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J'ai introduit le concept d'un fonctionnement temporel a-média du numérique (Bootz, 2002) dès 2002, lors des journées franco-canadiennes organisées par Jean Clément à Paris8, dès ma découverte des travaux du MIM sur les UST et deux ans avant leur modélisation en MTP. Le concept de l'a-média repose sur deux constatations :

- La première est que la notion de média ne se présente pas du tout de la même façon à l'écran et dans le programme. Dans le texte-à-voir, à savoir ce qui est lu à l'écran, un média (texte, image, musique) est un tout autonome, porteur d'un ou plusieurs systèmes sémiotiques. Les médias sont mis en relation entre eux et, dans le cas d'une œuvre interactive, avec le lecteur. Il n'en va pas de même au sein du programme. Dans un programme, le média perceptible à l'écran n'est que la propriété d'un objet média qui en possède d'autres. Ce n'est plus une entité autonome, il a le statut de variable qui fait l'objet d'un traitement logique et de calculs via des procédures informatiques. Il est connu depuis longtemps qu'un même algorithme peut, moyennant quelques précautions, être appliqué à des variables différentes, donc à des médias différents. Par exemple, un programme simple qui incrémente périodiquement une variable peut tout aussi bien être utilisé pour déplacer un objet graphique (incrémentation de la position) ou pour afficher à l'écran des mots rangés dans un tableau en mémoire (incrémentation de l'index). Au sein du programme, le média existe donc sous une forme atténuée, il est relégué au rang de donnée et ne porte plus la signification que de façon marginale. C'est la procédure, l'algorithme qui impose la signification. J'ai utilisé cette caractéristique des programmes pour me confectionner un langage d'écriture en programmation qui sépare totalement les procédures de calcul de leur application aux propriétés média des objets.

- La seconde est que la logique du programme se traduit dans le transitoire observable28 (VI.1.2. 3) par des processus, c’est-à-dire une dimension temporelle fondamentale. On peut dire que le transitoire observable d’une œuvre programmée, a-media ou non, contrairement à l’image animée, n’est pas un événement spatio-temporel mais un événement temporel possédant de façon secondaire une dimension spatiale et, éventuellement, actable.

J'en suis ainsi venu à la conclusion qu'on pouvait penser l'animation programmée en des termes autres que média et donner la primauté aux processus et aux procédures dans le programme. Cette conception est à l'origine de deux concepts : l'un, la tresse, qui

28 J'utilise ici directement le concept convenable pour donner une description exacte de l'a-media et éviter ainsi d'y revenir lors de la présentation du modèle procédural. Le transitoire observable est le phénomène physique appréhendé à la lecture (une variation lumineuse de pixels sur un écran pour les œuvres numériques)

concerne le programme et joue dans celui-ci le rôle que joue la bribe dans le texte-à- voir, et l'autre, l'a-media, qui concerne l'événement lu, à savoir le texte-à-voir. Une forme a-média repose sur la primauté des processus et non des média.

La forme a-media est donc relative à l'interprétation puisqu'elle concerne le texte-à-voir, il ne s'agit pas d'un nouvel objet. La mise en cohérence du son et du visuel générés par l'utilisation synchronique d'une même UST dans les deux médias dont je viens de parler est un exemple de forme a-media ; l'invariant ici n'est pas le média mais la classe de processus, à savoir l'UST, qui façonne le comportement des médias.

L'utilisation des UST, et plus particulièrement des MTP qui en constituent la face opérationnelle, permet d'aller encore plus loin. Si le processus est premier, qu'il assure la cohérence et l'unité de la forme, alors il doit être possible de démarrer une UST dans un média et de la finir dans un autre. Le processus temporel opère alors un couplage a-média entre les deux médias.

propriété 1 propriété 2 propriété 3 propriété 4 média 1 propriété 1 propriété 2 propriété 3 propriété 4 média 2 processus 1

Figure 17 : principe du couplage a-média entre deux médias tel qu'il apparaît dans le programme

