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L’ATTACHEMENT DES SHAYKHS DE LA TARIQA AL-DARQAWIYYA A L’IDENTITE NATIONALE ET LEUR DEFENSE DE L’INTEGRITE DE LA

NATION :

A l’examen des sources de l’histoire du Maroc, et en particulier les livres d’histoire du soufisme et de ses hommes, nous constatons que les Shaykhs de la Tarîqa al-Darqâwiyya étaient attachés à leur identité nationale, qu’ils avaient des liens très forts avec les émirs des croyants qu’ils servaient, qu’ils incitaient les gens à leur faire allégeance et qu’ils combattaient l’étranger qui voulait dominer le pays et les hommes.

Le professeur Ibrâhîm Harakât affirme, en parlant de la Tarîqa al-Darqâwiyya : «Parmi ses grands Shaykhs, il y avait al-‘Arabî al-Darqâwi, contemporain de Mulay Sliman et de Mulay ‘‘Abderrahman, qui joua un rôle éminent dans la sensibilisation des adeptes de son mouvement contre la colonisation française et qui soufra d’avoir dirigé la révolte contre Mulay Sliman en faveur le l’Emir Yazîd. Cette affaire alla loin,

car Mulay al-‘Arabî fut emprisonné pendant une période de plus de deux ans. Les Darqâwis adoptèrent alors une attitude de souplesse envers le pouvoir et préparèrent le Moyen Atlas à l’opposition contre l’intervention étrangère »437.

Certains prennent l’épisode de l’emprisonnement de Mulay al-‘Arabî al-Darqâwi de la part du Sultan Mulay Sliman comme prétexte pour affirmer à tort que la Tarîqa était contre le pouvoir, ce qui est complètement faux. La raison de son emprisonnement est évidente : il prit parti pour l’Emir Mulay Yazîd contre Mulay Sliman. Cependant le Shaykh Mulay al-‘Arabi ne fut pas le seul à le faire, ce fut aussi le cas des gens de Fès, de ceux du Jabal al-‘Alam ainsi que ceux de Tétouan, Tanger, Larache et Asilah. L’on sait qu’à cette époque il n’y avait pas de stabilité totale, en raison de la course pour le pouvoir entre les tribus, et quelquefois même entre les fils des Sultans. Pour avoir plus de détails sur ce point il faut consulter al-Istiqsâ de al-Nâsirî, dans son chapitre sur la

(allégeance) de l’Emir des croyants, Mulay Yazîd Ibn Muhammad -que Dieu lui soit miséricordieux !438

Afin de savoir la très bonne relation qui liait le Shaykh Mulay al-‘Arabî aux émirs des croyants, écoutons ce qu’en disent les historiographes. Muhammad Bashîr al-Fâsî dit :

« Il (Mulay al-‘Arabî al-Darqâwi) fournissait un grand effort dans l’intérêt des musulmans, pour éteindre le feu de la discorde entre eux, pour unifier leurs voix dans l’obéissance à leurs émirs ; il accomplit des actions importantes dans ce sens au temps du vénérable Sultan Mulay Sliman Ibn Sidi Muhammad Ibn ‘Abdellah al-‘Alaoui, car celui-ci lui confia des missions importantes, comme son voyage à Oran en l’an 1220 de l’hégire auprès de son Emir Mulay ‘Abdelkader Ibn al-Sharîf, et j’ai pu consulter des lettres du Sultan précité au traducteur qui prouvent ses bons offices

437 Harakât, Ibrâhîm, Les mouvements politiques et intellectuels au Maroc pendant deux siècles et demi avant le

protectorat, Dâr al-Rachâd al-hadîtha, vol. 3, p. 59.

438 Nâcirî, al-istiqsâ fî tarîkh al-Maghrib al-Aqsâ, Casablanca, Dâr al Kitâb, 1e éd., vol. 3, pp. 79, 109, 150, 1/1997.

pour rassembler les voix et éteindre le feu de la discorde ; je retranscris ces lettres à toutes fins utiles ».

