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L’identité professionnelle et travail réflexif

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 186-192)

CHAPITRE V : FONDEMENTS THÉORIQUES

5.2. Approche socio-psychologique

5.3.2. L’identité professionnelle et travail réflexif

Pour Allard et Ouellette (ibid.), l’identité professionnelle, second facteur de la dimension psycho-professionnelle, correspondrait à trois stades du développement professionnel : l’identification à un travailleur, l’acquisition des habitudes fondamentales de l’industrie, l’acquisition d’une identité comme travailleur dans la

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structure professionnelle. Le fait qu’un jeune puisse s’identifier à un travailleur durant son enfance a un effet sur sa conception du travail, ce qui peut faciliter son insertion socioprofessionnelle. L’acquisition des habitudes fondamentales de l’industrie permet au jeune de développer le sens de l’organisation, la capacité de canaliser ses énergies dans la réalisation du travail et de faire passer dans certaines situations le travail avant le jeu. Le fait d’acquérir une identité comme travailleur dans la structure professionnelle permet au jeune de choisir un domaine professionnel, de s’y préparer et de faire l’expérience du travail.

Des nombreuses approches de l’identité professionnelle, nous avons retenu celles de Giddens et de Ricoeur

Dans une mouvance parallèle, Anthony Giddens (1987) soutient qu’on peut acquérir et / ou construire une identité et une reconnaissance professionnelle à partir d’un travail réflexif. Le travail réflexif est défini comme un travail « où l’objet de ce travail est un sujet humain, un usager des services : ce travail implique des relations humaines et donc des dimensions émotionnelles et informelles qui ne pourront être que difficilement évitées dans la relation de production ce travail » (Martin Robitaille, 1998, p.5).

Dans son modèle de « stratification », Giddens nous explique la façon dont la

« rationalisation » de l’expérience est intégrante à la réflexivité. Il conçoit que « le contrôle réflexif, la rationalisation et la motivation de l’action sont trois ensembles de procès qui s’enchâssent les uns dans les autres ».

Graphique F : Modèle de stratification de l’agent

Conditions non Contrôle réflexif de l’action Conséquences non Reconnues de Rationalisation de l’action intentionnelles de L’action Motivation de l’action l’action

(A. Giddens, 1987, p.53)

En fait, l’expérience se formalise à travers une action organisée, rationalisée, réduite, élaborée par la réflexivité et l’individu prend conscience de son action, et de ses

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savoirs faire.Pour Giddens, l’action est un « procès » continu dans lequel un individu peut exercer un contrôle réflexif. Il fait la différence entre une conscience discursive et une conscience pratique et pour lui, cette dernière permet juste de savoir « faire », les motifs restent cependant inconscients, alors que la compétence ne peut s’acquérir sans une conscience discursive. Celui qui a des compétences sait et peut formuler de façon discursive les intentions et les raisons de son action, l’acteur sait

« le dire et le faire ». Ainsi par cette capacité à pouvoir dire, et expliciter ses savoirs expérientiels, le candidat se redécouvre lui-même.

La réflexivité impose une mise à distance de l’expérience, l’individu exerce ce qu’il sait faire, réaliser dans une logique d’observation sur soi par une capacité et une possibilité d’analyse et d’expression orale même si cette personne a des difficultés à l’écrit. Cependant, « L’écriture apparait comme un moyen privilégié de la prise de conscience, elle nous livre notre propre pensée dans sa forme la plus élaborée …Elle permet à la pensée d’atteindre un degré d’élaboration logique et de réflexivité inaccessibles à la seule expression orale » (Albert Bandura, 1993, p. 46).

C’est pourquoi, il est indispensable que dans un pays, tout de monde puisse apprendre à lire et à écrire. L’écriture donne la possibilité aux personnes peu qualifiées, d’atteindre un « degré d’élaboration logique et de réflexivité », celui-ci prend conscience de son métier. Cette conscience de sa profession, ainsi que la conscience en soi sont fondamentales dans le processus identitaire et d’insertion.

