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Expériences sur l’éducation des adultes dans le Monde Arabe

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 112-116)

CHAPITRE III : L’ÉDUCATION DES ADULTES

3.2. Analyse comparée des systèmes d’éducation des adultes à travers le monde

3.2.2. Expériences sur l’éducation des adultes dans le Monde Arabe

Le Maroc représente le Maghreb dans cette analyse et l’Égypte représente le lien de l’Afrique avec le Moyen-Orient. Dans ces pays à dominante musulmane, on a d’un côté un royaume et de l’autre une république. Pour quelle influence ?

112 3.2.2.1. Le cas du Maroc

Selon Mohammed Bougroum et al. (2006)14, la réalisation des objectifs de la politique publique en matière sociale au Maroc repose sur une forte implication de la société civile. Cette dernière, souvent désignée par le vocable de « tiers secteur », fait référence aux organisations qui, hors secteur public, accordent une priorité à des objectifs non marchands. La logique de fonctionnement de ces organisations diffère à la fois de la logique marchande qui caractérise les entreprises privées, et de la logique bureaucratique ou administrative propre au secteur public. Dans le domaine de l’alphabétisation, deux acteurs de la société civile sont appelés à contribuer de façon significative à la réalisation des objectifs de la politique publique. Il s’agit des associations et des coopératives. La société civile a vocation d’interpeller l’État et de mobiliser la population. Quand elle agit en sous-traitant rémunéré ou subsidié de l’État, sa position est ambiguë – du moins lorsque le comportement de l’État n’est pas exempt de reproches, par exemple par un utilitarisme excessif de l’enseignement. L’enseignement fondamental répond à un droit humain universellement reconnu et il constitue une mission de l’État, en tant que promoteur de l’intérêt général. Il convient se demander quelle place peut prendre des associations privées dans l’accomplissement de cette mission. Sous quelles conditions de légitimité et de supervision ? Avec quelles compétences, propres ou déléguées ?

Au Maroc, le contraste entre les indicateurs sociaux et les indicateurs économiques est frappant. Si le pays peut se prévaloir d’avoir obtenu des résultats probants en matière de rétablissement des grands équilibres macroéconomiques (maîtrise de l’inflation, réduction du déficit budgétaire, gestion plus rationnelle de la dette…), ses faibles performances en matière sociale interpellent fortement. Le dernier rapport du PNUD sur le développement humain (PNUD, 2005) rappelle l’énorme retard que le Maroc doit rattraper dans le domaine social. En effet, selon l’Indicateur du Développement Humain (IDH), le Maroc n’arrive qu’en 124ème position (sur 177), bien derrière ses voisins maghrébins. Presque la moitié de la population est analphabète. Conscients que la consolidation des réalisations sur le plan économique passe par l’amélioration des indicateurs sociaux, les pouvoirs publics au

14 Bougroum M. « La politique d’alphabétisation au Maroc. Quel rôle pour le secteur associatif ? » dans Monde en développement, N°134, pp. 63-77, 2002

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Maroc ont fait de la politique sociale l’une de leurs principales priorités. Depuis la fin des années 1980, les actions en matière de l’alphabétisation de la population constituent l’un des axes privilégiés de cette politique sociale. Malgré cette prise de conscience, il a fallu attendre la fin des années 1990 pour voir cette volonté politique se traduire dans la réalité. L’action gouvernementale, actuellement coordonnée par le Secrétariat d’État chargé de l’alphabétisation et de l’éducation non formelle, s’est intensifiée en se diversifiant. Aux programmes menés directement par cette ou par les autres départements ministériels s’ajoutent les actions d’alphabétisation fonctionnelle mises en place en milieu professionnel et les actions menées en partenariat avec le tissu coopératif et associatif.

Par son ampleur, l’analphabétisme est (et risque de le rester pour quelques temps encore) un problème structurel qui constitue un facteur lourd d’inertie pouvant hypothéquer la réussite de toute stratégie de développement économique et social.

L’analphabétisme au Maroc est loin d’être un phénomène marginal et la politique d’alphabétisation devrait être menée avec des moyens à la hauteur du défi à relever (Sophie Cerbelle, Jean-Pierre Jarousse, 200515). Le recours au tissu associatif, en tant qu’acteur d’alphabétisation, s’inscrit dans cette logique de mobilisation des ressources. Cependant, cette mobilisation, faite sur la base d’un discours civique partagé par tous les acteurs, ne devrait pas être une fin en soi. L’objectif principal est de s’assurer que le tissu associatif est bien qualifié pour la tâche pour laquelle il est mobilisé. Il en va de la crédibilité des programmes d’alphabétisation et de l’action publique dans le domaine social. L’expérience de ces dernières années tend à montrer que les espérances mises sur cet acteur dépassent largement ses potentialités d’action. Car dans le contexte actuel, les conditions objectives pour faire du secteur associatif un acteur d’alphabétisation de masse et de qualité sont loin d’être réunies. Pour être effective, la mobilisation du secteur associatif devrait se faire de manière progressive en mettant en place des programmes de qualification et de certification des associations.

