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SHADHILIYYA DANS L’ORIENT ARABE ET DANS LE MONDE OCCIDENTAL

Il apparaît à travers cette étude que la Tarîqa al-Shâdhilîyya al-Darqâwiyya a vu le jour au Maghrib, puis qu’elle s’est exportée, par le biais de certains Maîtres dans quelques pays de l’Orient arabe. Par la suite, la méthode éducative qu’elle propose, reliant l’humain au Seigneur, trouva un écho favorable dans le monde occidental souffrant d’un vide spirituel. L’ouverture des Maghrébins aux Arabes de l’Orient, faisait que toutes les écoles et tous les courants religieux étaient représentés en leurs terres. Il était naturel que l’écho des courants islamiques enclins à l’ascèse qu’avait connu l’Orient au cours des deux premiers siècles de l’hégire se fasse entendre là, soit par l’intermédiaire des orientaux exilés, soit par l’intermédiaire des Maghrébins eux-mêmes de retour de l’Orient.

Les musulmans du Maghrib, d’autre part, vouèrent très tôt un grand amour pour le Prophète et un fort attachement à ses descendants. L’arrivé d’Idrîs 1er, et de sa famille, puis de leurs enfants, eut un rôle important dans l’enracinement et la diffusion de la religion.413 C’est pourquoi il ne convient pas d’occulter ou de sous estimer l’influence orientale dans la genèse du soufisme du Maghrib. En premier lieu parce que le pilier religieux du pèlerinage les contraignait à voyager vers les terres saintes et à passer par l’Ifriqiya, l’Egypte et d’autres pays de l’Orient, ce qui était l’occasion pour eux de s’instruire auprès des Savants locaux. En retour, les Savants de l’Orient voyagèrent beaucoup vers le Maghrib et l’Andalousie, en particulier après l’unification de ces deux régions, et leur renforcement politique et culturel, qui les plaça à un rang équivalent à celui de l’Orient.

De la même façon, les ouvrages soufis d’Orient se diffusèrent au Maghrib. Les Savants, après en avoir reçu la licence de leurs auteurs, s’employaient à les enseigner chez eux. C’est ainsi que les diverses confréries, les idées et les écoles juridiques issues de ses régions s’introduisirent, et leurs préceptes furent adoptés dans les villes, puis jusque dans les villages. Deux auteurs eurent une influence particulière,

Junayd et al-Ghazâlî. Le premier devint une référence soufie incontournable à laquelle s’attachèrent aussi bien les écoles que les confréries, la Shâdhiliyya, la Jazûliyya puis toutes les branches issues de celles-ci. Ainsi, dans son étude sur les mouvements islamiques au Maghrib, un chercheur fait remarquer à ce sujet :

«Il aurait été étonnant que le soufisme n’apparaisse pas au Maghrib, car tous les courants émergeant en Orient y trouvaient un écho».

Il apparaît donc que le soufisme maghrébin fut influencé par les écoles soufies d’Orient. Cependant, la Tarîqa al-Shâdhiliyya, originaire du Maghrib s’exporta à son tour vers l’Egypte, le Shâm414, le Hijaz, et l’ensemble des pays situés entre ces deux régions du monde musulman. Les illustres représentants de cette Voie jouèrent, directement ou indirectement, un grand rôle dans la promotion et l’essor du soufisme en Egypte au septième siècle de l’hégire. Ces personnages sont en premier lieu Abu Madyan al-Tilimsânî, ‘Abdesalâm Ibn Mashîsh et Abu al-Fath al-Wâsitî. Il suffit pour démonter l’importance de ce rôle, d’indiquer par exemple qu’Abu Madyan fut le Maître éducateur de ‘Abd ar-Razzâq al-Jazûlî et que ce dernier fut celui de ‘Abderrahîm al-Qinâ’î et de Abu al-Hajâj al-Aqsarî, de même qu’Abu Madyan fut celui du Shaykh ‘Abdesalâm Ibn Mashîsh, lui-même Maître éducateur d’Abu Hasan al-Shâdhilî. Il ressort de cet exposé et de l’étude des personnalités citées, que les caractéristiques. maghrébines ont fortement marquées la genèse des confréries soufies d’Egypte.

Nous constatons d’autre part que les représentants des Voies soufies de cette région sont pour la plupart d’origine magrébine ou irakienne, et qu’il n’y a pas de confrérie locale à proprement parler415. Il en va de même des Shaykhs de la Tarîqa al-Shâdhilîyya de Syrie à notre époque ; tous tiennent leur enseignement du Shaykh Muhammad Ibn al-Hâshimî al-Tilimsânî al-Jazâ'irî, lequel tenait le sien d’Ahmad Ibn al-Mustafa al-‘Alaouî416. Or ces Maîtres sont tous originaires du Maghrib. Il suffit, pour s’assurer de leur origine, de consulter la chaîne de transmission shâdhilie de ces régions.