L’écriture et la narration affirment ainsi leurs relations intimes au cœur du processus d’insertion. Nous le savons, les personnes peu qualifiées vivent mal leur rapport à l’écrit, et à l’oral. La possibilité de lire et écrire est un enjeu majeur pour la construction de l’individu, qui ressent une valorisation personnelle et sociale. Le

« sujet pensant », caractérisé par ses actes réflexifs, prend conscience de son travail. L’expérience est acquise quand il existe une capacité de réflexion rétroactive, de retour sur le vécu appris, par la mobilisation de ses savoirs pratiques impliquant une conscientisation d’agir. Là est l’enjeu de la transformation du sujet, qui s’inscrit fortement dans une reconnaissance à travers l’expérience élaborée, rationalisée, authentifiée et reconnue par la société.

On peut s’appuyer sur les travaux Giddens pour admettre la réflexivité et voir comment elle pourrait concourir à la construction de l’identité professionnelle.

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Pourrait-on admettre de même qu’elle concourt à la reconnaissance et à l’insertion durable dans le métier ?

Il est question dans la réflexivité de la tension entre le travail prescrit et le travail réel, de son emploi au quotidien et de son expérience professionnelle. La personne peu scolarisée, par la réflexivité, est en capacité d’exécuter son activité, la connaissance de soi est claire car il prend conscience de ce qu’il sait faire. Notre cible ferait appel à son sens de réflexivité par un retour sur soi. Cette pensée réflexive à laquelle fait appel la cible est une dynamique cognitive, elle permet de redécouvrir ses savoirs acquis par le travail, donner plus du sens et de valeur à ce travail et de faire un lien entre les actions habituelles et la compréhension de ces actions. Giddens (1987) nous explique que c’est par la capacité de réflexivité que les individus sont

« capables de comprendre ce qu'ils font pendant qu'ils le font ». Par ailleurs, Giddens (1987, p.51) précise que « la réflexivité s’ancre dans le contrôle continu de l’action qu’exerce chaque humain qui, en retour, attend des autres qu’ils exercent aussi un contrôle semblable ». En revanche, la reconnaissance par autrui est-elle si évidente ? Et si la réflexivité prenait sens que dès lors que l’action est aussi reconnue par l’autre, nous pouvons admettre que même si un jeune acquiert de l’expérience professionnelle, son insertion devient problématique dès lors que sa reconnaissance n’est pas sociale. Les compétences ne prennent de la valeur que quand elles sont reconnues. Les capacités non « reconnues » demeuraient

« inconscientes », leurs expériences restent à jamais enfouies en elles.

Pour Ricoeur, l’expérience narrative, ou plutôt réflexive-narrative, est fondamentale dans la construction de l’identité professionnelle, car l’individu réalise et applique ses savoir-appris et ses savoir-faire dans un travail réflexif, qu’il peut transmettre. C’est à travers cette compétence narrative que se transmet une formation des métiers informels car les apprenants n’ont pas des compétences pour lire et écrire. Lorsque le formateur va narrer sa réalisation et nommer ses savoirs d’action, il va expliquer comment et pourquoi il agit ainsi, expliciter, verbaliser les savoirs, les méthodes utilisées, il doit argumenter, justifier, en quelque sorte, il s’approprie des savoirs incorporés par un exercice narrative et réflexive.

Il s’agit pour le formateur de passer du savoir-intégrer au savoir d’action, à travers des savoirs verbalisés, pour arriver enfin aux savoirs formalisés. Le travail narratif

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apparait comme un pont entre ces différents savoirs. Les deux identités (réflexive et narrative) sont vraisemblablement liées. La réflexivité se concrétise dans la narration, en entrant en relation avec lui-même à travers ce qu’il dit, le formateur entre en relation avec l’autre (l’apprenant) à qui il livre ses expériences. Que nous dit Ricoeur à propos de l’identité narrative ?

Ricoeur (1990) soutient que l’identité individuelle a deux aspects : L’identité- idem ou la mêmeté et l’identité-ipse ou l’ipséité. La mêmeté représente l’identité qualitative et numérique, elle concerne ce qui reste inchangé dans le temps, c’est l’identité des choses qui persistent inchangés à travers le temps, le dimension temporelle est fondamentale car cette identité est attachée à la permanence du temps ; « la problématique de l’identité personnelle tourne autour de cette quête d’un invariant relationnel, lui donnant la signification forte de permanence dans le temps » (Ricoeur, 1990, p.142) le chercheur veut démontrer l’importance de la permanence dans le temps des individus.

