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Le secteur informel

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 144-148)

CHAPITRE IV : FONDEMENTS CONCEPTUELS : DU SENS DES MOTS À UNE QUÊTE DE SENS DU SENS DES MOTS À UNE QUÊTE DE SENS

4.2. Les sujets et leur contexte

4.2.3. Le secteur informel

Du radical « forme » et du préfixe de négation « in », le secteur informel peut être traduit mot à mot comme le secteur « dénué de forme». Cette absence de forme pourrait être imputable à une difficulté d'appréhension de ce monde marqué par une grande hétérogénéité tant des acteurs, des activités que des relations avec les différentes institutions. Au Cameroun, l'absence de cette forme est le plus souvent imputée à la clandestinité, à l'invisibilité statistique, même si l'on identifie de façon très certaine ses activités.

Il faut rappeler que le concept secteur informel (« informal sector »), créé par Keith Hart à travers une étude sur le Ghana en 1971, est apparu au grand jour en 1972 dans le rapport sur le Kenya du « Programme Mondial sur l'Emploi » commandé par le BIT depuis 1969. Les études et de théories disponibles indiquent une variété de dénominations attribuées à ce secteur d'activités. En 1972, le Rapport du Kenya proposait sept critères définitoires de l’informel que sont :

Facilité d'accès à l'activité ; utilisation de ressources locales ; propriété familiale de l'entreprise ; échelle d'activité réduite ; usage de techniques qui privilégient le recours à la main-d’œuvre ; qualifications acquises hors du système officiel de formation ; marchés concurrentiels et sans réglementation.

En 1976, Stuhrmann lui en a identifié quinze, avec l'approbation du BIT, parmi lesquels « la flexibilité des horaires de travail, l'absence de recours au crédit régulier, le bas prix des produits, le bas niveau d'instruction, l'absence d'usage d'électricité », pour ne citer que ces critères. Il est aisé de comprendre qu'une activité informelle les présente rarement tous.

L’informel se caractériserait, contrairement au formel par les quatre critères que sont : le non enregistrement légal, l'engagement du personnel non-conforme au Code du travail, la comptabilité irrégulière et la taxation indépendante de cette comptabilité. Selon lui, « le secteur informel serait constitué d'un ensemble d'activités économiques de production et de distribution de biens et de services à petite échelle

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exercées à des degrés variables en marge de la réglementation instituée par la puissance publique (code des impôts, code du travail, code des obligations civiles et commerciales, etc.) mais au vu et au su de l'administration ».

C'est donc dire que le dualisme formel /informel est au Cameroun, devenu une manière de penser l'hétérogénéité des économies. Les activités informelles,

« traditionnelles » (caractérisées par la propriété familiale, marchés ouverts à la concurrence, absence de comptabilité, et surtout faible niveau scolaire de ses acteurs...) émergent à côté d'une économie moderne, « formelle », organisée.

Si c'est l'illégalité qui définit le plus souvent l'informel, il est important de savoir quelles sont les lois ou les aspects de la loi qui ne sont pas respectés. Pour Lautier (1994), « il peut s'agir de lois concernant le paiement des impôts ou celui des cotisations de sécurité sociale, de réglementation des conditions de travail, de l'hygiène et de la sécurité, de lois délimitant des espaces où peut s'exercer une activité, de plans d'occupation des sols... ». D'aucuns ajouteraient la concurrence déloyale, la fraude fiscale, le marché noir, la corruption... Il faut souligner cependant que ce n’est pas la défiance des règles caractéristique de l'informalité d’une activité qui nous intéresse, ce qui nous préoccupe, c’est plutôt le profil des personnes qui exercent ce type d’activités : d’après le ministère de la Formation professionnelle, près de 80% des jeunes actifs exercent dans le secteur informel, et ce sont des jeunes en majorité peu qualifiés. Le secteur informel serait-il un secteur de subsistance, un refuge de la pauvreté ou alors des illettrés, des exclus de l'école, des analphabètes déflatés du secteur moderne « formel » parce qu’ils ne savent pas écrire ou expliciter leurs compétences à l’embauche?

Le secteur informel existe un peu partout dans le monde. Il n'est pas seulement une réalité liée au Tiers-monde, mais il en existe aussi un dans les pays de l’Europe, ainsi qu’en Amérique. Les actifs de ce secteur ne cessent d'augmenter et de présenter de nouveaux caractères. On peut même croire que ce secteur a amorti dans une certaine mesure le choc de la crise car elle permet la pluriactivité, il peut être vu comme une force endogène donnant des réponses locales aux problèmes locaux. Mais dès lors que ces activités représentent une forme de précarité au Cameroun, tout devient problématique.

Le secteur informel est donc l'ensemble des activités de commerce, de production de biens, de services, à une échelle plus ou moins réduite, qui échappent partiellement ou totalement à la législation et/ou aux normes dominantes qui régissent le champ

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des activités et des pratiques de même catégorie. Notre étude cherche à comprendre la manière dont la population active du secteur informel acquiert les connaissances et les compétences nécessaires à l’exercice de ses activités. Quel est le rôle joué par les dispositifs de formation formels et non formels en place par rapport à la professionnalisation de ces métiers ?