414 Région comprenant la Syrie actuelle et ses environs. 415 Najjâr, Al-Turuq, p.82.

En raison du discours universel mettant l’accent sur l’amour, l’éducation de l’âme et la sagesse, les occidentaux, européens et américains, ont reçu très favorablement le soufisme. Nombreux sont ceux qui ont adhéré à l’islam par le biais du soufisme et se sont intégrés à la Tarîqa al-Shâdhiliyya. L’exemple de René Guénon, est à cet égard très parlant. Ce penseur converti à l’islam et adepte de la Voie Shâdhiliyya continue jusqu’à ce jour, à travers ses ouvrages, à exercer une grande influence sur les occidentaux. Abdelhalîm Mahmûd dit à ce sujet :

« Nous avons souhaité, par la volonté de Dieu, montrer l’influence de l’Imâm al-Shâdhilî à l’époque moderne en particulier, nous avons donc omis volontairement les époques successives depuis le temps de l’Imâm al-Shâdhilî jusqu’au quatorzième siècle de l’hégire. Ce siècle compte un grand nombre de très Saints personnages, qui se montrèrent dignes de l’agrément de Dieu et de son Prophète, et qui s’employèrent à acquérir les vertus du Seigneur et à suivre la tradition de Son envoyé. Parmi ceux-là, nous avons choisis - par la grâce de Dieu - deux Maîtres insignes, en raison de notre lien particulier avec eux, qui est donc la raison de notre choix. Le premier est originaire d’Europe, et plus précisément de France. C’est un Français de pure souche qui passa son enfance à Paris et continua sa vie au Caire. Tout l’Occident le connaît, tant en Amérique qu’en Europe, parce qu’il est un des représentant éclairés de la mouvance soufie originelle. Les historiens des religions le citent, ainsi que les gens intéressés par la spiritualité et les plus éminents partisans de la réforme de la société moderne, soucieux de la hisser vers un plus haut idéal, il s’agit du gnostique, ‘Abd al-Wâhid Yahyâ (René Guénon) qui a embrassé l’Islam par le biais du Shaykh ‘Illîsh417 al-Kabîr, lequel était à la fois Shaykh d’une des branches de la Shâdhiliyya et celui de l’école juridique malikite d’al-Azhar »418.

417 La famille du Shaykh ‘Illîsh est une famille marocaine dont le plus célèbre représentant est le Shaykh Muhammad ‘Illîsh al-Kabîr (1218-1299).

418 Mahmûd, Abdelhalîm, Al-madrasa al-Shâdhilîyya, p.249.et voir également : Shaykh ‘Abd

Al-Wâhid Yahyâ, khamsûn ‘âman ‘alâ wafâtihi, ‘Abd Al-Halîm Mahmûd, Présentation Sayyid Husayn Nasr,

Il demeura donc au Caire et se consacra à l’écriture, il rédigeait des articles et des essais qu’il envoyait aux quatre coins du monde. C’était une activité permanente : une activité intellectuelle et spirituelle qui projetait sa lumière à toute personne cherchant son chemin419. Cet homme est l’un de ceux qui prirent pour Maîtres les Shaykhs de la Tarîqa al-Shâdhilîyya et qui parvinrent à introduire celle-ci en occident.

Le docteur Eric Geoffroy dit à ce sujet :

Une voie soufie dans le monde: la Shâdhiliyya420.La Shâdhiliyya est la grande voie initiatique des terres médianes et occidentales de l’islam …
 Cette proximité géographique de la Shâdhiliyya avec notre Occident n’a pas été sans conséquence sur les mystiques juive et chrétienne à l’époque médiévale tout d’abord ; elle explique ensuite la forte présence des Shâdhilis dans l’immigration européenne au XXe siècle, ainsi que l’adhésion d’Européens de souche à cette voie, dont certains sont des auteurs connus (René Guénon, Frithjof Schuon...). Les Shâdhilis occidentaux ont d’ailleurs largement oeuvré à traduire le patrimoine soufi en langues européennes. La Shâdhiliyya n’est donc pas une confrérie exotique, et elle nous concerne à divers titres. Elle conserve son actualité spirituelle, et elle contribue ici ou là à la lutte contre le wahhabisme et d’autres formes d’intégrisme de l’islam. Elle possède une certaine universalité, par son extension spatiale (Balkans, Afrique saharienne, océan Indien, Asie du sud-est, Chine ...et aujourd’hui l’Europe et les États-Unis), mais aussi par les modalités diverses qu’elle a assumées : plutôt que d’un "ordre", il faut parler d’une école spirituelle et initiatique au rayonnement diffus.

En conclusion, je dirais que la Tarîqa al-Shâdhilîyya al-Darqâwiyya, avec ses diverses branches au Maghrib, en Orient ou dans le monde occidental, se matérialisait par une Zaouïa ou par plusieurs. Or celles-ci avaient jadis un rôle essentiel dans la vie des citoyens. Elles étaient, en effet, des centres où était

419 Al-madrasa al-Shâdhilîyya, p.257

420 Colloque international organisé par Éric Geoffroy (Université Marc Bloch - Strasbourg) à la Bibliothèque Alexandrina18-21 avril 2003. Source web: http://www.eric-geoffroy.net/Une-voie-soufie-dans-le-monde-la,18

dispensées la science et l’éducation en parallèle aux écoles et aux Mosquées ; elles étaient, en outre, des lieux sociaux consacrés à l’aide des démunis, offrant le gite et le couvert. Elles jouèrent aussi un rôle dans la diffusion de la langue et de la culture arabe, et de l’Islam. C’était le cas des confréries shâdhilies originelles. Aujourd’hui, la Tarîqa al- Darqâwiyya continue à jouer un rôle central dans l’éducation des gens, tant sur le plan personnel que religieux. Elle s’emploie également à l’enseignement du Coran et des sciences islamiques. Certaines Zaouïas continuent à jouer également leur rôle social consistant à accueillir les démunis, à les nourrir et à les loger. Il convient également de noter que de nombreux pays d’Afrique n’ont connu l’islam qu’à travers les Maîtres de la Tarîqa al-Shâdhilîyya al-Darqâwiyya.

CHAPITRE VI: LES FONDEMENTS DE LA TARÎQA