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SIXIEME PÉRIODE: LA DIVERSITÉ DES TURUQ ET DES POINTS DE RESSOURCEMENT SPIRITUEL

Le XVIe siècle (Xe siècle H.), période du rayonnement de la Jazûliyya et de la Zarrûqiyya pendant laquelle elles ont connu une large propagation, a donné naissance à plusieurs Zaouïas, Shaykhs et points de ressourcement spirituels qui ont perduré. La diversité des courants soufis au cours du XVIIe siècle est due à des personnalités rénovatrices datant de la fin du XVIe siècle (fin du règne des Sharîfs Sa‘diyyin).

Ces initiatives ont été entreprises par des grands soufis appartenant aux écoles Jazûlie et Zarrûqie. Quelques expériences de rénovation ont échoué, mais plusieurs d’entre elles ont été couronnées de succès. On en dénombre quatre parmi les Voies les plus célèbres fondées par de grands Shaykhs : Abu al-Mahâsin Yûsuf al-Fâsî Shaykh de la Zaouïa Fâsîyya, Abu ‘Abdallah Muhammad, appelé Bou`bid

151Warith, Ahmad , La participation des soufis dans l’état des Sa’diyyin : awliyâ' wa dawru-hum

Sharqui, Shaykh de la Zaouïa al-Sharqawiyya à Bouja‘d, al-Hâdi Ibn ‘Isa, Shaykh de la Zaouïa al-`Isawiyya à Meknès et le Shaykh Ahmad Ibn Musa Mula Karzaz. Toutes ces expériences réussies partagent un point commun qui est l’éducation par la mahabba (l’amour) ou purification de l’âme (mujâhada ruhaniyya) ce qui était inhabituel à cette époque dans le soufisme marocain et dans la Shâdhiliyya avec ses branches Jazûlie et Zarrûqie. Le courage dans cette initiative donna ainsi une grande importance aux sciences de l’ésotérisme et à l’éducation par la notion de présence divine (hadra), ce qui était différent de l’enseignement de leurs Shaykhs.

Au niveau théorique, les leaders de ces expériences ont été influencés par la Tarîqa al-Rachidiyya du Shaykh Ahmad Ibn Yûsuf al-Malyani al-Rachidî connu sous le nom de « Mawla Malyana ». Ces Shaykhs ont ajouté l’invocation dans l’état de la présence divine jusqu’à atteindre le « ravissement extatique » (al-jadhb).

On peut qualifier ce nouveau style de courant à la fois de cheminement spirituel (sulûk) et de pensée philosophique, ce qui permet de le classer parmi les Voies des «gens de la Beauté» dans le soufisme152. Il est normal que les Shaykhs des branches Jazûlie et Zarrûqie et les défenseurs de la tradition prophétique se soient opposés à ce nouveau style incarné entre autres par la Ta'ifa de al-A’kakza (XVIe siècle/Xe H.) qui s’est inspiré de la Tarîqa al-Râchidiyya. Cependant, si ces mouvements d’opposition ont réussi à arrêter l’innovation d’influence Râchidie, en provenance du moyen Maghrib (Algérie), les courants de la « Beauté » issus du Maroc ont connu un grand succès grâce à la dynastie des Sa’diyyin (le Sultan al-Mansur al-Sa’di). Cela symbolise le franchissement d’une nouvelle étape pour le soufisme au Maroc.

La propagation de la Voie de la « Beauté » (Jamàl) a eu pour conséquence d’enrichir le courant de pensée soufi, au cours du XVIIe siècle (XIe H.), qui n’était représenté alors que par les branches Jazûlie et Zarrûqie qui s’étaient emparés du pouvoir au Maroc avant l’arrivée de la dynastie des Sharîfs ‘Alaouites. D’autres Voies plus extrêmes sont issues de ce courant traditionnel en réaction contre le courant de la « Beauté ». Elles étaient caractérisées par une imitation plus stricte de leurs prédécesseurs que celle des Shaykhs al-jazûlî , Zarrûq et même al-Shâdhilî. Ces Voies ont accordé plus d’importance à l’éxotérisme (Shari`a) qu’à l’ésotérisme