Malgré les divergences théoriques et conceptuelles sur l’identification et la définition du secteur informel, en ce qui nous concerne, nous souhaitons nous orienter et nous limiter sur la formalisation du secteur informel qui peut permettre de mieux intégrer les travailleurs de ce secteur.

Jusqu’au milieu des années 1980, la problématique du BIT, de la Banque Mondiale et de la plupart des gouvernements du Tiers-monde est dominée par l’idée de

"formalisation de l’informel". Lautier conçoit ainsi l’autonomie supposée de ce secteur, régulièrement dénoncé comme inefficient à la fois pour la société dans son ensemble et pour l’acteur. Les politiques de formalisation consistent à sélectionner et aider les micro-entreprises dynamiques du secteur informel ayant une vocation de croissance et de modernisation, l’objectif étant la création d’emplois afin d’intégrer toute la population urbaine dans la citoyenneté salariale moderne (Lautier 1994, p.17). Mais les limites de cette stratégie sont rapidement apparues. Les entreprises aidées ne sont pas forcément celles qui en avaient le plus besoin. Les politiques avaient eu une mauvaise appréhension du fonctionnement du secteur informel, notamment en supposant que les micro-entreprises avaient une réelle vocation à s’agrandir. D’autres études (Fauré 1994, p.253) ont montré que les PME ne sont pas d’anciens établissements informels et que le dynamique artisan n’est pas la préfiguration historique de l’exploitant d’une beaucoup plus grande entreprise.

Au milieu des années 1980, face au constat d’échec des politiques de formalisation menées depuis une quinzaine d’années, l’idée de formalisation de l’informel semble remise en cause. Elle n’est toutefois pas abandonnée, même si, répondant à une autre vision du secteur informel, elle se voit opposer un autre concept : l’approche néolibérale ou la "formalisation par le bas".

L’approche des institutions internationales, qui s’inscrit clairement dans une optique néolibérale, va, à partir de 1986 changer d’orientation et assigner au secteur informel un double rôle à la fois social et économique. Selon les partisans de cette approche,

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le secteur informel jouerait un rôle de substitution de l’emploi informel à l’emploi formel (Hugon, 1991).

On a alors une nouvelle conception de la politique de formalisation du secteur informel : naguère chargé de tous les vices, le secteur informel est reconnu avec de nombreuses valeurs positives (régulateur social, capacité d’émergence de micro entrepreneurs, créateur d’emplois et de revenus, lieu de solidarité, économie flexible et libéralisée...).

Ce secteur est vu comme un formidable régulateur social des crises économiques.

Grâce à une logique de fonctionnement axée sur la solidarité familiale, il va absorber les retournements de conjoncture en créant des emplois et des revenus. En attribuant ce rôle social au secteur informel, les institutions internationales tentent finalement de le légitimer. Le projet libéral vise ainsi à réduire aussi bien les revenus que l’intervention de l’appareil étatique afin de faire émerger des acteurs innovants du secteur privé et du secteur informel. Le second rôle, économique cette fois-ci, assigné au secteur informel est donc celui de la substitution de grandes entreprises protégées par les petites activités concurrentielles. L’argument implicite est celui de la flexibilité du secteur informel faisant de celui-ci une version idéalisé d’une économie libérale. Certains auteurs tel que De Soto (1987) insistent sur les capacités insoupçonnées de ce secteur en termes de création d’emplois, de richesse, de productivité, de construction, face à l’incapacité de l’État à répondre aux besoins des pauvres et face à l’inefficience des grandes organisations.

En effet, l’effort, l’initiative et le potentiel entrepreneurial dont témoigne le secteur informel représente un élément indispensable au décollage économique, et aussi un élément d’insertion socioprofessionnelle. Nous postulons ainsi que les personnes peu scolarisées peuvent y trouver une intégration sociale et professionnelle si le secteur est encadré, et formalisé. Pour formaliser le secteur informel Maldonado (2000) propose qu’une transformation des institutions et des instruments juridiques soit imposée. Il s’agit d’éliminer les restrictions du système légal et d’intégrer tous les travailleurs au sein d’une nouvelle légalité respectant et intégrant les règles et pratiques du secteur informel. De Soto, lui, parle de simplification du fonctionnement des institutions, d’abandon des réglementations inutiles, de limitation du rôle de l’État, de décentralisation, de déréglementation... Ainsi, l’approche néolibérale constitue, bien plus qu’une politique de formalisation de l’informel, une politique

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d’"informalisation du formel", puisque c’est finalement le formel qui s’adapte à l’informel.

Nous adhérons plutôt à une normalisation du secteur informel ou la "formalisation par le haut». À l’inverse des auteurs vus précédemment, nous estimons indispensable un contrôle plus strict du secteur informel. Autrement dit, il faut une introduction au sein de celui-ci de normes, droits et une réglementation issus du secteur moderne.

Nous retiendrons deux arguments majeurs à la défense de cette approche : la protection des travailleurs de l’informel, leur formation et la contribution de ce secteur à l’effort collectif national et local.

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