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La recherche en sémiotique débute au MIM en 1991. Elle s'inscrit dans le développement des recherches muséologiques impulsées par Pierre Schaeffer, inventeur du terme "musique concrète" et figure de tout premier plan dans le champ des musiques électroacoustiques. Ce dernier propose en 1966, dans son traité des objets musicaux

(Schaeffer, 1977), de penser la musique à partir de la notion "d'objet sonore". Il s'agit d'un pattern sonore détaché de son contexte et considéré du seul point de vue phénoménologique de ses caractéristiques acoustiques. La perception d'un objet sonore ne peut se faire que via une écoute réduite, "qui consiste à faire abstraction de toute

signification, causale ou associative, qui s'attache au son" (Delalande, 1996 : 17).

Delalande et les compositeurs chercheurs du MIM constatent que cette approche est rarement celle des compositeurs, mais également que le temps n'est pas pris en compte dans les théories de la musique électroacoustique alors même que les conceptions du solfège ne s'y appliquent plus. Plusieurs musicologues remarquent d'ailleurs l'absence de prise en compte du temps dans l'approche musicologique :

" Il faut souligner que l’expression musicale s’appuie sur un paramètre

qui a souvent été négligé par les théoriciens et les musicologues : il s’agit du facteur temporel. Et c’est bien l’un des paradoxes fondamentaux que l’on relève dans la pratique de l’analyse musicale : la musique, art du temps par excellence, manque d’outils permettant de donner un sens au phénomène temporel." (Hautbois, 2010 : introduction)

D'où l'idée du MIM de rechercher dans les musiques classiques et électroacoustiques des unités qui possèderaient une structure temporelle spécifique et une "signification" elle-même temporelle, unités qu'on retrouverait dans divers types de musique et à diverses époques. La question de la "signification temporelle" a bien sûr été au cœur de la recherche de ces unités, et Delalande donne l'exemple d'une unité "contracté étendu" qui se trouve dans une œuvre de Parmegiani pour expliquer ce qu'il faut entendre par unité sémiotique temporelle :

"Bien sûr, on peut décrire une telle séquence en termes purement

morphologiques ; mais ce qui la définit en propre c'est le sentiment qui s'en dégage de précipitation puis d'élongation du temps, pourrait-on dire, qui est bien d'ordre temporel. Il y a certainement des critères d'ordre morphologiques à respecter pour que cet effet soit perçu (ce sont les traits morphologiques pertinents), tandis que d'autres sont indifférents ; par exemple ici, la figure peut se situer dans l'aigu, le médium ou le grave indifféremment. Mais c'est bien sa signification, et plus précisément la signification temporelle de "contracté-étendu", qui permet de reconnaître

et d'isoler cette unité. C'est en ce sens qu'il s'agit d'une unité sémiotique temporelle." (ibid. 18)

Très vite, la signification temporelle recherchée s'est révélée être de type iconique : une UST est une unité iconique d'un type de mouvement. Cette iconicité a guidé les compositeurs dans la recherche de ces unités, et elle a été justifiée ultérieurement, durant le travail de l'ACI16, par Charles Tijus. Il a expliqué que le temps est une construction cognitive, qu'il n'existe pas comme donnée physique pour l'homme et qu'il est codé par des représentations spatiales. Il semble donc que les UST soient majoritairement construites, d'un point de vue cognitif, durant la phase d'apprentissage du mouvement par le jeune enfant. Cette relation entre le temps, le mouvement, l'espace et l'apprentissage corporel rejoint les analyses de psychologues de la musique (Francès 1958, Guirard, 2010). C'est ce caractère de grande généralité qui a poussé les chercheurs du MIM à rechercher les unités dans les musiques de diverses époques et cultures. Ils les ont trouvées mais il faudrait bien évidemment faire des observations plus nombreuses et plus approfondies pour régler définitivement la question d'une possible universalité de ces unités.