(haqîqa) : ce courant est ainsi appelé le courant de la Majesté (Jalal). On retrouve plusieurs représentants célèbres de ce courant : Abu ‘Abdallah Mhammed Ibn Nasir al-Dar`î, Shaykh de la Zaouïa et de la Tarîqa al-Nasiriyya, le Shaykh Abu al Jamâl Abdelqâder Ibn ‘Ali Ibn Abu al-Mahasin al-Fâsî, Shaykh de la nouvelle Zaouïa al-Fâsîyya et Mulay ‘Abdallah Sharîf, Shaykh de la Zaouïa et de la Tarîqa al-Wazzâniyya. A partir du XVIIe siècle, correspondant à la date d’arrivée au pouvoir des Sharîfs `Alaouites, le Maroc comportait deux courants soufis bien distincts : un soufisme de la « Beauté » (Jamàl) et un soufisme de la « Majesté » (Jalàl). Ces deux courants avaient alors la même importance dans le soufisme chez al-jazûlî et Zarrûq153.

Cette diversité de Turuq va se développer au cours des siècles suivants puisque chaque courant donnera naissance à plusieurs Voies. Au cours du XVIIIe siècle (XIIe

H.), les partisans de la Voie de la « Beauté » (Jamàl) ont exagéré leurs pratiques à tous les niveaux : dans l’invocation, l’amour, la hadra, le jadhb et les « danses » soufies qui ressemblaient à celles de al-Bastami et al-Hallaj. Leur domaine d’influence s’est étendu avec la Tarîqa al-Hamdushiyya, la Tarîqa al-Qâsimiyya et celle de la famille Ma‘n et d’autres. Les Voies du courant de la « Majesté » ont, elles aussi, subi cette influence avec l’apparition des « néo-Nasiriyyin » et de la Tuhâmiyya al-Wazzâniyya. A la fin du XVIIIe siècle, le courant de la « « Beauté » était devenu majoritaire au Maroc154.

Cette domination durera pendant les deux siècles suivants et ce courant connaitra son apogée avec « al-Tajrid al-mutlaq » (le dépouillement absolu) qui fait son apparition dans le soufisme marocain. Parmi les représentants de cette nouvelle tendance, on peut citer les partisans de la Tarîqa al-Darqâwiyya et les Hedawas. D’autres Turuq provenant d’Orient ou d’Afrique, ayant trouvé les conditions optimales, se sont propagées aussi au Maroc comme les Gnawa, la Naqchabandiyya, la Khalwatiyya et la Rifa`iyya155. De nouvelles Turuq ont vu le jour et avaient comme principe de contrer ce « tajrid » en soignant l’aspect extérieur du soufisme.

153 Wârith, al-awliyâ' wa dawru-hum, pp. 99, 120. 154 Id., pp. 99, 120.

Je présente ici les expériences marquantes du soufisme marocain de cette dernière période :

LA DARQÂWIYYA:

Le Shaykh Abu Hamid al-‘Arabi al-Darqâwi156 , mort en 1823/1239 H., a fondé cette Tarîqa.

Il appartient aux nobles descendants du Prophète, al-Churafa Darqâwis du Maroc descendants de Abu ‘Abdallah Muhammad Ibn Yûsuf Ibn Jenoun, connu sous le nom de Abu Darqa157, qui est enterré à Chaouia dans la tribu de Ulad Buziri.

Mulay al- ‘Arabi est né en 1737/1150 H., ou en 1746/1159 H., à la campagne de Ibn ‘Abdallah à Bouma‘n dans la tribu des Bani Zarwal158 où il grandit et apprit les sept lectures du Coran. Ensuite, il partit à Fès où il fit son apprentissage auprès des célèbres Savant (Uléma) de son temps159.

Durant sa jeunesse, il se consacra au combat de son ego (jihad an-nafs) par la dévotion et la recherche d’un Shaykh éducateur (Murabbi), au point qu’il récita 60 fois l’intégralité du Coran auprès du tombeau de Mulay Idris à cette fin160.

