I know not. But I have seen a man that had another man growing out of his side, with a head, arms, breast, and stomach of his own: if he had had another man growing out of his other side, the comparison might then have been exact. » Ibidem, Chap. 29.

« systèmes »609, sociétés ou corporations, ne sont « réguliers » que si « un homme, ou une

assemblée d’hommes, est constitué représentant de tous »610. Tout pouvoir organisé ne peut résider

que dans les mains d’un seul organe. Pour constituer un organe, pour lui donner une constitution, il faudrait donc respecter ce principe ontologique.

En respectant cette ligne de conduite, il est possible selon lui de rendre la constitution d’un

commonwealth éternelle :

« longtemps après que les hommes ont commencé à constituer des Commonwealth, imparfaits et prompts à retomber dans le désordre, des principes de raison peuvent être découverts, par une médiation consciencieuse, permettant de rendre leur constitution, sauf violence extérieure, éternelle. Tels sont les principes que j’ai présentés dans ce discours »611

Hobbes exploite ici toutes les ressources linguistiques que permettent les termes constitution et constituer (l’établissement juridique, la réglementation et la métaphore anthropomorphique).

149. Dans De Cive et surtout dans le Leviathan, Hobbes ébauche donc une conception de la constitution comme acte d’établissement et de réglementation de l’ordre politique, mais cette construction reste minimale612. Cela s’explique sans doute par le fait que les limites que Hobbes

impose au pouvoir politique ne sont que des limites structurelles (et non matérielles ou positives) : si le pouvoir ne les respecte pas, il se détruit lui-même. Hobbes exprime clairement cette idée lorsqu’il discute la notion de lois fondamentales :

« Il y a aussi une autre distinction entre les lois fondamentales et non fondamentales : mais je n’ai jamais pu voir chez aucun auteur ce qu’une loi fondamentale signifie. Néanmoins, on peut très raisonnablement distinguer les lois de cette manière.

« Car une loi fondamentale dans chaque Commonwealth est celle dont la disparition provoque l’effondrement du Commonwealth et sa complète dissolution, comme un immeuble dont les fondations sont détruites. Et donc une loi fondamentale est celle par laquelle les sujets sont obligés de maintenir

quelque pouvoir qui est donné au souverain, que ce soit un monarque ou une assemblée souveraine, sans cela le Commonwealth ne peut tenir debout ; tel est le pouvoir de la guerre et de la paix, de la justice, de la nomination des officiers, et de faire quelque chose qu’il croit nécessaire pour le bien public. N’est pas

609« Par système j’entends un nombre quelconque d’hommes unis pour un intérêt ou une affaire » [T.d.A.] Ibidem, Chap. 22.

610« Réguliers sont ceux où un homme, ou une assemblée d’hommes, est constitué représentant de tous. Tous les autres sont irréguliers. » [T.d.A.] «Regular are those where one man, or assembly of men, is constituted representative of

the whole number. All other are irregular. » Nous soulignons. Ibidem, Chap. 22.

611[T.d.A.] Nous soulignons. « long time after men have begun to constitute Commonwealths, imperfect and apt to

relapse into disorder, there may principles of reason be found out, by industrious meditation, to make their

constitution, excepting by external violence, everlasting. And such are those which I have in this discourse set forth »

Ibidem, Chap. 30.

612Sur les idées constitutionnelles de Hobbes voir Tom SORELL, « Constitutions in Hobbes’s Science of Politics » in

Constitutions and the Classics. Patterns of constitutional Thought from Fortescue to Bentham sous la direction de

fondamentale celle dont l’abrogation n’entraîne pas la dissolution du Commonwealth : telles sont les lois concernant les litiges entre sujets. »613

Chez Hobbes, la seule loi fondamentale est donc celle qui établit le souverain, en lui reconnaissant un pouvoir absolu, et le maintien par le consentement des sujets.

En conséquence, Hobbes innove en énonçant la procédure juridique permettant aux hommes de créer et de maintenir le commonwealth. Il définit également les éléments nécessaires à l’existence de cette personne morale ; il décrit l’essence de tout commonwealth. Ces éléments forment la constitution du commonwealth. L’innovation majeure proposée par Hobbes est de considérer que les règles qu’il énonce sont, comme celle de la géométrie614, vraies partout et de tout

temps. Ainsi, il rompt avec le relativisme de Grotius615. Il n’ignore pas que les principes qu’il décrit

ne sont pas en vigueur partout, mais il estime qu’il n’en sont pas moins vrais pour autant : « bien qu’en certains endroits du monde les hommes posent les fondations de leur maison sur le sable, il ne peut en être inféré que cela doit être ainsi »616. Hobbes inaugure ainsi l’idée que la théorie et les

fondements du pouvoir politique sont les mêmes partout et qu’il est possible de les connaître par l’exercice de la raison. Ce pouvoir politique est créé par des individus libres et égaux pour assurer leur protection et, pour réaliser cette fin, il dispose d’un pouvoir illimité.

La constitution hobbesienne d’un commonwealth est ainsi la même partout : le pouvoir du souverain est absolu et institué pour garantir les droits de sujets qui doivent obéir. Ces éléments furent discutés par de nombreux auteurs anglais après la publication du Léviathan617. George

Lawson fut l’un d’entre eux et contribua de manière importante à la construction de la notion de constitution. Locke s’inscrivit dans son sillage et fut largement diffusé en France.

613[T.d.A.] Nous soulignons. « There is also another distinction of laws into fundamental and not fundamental: but I

could never see in any author what a fundamental law signifieth. Nevertheless one may very reasonably distinguish laws in that manner.

« For a fundamental law in every Commonwealth is that which, being taken away, the Commonwealth faileth and is utterly dissolved, as a building whose foundation is destroyed. And therefore a fundamental law is that by which

subjects are bound to uphold whatsoever power is given to the sovereign, whether a monarch or a sovereign assembly, without which the Commonwealth cannot stand; such as is the power of war and peace, of judicature, of election of officers, and of doing whatsoever he shall think necessary for the public good. Not fundamental is that,

the abrogating whereof draweth not with it the dissolution of the Commonwealth; such as are the laws concerning controversies between subject and subject. » Ibidem, Chap. 26.

614Ibidem, Chap. 20.

615Voir supra, ce chapitre, Section 1, § 3, C.

616[T.d.A.] « though in all places of the world men should lay the foundation of their houses on the sand, it could not

thence be inferred that so it ought to be. » Ibidem, Chap. 20.

B. La distinction entre constitution de la société et du gouvernement et l’invention de la

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