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La plupart des modèles Sémiotiques repose sur le concept de "signe" décliné, soit dans l'optique de Peirce, soit dans celle de l'école saussurienne. Seule la sémiotique tensive de Fontanille (2003) réfute ce concept. Parmi toutes ces approches, compte tenu des présupposés précédemment énoncés et de l'importance que le modèle accorde aux processus psychologiques, celle de Klinkenberg (2000) me semble la mieux adaptée à mon modèle car on peut la lire comme une traduction sémiotique de processus percepto- cognitifs. Précisons que le précis de sémiotique générale dans lequel est défini le modèle ici présenté ne réalise pas un tel rapprochement, mais que celui-ci avait été fait en partie dans un ouvrage antérieur du groupe mu auquel appartient Klinkenberg : le

traité du signe visuel (groupe mu, 1992).

Le groupe mu, important groupe sémiotique belge, a développé une psychologie cognitive qu'il a pu appliquer avec bonheur à des domaines étrangers à la linguistique,

notamment aux divers systèmes sémiotiques visuels (groupe mu 1992) ainsi qu'à la poésie concrète et visuelle (groupe mu, 1984, 1990: 328-340 ; Edeline, 1972).

Klinkenberg (2000: 92-98) définit le signe comme l’association indivisible d’un stimulus, d’un signifiant, d’un signifié et d’un référent. Ces composantes n'existent pas en elles-mêmes, elles résultent toutes de la décision sémiotique : le signe est un construit, pas un donné. Il représente son modèle par le schéma suivant (Figure 2) :

stimulus

signifiant

signifié

référent

Figure 2 : le modèle tétradique du signe (Klinkenberg, 2000 : 93)

Les trois premières composantes sont classiques : il s'agit du signifiant, du signifié et du référent, mais la quatrième, le stimulus, est particulièrement bien adaptée à notre propos. Rappelons les définitions que Klinkenberg donne de ces termes :

- Le stimulus "est la face concrète du signe, ce qui, dans la communication, le

rend transmissible par le canal, en direction d'un de nos cinq sens". (ibid.

93). Il s'agit donc de ce qu'on nomme parfois la "matérialité" du signe. Mais cette matérialité n'est stimulus que parce qu'elle possède certaines propriétés perceptives qui permettent d'y reconnaître un modèle percepto-cognitif : le signifiant.

- Le signifiant (Sa) : " Au stimulus physique correspond donc un certain

modèle théorique de ce stimulus. Ce modèle, nous l'appellerons signifiant"

(ibid. 94). Le signifiant est donc reconnu mentalement, il résulte d'un processus percepto-cognitif. Dans les systèmes sémiotiques simples, il s'agit même du premier stade de traitement percepto-cognitif. On peut dire que le stimulus est nécessaire à la perception et le signifiant à la détection du signe dont il constitue la première étape, une partie de cette détection étant d'ailleurs réalisée à un niveau biologique non catégoriel, par les registres

d'information sensoriels et dépend alors de l'espèce (Figure 4). Des expériences psychologiques comme celles des figures de Kanizsa ou d’Ehrenstein (Figure 3) qui mettent en évidence des contours virtuels s’expliquent par l’implication, dans le phénomène de perception, d’un mécanisme de détection de contour (Dresp, 1998 ; Zucker et Davis, 1988) qui serait lié à l’existence de ces registres sensoriels. Ces derniers, biologiques, permettent de détecter des grandeurs indépendantes comme la luminosité, la couleur, le contour… et interviennent avant toute cognition. Les grandeurs ainsi détectées varient d’une espèce à l’autre. Ils constituent donc une extraction d’information qui n’est pas simplement une « copie » du stimulus sensible mais également une construction, une abstraction.

Figures de Kanizsa Figure d’Ehrenstein

Figure 4 : modèle d’Atkinson et Schiffrin (1968: 93)5

- Le signifié (Sé) "est fréquemment défini comme l'image mentale suscitée par

le signifiant, et correspondant au référent" (ibid. 95). "Tout comme le signifiant, le signifié est un modèle, une abstraction définissant l'homogénéité d'une classe d'objets" (ibid. 96). Dans les systèmes

sémiotiques simples, le signifié est construit par le traitement cognitif initial du contenu de la mémoire de travail.