Après toutes ces prières, Dieu l’a guidé pour la rencontre de son Shaykh ‘Ali Ibn Abderrahman al-‘Amrani al-FÂSÎ surnommé le chameau (jamal) à la Zaouïa de

156 Al-‘Arabî al-Darqâwi est né en 1737, dans la tribu des Bani Zarwal, au Maroc. Il est mort en 1823, laissant derrière lui quatre mille élèves, Biographie de Mulay al-‘Arabi al-Darqâwi dans : Mu‘askari, Buzian Muhammad Ibn Ahmad, Kanz asrar fi manâqib Mulay Al-‘Arabi Darqâwi wa ba‘d ashâbihi

al-akhyar, Rabat, Bibliothèque générale, N° 2339, pp. 2-80 ; kattânî, Salwat, 1ère partie, p. 176 ; Ghmari,

Ahmad Ibn Muhammad Saddiq al-, Al-mu'adhin fi akhbar Sidi Ahmad Ibn Abdelmûmen, Rabat, Bibliothèque générale, N° 1786, pp. 32-55 ; Darqâwi, al-‘Arabi al-, Majmu‘âte al-rasâ'il, présentation de Ahmad Ibn Khayat Azakari, analyse de Bassam Muhammad Baroud, imprimé au complexe culturel de Abu Dhabi, 1ère impression, 1999, pp. 35-59 ; FÂSÎ al-Fihri, Muhammad al-Bachir Ibn ‘Abdallah al, Qabilat

Bani Zarwal, pp. 37-40 ; Soussî, Mukhtar Muhammad al, al-Ma’sul, 1ère partie, p. 189.

157 On dit que ce Shaykh avait un grand bouclier (darqa) pour se protéger au cours des batailles, d’où son surnom. Concernant Abu Darqa et les churafas Darqawis, voir : Mu’askari, Bouzian, Kanz al asrar, pp. 15-16 ; FÂSÎ, Qabilat Bani Zarwal, pp. 80-84 ; Marrakchi, Ibn Ibrâhîm al-‘Abbas, Al-i’lam bi man halla

murrakuch wa aghmat min al-a’lam, Rabat, Imprimerie royale, 5ème partie, p. 332.

158 Fâsî, Qabilate Bani Zarwal, pp. 40, 46 ; Darqâwi, al-rasâ'il, pp. 37, 39.

159 Mulay al-‘Arabi ad-Darqawi dit dans ses lettres qu’il prit le wird de bénédiction (tabarruk) des célébres

Shaykhs de son temps : Mulay al-Tayib al-Wazzani al-Yamlahi, le Shaykh Abu ‘Abdallah Muhammad Ibn

‘Ali Ibn Raysun enterré à Tazrut (Jabal al-‘alam), le Shaykh al-majdhub al-‘Arabi Baqal, le Shaykh Muhammad Ibn Harun al-Aghzawi, le Shaykh Muhammad Ibn Jama’ et le Shaykh Abu Bakr al-Tarabulsi connu sous le nom de Buflasi.

Darqâwi, al-rasâ'il, pp. 43-44, 374-380 ; FÂSÎ, Qabilat Bani Zarwal, p. 37.

160 Talîdî, Abdallah Ibn Abdelqader, Al-mutrib bi machâhir awliyâ' al-maghrib, dâr al-Aman, Rabat, 2000,p. 206.

Rmila à Fès en 1768/1182 H. A cette époque, Mulay al-‘Arabi avait 24 ans, il se soumit à son Shaykh et reçut de celui-ci les litanies initiatiques (wird) et le Nom suprême [de Dieu]161.

Il resta deux ans avec lui puis le quitta pour s’installer à sa tribu des Bani Zarwal162 où il bâtit sa première Zaouïa à Boubrih, puis une deuxième à la place de Hite Laila, toutes les deux étaient situées à la montagne Zbib.

La chaîne de transmission du Shaykh al-Darqâwi (m. 1823/1239 H.) débute au niveau du Shaykh soufi Abu al-Hasan ‘Ali Ibn Abderrahman al-‘Amrani, connu sous le nom de « al-Jamal » (m. 1780/1195 H.). Celui-ci reçut son enseignement de Abu Hamid Al-‘Arabi Ibn Ahmad Ibn ‘Abdallah Ma’n al-Andalusi qui était le Shaykh de la Tarîqa al-Ma‘aniyya à son époque. Al-‘Arabi al-Darqâwi est considéré comme le seul héritier de l’état spirituel et du secret de cette Tarîqa. Al-’Arabi al-Darqâwi ne s’est pas contenté de l’enseignement qu’il avait reçu ; il entreprit de l’améliorer, d’en définir les principes et d’en établir les régles pour permettre aux disciples débutants d’aboutir à la réalisation spirituelle163.

