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L’urbanisme des transports en commun, une traduction du Transit Oriented Development

Le modèle du développement urbain basé sur les transports en commun est aujourd’hui connu dans la communauté scientifique internationale sous le vocable américain du Transit Oriented Development. La définition la plus communément admise du TOD est celle d’un développement urbain mixte, au sens des fonctions urbaines, et modérément dense, entourant les arrêts de transport en commun, dans un objectif de favoriser l’usage des transports publics, de la marche à pied, du vélo et des autres alternatives à la voiture897. Cervero insiste sur l’idée que les quartiers TOD ne sont pas seulement situés à proximité des transports en commun, ils sont réellement orientés vers les point d’accès au système de transport, en particulier au travers d’une attention poussée pour les espaces publics et la marche à pied. Dans le cas des espaces publics autour des arrêts du métro de Hong-Kong, l’effort porté sur l’esthétique, sur l’idée de lieu plutôt que celle de nœud, sur la qualité des accès piétons, a procuré un accroissement de l’usage du système de transport public de l’ordre de 20 %898. Pour compléter cette définition il faut exprimer l’idée que le TOD est une approche

multi-895 L’Hostis et al., Concevoir la ville à partir des gares, Rapport final du Projet Bahn.Ville 2 sur un urbanisme orienté vers le rail.

896 Paola Pucci, « Interconnexion et rôle des noeuds d’infrastructures : du sectoriel au général  », Flux 15, no 38 (1999): 30-38, doi:10.3406/flux.1999.1289.

897 Robert Cervero, « A Panorama of TOD, principles and experiences » (présenté à BUFTOD, Marne-la-Vallée, 2012). 898 Robert Cervero et Jin Murakami, « Rail+ Property Development: A model of sustainable transit finance and

urbanism », 2008, http://escholarship.org/uc/item/6jx3k35x.pdf.

Illustration 91. Le potentiel de redéveloppement de la ville sur elle-même autour du rail, l’exemple du Chambon-Feugerolles (L’Hostis et al. 2009)

échelles : le TOD n’est pas réductible à l’enjeu de l’aménagement des quartiers environnant les arrêts de transport collectif, mais il concerne aussi les réflexions liant développement urbain et système de transport collectif à l’échelle de corridors ou de lignes, et aussi à l’échelle des régions urbaines et de leurs réseaux de transport en commun899.

L’origine du concept est attribuée à la rencontre entre Calthorpe, urbaniste et de Cervero, spécialiste d’économie et de géographie urbaine. Calthorpe défend d’abord l’idée, pour les extensions urbaines, du développement de quartiers mixtes, structurés par la marche à pied, comportant la diversité des principales fonctions urbaines. Suite à un échange avec Cervero, Calthorpe adjoint à son modèle la présence d’un arrêt du système de transport en commun pour pouvoir mettre en réseau ces espaces de développement urbain, et pour soutenir un système de déplacement alternatif à l’automobile900. C’est le modèle du TOD tel qu’il est présenté dans l’ouvrage de Calthorpe en 1993. On notera au travers de cette genèse que le concept de TOD trouve son origine dans le monde de l’urbanisme et de l’architecture, et non pas dans le domaine des transports. Ces réflexions ont été développées en lien avec un mouvement urbanistique d’origine étasunienne, le new urbanism, qui pour promouvoir une forme urbaine alternative à l’étalement automobile, a mis en avant les vertus de la rue héritée de l’histoire urbaine en particulier européenne901. Aujourd’hui le TOD peut être considéré comme un des outils du new urbanism, mais en tant que concept il possède une autonomie propre. Le TOD est devenu un des principaux concepts de l’urbanisme aux États-Unis902, et tout un pan de recherche monte aujourd’hui en puissance sur ce thème.

Sur le plan de l’efficacité de la mise en œuvre le TOD, en favorisant l’accès et l’utilisation des alternatives à l’automobile est supposé conduire à la réduction de l’usage de celle-ci. Aux États-Unis, une étude sur 17 quartiers TOD a montré une diminution de moitié du nombre de déplacements effectués en voiture par rapport à la moyenne globale observée903. D’autres études confirment cette tendance avec par exemple 30 % de déplacements en moins dans les quartiers TOD dans le cas de Washington904. Il existe donc des éléments de preuve de l’effet de ce type de développement urbain sur la réduction de l’usage de la voiture.