Quand à l’ipséité, c’est une identité de soi, variable, changeante ; « notre constante sera que l’identité au sens d’ipse n’implique aucune assertion concernant un prétendu noyau non changeant de la personnalité » (Ricoeur, ibid., p.12). Pour lui, cette identité revêt le maintien de soi, la fidélité envers l’ipséité, la stabilité, la promesse, la parole donnée : l’ipséité se réalise à travers cette promesse envers soi et envers autrui.

Pour Ricoeur, le récit apparait comme un moyen pour configurer le rapport au temps.

Il tient d’Aristote les concepts de mimèsis et muthos, qui désigne l’agencement des faits, la représentation de l’action. Le terme de mimèsis représente l’imitation, l’auteur insiste sur la corrélation entre raconter une histoire et l’aspect temporel de l’expérience humaine. Le récit ne prend tout son sens que dans une temporalité effective : « Le temps devient humain dans la mesure où il est articulé de manière narrative » (Ricoeur, 1983, p.12).

Il soutient que c’est à travers eux qu’une personne peut passer du vécu au débat pour pouvoir donner sens et signification à ses actes. La narration est essentielle dans la prise de conscience, dans la réflexivité. La narration apparait comme un outil de modification par rapport au monde, elle est un élément de construction identitaire en ce sens qu’elle met l’individu dans une position d’acteur et non plus seulement de

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sujet, ce sujet peut donc s’inventer autrement, se reconnait autrement. Il introduit de même une temporalité de l’action dans sa bibliographie, permise par les reconstructions permanentes de l’image de la personne actrice par le récit de sa vie. Il fait émerger du sens du monde, à ce qu’il a vécu, à ce qui a constitué une partie de sa vie.

La narration est un outil valorisant dans lequel s’inscrit le processus d’insertion, en ce sens qu’elle permet une réflexivité sur sa vie et une reconnaissance par « autrui lecteur ». Ricoeur (1983) dit que c’est grâce au caractère narratif que l’identité atteint sa dimension temporelle ; et que « L’identité narrative…, constitutive de l’ipséité… Le sujet apparaît alors comme constitué à la fois comme lecteur et comme scripteur de sa vie».

Ricoeur, évoque le lecteur et le scripteur. Pour lui, l’identité narrative par l’écriture est un élément fondamental de la construction identitaire. L’identité narrative passe par différentes « strates » narratives qui configurent l’identité car d’après l’auteur, le récit et la mise en intrigue, le sens critique sont fondamentaux dans les mécanismes de construction identitaire en donnant la possibilité de faire le lien et la cohérence entre les différentes strates.

L’histoire racontée, l’expérience racontée à soi et aux autres fonderait l’identité. La narration jouerait un rôle important dans la prise de conscience, de l’entrée en relation avec le monde extérieur et de l’altérité donc de l’insertion sociale et à travers elle la reconnaissance. D’après Axel Honneth, « sans la reconnaissance, l'individu ne peut se penser en sujet de sa propre vie ». On peut remarquer la perspective socio-psychologique de la question de l’identité professionnelle dans ce concept de Honneth et dans celui de Ricoeur.

Les chercheurs sur lesquels nous avons pris appui sont tous d’accord pour admettre que ce versant se construit dans les relations avec les autres, dans l’interaction, au sein du groupe d’appartenance : restreint (familial, amical) ou étendu et collectif (travail, le monde), choisi ou imposé. C’est pourquoi, La construction de l’identité professionnelle et sociale qui participe à une meilleure insertion dans le monde professionnelle et sociale apparait comme un long processus initié depuis l’enfance qui impliquerait des facteurs et des processus psychosociologiques, singuliers et collectifs. L’identité réflexive, l’identité narrative sont autant de facteurs qui

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permettent d’asseoir et la reconnaissance par soi et par autrui et par là l’insertion socioprofessionnelle. Cette reconnaissance passe surtout par la reconnaissance de nos valeurs par l’autre : la reconnaissance de nos compétences, de nos expériences, de nos capacités.

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