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Intervenir conjointement sur les transports et sur la distribution des fonctions

Nous venons de voir qu’il est possible d’éclairer de manière pertinente ces deux types d’intervention urbaine, sur les transports et sur la distribution des fonctions, en mobilisant tout ou partie du système de distances pour l’urbanisme que nous avons proposé. C’est le cas a fortiori pour les interventions conjointes sur les deux secteurs que nous abordons maintenant.

Intervenir conjointement sur les transports et sur la distribution des

fonctions

L’intervention sur les réseaux et l’intervention sur la ville devraient le plus possible être conduites de front. Cette intervention conjointe sur les deux secteurs correspond à l’esprit de la planification urbaine intégrée ou de l’aménagement du territoire, pour lesquels les transports constituent un des secteurs d’intervention parmi d’autres, intégré dans un projet global de territoire ou de ville.

Dans cet esprit on trouve l’idée de l’urbanisme des transports collectifs, traduction proposée du vocable américain du transit oriented development (TOD), qui vise un développement conjoint de la ville et des systèmes de transport collectif. Nous développerons plus bas682 les termes et les enjeux de ce type d’urbanisme, mais ici nous proposons d’exposer les principes d’un des modèles du TOD qui est la ville creuse imaginée par Maupu683. Il s’agit de penser une ville organisée autour d’une boucle de transport ferroviaire. Les déplacements sont permis par le mode ferroviaire pour les distances longues, tandis que la forme urbaine favorise les modes doux pour les courtes distances. La voiture n’est alors pas indispensable. La forme urbaine est organisée dans un corridor de densité bouclé enserrant un espace vide, creux, laissé aux usages ruraux ou récréatifs, un centre de verdure et d’espaces naturels. Ce modèle théorique organise les distances du transport d’une manière à soutenir le fonctionnement d’une forme urbaine ayant une emprise spatiale relativement grande, mais sans dépendre de la voiture comme c’est souvent le cas dans les villes actuelles. La ville creuse pense aussi les distances de la densité par une urbanisation dense et mixte le long du tracé du système ferroviaire.

Dans l’histoire urbaine, le cas de Vienne en Autriche au 19e offre l’exemple d’une croissance urbaine organisée par les réseaux de transport ferrés. À partir de la Ringstrasse établie sur l’emplacement des fortifications, entourant le centre médiéval, un ensemble urbain est conçu par des quartiers reliés les uns aux autres par le chemin de fer urbain dans un modèle dont la croissance pourrait être infinie684. Pour les habitants, l’inscription dans un bassin de vie suppose le plus souvent la maîtrise de deux distances principales, l’une de la proximité du quartier de résidence, et l’autre, à l’échelle de l’agglomération, pour l’accès aux autres fonctions urbaines. Ainsi, dans une approche de sociologie urbaine, Jouffe s’appuie sur deux échelles, celle du quartier et celle de la métropole pour analyser les pratiques urbaines, les mobilités et les trajectoires résidentielles des habitants des quartiers défavorisés à Santiago du Chili685. Le système de distances peut permette ici d’éclairer les possibilités et les freins d’une inscription métropolitaine pour les habitants de la ville.

La confrontation entre la distance à vol d’oiseau, qu’ils appellent portée, et les distances en marche à pied et par d’autres modes de transport, permet à Genre-Grandpierre et Foltête d’expliquer en grande

682 Dans la section intitulée « Erreur : source de la référence non trouvée », à partir de la page Erreur : source de la référence non trouvée.

683La ville creuse pour un urbanisme durable: Nouvel agencement des circulations et des lieux (l’Harmattan, 2006). 684 Denis Bousch, « La grande illusion. Vienne ou l’impossible métropole », Romantisme 24, no 83 (1994): 73-80,

doi:10.3406/roman.1994.5936.

685 Alejandra Lazo et Yves Jouffe, « L’Iinformalité comme pratique. La Mobilité des habitants du quartier “Castillo”, quartier défavorisé de Santiago du Chili », consulté le 7 février 2013,

partie l’usage de la marche à pied dans un tissu urbain686. Plus le détour est élevé, à distance à vol d’oiseau comparable, moins l’usage de la marche sera fréquent. L’optimalité de la distance est ici réaffirmée, en indiquant la prévalence de la ligne droite, optimale pour la formation des distances pédestres. Cette analyse montre que ce système de distance permet à la fois de comprendre le lien entre la forme du réseau viaire, la distribution des fonctions urbaines et l’usage des modes de transport, mais aussi d’agir, car le cadre d’analyse identifie les principaux leviers de l’urbanisme : distribution des fonctions et formes des réseaux.