J’ai choisi de retranscrire ici le texte de l’une de ces lettres pour avoir une idée des très bonnes relations entre le Shaykh et le Sultan :

« Louange à Dieu seul et que Dieu bénisse et salue sayiduna Muhammad, les siens et ses compagnons, notre cher faqîr sharîf Mulay al-‘Arabî al-Darqâwi, sur toi le salut, la miséricorde et la baraka divins, nous avons reçu ta lettre et l’avons lue ; nous avons reçu aussi la lettre du sharîf Sidi ‘Abdelkader Ibn al-Sharîf, et lui avons fait la réponse que voici, prends en connaissance : "Nous pensons retarder cette affaire jusqu’à la fin de l’hiver et le début du printemps, qui est plus propice et meilleur, car personne ne se déplace pendant l’hiver en raison de l’abondance de boue, des rivières qui débordent et de la rareté des services. Après l’hiver nous nous déplacerons, par la grâce de Dieu, personnellement et avec nos glorieux soldats, et la victoire sera totale –si Dieu l’agrée. Confirme à Sidi ‘Abdelkader, lorsqu’il saura notre arrivée à Oujda ou Tlemcen de se présenter à nous à la fin du mois de sha‘ban 1220 [de l’hégire]" ».439 Le Shaykh Mulay al-‘Arabi al Darqâwi ne citait les émirs des croyants qui ont dirigé ce pays, à son époque ou à une époque antérieure, qu’avec respect, glorification, et vénération, et il s’efforçait de leur plaire après cela. Que Dieu lui soit miséricordieux, il dit dans une de ses lettres :

« Faqîr, aie toujours de l’aspiration [vers Dieu] et tu verras des merveilles ; si tu demandes : "Comment", je te dirais que le noble Sultan Sa‘di Mulay Ahmad al-Dhahabî –que Dieu lui soit miséricordieux- dit au célèbre Saint (walî) Abî al-Shitâ' al-Khamâr –que Dieu nous fasse profiter par lui… etc. ».

Il dit aussi dans une autre lettre :

439 Fâsî, Muhammad al Bashîr al-, Qabîlat bani zeroual : Madhâhir hayâti-hâ al-thaqâfiya wa al-ijtimâ‘iya wa

al-iqtisâdiya, Rabat, Faculté des lettres, publication du centre universitaire pour la recherche scientifique,

« Au début de mon cheminement, c’était à l’époque de la reconquête de al-Barîja par le glorieux, noble et vénérable Sultan Abu ‘Abdallah Sidi Muhammad Ibn ‘Abdallah Ibn Ismâ‘îl al-Hasani al-‘Alaoui –que Dieu l’agrée et lui soit miséricordieux… », il le cita par ces termes de vénération et de considération plusieurs fois dans ses lettres440.

Ce qui montre encore plus la profondeur des bonnes relations qui liaient Mulay al ‘Arabî al-Darqâwi aux émirs des croyants, c’est qu’ils avaient pris de lui le wird (litanies initiatiques) darqâwi, et certains d’entre eux étaient parmi ses meilleurs disciples. Muhammad al Bâshîr al-Fâsî dit :

«Les gens vinrent à lui en nombre de toutes parts, et parmi ses disciples il y avait les seigneurs et leurs sujets, les chefs et leurs administrés… ; parmi les grands qui s’affilièrent à lui il y avait sa majesté le Sultan Mulay ’Abderrahman Ibn Hichâm al-‘Alaoui, mort en 1277 de l’hégire, et sidi ‘Abdelkader Ibn al-Sharîf, Sultan d’Oran, mort en 1233 de l’hégire. La majesté du rang d’émir est la meilleure preuve de sa grande influence et de l’éminence de sa science sur les autres Shaykhs de son époque ».441 Des faits sont confirmés, concernant de nombreux Shaykhs de la Tarîqa al-Darqâwiyya, après cette période, à savoir leurs rencontres avec les Sultans, leurs contacts et leurs relations épistolaires, ainsi que leurs efforts pour les servir, les respecter et les vénérer conformément à leur haut rang, ainsi que l’incitation des sujets à leur obéir et à leur être fidèles.

