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Seconde affirmation : le détour est le plus souvent une recherche d’optimisation

Au sein de l’enjeu général de l’optimalité, la question du détour dans la distance pose un ensemble de problématiques que les aménageurs doivent prendre en compte.

Dans la littérature scientifique portant sur le déplacement, le détour n’est le plus souvent traité que comme une difficulté dans un déplacement, difficulté rendue nécessaire par la forme du réseau ou bien difficulté importune. Dans un travail sur les voiries urbaines et les effets de coupure, Héran montre qu’une partie du détour est incompressible, due à la présence de bâtiments et plus généralement, à l’existence d’espaces consacrés à d’autres fonctions que le déplacement610. Pour Héran, ce détour allonge les trajets de l’ordre de 15 à 25 %. Mais il existe aussi une composante du détour due à des effets de coupure multiples que l’on peut souhaiter réduire, en particulier s’agissant des déplacements en modes de transport reposant sur l’effort musculaire. Dans son analyse des distances urbaines, Héran raisonne en définissant un détour moyen normal et un détour supplémentaire611. Si le réseau de voirie est bien maillé, le détour restera limité. Le détour est vu essentiellement comme une perte d’énergie, une perte d’efficacité, et un handicap pour les modes doux. C’est le cas aussi dans les travaux en éthologie612. Le détour ne prend de sens positif que dans le domaine de l’économie, avec le célèbre détour de production qui désigne un investissement consacré à l’amélioration de la production future. On retrouve aussi cette figure positive dans les processus d’apprentissage ou dans les structures narratives, c’est-à-dire dans des phénomènes détachés du problème du cheminement concret dans l’espace géographique. Pour les questions qui nous concernent ici, le détour est d’abord un problème, un obstacle ou un frein. S’il devient positif alors le détour est une idée paradoxale.

Première illustration de l’importance d’envisager le détour dans l’optimalité des distances, l’examen des partenaires potentiels du projet de ligne à grande vi-tesse du contournement sud de l’Île-de-France. Ce projet d’infrastructure est en-tièrement inscrit dans le périmètre de la région Île-de-France. Or les marques d’intérêt exprimées613 et qui permettent de préfigurer un groupe de financeurs, incluent cinq régions de l’ouest français comme la Bretagne, les Pays de la Loire ou le Centre, pourtant situées très loin de l’infrastructure. Le fait que cet équipe-ment favorise l’accès aux lignes ferro-viaires à grande vitesse nord, est et sud-est au départ des villes de l’ousud-est fran-çais, explique l’intérêt que lui portent les régions de l’ouest. Ce tronçon d’infra-structure sera générateur de détour dans la formation des distances, mais un dé-tour qui sera producteur d’optimalité par des chemins plus courts en durée de transport. Cette optimisation explique la

610 Héran, « Des distances à vol d’oiseau aux distances réelles ou de l’origine des détours ». 611 Ibid.

612 I. Schmidt et al., « How desert ants cope with enforced detours on their way home », Journal of Comparative Physiology A 171, no 3 (1992): 285-88.

Illustration 53. Les priorités de la politique d’infrastructure de trans-port de la Région Pays de la Loire expriment un intérêt pour le projet de contournement sud de l’Île-de-France (« Contribution relative au projet de schéma national des infrastructures de transport du 9 juillet 2010 » 2010)

participation de régions pourtant très éloignées pour un projet inscrit dans le périmètre de la région l’Île-de-France.

Comme on l’a vu précédemment614, la forme spatiale extrême du détour est l’inversion spatiale identi-fiée par Tobler et Bunge. Ce phénomène signifie qu’un équipement d’intermodalité situé relativement loin contribue à l’optimalité des distances au départ d’un lieu. Les aménageurs s’intéressant à l’ac-cessibilité de leur territoire sont amenés à penser à l’équipement de leur espace pour optimiser les distances vers l’extérieur. Or l’inversion spatiale illustre le cas où un équipement d’optimisation des distances peut résider hors du périmètre d’intervention du territoire sur lequel porte la réflexion. Pour illustrer l’inversion spatiale nous

pro-posons le cas de trois villes imaginaires A, B et C sur trois périodes historiques avant 1950, jusqu’à 1990 et ensuite. À partir d’une situation où coexistent la route et le mode ferroviaire classique, le développe-ment des réseaux de transport rapides voit apparaître le mode aérien et l’auto-route dans les années 1950. La seconde phase des grandes vitesses consiste en l’introduction de la grande vitesse ferro-viaire dans les années 1990.