Ainsi, la méthode Darqâwiyya devint un enseignement complet à tous les niveaux, qui passait d’abord par la lutte contre l’ego pour atteindre la piété, puis par la lutte de l’ego pour rester sur la droiture et le respect des deux principes du dépouillement absolu. Le premier principe est de travailler pour réussir la pureté de l’intérieur dans le combat spirituel (mujahada)164 décrit par le Shaykh al-Darqâwi comme étant le dépouillement de son intérieur165, sa reconstruction en le débarrassant d’abord de ses vices, puis en l’embellissant par les qualités. Le deuxième principe est le dépouillement extérieur (ou la destruction de l’aspect externe) pour guérir l’intérieur. Ainsi, le dépouillement interne n’est pas suffisant dans la Tarîqa al-Darqâwiyya ; il doit être accompagné d’un dépouillement extérieur puisque l’aspect externe reflète

161 Mulay al-‘Arabi al-Darqâwi raconte qu’il prit le wird général de son Shaykh qui lui dit que cela appartenait aux Shaykhs Nasiris ; quant au Nom suprême, il lui dit qu’il a appartenait aux Shaykhs du

bâtin (ésotérisme), les Ulad Ibn ‘Abdallah. Darqâwi, al-rasâ'il, p. 63.

162 Id.

163 Hawat, al-rawda, p. 474

164 Mu‘askari, Kanz al-asrar, pp. 69-70.

165 Darqâwi, Muhammad al-’Arabi al-, Al-mudhâkara al-qalbiya fi al-Tarîqa al-haqiyya, Rabat, Bibliothèque générale, N° 1737, pp. 336-337.

l’intérieur d’un individu166. Le dépouillement externe vise à délaisser les habitudes, à s’éloigner des plaisirs et des désirs de ce bas- monde. Les Darqâwis étaient amenés à marcher pieds nus, à mendier, à mettre des vêtements rapiécés, à porter des jarres d’eau sur leur dos, à mettre leur chapelet autour du cou, etc167.

Ces pratiques ne représentaient pas une fin en soi mais plutôt un moyen d’éducation que les Shaykhs Darqâwis avaient adopté pour les nouveaux disciples afin de les aider à dompter leur ego, à les débarrasser de leurs habitudes et de leur caractère inné168. Comme dans les autres Turuq, l’invocation était une base primordiale. Ce qui caractérisait les Darqâwis, c’étaient les assemblées d’invocation de Dieu où les disciples formaient un cercle tout en restant debout (‘imara), qui étaient préconisées par le Shaykh al-Darqâwi. Celui-ci considérait que tous les disciples, nouveaux ou anciens, peuvent la pratiquer, ceux qui veulent la bénédiction ainsi que les sympathisants (muhibbin) de la Tarîqa169.

Les femmes aussi peuvent pratiquer, à condition qu’il n’y ait pas de mixité dans ces cercles d’invocation. Elles peuvent aussi faire la ‘imara, mais loin des regards et à l’écart, de manière à ce que personne ne les entende170. La ‘imara est une invocation à voix haute du nom divin en groupe uniforme, où les disciples se tiennent les uns les autres par la main171, et il y a trois rythmes (avec chacun une vitesse différente) qui se succèdent. Cette pratique a dépassé le cadre des Zaouïas pour se pratiquer aussi dans les Mosquées, les souks et les chemins, ainsi que lors des voyages. Elle était pratiquée aussi à l’entrée des villes, villages ou campagnes. Les Darqâwas récitaient des poèmes (qasa'ids) connus chez les soufis des deux courants de la « Beauté » et de la « Majesté » ou peu connus, qui décrivaient leurs états spirituels. Je signale ici que le dépouillement absolu (tajrid al-mutlaq), avec toutes ses composantes, était un moyen d’éducation et non pas un fondement dans la Tarîqa.

166 Kouhen, Abdelkader , Imdad dhawi 'isti`dad ila ma`âlim riwaya wa isnad, Beyrouth, Dar al-Koutoub, 2004, 3 tomes, p. 43.

