• Aucun résultat trouvé

Figure 48 : affichette interdiction

Cette affichette (Figure 48) agrémente les murs de quelques salles informatiques de l'université. Chacun l'interprétera généralement comme une interdiction de boire et manger dans la salle. Il s'agit d'un exemple de couplage de type inclusion paradigmatique du système secondaire iconique dans le système prédominent arbitraire, médié par le système plastique. Examinons brièvement comment se construit cette interprétation.

L'énoncé, dans son ensemble, est un signe arbitraire dont le stimulus est l'ensemble des particules d'encre qui le composent, le signifiant l'ensemble des formes reconnues et leur organisation (/interdiction/+/hamburger/+/verre à la paille/), le signifié : "interdiction de boire et manger dans la salle" et le référent est l'ensemble des activités possibles dans la salle. Notons que l'ensemble de ces composantes du signe sont bien solidaires les unes aux autres. Si la salle était un local attenant à un McDonald's par exemple, le signifié de ce signe aurait pu être autre, par exemple "interdiction d'amener des repas McDonald's dans le local".

On repère immédiatement que cet énoncé peut être décomposé en trois unités significatives plus petites que sont "l'interdiction", "le hamburger" et "le verre à la paille". La possibilité d'isoler ces unités fait apparaître l'énoncé comme pluricode, le caractère pluricode étant un point de vue analytique qui décompose un signe selon plusieurs systèmes sémiotiques. Dans cette décomposition, on reconnaît trois signes

visuels appartenant à deux systèmes sémiotiques distincts (arbitraire et iconique visuel) dont les unités s'organisent selon une toposyntaxe : le système arbitraire concerne "l'interdiction", le système iconique visuel les deux autres unités : "le hamburger" et "le verre à la paille". On pourrait être tenter d'en rester à cette décomposition en deux systèmes : l'arbitraire et l'iconique, mais la dimension médiatrice entre ces deux systèmes opérée par le système plastique serait alors masquée. C'est en effet le système plastique qui va organiser la relation entre les deux précédents car il intervient dans ces deux systèmes. Le système plastique est constitué des formes et couleurs. C'est lui qui organise la syntaxe de l'énoncé et permet d'en distinguer les unités. On peut ici généraliser la figure de rhétorique que le groupe mu nomme "relation icono-plastique" qui instaure une relation particulière entre les signes iconiques et les signes plastiques : "En fait, plastique et iconique sont ici l'adjuvant l'un de l'autre. Le plastique, en tant

qu'il est phénoménologiquement le signifiant du signe iconique, permet l'identification de l'iconique. À son tour l'iconique, une fois identifié, permet d'attribuer un contenu aux éléments plastiques étrangers aux types iconiques" (groupe mu, 1992: 361). C'est bien

ainsi que fonctionne le signe plastique constitué des formes et couleurs dans cet énoncé. La couleur, constituée d'aplats, est identifiée et localisée "au premier coup d'œil", sans intervention de la mémoire de travail par des détecteurs biologiques. Les psychologues ont montré en effet que la détection des deux formes rouges de la figure a suivante est beaucoup plus rapide que dans le cas de la figure b parce que la figure a ne fait appel qu'à un stimulus physique unique, traité au niveau des récepteurs sensoriels, alors que la perception de la figure b, mélangeant modification de forme et de couleur, nécessite de traiter l'information en mémoire de travail.

Figure a Figure b

Figure 49 : détection de formes colorées

D'un point de vue sémiotique, les détecteurs biologiques incriminés fonctionnent sur les signes plastiques et occasionnent ainsi une perception immédiate et irrépressible des signes des deux autres systèmes. Voyons comment les signes plastiques définissent le signifiant de ces autres signes dans notre affichette, ces signifiants étant eux-mêmes, en fonction de la relation icono-plastique, les signifiés des signes plastiques impliqués :