- Finalement, le référent "est ce dont il est question dans un processus de

communication ou de signification donné. […] Le référent n'est pas l'objet du monde […] On ne peut connaître l'objet du monde comme tel : nous ne faisons que projeter nos modèles sur les stimulis provenant de la réalité. Le référent est donc l'objet du monde en tant qu'il peut être associé à un modèle, en tant qu'il peut faire partie d'une classe" (ibid. 97)

Ainsi donc, le schéma en quatre composants de la Figure 2 fournit une catégorisation des composantes du signe plus simple que les modèles triadiques usuels

5 Le modèle de la mémoire postulé par le modèle standard d'Atkinson et Sciffrin a ensuite été complété et remanié par plusieurs chercheurs, notamment Baddeley (1986), Erickson et Kintch, (1995) mais ces modifications ne portent pas sur les propriétés du modèle que nous utilisons dans l'élaboration du modèle, à savoir le rôle des registres sensoriels et des attentes

comme le modèle d'Ogden-Richards (Figure 5). Le modèle de Klinkenberg supprime notamment la confusion parfois faite entre le signifiant, qui est un modèle, et le stimulus, qui relève du monde physique. Dans le modèle de Klinkenberg, il est clair que les composants de la ligne haute du schéma correspondent à des états psychologiques réalisés lors du processus percepto-cognitif de traitement du signe, qui se réfèrent donc au monde intérieur, alors que les composantes de la ligne basse se réfèrent au monde extérieur : réel et perceptible en ce qui concerne le stimulus, produit d'une catégorisation et d'une modélisation en ce qui concerne le référent. De même, la colonne de gauche (stimulus et signifiant) est relative à la dimension perceptive du signe, la colonne de droite à la dimension cognitive.

référent

signifiant

signifié

Figure 5 : triangle d'Ogden et Richards (Klinkenberg, 2000 : 98)

La sémiotique prend en considération la profondeur de traitement cognitif en introduisant des emboîtements de signes, l'ensemble Sa/Sé de l'un devenant le Sa de l'autre. Ainsi, pour reprendre un exemple donné par Klinkenberg, l'observation de la taille et de la couleur des fruits sur l'arbre peut donner une information sur la météo. Si les fruits sont gros et bien mûrs c'est que le soleil était au rendez-vous au bon moment. Cette interprétation met successivement en jeu deux systèmes sémiotiques différents6 : le premier système est iconique visuel : je reconnais le fruit par des caractéristiques de ressemblance : taille, couleur, forme notamment. Ces stimuli sont associés à des signifiants comme /rouge/, /gros/ (peut importe la taille exacte et la valeur colorimétrique exacte de la couleur), qui me permettent de reconnaître le fruit. Dans une seconde étape, ces caractéristiques (couleur et fruit notamment) forment le signifiant

6 ce qui ne signifie pas que les processus cognitifs correspondants soient successifs : les processus sémiotiques sont un modèle théorique distinct de la psychologie cognitive et n'en reproduisent pas les processus

d'un nouveau signe qui est un indice appartenant à un système sémiotique culturel7 dont l'indiqué (le signifié) est l'information météorologique déduite de l'observation.

Notons que le modèle de Klinkenberg, comme tout modèle du signe, suppose prise la décision sémiotique. Il n'est donc opérationnel qu'après que la profondeur de dispositif ait agi et sous sa contrainte : dans mon modèle, le signe envisagé est donc

relatif à un point de vue.

Klinkenberg insiste sur le fait que les quatre composantes du signe sont définies en rapport avec le système sémiotique dans lequel s'inscrit le signe considéré. Ce qui implique que le stimulus du signe n'est pas stimulus parce qu'il est matériel, mais parce que cette matérialité présente des caractéristiques physiques qui permettent d'y reconnaître un signifiant. Cette considération apparaît clairement dans le test du B/13 précédemment évoqué (Figure 19) : le contexte de la forme ambiguë détermine la décision sémiotique. Le contexte est ici constitué par le code sémiotique environnant la forme. Ce code s'impose alors pour identifier la forme comme stimulus d’un signe numérique ou alphanumérique et l’interpréter. Il en résulte notamment qu'un capteur matériel n'enregistre jamais le stimulus d'un signe ; le concept de stimulus est inopérant dans un traitement technique de l'information.