15 Rapport sur l’étude des conditions de réussite des programmes d’alphabétisation (Étude de cas à Kénitra), Mémo, Rabat

114 3.2.2.2. Le cas de l’Egypte

Dans un contexte de chômage et de promotion de l’auto-emploi, l’attachement des jeunes diplômés égyptiens au secteur public est perçu comme paradoxal par le gouvernement. Karine Tourné (2005)16 montre que leurs attentes, historiquement construites, se heurtent à la réorientation des politiques de l’emploi. Du point de vue des jeunes diplômés rencontrés, les nouveaux dispositifs d’insertion – en s’appuyant sur le secteur privé – rendent l’accès à un emploi stable plus aléatoire et nécessitant un privilège, une wasta (un piston). Le maintien de “chômeurs actifs” sur les listes de placement répond à la suspension de facto d’un droit, celui de la garantie de l’emploi, qui est vécue comme une expérience de l’infortune sociale.

Répondre à la question formulée par les pouvoirs publics, « mais que veulent les diplômés ? », implique un retour sur l’histoire sociale qui permet de comprendre la construction des attentes et les pratiques professionnelles. Fût-il dans le secteur privé ou public, ce qu’ils veulent c’est un emploi madmûn, c’est-à-dire stable, et donc avec un contrat, mais surtout assorti de droits sociaux. Le développement conjoint du système éducatif et du secteur public a mis en place une figure sociale, qui aujourd’hui ne serait plus attractive ou ne devrait plus l’être selon les responsables politiques et les experts : l’aura du fonctionnaire devrait être remplacée par celle de l’entrepreneur. En faisant du chômage des diplômés une priorité nationale, le gouvernement égyptien désengage progressivement l’État de l’activité économique en faveur d’une participation plus grande du privé. Il faut rappeler qu’en 1995, 75 % des chômeurs sont diplômés du secondaire, 8 % des instituts techniques supérieurs et 13 % sont diplômés de l’enseignement supérieur (Assaad, 1997)17. Il s’agit d’adapter la structure de la population active aux besoins du marché du travail définis selon les priorités du secteur privé, moteur de la croissance et du développement (Chris Evans-Klock, Lim Leam, 1998 : 35)18. Mais ces incitations au secteur privé s’organisent essentiellement autour de la promotion de l’auto-emploi (Al-Mahdi,

16 « Diplômés chômeurs : l’expérience de l’infortune sociale et les nouveaux dispositifs de l’insertion en Égypte » dans Revue des Mondes musulmans et de la Méditerranée, N° 105/106, janvier 2005. En ligne sur

http://remmm.revues.org/2716

17 Assaad R. « The effects of public sector hiring and compensation policies on the Egyptian labor market” dans The world Bank economic review, vol. 11, n°1, pp. 87-118, January 1997

18 Cité par Karine Tourné

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2001) et des petites entreprises via les micro-crédits alloués entre autre par le Fonds Social de Développement (Handoussa, 2002 ; Galâl, 2002)19.

Cependant, le rapport des jeunes adultes à l’activité ne suit pas ces prédictions.

D’une part, parce que celles-ci sont en tension avec l’histoire politique et sociale : il apparait que le diplôme comme accès à l’emploi est une construction historique forte, la garantie de l’emploi pour tous les diplômés du supérieur (depuis 1961/1962) et du secondaire (depuis 1964). Le secteur public assurait, jusqu’à sa progressive remise en cause, une stabilité (dotée de droits sociaux) que le secteur privé ne permet pas.

Postuler que vingt ans (1978-1999) ont suffi à l’ajustement des attentes des actifs ne serait pertinent que si l’emploi dans le secteur privé n’était pas fortement connoté de précarité (par les jeunes adultes). D’autre part, parce que la stabilité est une valeur non seulement professionnelle mais également et surtout familiale.

Toutefois la question n’est pas tellement de savoir si les jeunes font la queue pour les rares emplois dans le public et si, en individus rationnels, ils choisissent celui qui leur coûte le moins (notamment en temps), mais de donner à voir ce qu’ils font dans cette nouvelle configuration. Il s’agit de comprendre leurs rapports à une activité s’inscrivant dans un processus long, non limité à la seule valeur du diplôme, aux seuls emplois publics dès lors que ce débouché devient impossible ou intenable. En effet, la contraction des possibles sociaux ne signifie pas la disqualification des formes d’activité qui leur étaient associés. En faisant la promotion du jeune entrepreneur, les politiques de l’emploi présument à tort que les individus ajustent immédiatement leurs attentes, comme le reflètent l’inscription sur les listes et les manifestations. Au contraire, dans un contexte où les injonctions, notamment matrimoniales, semblent être plus difficiles à satisfaire, et où les mises en tensions et les inégalités se multiplient, la définition du rapport à l’activité se structure de plus en plus autour d’une stabilité “idéale”.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 112-116)