- le signifiant du signe "interdiction" est donné par la reconnaissance des formes /cercle/ et /trait oblique/ placés dans une relation de continuité (pas de ligne délimitant complètement la frontière du cercle ou du rectangle) ainsi que de la couleur /rouge/, n'importe quelle valeur de rouge pouvant fonctionner. Ces trois traits constituent les unités distinctives du signifiant du signe arbitraire. Il importe que les épaisseurs du trait oblique et du cercle soient identiques, ce qui crée une unité plastique comprise comme l'unité du signifiant arbitraire. Peu importe la valeur exacte de cette épaisseur, sa dimension, eu égard aux dimensions caractéristiques de l'énoncé, c'est-à-dire au rayon du cercle, pouvant tout au plus insister sur la "force" de l'interdiction. Remarquons que ce signe, issu du code de la route, est devenu un signe culturel sans articulation utilisé dès lors que l'on veut signifier une

interdiction de façon visuelle non verbale. Ce signe, pour fonctionner comme énoncé de niveau équivalent à la phrase, entre dans un syntagme avec un autre signe arbitraire à l'intérieur du cercle et situé sous le trait oblique, cet autre signe faisant l'objet de l'interdiction. La grammaire de ce syntagme fonctionne donc sur la toposyntaxe des signes plastiques qui le composent. C'est, ici aussi, le signe plastique qui définit la relation syntagmatique de superposition en introduisant la notion de couche de deux façons :

o par la superposition des formes, superposition décelée, non par les contours délimitant les formes mais par les couleurs,

o par le contraste clair / obscur entre le /rouge/ du signe arbitraire et le /noir/ des signes iconiques. La couleur /noire/ n'est en rien iconique, elle entre ici, de façon redondante avec la superposition, dans la fonction syntaxique (équivalente à un verbe d'état) qui relie le signe arbitraire et les signes iconiques.

- Le signifiant des signes iconiques est constitué des contours des signes plastiques qui les constituent. Ces formes plastiques jouent ainsi le rôle d'unités distinctives /traits/ du signe iconique, son dessin. Chaque signe iconique est lui-même, de par ce dessin, décomposable en unités significatives que sont la /tranche de pain supérieure/, la /garniture/, la /tranche de pain inférieure/ pour l'icône /hamburger/ et le /verre droit/ et la /paille/ pour l'icône /verre à la paille/. C'est encore la toposyntaxe plastique qui définit le syntagme : ces deux paradigmes iconiques sont en relation de juxtaposition. La temporalité étant ici absente (elle ne peut être introduite que via des signes arbitraires qui reposent sur des conventions culturelles ou dans une série d'images), cette juxtaposition ne peut correspondre qu'à une coordination, un /et/. Les signes iconiques, ici, fonctionnent comme un signe arbitraire puisqu'ils tiennent la position syntagmatique du symbole arbitraire notant ce qui est interdit. Ils ne valent donc pas pour eux-mêmes, plus exactement ils ne valent pas par leur caractère iconique mais par leur valeur symbolique que l'interprétation va bien évidemment mettre au jour via une rhétorique métonymique. Remarquons que l'assimilation des icônes à un signe arbitraire, un symbole, est facilitée par le très petit nombre de traits

provenant du type, autrement dit par la position de ces signes iconiques sur l'échelle d'iconicité : ils sont très proches de l'extrémité arbitraire de l'échelle d'iconicité. L'interprétation symbolique de ces deux icônes utilise deux figures de rhétorique qui fonctionnent chacune sur une dimension métonymique. La première est une relation de type synecdoque particularisante référentielle SpΠ qui consiste à retrancher des parties du degré conçu pour obtenir le degré perçu : ici le "hamburger" vaut pour tout aliment et le "verre à la paille" pour toute boisson. La seconde est une figure de type métonymique qu'on rencontre fréquemment dans les messages visuels et qu'on retrouve abondamment dans les interfaces numériques : elle consiste à visualiser l'agent (degré perçu) pour l'action (degré conçu). Ici les icônes ne s'interprètent donc pas comme "aliment" et "boisson" mais bien comme les actions de "manger" et "boire". Notons que c'est le référent qui oriente cette seconde figure de rhétorique. Si le panneau était placé dans un local proche du McDonald's, le caractère iconique serait plus prégnant car les relations de co-typie avec un hamburger et un verre de boisson sucrée sont plus importantes dans l'énoncé qu'avec un jambon-beurre français à la baguette accompagné d'un demi. Dans ce cas, la proximité référentielle pourrait stopper l'interprétation à la première figure de rhétorique, pouvant signifier qu'il est interdit d'apporter ou de laisser dans le local des articles provenant du McDonald's. Cette remarque montre que la seconde figure de rhétorique est induite par le contexte qui créée une attente de signification, une isotopie projetée. Il s'agit donc de la figure dénommée "trope projeté" par le groupe mu : le degré conçu est absent de l'énoncé et projeté sur lui par le contexte qui en constitue le niveau révélateur (Klinkenberg, 2000: 428- 431)