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Le signifiant est un modèle reconnu dans le stimulus en fonction de certaines de ses propriétés physiques. Par exemple, la couleur et l'opacité pour l'encre d'un texte imprimé. Klinkenberg considère que ces propriétés font partie du stimulus et que ce sont même elles qui définissent la "matérialité du signe" comme stimulus de ce signe. Pourtant, en examinant les processus percepto-cognitifs, on se rend compte que la perception de ces caractéristiques et donc la constitution du signifiant, est intimement liée aux attentes et stratégies cognitives mises en place et qui sont en grande partie fonction de la profondeur de dispositif. Il m'apparaît donc plus opportun de considérer

7 il suffit de voyager pour se rendre compte à quel point les déductions météorologiques de l'observation de la nature de la nature sont culturelles. Ainsi je me souviens d'une anecdote. Installé à la terrasse d'un café à Marseille, j'observe les gros nuages noirs menaçants. En bon gars du Nord, je prédis que la pluie va tomber sous peu, et pas qu'un peu : qu'il va "tomber une bonne drache" comme on dit chez nous et en belgique. Je demande ce qu'il en est au garçon de café qui lève alors la tête et me répond "pleuvoir ? Non, pourquoi ?"

que les caractéristiques physiques qui déterminent la reconnaissance du signifiant sont, avec la profondeur de dispositif, une composante de la relation entre le stimulus et le signifiant. Autrement dit, plutôt que d'inclure ces caractéristiques dans le stimulus, on peut considérer qu'elles typent, avec la profondeur de dispositif, la relation entre stimulus et signifiant. Cette notion de relation typée, courante en informatique, n'est pas utilisée en sémiotique. Elle évite pourtant d'introduire un nouveau terme qui jouerait un rôle analogue au "fondement du signe" de la théorie peircéenne, c'est-à-dire qui introduirait le point de vue dans les composantes du signe, ce qui est inutile puisque le point de vue est déjà présent dans la profondeur de dispositif.

Si nous typons la relation signifiant-stimulus, la définition du stimulus doit être revue. Il s'agit toujours de la matérialité du signe mais d'une matérialité qui fait abstraction de ses caractéristiques physiques tout en assurant le caractère perceptible du signe. Autrement dit, le stimulus est, dans mon modèle, ce qui permet de dire que le signe est là parce qu'il est perçu. Le stimulus est ainsi l'extension spatio-temporelle du signe, le "où" et "quand" du signe. Il est donc indépendant du système sémiotique, la dépendance du signe au système étant maintenant reportée sur la relation que le stimulus entretient avec le signifiant.

Cette petite déviation par rapport au modèle originel de Klinkenberg présente un grand avantage dans l'étude des énoncés pluricodes, c'est-à-dire qui mélangent des codes sémiotiques différents. Elle permet de définir la notion de pluricode isostimulus : un signe pluricode isostimulus est un signe pluricode dont les signes des différents systèmes qui le composent ont tous le même stimulus, c'est-à-dire qu'ils sont tous coprésents dans le même objet perceptible. Cette caractéristique simplifie souvent l'analyse car, dans un système pluricode, un code domine souvent les autres, c'est même cette dissymétrie entre les codes qui permet de le reconnaître comme pluricode, notamment si ces systèmes se superposent.

La typographie constitue un bon exemple de système de signes pluricodes isostimulus. On peut y déceler un code linguistique qui permet de reconnaître lettres et mots, un code plastique8 lié notamment à la graisse, la taille et la forme particulière des lettres, un code d'usage lié à la fonte : on n'utilise pas l'arial, le gothique ou le old english dans les mêmes situations : chacun porte une atmosphère spécifique. De même,

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l'italique, le normal et le gras déterminent des caractéristiques dont l'interprétation tient au code d'usage. Par exemple, l'italique est utilisé pour différencier le titre d'une revue du titre d'un article dans un code de référence bibliographique, alors qu'il est utilisé pour indiquer le statut de citation dans le corps d'un article. À ces systèmes présents dans les textes imprimés, il conviendra d'ajouter pour les typographies animées la sémiotique temporelle qui sera présentée en IV. 2.