Pour illustrer le contexte dans lequel le modèle du TOD se déploie aujourd’hui, nous proposons de synthétiser les liens entre modes de transport et forme urbaine à partir de quatre paramètres. Ceux-ci décrivent l’effet des modes de transport sur la forme urbaine et la caractérisation de l’espace-temps produit par les moyens de transport. Tout comme la forme urbaine produite à l’époque médiévale, essentiellement déterminée par les caractéristiques de la marche à pied, perdure partiellement dans la ville actuelle, les modes de transport dominent chaque époque sans effacer totalement les autres. Mais chaque mode, avec sa portée de référence et les nuisances qu’il génère, produit des formes urbaines aux caractéristiques très différentes. Nous avons ordonné dans le tableau suivant les modes de transport et les paramètres urbains selon la vitesse de plus en plus élevée que ceux-ci permettent.

899 Robert Cervero, The Transit Metropolis, a Global Inquiry (Washington: Island Press, 1998).

900 Peter Calthorpe, The next American metropolis: Ecology, community, and the American dream (Princeton Architectural Press, 1993).

901 Cliff Ellis, « The new urbanism: Critiques and rebuttals », Journal of Urban Design 7, no 3 (2002): 261-91. 902 Dick Nelson et John S. Niles, « Market Dynamics and Nonwork Travel Patterns; Obstacles to Transit-Oriented

Development? », Transportation Research Record: Journal of the Transportation Research Board 1669, no 1 (1999): 13-21.

903 G. B. Arrington et Robert Cervero, Effects of TOD on Housing, Parking, and Travel, TCRP Report, 2008, http://www.reconnectingamerica.org/assets/Uploads/finalreporttcrp128.pdf.

904 Arsalan Faghri et Mohan Venigalla, « Measuring Travel Behavior and Transit Trip Generation Characteristics of Transit-Oriented Developments », Transportation Research Record: Journal of the Transportation Research Board 2397 (1 décembre 2013): 72-79, doi:10.3141/2397-09.

Modes de transport Polarise la forme

urbaine Espace public vivable Grandes vitesses Espace-temps d’uneheure

Marche - ++ - 5 km Vélo - + - 20 km Transports urbains + + - 20 km Route + - - + 80 km Ferroviaire + + + + + 200 km Aérien - + + + 500 km

Tableau 9. Les rapports entre modes de transport et urbanité (L’Hostis 2014)

La polarisation de la forme urbaine décrit le caractère plus ou moins uniforme de celle-ci. La marche tend à produire une forme urbaine de densité uniforme, tandis que les modes mécanisés, par la plus grande portée et la discontinuité de la desserte, tendent à structurer les tissus urbains autour des ré-seaux, organisant des espaces de hautes et de faibles densités.

Le caractère vivable de la forme urbaine rend compte de deux di-mensions non totalement décon-nectées les unes des autres, qui sont la possibilité de l’interaction des individus dans la ville, dans ses espaces publics, ses voiries essentiellement, qui croît avec la densité, et la façon dont les acti-vités urbaines s’accommodent des nuisances produites par le transport. Les appréciations por-tées dans le tableau sont for-mées par une synthèse de ces deux dimensions. Les trottoirs, parvis et places où la marche s’inscrit, sont autant d’espaces publics favorables aux interac-tions sociales. Les voiries rou-tières, au contraire, suivant le principe du monopole radical dé-noncé par Illich, tendent à ex-clure tout autre usage, réduisant les espaces possibles de l’inter-action. Les modes de transport mécanisés collectifs, train, trans-ports urbains et avion, ont besoin de point d’accès, gares, stations et aéroports qui sont autant de lieux de forte possibilité d’inter-action sociale. Le mode de trans-port routier crée des espaces de sociabilité spécifiques comme les aires d’autoroutes ou les

centres commerciaux de périphérie, mais il apporte dans les villes des nuisances, des coupures

ur-Illustration 92. Les possibilités d’interactions sociales dans la rue baissent quand le trafic automobile croit (Appleyard 1980, 21)

baines, une certaine stérilisation de l’espace public au détriment des possibilités d’interactions so-ciales905. Ceci explique sa contribution négative à la constitution d’espaces publics vivables.

Dans ce paysage, le mode ferroviaire possède des propriétés particulières qui en font un moyen tout à fait envisageable dans le développement urbain de demain. Dans l’histoire urbaine, l’irruption du mode ferroviaire, faisant accéder la société occidentale à une mobilité de masse sans précédent, est devenu le plus puissant facteur de densification des villes906. Aujourd’hui, le mode ferroviaire est le seul mode qui soit à la fois capable de développer l’urbain au sens de la polarisation de la forme urbaine et aussi au sens d’un développement d’un espace public vivable et qui soit capable de projeter à grande vitesse, dans la longue distance. Les gares sont vues comme un des espaces sociaux les plus complexes907. La gare est un « lieu de mise en relation »908.

