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Proposition : un système de distances pour l’urbanisme

Comme le pose Lévy, face au caractère « multiple » de la distance, nous sommes soumis à la « tentation de rechercher dans une substance quelconque l’universalité perdue de la distance euclidienne »655. Cette substance peut être un nouveau paradigme physique comme le temps ou la vitesse, ou un concept économique comme le coût, mais il peut aussi être une notion dérivée ou voisine comme la métrique proposée par Lévy qui désigne les méthodes de mesure de la distance, ou l’accessibilité avancée par certains géographes656. Plutôt que de chercher un substitut à la distance, comme y invite l’interrogation de Lévy, nous proposons de définir mieux la, ou plutôt les distances de l’urbanisme. Nous rejoignons en ce sens l’approche du géographe Baerenholdt pour qui la distance est tout autant relationnelle que vécue657.

La distance de l’urbanisme, c’est à la fois la distance de l’urbaniste et la distance de l’habitant. La distance de l’individu qui utilise les espaces conçus et aménagés par l’urbaniste. La notion de distance que nous voulons proposer doit pouvoir correspondre à ces deux visions parfois dissonantes, à l’exemple des lignes de désir.

651 Jean-Jacques Bavoux, « Structuration du territoire bourguignon : de l’île à l’isthme  », Revue Géographique de l’Est 46, no 1-2 (2009), http://rge.revues.org/1195#tocto2n7.

652 Lætitia Dablanc et Dina Andriankaja, « Desserrement logistique en Île-de-France: la fuite silencieuse en banlieue des terminaux de fret », Flux, no 3 (2011): 72-88.

653 Nicolas Raimbault, Marie Douet, et Antoine Frémont, « Les implantations logistiques entre réseaux et territoires », L’Espace géographique, no 1 (2013): 32-43.

654 Site web Ortolang http://www.cnrtl.fr/definition/pause consulté en 2014. 655 « Entre contact et écart: la distance au coeur de la réflexion », 179.

656 Nous avons discuté cet argument dans le paragraphe intitulé « La distance et l’optimum», à la page 104 et suivantes.

657 Jorgen Ole Baerenholdt, « Experiencing mobility, mobilizing experience », in New Mobilities Regimes in Art and Social Sciences, par Susanne Witzgall, Gerlinde Vogl, et Sven Kesselring, Édition : New edition (Farnham, surrey ;   Burlington, VT: Ashgate Publishing Limited, 2013), 290.

Pour refléter les conclusions de la discussion précédente658, la première caractéristique de cette distance est son caractère d’optimalité. Une distance conçue ou une distance vécue sont l’une et l’autre des cheminements ou des tracés optimaux ; les critères de l’optimisation peuvent différer, mais cela ne remet pas en cause le caractère d’optimalité. Pour illustrer le propos, prenons l’exemple des débats ayant eu lieu lors de la constitution du réseau de chemin de fer en France : ces discussions ont fait explicitement référence à la recherche du chemin le plus court entre les bassins industriels qu’il s’agissait de relier les uns aux autres659.

Pour traiter les principales questions de l’urbanisme et de l’aménagement, nous proposons d’établir un système de distances. En nous appuyant sur l’importance du détour dans la formation des distances, nous faisons intervenir deux formes de distances entre les objets de l’urbanisme : la distance euclidienne et les distances-réseaux.

− La distance euclidienne est un indicateur de la densité des objets et de leur agencement et aussi la mesure de référence pour les distances à parcourir entre les objets.

− Les distances réseaux décrivent les trajets effectués ou projetés sur les différents réseaux de déplacement.

Pour la densité comme pour les déplacements les deux formes de distances peuvent avoir du sens, indépendamment ou confrontées l’une à l’autre. Pour les distances de la densité, la distance à vol d’oiseau définira une densité brute, tandis que les distances-réseaux entre voisins vont dépendre de la conception du réseau viaire660, c’est-à-dire le troisième D, le design, pour définir la forme urbaine, par la densité, la diversité et le design661. Chez les anglo-saxons dans le domaine de l’urbanisme, le

design renvoie à la conception de la voirie et des espaces publics, le plus souvent à l’échelle du quartier.

Les deux distances

de la ville Formes de la distance Paramètres de la forme urbaine Leviers de la forme urbaine Distances de la

densité Distance euclidienne entre voisins Densité de la fonction urbaine Détermine le dimensionnement et le modèle économique des réseaux urbains (eau, énergie, etc.)