167 Mu‘askari, Kanz al-asrar, pp. 49-50. Fâsî, , Al-turjuman, p. 312. 168 Hawat, al-rawda, p. 474

169 Mu‘askari, Kanz al-asrar, pp. 72-73. 170 Id., pp. 49-50.

Lorsque son Shaykh mourut, Mulay ‘Arabi se consacra à rénover la Tarîqa al-Shâdhiliyya172. Son but était de donner un nouveau souffle et une crédibilité au soufisme qui avait été entaché par des mauvaises pratiques.

Il a donc fait revivre la Tarîqa al-Shâdhilîyya au moment de sa décadence, et a amélioré la méthode d’éducation de son Shaykh, la simplifiant pour la rendre accessible et permettre aux débutants d’arriver à leur but173.

Ainsi, l’œuvre spirituelle du Shaykh al-Darqâwi rayonna dans tout le Maroc et rassembla sur une courte période quarante mille disciples174.

La Tarîqa est fondée sur deux principes : le dépouillement (tajrid) et la rupture vis-à-vis des habitudes sociales. Le premier a pour but de purifier l’intérieur, le second entend détruire l’extérieur pour remédier à l’intérieur.

Ce qui veut dire que l’éducation spirituelle chez les Darqawas demande aux disciples le dépouillement de l’extérieur et de l’intérieur175.

Les disciples Darqawas sont donc des abstinents, qui portent des habits rapiécés, un chapelet (subha) fait de gros grains autour du cou, une canne, un grand turban vert sur la tête, et qui mendient176 afin de purifier l’âme, de combattre l’ego (jihad an-nafs) et de sortir des habitudes sociales177.

Cependant, si le disciple arrive à se débarrasser de la gêne occasionnée par la présence d’autrui178, il n’est pas sûr qu’il puisse dépouiller son extérieur, ce qui veut

172 Saghir, Ishkaliat islah al-fikr, p. 44. 173 Hawat, al-rawda, p. 474.

174 Darqâwi, al-rasâ'il, pp. 13, 56 ; Rezette, Robert, Les partis politiques marocains, 2ème édition, 1955, p. 23. 175 Darqawi, Al-mudhâkara, p. 336.

176 Laroui, Abdallah, Les origines sociales et culturelles du nationalisme marocain (1830-1912), Paris, 1977, p. 132.

La rupture vis-à-vis des habitudes sociales était à l’origine des critiques des ‘Uléma et des soufis contemporains de Mulay al-‘Arabi. De plus, il y eut un jugement de plusieurs Darqawas à Tétouan qui furent condamnés à la prison, ce qui poussa Mulay al-‘Arabi à changer sa méthode d’éducation en introduisant la notion de la « beauté » qui permet de préserver les habitudes des gens ; ceci apporta un grand succès à cette Tarîqa avec le disciple Muhammad al-Harraq (m. 1848 /1262 H.).

La Croix Napoléon, les Derkaoua d'hier et d'aujourd'huit: essai historique, impr, V, Heintz, Alger, 1902, p.4 ; Kattânî, al- Turjuman, p. 76.

177 Hawat, al-rawda, p. 470. 178 Darqâwi, al-rasâ'il, p. 230.

dire que ces pratiques ne sont que des moyens d’éducation et non pas un principe constant dans la Tarîqa179.

Ainsi, plusieurs Shaykhs Darqâwis n’ont pas demandé à leurs disciples ce genre de pratiques. Prenons, par exemple, le cas des disciples Muhammad al-Harraq (m. 1845/1261H.) et Abdelwahed al-Debagh (m. 1854/1271 H.) avec leur Shaykh Mulay al-‘Arabi al-Darqâwi et le cas de Sidi Ibrâhîm al-Basîr avec son Shaykh Haj ‘Ali al-Ilighî al-SOUSSÎ qu’on abordera dans ce mémoire.

La caractéristique de la Tarîqa al-Darqâwiyya est qu’elle incite les disciples à pratiquer un soufisme social participant activement dans la vie quotidienne, loin des idées de solitude et de retrait vis-à-vis des gens180. Elle donne beaucoup d’importance au savoir, à l’éducation181, à la pratique des œuvres à caractère obligatoire (mafrud) et celles surérogatoires fortement recommandées (ta’kada min al- masnun)182.