J'ai tenté avec Marcel Frémiot de réaliser des couplages a-médias à l'aide d'UST. Nous avons obtenu par deux fois un résultat intéressant. La première fois, nous avons utilisé une trajectoire inexorable qui démarrait dans le son et se poursuivait dans l'apparition en expansion d'une image (elle s'élargissait à partir de la taille d'un pixel). Nous avons alors eu l'impression que l'image sortait de la musique. La seconde expérience se trouve à la fin d'une séquence de passage. La musique est construite sur l'UST contracté-étendu, UST complexe dont le paramètre principal est énergétique (volume sonore ou intensité lumineuse) et qui comporte deux phases avec un appui marqué sur la fin de la première (soit un silence total, soit au contraire un pulse). La

seconde phase est constituée par un son qui peut être modulé mais dont l'amplitude moyenne demeure très faible par rapport à celle de la première phase. La Figure 18 montre comment l'UST a été tuilée sur les deux médias : la musique l'a entamée puis s'est arrêtée nette en fin de la première phase, après l'appui sonore. Inversement, le visuel est demeuré statique durant la première phase, sauf au moment du pic de fin où une lettre a subitement multiplié par un facteur voisin de 10 sa taille et s'est animée d'un mouvement d'oscillations, ce qui a produit un équivalent en luminosité (variable énergétique visuelle) au pulse sonore. Puis, dans la seconde phase, la situation visuelle est retombée subitement au calme avec une légère modification lente de la luminosité moyenne. L'impression qui en a résulté est que la musique se prolonge dans le visuel, c'est-à-dire qu'on "entend" non pas une simple résonance sonore, mais bien une modulation de cette résonance, ou plutôt on la voit.

F I t contracté-étendu T1 ou T2 S T2 Me T1 T1 T1 T2 T1

portion du MTP réalisée en musique

portion du MTP réalisée dans le visuel

V

Le modèle procédural

V. 1

Les dimensions du modèle

Le modèle procédural a été initialement développé pour analyser le rôle du dispositif technologique dans la communication par des œuvres littéraires numériques. Il s'est progressivement enrichi d'une analyse d'autres productions numériques, notamment des sites web, et s'est ouvert à la question de la préservation par le biais d'une réflexion sur l'indexation. C'est pourquoi il comporte plusieurs dimensions : une modélisation structurelle du dispositif de communication, mais également une forte dimension sémiotique et une dimension psychologique.

On peux toujours présenter un travail théorique de deux façons : soit par une introduction préliminaire d'exemples, soit par une présentation formaliste du modèle qu'on applique ensuite aux situations étudiées. Bien que plus abrupte pour le lecteur, j'ai privilégié cette seconde approche ici. C'est en effet elle qui permet de construire de la façon la plus cohérente une vue synthétique du modèle puis, dans les analyses, d'en baliser le pouvoir explicatif. C'est enfin la plus rapide à présenter dans un ouvrage de taille limitée. On pourra se reporter à mes divers articles pour avoir l'autre présentation.

V. 2

Une conception sous-jacente de la communication

Le modèle présente un certain degré de généralité. Il ne se limite pas aux productions numériques à partir desquelles il a été construit, à savoir les oeuvres littéraires numériques et les sites Web. Je pense qu'il peut s'appliquer de façon plus générale, à des types très divers de situations de communication, non nécessairement numériques, car il repose sur une certaine conception de la communication humaine. Il est d'ailleurs appliqué sans difficulté à des productions non numériques dans cette présentation générique, mettant en évidence la distribution du pouvoir entre certains rôles dans certaines situations qui peuvent se rencontrer dans les organisations.

C'est cette généralisation que je tiens tout particulièrement à développer dans cette partie du mémoire. C'est pourquoi je vais ici reconstruire le modèle en présentant en premier lieu les présupposés et les concepts les plus génériques, et notamment le concept "d'axe communicationnel", concept qui ne se rencontre dans aucun de mes écris antérieurs.

Certains concepts du modèle ont évolué au cours du temps avant d'arriver à leur forme actuelle qui est sans doute définitive. On pourrait dès lors se poser la question du bien-fondé de telle ou telle dénomination. Je considère pour ma part que ce type de discussion est vain car une dénomination, aussi exacte soit-elle, n'est que le label d'une définition et ne saurait, à elle seule, contenir l'ensemble des informations qui constituent le concept. Aussi, plutôt que de modifier la terminologie d'article en article, j'ai préféré retenir la dénomination première, quitte à la redéfinir, afin de favoriser la mémorisation du modèle. Ce principe a très vite été généralisé aux articles écrits en langue étrangère : il est vite apparu que des traducteurs différents traduisaient les termes par des expressions différentes, ce qui générait de la confusion et rendait difficile la mise en relation d'articles traduits par des personnes différentes. Aussi, ai-je décidé de ne pas traduire les dénominations des concepts et de garder tous les termes spécifiques du modèle en français. Les principaux concepts sont maintenant utilisés sous cette dénomination par les chercheurs étrangers qui présentent ou utilisent le modèle. Après tout, ce modèle relève d'une conception européenne si ce n'est française, alors autant le marquer du sceau de la langue.

V. 3

Le modèle générique