Il faut insister sur le fait que les UST sont liées à la perception de la musique, pas à son écriture. La notation graphique de la partition ne fournit pas les éléments suffisants pour spécifier une UST. Aussi, l'UST dépend-elle très fortement de l'interprétation instrumentiste qu'en donne le musicien. Tout au plus, peux-on repérer sur la partition la position dans le morceau de l'UST qu'a exécutée un instrumentiste ou un ensemble d'instruments.

Le MIM a ainsi isolé de nombreuses séquences musicales et les a catégorisées en 19 UST pour lesquelles il a donné un nom, une description morphologique et sémantique ainsi que des remarques. Certaines unités sont délimitées dans le temps et d’autres non ; même si un segment musical est toujours borné dans le temps, son signifiant, en tant que modèle mental, peut ne pas l'être. C'est ce qui justifie la distinction entre ces deux classes d'UST. Un caractère commun à toutes les unités non délimitées dans le temps est une plus ou moins grande prédictibilité sur une durée assez longue. Voici, à titre d'exemples, quelques UST décrites par le MIM (1996: 81-90). Je ne reporte ici que leurs descriptions morphologique et sémantique

16

Nom de l'UST Description morphlogique Description sémantique

chute

Unité délimitée dans le temps à deux phases successives. 1° phase : globalement uniforme, même si la matière est animée d'un mouvement interne. 2° phase : comporte

un mouvement d'accélération et évolue en hauteur soit en montant, soit

en descendant.

Équilibre instable qui se rompt

Suspens puis basculement (la prise de conscience de la

phase de suspend se fait, en fait, après coup) Perte d'énergie potentielle qui se convertit en énergie

cinétique

Trajectoire inexorable

Unité non délimitée dans le temps à phase globalement uniforme présentant une évolution (lente) et linéaire

d'un paramètre sonore

Prévisibilité de la non-fin Qui n'en finit pas de (par

exemple descendre, avancer…)

Processus orienté dans une direction et cependant on prévoit qu'il ne finira pas

Sans direction par excès d'information

Unité non délimitée dans le temps faite d'éléments multiples, assez brefs,

divers, souvent se chevauchant

Impression de brouhaha Indépendance apparente des éléments les uns par rapport

aux autres

La richesse attractive mais contradictoire de la multiplicité des éléments

crée un sentiment de saturation, de non-maîtrise

de la séquence par l'auditeur, voire de tension.

On constate à la lecture de ces informations quelques imprécisions sémiotiques. - La première est que la description morphologique, qui devrait être une

description du stimulus, est en fait une description du signifiant, fondée sur deux traits : le caractère délimité ou non dans le temps et le concept de phase défini comme "chacun des moments successifs et différents constituant une

UST" (ibid. : 94), mais que cette description manque de précision et de

systématicité. De plus elle n'utilise pas le temps comme paramètre : la description ne donne aucune indication de durée ou de date qui seraient caractéristiques de l'unité.

- La seconde est que la description sémantique ne met pas toujours en avant la co-typie entre l'UST et un mouvement naturel. Ce dernier disparaît parfois au bénéfice de l'effet produit (cas de la description sémantique de l'UST sans

direction par excès d'information). Cette description fait plus souvent appel à

une description mécanique dynamique et convoque les concepts de force et d'énergie plutôt que le mouvement qui en est leur conséquence.

- Enfin la description fait explicitement appel à certaines notions musicales (comme le concept de matière) et pas seulement sonores. Autrement dit, elle est d'emblée (im)pensée comme pluricode au lieu de se focaliser sur la seule évolution temporelle sonore.

Ces diverses imprécisions ont eu un effet assez négatif sur l'accueil de la théorie qui a parfois été considérée comme relevant de la pure métaphore. Par ailleurs, le système sémiotique complet n'est pas pris en compte : le MIM ne donne notamment aucune grammaire d'association de ces UST, et, à la question de savoir s'il peut y avoir plus de 19 unités, il se contente d'indiquer qu'il n'en a jamais observé davantage et qu'aucun exemple de 20° UST n'a résisté à l'examen.