Ainsi, la Darqâwiyya est une Tarîqa traditionaliste (sunnite) basée sur le Coran, les actes du Prophète (dits et pratiques) et l’éloignement des hérésies dans tous les cas183.

Grâce à ces principes, la Tarîqa al-Darqâwiyya s’est propagée dans tout le Maroc, voire même le reste des pays islamiques, à travers les premiers Shaykhs disciples de Mulay al-‘Arabi al-Darqâwi. On comptait, de son vivant, 100. 000 disciples entre ses compagnons et ceux des autres Shaykhs184.

Parmi les Shaykhs disciples de Mulay al-‘Arabi, citons les plus célèbres :

179 Dans ses rasâ'il, al-Darqawi parle de quelqu’un qui voulait être initié, cependant Mulay al-‘Arabi découvrit

que cet homme ne voulait être son disciple que pour porter des habits rapiécés et mendier, aussi, il lui dit : « Cela ne sert à rien que tu portes des habits rapiécés, le mieux pour toi est que tu invoques Dieu dans ton état normal, afin de purifier ton âme et de renforcer ta luminosité intérieure ».

Ainsi donc, l’éducation par le port des habits rapiécés et la mendicité était préconisée pour ceux dont l’ego (nafs) ne le supportait pas. En général, le disciple doit contrarier son ego jusqu’au point où tout devient égal, ainsi il devient libre. Darqâwi, al-rasâ'il, p.75.

180 Saghir, Ishkaliat islah al-fikr, p. 40.

181 Mulay Al-’Arabi al-Darqâwi considérait que l’apprentissage était le meilleur des métiers. Darqâwi, al-rasâ'il, pp. 70, 204, 307.

182 Id., pp. 54, 69, 70, 129.

183 Makoudi, Muhammad, Risala, p. 314 ; kattânî, Salwat, 1ère partie, p. 177. 184 Ghmari, Al-mou'adhin, p. 51.

a. le Shaykh Muhammad Ibn Ahmad al-Buzidi al-Salmani al-Ghmari185 (m. 1814/1229 H.), fondateur de la Zaouïa Tajsas dans la tribu des Bani Ziyat sur la côte méditerranéenne à Ghmara, où il est enterré.

Mulay al-‘Arabi attestait de sa particularité et le considérait comme son successeur, de son vivant et après sa mort186, et lui envoyait des disciples. C’est ainsi que al-Buzidi a pu éduquer beaucoup de disciples dont le plus célèbre était le Savant (‘allama) Ahmad IBN ‘AJÎBA al-Hasani187, fondateur des Zaouïas de Anjra et Jbal al-Hbib.

b. le Shaykh Abu ‘Abdallah Muhammad Ibn Muhammad Harraq al-Musaoui, fondateur de la Zaouïa al-Darqâwiyya à Tétouan ; il avait la « Beauté » (jamal) comme méthode d’éducation. Sa Tarîqa s’est répandue à l’intérieur et à l’extérieur du Maroc188.

c. le Shaykh Ahmad Ibn Abdelmûmen al-Hasani al-Idrissi al-Ghmari189 (m. 1846/1262 H.), enterré dans sa Zaouïa de Tajkan de la tribu Mansuria al-Ghmaria. Il était connu pour sa maîtrise de la science des lectures du Coran, comme son Shaykh al-Darqâwi ; son wird était de réciter tout le Coran chaque nuit190.

185 Voir sa biographie dans : Mu’askari, Kanz al-asrar, pp. 116-124 ; Taudi, Ibn Al-Qâdî, Al-nûr al-qawî, p. 92. Talîdî, al-Mutrib, p. 216.

186 Ibn ‘Ajîba, Ahmad, al-Fahrasa, Analyse, commentaire et présentation de Abdelmajid Saleh Hamdane, le Caire, Maison d’édition Al-ghade al’arabi, 1990, 1ère impression, p. 67 ; Zakkari, Ahmad Ibn khayat,

Muqaddimat rasâ'il al-‘Arabi al-Darqâwi, pp. 57-58 ; Talîdî, al-Mutrib, pp. 217-218.

187 Il est mort, avant son Shaykh, en 1809/1224 H. Voir sa biographie dans :