Dans les deux premières phases le che-min le plus court, par la route ou la voie ferrée, puis par l’autoroute part de la ville intermédiaire directement vers la ville C. Mais dans la dernière période, le chemin le plus court en temps suppose de prendre un train à grande vitesse vers la ville A pour ensuite monter dans un avion vers C. La première partie du chemin s’ef-fectuant dans une direction opposée à la destination terminale, il s’agit d’un cas

d’inversion spatiale. Quels sont les équipements contributeurs à l’accessibilité de la ville intermé-diaire ? Dans les deux premières périodes, la seule connectivité aux réseaux rapides, route, ferroviaire classique puis autoroute permet de produire des chemins directs vers C. Ceci repose sur l’établisse-ment de connecteurs sous forme de bretelles d’accès, de gares, d’embranchel’établisse-ments, tous localisés à l’intérieur du périmètre légitime d’action de la ville B. Dans la dernière période, l’accessibilité de la ville intermédiaire est construite par trois facteurs qui sont la connectivité au réseau ferroviaire à grande vi-tesse, l’articulation entre les modes ferroviaire et aérien615, et l’offre aérienne de l’aéroport de la ville A. Dans ce dernier cas, un équipement lointain, situé en A, hors du territoire de la ville B, devient un équipement stratégique pour la ville intermédiaire, bien qu’il se situe hors de son périmètre d’interven-tion. Une politique pertinente de développement de l’accessibilité de la ville B ne peut alors se construire sur un programme de développement d’équipements situés exclusivement sur son terri-toire.

613 Conseil Économique, Social et Environnemental des Pays de la Loire, Contribution relative au projet de schéma national des infrastructures de transport du 9 juillet 2010 (Nantes: Conseil Économique, Social et Environnemental des Pays de la Loire, 2010), http://ceser.paysdelaloire.fr/images/stories/etudes-publications/transport/2010-11-19_SNIT-valide.pdf; Philippe Duron, Mobilité 21 « pour un schéma national de mobilité durable » (Paris: Ministère du Développement durable, 2013), http://www.developpement-durable.gouv.fr/Remise-du-rapport-Mobilite-21-pour.html.

614 Dans la partie intitulée « Les distances reliant transport et urbanisme : du détour à l’inversion spatiale » page 17. 615 Jean Varlet, « Dynamique des interconnexions des réseaux de transports rapides en Europe : devenir et diffusion  

spatiale d’un concept géographique », Flux 16, no 41 (2000): 5-16, doi:10.3406/flux.2000.1322.

Illustration 54. Irruption de l’inversion spatiale, forme extrême du détour, avec le développement des grandes vitesse pour un trajet de B vers C (L’Hostis 2014)

Comme seconde illustration pratique du rôle du détour comme principe d’optimisation des distances, nous utilisons une carte issue de notre propre travail616 sur les indicateurs du potentiel de contact617. Il s’agit de la représentation des combinaisons intermodales dans les allers-retours à la journée entre métropoles en Europe. Le mode ferroviaire à grande vitesse est ici combiné au mode aérien pour donner la possibilité de réaliser des déplacements à longue distance entre villes. Du point de vue des villes, cette intermodalité donne naissance à ce que nous appelons des systèmes métropolitains aéro-ferroviaires618. Ceux-ci reposent sur un accès à un aéroport majeur via le réseau ferroviaire à grande vitesse. Cette situation se retrouve dans 6 cas en Europe, avec deux systèmes remarquables qui sont Francfort et Lille-Paris-Charles de Gaulle.

L’intermodalité TGV-aé-rien provoque de nom-breux phénomènes de détours et d’inversion spatiale. La carte précé-dente le montre nette-ment si l’on confronte le trait rectiligne liant l’ori-gine et la destination des allers-retours à la journée, à l’axe de fer-roviaire vers la plate-forme aérienne que le chemin réel emprunte. Ces inversions spatiales sont d’autant plus marquables qu’elles re-posent sur une portion terrestre dans les itiné-raires.

Il devient alors

nécessaire de penser l’inversion spatiale, forme extrême du détour, dans l’aménagement des territoires : l’aéroport de Charles de Gaulle est un point d’accès au monde pour la région Nord-Pas-de-Calais et Lille, l’inversion spatiale consistant à prendre un train vers le sud pour rejoindre des destinations européennes au nord et au nord-est de Lille. Comment assumer cette inversion spatiale qui consiste à s’extraire d’une logique d’équipement en aéroport pour adopter une vision axée sur le service de transport ? C’est la question que pose la problématique de l’inversion spatiale, forme extrême du détour, dans le cas de Lille.