Quant à la résistance aux ennemis de la nation, les Shaykhs de la Tarîqa et ses disciples y avaient un grand mérite. Muhammad al-Bashîr al-Fâsî dit, en parlant de la tribu des Bani Zeroual, à laquelle appartient Mulay al-‘Arabî al-Darqâwi :

440 Darqâwi, al-Rasâ'il, p. 40. 441 Id., p. 40.

«Les Bani Zeroual ont un nationalisme passionné, une jalousie pour la religion, un grand amour pour la liberté et une haine de la servitude, et en particulier de la domination par l’étranger. Depuis que Dieu a infligé au pays l’épreuve du colonialisme français et espagnol, la tribu des Bani Zeroual est à la pointe de la résistance et du militantisme et ne fut soumise qu’après que les forces françaises et espagnoles se coalisèrent pour combattre le mouvement du combattant Muhammad Ibn ‘Abdelkrim al-Khattâbî. Dès que ce dernier apparut et qu’il déclara la guerre à la France et l’Espagne, les Bani Zeroual se rallièrent à lui pour combattre le colonialisme et ses sbires, avec à leur tête la Zaouïa al-Darqâwiyya de Amjût. Les forces coloniales détruisirent et brûlèrent les maisons de la tribu, et en chassèrent les habitants de la pire des manières442.

A cette occasion je mentionne le rajout de la formule Hasbunâ Allah wa Ni‘ma al Wakîl (Dieu nous suffit, le Garant par excellence) au wird darqâwi, pendant la période du protectorat français, de la part du Shaykh sidi Hâj ‘Ali Ibn Ahmad al-Darqâwi, qui fut l’un des Shaykhs qui répandirent la Tarîqa al-Darqâwiyya au sud du Maroc.

Al-‘allama Muhammad al-Mukhtar al-SOUSSÎ, rapporte que lorsque sidi al-Hâj ‘Ali Ibn Ahmad et ses adeptes se dirigeaient vers Marrakech en compagnie du Shaykh Ibrâhîm al-Basîr, et des fuqara de Rhamna et du Haouz accompagnant ce dernier, ils descendirent tous à la Zaouïa al-Kattâniyya à l’invitation de son muqaddem Muhammad al-Shîkhî (m. 1947/1367 H. ) qui fut très généreux dans son hospitalité. Lorsque le Shaykh voulut partir, il lui dit :

«Le Prophète –que Dieu le bénisse et le salue- a offert à sa nation un don par mes soins, l’acceptez-vous ? Il est pour vous une forteresse imprenable, un jardin protecteur contre un coup terrible qui va frapper les musulmans, ajoutez-le à votre wird comme nous allons le faire

mêmes –si Dieu l’agrée (in shâ'a Allah) depuis maintenant et jusqu’à la fin des temps »443,

ceux qui chercheront asile par cette formule seront saufs contre les calamités, grandes et petites, il s’agit de : "Hasbuna Allah wa Ni‘ma al-Wakîl." Il demanda alors à tous les fuqara de la répéter à voix haute et forte, puis ils prirent le départ en la récitant dans un état spirituel fort et continuèrent jusqu’à leur arrivée à Marrakech, et y entrèrent ainsi444. Depuis cette époque, cette formule fait partie du wird darqâwi de source SOUSSÎe ; elle constitue la quatrième centaine. Après avoir raconté cette histoire dans le détail, le Shaykh Muhammad al-Mustafa al-Basîr ajoute que le Shaykh al-IIlighî dit au Shaykh Ibrâhîm al-Basîr:

«Vous en trouverez le bienfait (baraka) en votre for intérieur, de même que le Maroc dans son ensemble le trouvera»445.

Au vu de ce qui précède, il apparaît que, depuis son apparition, la Tarîqa al-Darqâwiyya s’appuie, dans son éducation, sur la Loi divine (Shar’ Allah) et la Sunna du Prophète, Elle est ainsi un exemple du cheminement et de l’éducation soufis sunnites qui découle de la source de la loi islamique, loin des innovations blâmables, du charlatanisme et des mensonges.

443Basîr, Muhammad al-Mustafa al-, al-Ightibât bi Zaouïat al-Shaykh sidi Ibrâhîm al-Basîr bi Bani ‘Ayat, manuscrit, Zaouïa du Shaykh sidi Ibrâhîm al-Basîr, p. 138.

444 Soussî, al-Ma‘sul, vol. 12, pp ; 138-139. 445 Basîr, al-Ightibât, p. 140.