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2.1 2 Pouvoir et influence sur une communication intentionnelle

Dans une communication intentionnelle, le texte-auteur de l'auteur comporte une intentionnalité déléguée sur l'ensemble des textes qu'il suppose que le lecteur se forgera en lecture étroite, à savoir le texte-à-voir du lecteur et sa propre activité de lecture considérée comme signe par lui-même (cf la double lecture en IX.3.3. 2). L'axe communicationnel étant orienté, le source est l'expression déléguée d'une intentionnalité d'acteur du rôle auteur. Cette intentionnalité, peut s'exprimer pleinement dans les espaces de signe du rôle lecteur ou être modifiée et mise en danger par les transformations opérées par l'appareillage.

Les agents techniques ont un pouvoir d'action directe sur l'appareillage. Ils peuvent, par ce biais, porter atteinte à la façon dont l'intentionnalité d'auteur se manifeste dans le transitoire observable et y injecter des conséquences de leur propre intentionnalité d'acteur. Il en résulte que le rôle d'agent technique est un rôle de pouvoir exercé sur la communication intentionnelle entre l'auteur et le lecteur.

Les méta-lecteurs n'agissent pas sur l'appareillage. Ils n'exercent donc pas de pouvoir direct sur la communication auteur/lecteur qui s'effectue selon l'axe communicationnel. En revanche, ils peuvent influencer les autres rôles et agir sur les lecteurs éloignés.

Voyons cela sur quelques exemples de situations possibles que nous décomposons tout de suite en un scénario temporel de façon à décrire l'évolution diachronique de la situation de communication

Paul et Jean sont deux amis et Jean a comme collègue Michel. Paul crée une œuvre en ligne sous la forme d'un work in progress, c'est-à-dire d'une production qu'il modifie dans le temps. À la date t1, Paul met en ligne sa production. À la date t2, Michel la consulte. À la date t3, il fait part de ses remarques à Jean au cours d'une conversation à bâtons rompus. À la date t4, Jean suggère à Paul des modifications en fonction de l'analyse qu'il a faite des réactions de Michel. Ces suggestions sont des discours seconds. À la date t5 Paul procède à des modifications qui ne prennent pas en compte l'ensemble des suggestions de Jean, mais qui, en revanche, contiennent des éléments que Jean n'a pas suggérés. Dans ce scénario, Jean tient en t3 le rôle de méta- lecteur qui influence, par ses discours seconds, le rôle auteur en t4. L'influence joue sur l'intentionnalité d'auteur, ce qui explique la présence de modifications non suggérées.

Dans une seconde situation, Paul expose une œuvre en installation. Il veut un résultat spécifique à l'exécution. Pour cela il impose un matériel spécifique et fait modifier certains réglages en fonction de ce qu'il observe dans le contexte de l'installation lors de son montage. Dans cette situation, Paul, au moment du montage, est en position de méta-lecteur. Il observe le comportement du transitoire observable (fonction 5 Figure 25) sans être pour autant dans une position de lecture étroite. Il ne peut être lecteur d'une de ses productions car un acteur ne communique pas avec lui- même, son observation vise simplement à vérifier que son intentionnalité d'auteur n'est pas perturbée par le dispositif ou, si ce n'est pas possible, il tente d'imposer à l'appareillage une intentionnalité qui soit satisfaite dans ses observations. Autrement dit, son intentionnalité de méta-lecteur est couplée à son intentionnalité d'auteur. Il met donc en œuvre également, indirectement de par l'implication de son texte-auteur dans cette vérification, l'opération de méta-lecture du source (fonction 2 Figure 25). Il influence alors, à partir de son rôle de méta-lecteur, l'agent technique qui paramètre et configure l'appareillage.

Enfin, la méta-lecture peut influencer la façon dont un lecteur lira ou construira une signification. Je me souviens ainsi d'une anecdote qui m'est arrivée à la fin des années 1990 dans une installation du cédérom la morsure d'Andrea Davidson et de Douglas Edric Stanley. Ce cédérom narratif comporte des vidéos de mouvements de danseur. Il fallait balayer l'écran avec la souris pour contrôler le déroulement des séquences vidéos et ainsi avancer dans la narration. La gestion souris était en fait

conçue comme une interactivité de navigation par les auteurs. Or j'ai utilisé sa dimension de jouabilité pour créer des séquences dansées rythmiques qui, de fait ne quittaient pas la séquence narrative en cours. Sans le savoir, je composais un visuel en UST. Andréa Davidson observait la scène. Elle est venue m'indiquer comment naviguer dans l'œuvre, ce que j'avais compris mais décidé de ne pas faire. Elle tenait alors un rôle de méta-lecteur observateur de mon activité (fonction 4 Figure 25) en connaissant la gestion contenue dans le source (fonction 2 Figure 25) et tentait de m'influencer pour infléchir ma lecture étroite en conséquence.

Dans tous ces exemples, un rôle influence l'action et l'intentionnalité d'un autre rôle. Il s'agit de couplages intentionnels. Un couplage intentionnel, est, pour un rôle, le fait, d'imposer une intentionnalité et donc des éléments d'une profondeur de dispositif à un autre rôle. Le couplage intentionnel est donc une relation de pouvoir. Il est orienté. Un méta-lecteur peut réaliser un couplage intentionnel via un discours second qui sera consulté par un autre rôle ou directement, par une mobilité des acteurs entre les rôles. En revanche, les couplages entre les autres rôles ne peut être que direct, se réaliser via une mobilité d'acteurs, toute relation à des discours seconds impliquant nécessairement un rôle de méta-lecteur (car les discours seconds ne sont matière d'œuvre d'entrée que pour les méta-lecteurs), ce qui constitue un couplage indirect.

La communication entre les rôles auteur et lecteur s'effectuant via le dispositif, il ne peut y avoir de couplage direct entre ces rôles ; toutes les modalités de relations entre eux sont incluses dans le dispositif.