L'exemple simple de la typographie permet de relever quelques propriétés fondamentales des systèmes pluricodes isostimulus :

1. les systèmes9 sémiotiques qui le composent ne sont pas tous équivalents. Selon l'usage de la typographie, un système prévaut sur les autres qui, dès lors, ne doivent être appréhendés que dans leur rapport à ce système prédominant. C'est généralement le système linguistique qui prédomine dans l'usage de la typographie, mais ce n'est pas le cas dans les tableaux futuristes de Marinetti par exemple. Le système prédominant d'un énoncé pluricode peut également être déterminé par la profondeur de dispositif. C'est bien cette propriété que j'observais dans les réactions des lecteurs de mes poèmes-objets dans les années 1990. Cette détermination est grandement facilitée par ce que les psychologues nomment les "tâches expertes", à savoir les tâches que le sujet a l'habitude de réaliser, soit pour des raisons professionnelles, suite à un apprentissage ou de par ses hobbies, et pour lesquelles il possède une expertise que d'autres n'ont pas. Ericsson et Kintsch (1995) ont montré que, pour ces tâches, le sujet développe une mémoire de travail dans sa mémoire à long terme qui est, en quelque sorte, un câblage des propriétés de la tâche. Toute information relative à une telle tâche n'est pas traitée par les processus cognitifs habituels mais directement "pluguée" dans la mémoire de travail sur les représentations mentales ad

hoc de la mémoire à long terme. Dans ce cas, le traitement cognitif est automatique,

rapide, irrépressible. La lecture est une tâche experte, c'est pourquoi on ne peut pas ne pas lire un mot une lettre ou un texte, même à partir d'informations très parcellaires,

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Il conviendrait d'utiliser le terme "code" ici à la place de "système". En sémiotique, le système est l'ensemble des oppositions entre des unités de même nature et de même statut, le code étant l'association de ces deux systèmes. Il existe donc un système de l'expression pour les signifiants (la grammaire) et un système du plan du contenu pour les signifiés (la sémantique). Mais l'utilisation sémiotique du terme "code" créera une ambiguïté dès que nous nous intéresserons au programme informatique, l'usage courant en informatique, comme en littérature numérique, consistant à désigner ce programme sous le terme de "code". Aussi, pour éviter ce problème, j'utiliserai généralement le terme de "système sémiotique" à la place de "code sémiotique".

lorsque ces éléments concernent sa langue maternelle ; d'où la priorité quasi automatique du système linguistique dans la typographie. Une activité comme la pratique de la composition musicale va développer une attention particulière à des systèmes sémiotiques courants en musique, alors qu'une activité de peintre va développer une sensibilité aux signes plastiques. Pour l'analyste, l'interprétation d'un énoncé pluricode ne peut donc être unique ; elle doit nécessairement tenir compte du système prédominant. L'analyse est ainsi nécessairement plurielle, il faut prendre en compte successivement chaque système repéré comme système prédominant et se demander ce qu'il en est des processus interprétatifs lorsque ce système sémiotique s'impose aux autres.

2. La présence d'un système prédominant est souvent à l'origine de la décision sémiotique qui constitue un énoncé comme pluricode. La liste des autres systèmes qui interviennent dans l'interprétation n'est alors pas figée, elle varie d'un sujet à l'autre selon sa sensibilité sémiotique. Autrement dit, la composition d'un énoncé pluricode n'est pas inhérente à l'objet perceptible mais, comme tout signe, cette composition elle- même fait l'objet d'une décision sémiotique. L'énoncé peut d'ailleurs être traité comme relevant d'un système sémiotique spécifique sans le décomposer en systèmes plus évidents pour le sujet. Cet énoncé, pour ce sujet, n'est alors pas pluricode. L'analyse des interprétations du test du B/13 de Bruner va nous permettre de montrer cette propriété.