Distances réseaux

entre voisins Urban Design, forme urbaine locale, conception du réseau viaire du quartier, densité vivable/densité efficace

Favorise ou limite les possibilités de coprésence Distances des

déplacements Distance euclidienne entre origine et destination

Distance de référence pour le

déplacement, référence pour la vitesse perçue

Détermine l’emprise spatiale de la forme urbaine Distances-réseaux entre origine et destination (distances-temps et distances-coûts)

Les éléments principaux du choix modal

Les éléments de l’indicateur de diversité de réseaux accessibles

Déterminent les parts modales et donc établit les modes principaux : ville pédestre, ville automobile, ville des TC Déterminent les possibilités de mobilité

Tableau 5. Un système de distances pour l’urbanisme (L’Hostis 2014)

658 Il s’agit de la partie « La distance en débat » à partir de la page 85, et plus précisément du paragraphe intitulé « La distance et l’optimum » page 100.

659 Ribeill, « Des Saint-Simoniens à Léon Lalanne ».

660 Antoine Brès, « Le système des voies urbaines : entre réseau et espace  », Flux 14, no 34 (1998): 4-20,

doi:10.3406/flux.1998.1233; Antoine Brès, « De la voirie à la rue: riveraineté et attrition. Des stratégies d’inscription territoriale des mobilités périurbaines », Flux, no 4 (2006): 87-95.

661 Robert Cervero et K. Kockelman, « Travel demand and the 3Ds: density, diversity and design », Transportation research Part D 2, no 3 (1997): 199-219.

Le tableau décline les rapports entre distance et urbanisme. Les deux distances centrales de la densité et des transports prennent chacune les deux formes de la ligne droite et du réseau. Ces quatre combinaisons définissent des paramètres et des leviers de la forme urbaine.

La distance euclidienne entre voisins définit la densité de la fonction urbaine ; ce paramètre fixe le dimensionnement et le modèle économique des réseaux urbains. La distance-réseau entre fonctions identiques correspond à la conception de la forme urbaine locale, c’est-à-dire à la conception du réseau viaire du quartier. Ce paramètre favorise ou limite les possibilités de coprésence dans les quartiers résidentiels.

La distance euclidienne entre fonctions urbaines distinctes, qui constitue une mesure de référence pour les déplacements, est aussi une mesure de l’emprise spatiale de la forme urbaine ou du bassin de vie : l’extension maximale des distances entre les domiciles et les principales fonctions urbaines, indique l’empreinte spatiale d’une ville. Les distances-réseaux entre fonctions distinctes, elles, vont contribuer à déterminer les parts des différents modes de transport dans le fonctionnement urbain. Ces distances déterminent aussi les différentes possibilités de mobilité, c’est-à-dire la diversité des modes disponibles.

Cette proposition formalise la pratique implicite de beaucoup d’auteurs662 dont Gatrell, qui dans son ouvrage sur la distance considère comme référence systématique de toutes les distances qu’il traite celle qu’il nomme tantôt la distance géographique, tantôt la distance physique663.

On a vu que la distance permet de décrire une grande partie des actions de l’urbanisme et de l’aménagement, à savoir disposer dans l’espace, fixer des densités et établir des réseaux. La distance définit, caractérise.

Mais que peut nous apporter cette investigation sur les distances pour la pratique de l’urbanisme ? Nous pouvons avancer une série de principes pour éclairer l’action sur la ville. Un urbanisme de distances serait alors une action consistant à :

− penser la localisation d’une fonction urbaine qui tienne compte des distances à vol d’oiseau entre les fonctions homologues les plus proches, c’est-à-dire la densité

− concevoir un accès aux réseaux existants ou un nouveau réseau qui crée les distances-réseau vers les fonctions urbaines différentes les plus proches : travail, habitat-commerces, etc.

− organiser les distances en conservant à l’esprit le principe de leur optimalité, en tirant parti de la fonction de pause, et des détours dans leur nécessité et dans leurs opportunités

Les trois paramètres sont étroitement dépendants l’un de l’autre : à une certaine densité de fonctions urbaines, par exemple le logement, est associé une organisation particulière des réseaux, qui produira un ensemble de distances-réseaux particulier : une faible densité de logement produit une prédominance des distances-temps routières au détriment des distances-temps pédestres, ou en transports collectifs. Réciproquement, un réseau de transport collectif performant au sens où il produit une projection efficace dans l’espace-temps, peut permettre de séparer des fonctions essentielles, logement, lieu de travail, et permettre des densités (de logement) vivables, et des densités (de lieux de travail) efficaces, sans impliquer un usage exclusif de l’automobile.

Nous allons maintenant présenter la façon d’utiliser ce système de distance pour éclairer la façon de faire la ville et les transports. Pas d’objectif d’exhaustivité ici, il s’agit plutôt d’illustrer ce que notre proposition sur les distances de l’urbanisme apporte aux réflexions actuelles. Nous abordons un ensemble de réflexions, de recherches, de modèles, de politiques et de pratiques de l’urbanisme et des transports en les ordonnant selon trois catégories. Soit une intervention sur les transports, soit une intervention sur les fonctions urbaines, soit une intervention conjointe.

662 Bailly, « Distances et espaces ». 663 Gatrell, Distance and space.

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