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La troisième dimension est une idée forte de la time geography

d’Hägerstrand. La troisième di-mension permet de représen-ter le temps et le déroulement des activités dans l’espace-temps. C’est le principe de « l’aquarium d’espace-temps »713 dont un exemple est proposé ci-contre. Dans cette représentation les trajectoires spatiales représentées sur la carte s’étagent suivant le troi-sième axe perpendiculaire au plan pour exprimer leur inscrip-tion temporelle. La représenta-tion est réellement spatio-tem-porelle.

Comme l’exprime élégamment Gatrell, en référence à l’approche structuraliste qui cherche à identifier les structures sous-jacentes expliquant les rapports sociaux c’est parfois « seulement en creusant

713 Hägerstrand, « What about people in regional science? ».

Illustration 67. L’aquarium ou cube d’espace-temps, représentation tridimen-sionnelle emblématique de la time geography (Kwan 2000)

Illustration 66. Les vallées d’espace-temps du TGV du schéma directeur de 1992 dans l’ouest français (L’Hostis 1997)

sous les apparences superficielles, la structure surfacique représentée par la carte topographique, que nous découvrons la structure profonde de la réalité »714.

Comme l’illustre l’aquarium de la time geography, la troisième dimension est une piste fructueuse pour imaginer les cartographies de l’espace-temps.

Le froissement de l’espace-temps est une idée qui trouve un écho dans une proposition émise initia-lement par Bunge et rapportée par Tobler715. Bunge propose de dessiner la carte du monde sur un ballon de baudruche, puis de relier les lieux les plus accessibles par des cordelettes à l’intérieur du ballon. Lorsque l’on gonfle le ballon on crée une surface plus proche de la géométrie réelle de la géo-graphie actuelle que celle du globe terrestre vendu dans le commerce. Comme l’écrit Tobler, en 1993, c’est-à-dire avant d’avoir connaissance des cartes en relief d’espace-temps de Tours qui sont à ce moment-là en gestation, « les relations sur notre terre sont certainement frappées de rétrécissement, mais elles deviennent aussi plus tordues, mises à l’envers et déformées de manière presque inimagi-nable »716. Cette description d’une géométrie terrestre d’espace-temps résonne fortement avec les images proposée par l’école de Tours. Il n’est dès lors pas surprenant de constater l’enthousiasme de Tobler pour la proposition de Mathis-L’Hostis : « on peut admettre que mesurer les distances sur cette carte est difficile, mais ce diagramme est néanmoins une invention merveilleuse, à la fois conceptuellement et graphiquement »717.

La première occurrence de l’idée du plissement de l’es-pace par les réseaux de trans-port revient à Bunge dans sa

Theoretical Geography 718. La figure reproduite ci-contre montre l’effet sur l’espace d’une amélioration des condi-tions de transport en emprun-tant une voie créée dans une zone de marais. L’introduction de la voie provoque un

diffé-rentiel dans l’efficacité du transport entre la route et le reste de l’espace qui est difficile à parcourir par des moyens de transport terrestres avec ses marais et ses lacs. Une contraction de l’espace-temps s’opère le long de l’itinéraire, mais les zones humides restent difficiles à parcourir ; leur étendue dans l’espace-temps est intacte, et une série de plis apparaît perpendiculairement à la route, comme un sur tissu que l’on fronce.

Concernant les cartes en relief d’espace-temps, l’analogie avec la feuille de papier froissé est introduite au sujet d’une représentation de l’Europe719. Ce froissement évoque un traitement pour obtenir une structure tri-dimensionnelle à partir d’une surface plane. Cette métaphore évoque la possibilité que certaines distances puissent raccourcir tout en conservant l’étendue spatiale : le chiffonnement n’implique pas le type de contraction que l’on provoque dans l’anamorphose. La métaphore du chiffonnement évoque la présence de deux espaces de grande et de petite vitesse et suggère une construction géométrique cohérente avec le principe de la représentation. Elle induit aussi une image plutôt négative, avec un froissement vu comme la dégradation d’une surface plane

714 Gatrell, Distance and space, 113.

715 Waldo Rudolph Tobler, Three presentations on geographical analysis and modeling (NCGIA, 1993), 16, http://www.ncgia.ucsb.edu/Publications/Tech_Reports/93/93-1.PDF.

716 Ibid.

717 « The World is Shriveling as it Shrinks » (présenté à ESRI User conference presentation, San Diego, 1999).n 718Theoretical geography, 271.

719 Alain L’Hostis, « Multimodalité et intermodalité dans les transports », in Atlas de France: transport et énergie (GIP RECLUS/La documentation française, 2000), 99-112.

Illustration 68. Le plissement de l’espace créé par une route dans les marais (Bunge 1962, 271)

idéale. On peut ici évoquer la réflexion d’Ollivro pour qui la vitesse fait violence au territoire720. Et on ne peut pas ne pas se figurer qu’une feuille de papier froissée est destinée à finir à la poubelle. On peut cependant élaborer une conception positive en posant que la feuille chiffonnée, étant plus compacte, permet des distances plus courtes que la feuille intacte de départ. La métaphore du chiffonnement fournit une image très évocatrice du mauvais traitement infligé aux espaces interstitiels par les modes de transport rapides, mais n’est pas aussi puissante pour exprimer la contraction globale de l’espace géographique avec l’augmentation des vitesses.

Le vocabulaire du froissement, et du dé-froissement développé pour les cartes en relief est aussi utilisé dans le domaine des anamorphoses. Ainsi Leboeuf et Paix présentent-ils le schéma national des infrastructures de transport comme un outil pour repasser la carte en ana-morphose de 2011 produite par la SNCF721.

Chez les géographes, Brunet, bien qu’omettant de citer les cartes en relief d’espace-temps, dont il connaît pourtant l’existence pour avoir donné son avis sur la publication de l’article sur le sujet dans la revue Mappemonde722, appelle-t-il « distances froissées »723 les cartes en anamorphoses comportant des plis bien gênants qui montrent des couples ori-gines-destinations privilégiées comme les tarifs avantageux consentis sur les trajets de la France continentale vers les DOM-TOM724. Pourtant, ses comtaires de 1987 de la même carte ne

men-tionnent pas cette idée de froissement, ce qui démontre le fait que la thématique du froissement est intervenue entre les deux dates, c’est-à-dire après qu’il eut pris connaissance des cartes en relief. La métaphore spatiale que les cartes en relief portent se diffuse donc effectivement dans la communauté scientifique.

De son côté Lévy emploie les verbes gaufrer, plisser, feuilleter pour décrire les espaces qu’il appelle

multi-métriques dans le but de rendre compte des phénomènes de pente variable et d’espaces multi-couches725. On retrouve dans ces descriptions les idées de superposition des espaces et de déforma-tions de l’ordre de la pliure, c’est-à-dire des idées voisines de celles portées par les cartes en relief d’espace-temps.

720 Ollivro, L’homme à toutes vitesses, 38.

721 « Analyse économique de la vitesse sur les LGV ».

722 Alain L’Hostis, « Transports et Aménagement du territoire: cartographie par images de synthèse d’une métrique réseau », Mappemonde, no 3 (1996): 37-43.

723 « Les sens de la distance », 17.

724 Roger Brunet, La Carte mode d’emploi (Paris: Fayard/RECLUS, 1987), 101. 725 Lévy, « Entre contact et écart: la distance au coeur de la réflexion », 181.

Illustration 69. Carte en anamorphose de l’espace-temps ferroviaire français en 2011 (Leboeuf et Paix 2012)

Modèles théoriques de représentation de l’espace-temps : l’idée du

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