On reconnaît en urbanisme, en réaction à l’observation de la croissance d’une forme urbaine exclusivement tournée vers l’automobile, les vertus d’une diversité des choix modaux pour les habitants909. La multiplicité des modes de transport, voiture, marche, transports publics urbains, train, avion, est donc une idée forte de l’urbanisme contemporain. La politique du partage de la voirie est emblématique de cette approche. Si on se réfère à l’histoire des transports et à l’étude des villes actuelles, on peut formuler l’hypothèse que cette complexité du système de transport est là pour durer. Cette réflexion amène à écarter le fantasme de la recherche du mode unique et universel de déplacement. En suivant ce raisonnement, dans une ville actuelle dominée par l’usage de la voiture, l’urbanisme devrait chercher à soutenir les alternatives – les transports en commun – et les autres modes – vélo, marche à pied – tout en laissant la possibilité à la voiture de circuler.

Pour terminer cet exercice de définition du TOD nous présentons un des enjeux méthodologiques importants qui réside dans la définition des périmètres d’intervention privilégiés autour des arrêts du système de transport en commun. Pour Bertolini910 deux approches sont possibles, soit par l’analyse des coûts du foncier, soit par l’analyse de la mobilité. L’effet d’une gare sur les prix du foncier en Hollande est prouvé jusqu’à une distance de l’ordre de 700 m pour les activités, tandis que pour le logement l’effet est plus lointain911.

La mesure la plus communément admise est la valeur de 10 minutes d’un périmètre marchable912. Pour définir ce périmètre il faut utiliser une vitesse moyenne pour la marche à pied. La vitesse retenue pour la marche en tant que mode déplacement dans la littérature est le plus souvent cinq kilomètres par heure913, parfois légèrement plus914. La vitesse retenue est plus rarement quatre comme dans le réseau pédestre de la ville de Genève915, ou dans une étude du calcul a posteriori des vitesses dans les enquêtes ménages916. Si l’on considère la valeur de 4,3 km/h retenue par les services de la

905 Donald Appleyard, « Livable streets: protected neighborhoods? », The ANNALS of the American Academy of Political and Social Science 451, no 1 (1980): 106-17.

906 Choay, « La mort de la ville et le règne de l’urbain », 28.

907 Dávid Bán, « The Railway Station in the Social Sciences », Journal of Transport History 28, no 2 (2007): 289-581. 908 Jean-Marie Duthilleul, Circuler, quand nos mouvements façonnent les villes, Éditions Alternatives (Paris, 2012), 25,

http://www.editionsalternatives.com/site.php?type=P&id=1074.

909 Lynch, Good city form, 191; Cervero, « A Panorama of TOD, principles and experiences ».

910 L. Bertolini et T. Spit, Cities on rails: the redevelopment of railway station areas (London: E & FN Spon, 1998). 911 Ghebreegziabiher Debrezion, Eric Pels, et Piet Rietveld, « The Impact of Railway Stations on Residential and

Commercial Property Value: A Meta-analysis », The Journal of Real Estate Finance and Economics 35, no 2 (2007): 161-180, doi:10.1007/s11146-007-9032-z.

912 Bertolini et Spit, Cities on rails: the redevelopment of railway station areas.

913Étude comparative des temps de déplacement selon les modes (Paris: Mairie de Paris, Direction de la voirie et des déplacements, 2007).

914 Vlastos mesure une vitesse de 5,3 km/h sur un trottoir large, et 4,9 km/h sur un trottoir étroit à Athène (Thanos Vlastos, « Les limites de la marche », Rech. Transp. Secur. 2014, no 01 (2014): 37-47.)

915 Lavadinho, « Le renouveau de la marche urbaine », 433.

communauté urbaine de Lille en 1998917, la valeur moyenne est donc située dans ce voisinage entre 4 et 5 km/h.

Si on examine les périmètres retenus dans les expériences d’observation, dévaluation et d’action autour des arrêts de transport en commun sur d’autres territoires on constate un lien fort entre le mode de transport, et donc le type de desserte, et l’étendue de l’aire d’influence. Ainsi on est amené à distinguer les valeurs suivantes918 : 300 mètres pour le bus, 500 mètres pour le tramway et 700 mètres pour le métro.

Les quartiers définis à partir de ces valeurs et de ces mesures constituent les points focaux principaux des interventions urbaines du TOD ; rappelons cependant que le TOD relève d’une réflexion à toutes les échelles urbaines et englobe donc aussi le reste de la ville non incluse dans ces périmètres stratégiques.

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