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Dans les dispositifs à lecture publique, des acteurs du pôle auteur interviennent sur les agents techniques, ou comme agents techniques eux-mêmes, et influencent donc les réglages ou les propriétés de cet appareillage, créant un couplage indirect entre le source et le transitoire observable. Cette intervention se fonde bien évidemment sur une réduction du gap sémiotique entre le texte-à-voir imaginé par le rôle auteur et le texte-à- voir actualisé par le rôle lecteur. L'acteur considéré est alors un méta-lecteur (Figure 42). Les performances, projections publiques et installations constituent des dispositifs à lecture publique.

Le dispositif étendu à lecture publique dépend de la situation de communication. Mais les éléments que nous venons de signaler appartiennent à tout dispositif à lecture publique, ce qui conduit à un dispositif principal augmenté qui les contient systématiquement.

appareillage numérique

source transitoire

observable Lecteur

Auteur

domaine du rôle lecteur domaine du rôle auteur

données induites agents techniques domaine technique contexte technologique méta-lecteur 5 2 co u p la g e in te n ti o n n el co u p la g e in te n tio n n el

Figure 42 : dispositif principal augmenté d'un dispositif tout numérique à lecture publique

IX. 3 Les dispositifs littéraires tout numériques : une littérature du

dispositif

IX. 3. 1 Les littératures du dispositif

Il est d'usage dans notre culture de décomposer les productions culturelles selon 3 dimensions qu'on peut dénommer de façon générique le contenu, la forme et le dispositif. Ces dimensions ne sont pas indépendantes mais fortement corrélées et interdépendantes. Toutefois, l'approche théorique privilégie souvent l'une d'entre elle, considérant les autres comme secondaires, et la production elle-même est souvent pensée et donc orientée par son auteur de façon à privilégier une dimension. C'est ainsi qu'on peut parler de "production du contenu", "production de la forme" ou "production du dispositif". Lorsqu'on l'aborde du point de vue de l'auteur (quelle dimension privilégie l'auteur), ces types de production sont des objets définis par une intentionnalité objective, ce qui ne signifie pas consciente. Le domaine culturel s'est en effet stratifié en champs spécifiques eux-mêmes décomposés en genres, et c'est cette catégorisation plus ou moins stabilisée par le contexte culturel qui impose un traitement

plus approfondi dans une dimension ou une autre, délimitant ainsi ces catégories comme ensemble d'objets. En revanche, une lecture ou une investigation, construite donc selon une intentionnalité de rôle différente de l'intentionnalité d'auteur, peut aborder n'importe quelle production selon l'un des 3 points de vue mentionnés, et même circuler entre ces points de vue : une production du contenu peut être abordée comme une production du dispositif, c'est même très précisément ce qu'ont fait les modèles théoriques qui remettent en question la compréhension traditionnelle du livre imprimé, théorie du cybertexte (Espen, 1997) et du technotexte (Hayles, 2002) en tête.

Cette décomposition en 3 facettes : contenu, forme et dispositif, se trouve dans des modèles très différents comme la théorie du document ou le modèle Dexter de l'hypertexte.

Dans le modèle du document, elle apparaît sous la forme des 3 facettes corrélées qui sont le texte (ce qui est lu), la forme (ce qui est vu) et le média (ce qui est su)

Figure 43 : schéma du document (Salaün, 2007 : 5)

Dans le modèle Dexter de l'hypertexte (Balpe & all, 1996 : 54) la couche de contenu est relative au contenu de l'hypertexte, la couche de stockage modélise le réseau hypertextuel, elle constitue la couche de forme et la couche d'exécution gère la présentation de l'hypertexte, son interface.

On peut de même utiliser ces trois facettes pour parler de littérature en répondant à la question suivante : la signification, dans une œuvre, dépend-elle fortement de la forme de cette œuvre, de son dispositif ou d'aucune de ces deux dimensions ?

Si la réponse à ces deux questions est non, nous pouvons dire que cette œuvre est une "littérature du contenu", c'est-à-dire qu'elle manipule essentiellement un contenu narratif, son intérêt principal est "dans ce qu'elle dit", même si, en son sein, peuvent exister des figures de rhétorique ou des formes particulières. Une littérature du contenu ne traite que la narration. Le roman de science fiction, le roman policier, le conte et de façon générale le roman classique, utilisent des formes convenues qu'ils ne questionnent pas mais les font jouer pour raconter une histoire. Ce sont des œuvres d'une littérature de contenu. La littérature du contenu est la plus répendue, au point que certaines personnes, dans les médias ou la critique universitaire, limitent la littérature à cette seule classe. Toutes les émissions dites littéraires à la télévision ne traitent que de littérature du contenu.

Dans une littérature de la forme, la signification repose en grande partie sur des formes (au sens de Hjemslev), sur des structures, et aborder ces œuvres nécessite de parler en premier lieu de leur forme. C'est typiquement le cas de la poésie, classique comme visuelle, sonore ou concrète. Les notions de sonnet, rime, structure de vers, constellation… sont relatives à la forme de l'œuvre.

Dans une littérature du dispositif, la forme ne suffit pas pour parler de la signification, on ne peut isoler la signification du dispositif technique et matériel dans lequel elle s'incarne. C'est le cas de nombre de poésies expérimentales comme le livre objet, la poésie holographique, la performance et nombre de poésies numériques. La première forme de littérature du dispositif fut sans doute le process poem de Wlademir Dias-Pino, qui, avec son œuvre A Ave, invente le livre-objet en 1956. Il formalise sa théorie en 1967 sous la forme du process poem qui stipule qu'on ne peut séparer le texte de la lecture. Autrement dit, on ne lit pas un process poem, on lit dans un process poem. Dans le numérique, les théories qui parlent de productions du dispositif mettent principalement en jeu les concepts de cybertexte d'Espen Aarseth et de technotexte (1997) de Katherine Hayles (2002)

Nous allons maintenant nous attacher à montrer que la réception de l'œuvre numérique fait jouer l'ensemble du dispositif principal et non seulement le texte-à-voir. Ce sera également l'occasion de voir comment le modèle procédural se situe par rapport à d'autres modèles théoriques élaborés à propos de la littérature numérique. Je me limiterai à n'aborder que les deux principaux qui sont le cybertexte et le technotexte.