Enfin, troisième illustration de l’importance du détour dans la formation des distances, les plans de réseau de transport en commun oscillent entre deux modes de représentation. La plupart des plans privilégient une représentation géométrique619 du réseau, tandis que d’autres retiennent une représentation topographique, s’appuyant sur la position chorotaxique conventionnelle des lieux620. Dans le premier cas, qui correspond aux choix édictés par Harry Beck, les segments rectilignes

616 Moritz Lennert et al., Future Orientations for Cities final report (ESPON, 2010), http://www.espon.eu/main/Menu_Projects/Menu_AppliedResearch/foci.html.

617 Ces travaux sont exposés plus bas en détail, dans la seconde partie du dernier chapitre, à partir de la page 146. 618 Bozzani-Franc, « Grandes Vitesses, Métropolisation et Organisation des territoires ».

619 Plusieurs auteurs emploieraient ici l’adjectif topologique : j’ai expliqué plus haut, page 49, les raisons de mon choix de ne pas utiliser cet adjectif dans de contexte.

620 Cyprien Richer, « Multipolarités urbaines et intermodalité: les pôles d’échanges, un enjeu pour la coopération intercommunale? » (Université des Sciences et Technologie de Lille-Lille I, 2007), 208, http://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-00260379/.

Illustration 55. La contribution des systèmes métropolitains aéro-ferroviaires en Europe en 2009 à la possibilité d’allers-retours à la journée, détour et inversion spatiale (Lennert et al. 2010)

effacent les détours des lignes de transport. Dans ces représentations, le détour de la ligne s’efface, mais un autre détour, lié au changement de ligne est mis en avant.

Un utilisateur d’un réseau de transport en commun est forte-ment susceptible de pratiquer un changement de véhicule ou de modes dans son trajet. Dans l’ag-glomération parisienne, on estime que la moitié environ les utilisa-teurs de transport en commun uti-lisent plusieurs lignes ou systèmes de transport621. Cette proportion peut monter jusqu’à 70 % dans certaines villes comme Lyon622. Le réseau lyonnais, marqué par la volonté de ne pas susciter un unique point focal de convergence des lignes lourdes, suppose une forte proportion de déplacements comportant plusieurs lignes de

transport : ainsi le trajet entre les deux gares principales, Perrache et Part-Dieu n’est-il pas possible en métro sans changement de ligne. Le plan simplifié conçu pour les usagers, dont la section centrale est reproduite sur la figure 56, procède selon les choix de représentation introduits par Harry Beck pour le métro de Londres : les lignes sont transformées en droites et tracées selon 8 directions pos-sibles, dans un schéma dit octolinéaire623. La représentation met graphiquement nettement en avant des trajets rectilignes et les stations où l’on peut changer de ligne. Comme les cheminements dans le réseau de transport sont tributaires des choix de conception des lignes, le plan exprime une pédago-gie du détour pour montrer comment construire des distances, optimales et assumant les change-ments de ligne.

Les utilisateurs d’un système de transport conservent en leur for intérieur une référence à la ligne droite. Les représentations qui leur sont fournies en tiennent compte en effaçant les détours sur les lignes comme dans le plan de Harry Beck du métro londonien ou au contraire en élaborant une pédagogie du détour en soulignant la présence des pôles d’échange, créateurs de détour spatial et temporel.

Le détour devient alors une valeur positive, en tant que recherche d’optimisation. Les voies rapides allongent les parcours et contribuent à la congestion note Héran624, mais c’est bien une recherche d’optimalité individuelle par les usagers, en temps en l’occurrence, qui aboutit à ce résultat. L’étymologie du terme montre cette ambiguïté du détour qui désigne soit la sinuosité du chemin, soit l’action de s’écarter du chemin direct pour se rendre dans un endroit donné625. L’optimalité de la distance met bien l’accent sur la recherche du chemin optimal, aussi sinueux soit-il ; ainsi affirmons que le détour est-il le plus souvent une recherche d’optimisation.

621 Marie-Hélène Massot, « Les pratiques de multimodalité dans les grandes agglomérations fran\ccaises », TEC 153 (1999): 32-39.

622 Cyprien Richer et al., « Quelle(s) intermodalité(s) dans les mobilités quotidiennes ? L’apport des Enquêtes-  Ménages Déplacements (EMD) dans l’analyse des pratiques intermodales » (présenté à Journées de Géographie des Transports, l’intermodalité en question, Montpellier, 2012),

http://www.cete-nord-picardie.equipement.gouv.fr/communications-recentes-a206.html.

623 Roberts et al., « Objective versus subjective measures of Paris Metro map usability ». 624 « Des distances à vol d’oiseau aux distances réelles ou de l’origine des détours ». 625 Site web Ortolang http://www.cnrtl.fr/definition/détour consulté en 2014.

Illustration 56. Secteur central du plan de réseau lyonnais, l’intermodalité nécessaire (source http://www.tcl.fr consulté en 2014)

Troisième affirmation : la pause est un élément de l’optimisation des

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