Le modèle Remus dévelop-pé par Moreno vise à mesu-rer les distances entre bâti-ments dans la ville pour identifier des ensembles co-hérents 687.

Le modèle est basé sur une description de la géométrie des bâtiments et sur une description fine du réseau de déplacement sous la forme d’un graphe. Un en-semble de mesures peut alors être réalisé pour indi-quer toutes les distances existant entre les bâtiments d’une ville. Il s’agit ici de dé-finir des niveaux de densité

basés sur une distance réseau plutôt que classiquement sur une distance euclidienne.

L’introduction de seuils de longueur de chemins permet alors d’identifier des « sous-ensembles ur-bains reliés de manière préférentielle » qui peuvent servir d’éléments de base pour une réflexion sur la distribution d’équipements urbains ou sur des « zones de proximité », mais qui peuvent aussi per-mettre d’identifier des insuffisances dans le réseau viaire688. La confrontation entre les deux mesures de la distance euclidienne et de la distance-réseau pédestre peut aussi nous donner une indication sur l’écart pouvant exister entre une densité mesurée, brute et une densité subjective ou vécue : le nombre de mes voisins vivant à deux ou cinq minutes de marche à pied de l’entrée de mon domicile est nécessairement inférieur, voire très inférieur, au nombre de personnes vivant dans un rayon de deux ou cinq minutes de marche à vol d’oiseau. Dans cet exemple, le système de distances de l’ur -banisme que nous proposons permet d’expliciter et de discuter en profondeur les principaux para-mètres de description des formes urbaines qui sont analysées.

686 « Morphologie urbaine et mobilité en marche à pied », Cybergeo : European Journal of Geography , 7 octobre 2003, doi:10.4000/cybergeo.3925.

687 Dominique Badariotti, Arnaud Banos, et Diego Moreno, « Conception d’un automate cellulaire non stationnaire à base de graphe pour modéliser la structure spatiale urbaine: le modèle Remus », Cybergeo : European Journal of

Geography, 3 octobre 2007, doi:10.4000/cybergeo.10993. 688 Ibid.

Illustration 63. Les voisinages de moins de 25 m entre bâtiments mesurés par le modèle Remus (Badariotti, Banos, et Moreno 2007)

Transition

Nous avons analysé dans ce chapitre le sens et la place de la distance dans la connaissance actuelle intéressant les domaines de la géographie des transports et de l’urbanisme. Selon la définition que nous retenons, la distance est définie comme une idée et une mesure de l’écartement entre les lieux. Elle correspond à un déplacement réalisé ou imaginé, mais elle recouvre aussi l’idée de l’espacement géométrique entre les objets de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire. Nous avons vu que la distance résiste bien à la confrontation avec les notions voisines d’espace, de vitesse, de proximité et de mobilité. Pour les domaines qui nous intéressent, la distance est un cadre d’analyse, mais elle est aussi un levier pour l’action.

L’examen de la place que la distance occupe dans les sciences sociales révèle une position complexe, entre affirmation et émergence. Centrale pour la géographie, elle est devenue un

facteur important en économie et a permis de renouveler les approches en psychologie et en sociologie.

Enfin nous avons présenté et approfondi les débats de la distance. La fin annoncée de la distance, mais surtout le débat sur les propriétés mathématiques de la distance nous apportent des éléments nouveaux. Nous affirmons le caractère d’optimalité de la distance et ses deux déclinaisons que sont, paradoxalement, le détour et la pause. Ces trois propriétés nous amènent à énoncer trois affirmations sur les distances que nous illustrons dans les domaines des transports et de l’urbanisme et de l’aménagement.

Après cet exposé théorique, suivi d’une illustration de sa signification dans les domaines de l’action, nous allons passer à l’exposé de notre activité de recherche déclinée selon trois axes.

La distance est porteuse d’opti-malité. Le détour dans les dis-tances contribue à former cette optimalité. La pause dans la dis-tance est aussi un facteur contri-butif de l’optimalité. L’urbanisme peut tirer parti de ces caractères des distances : l’action sur les transports, l’action sur la distribu-tion des foncdistribu-tions et les interven-tions combinées sur ces deux vo-lets sont autant de possibilités de tirer parti de la pause, du détour et de l’optimalité des distances.

Trois axes d’une recherche

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