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Les réseaux de transports transport producteurs de distances : un problème cartographique

Pour comprendre l’espace-temps actuel il est nécessaire de souligner le rôle majeur joué par les grandes vitesses dans la structuration des espaces métropolitains695. Ces grandes vitesses ont permis un développement des communications à l’échelle mondiale. Mais dans le même temps les grandes vitesses opèrent une sélection drastique des lieux696. Au moment où sont mis en évidence les hauts lieux de la communication mondiale, les réseaux secondaires continuent d’exister à l’intérieur des interstices. Le fait que les réseaux secondaires soient rétrogradés par comparaison avec les réseaux des grandes vitesses est un élément clé de la formation des distances-temps.

Face à ces phénomènes, la littérature récente insiste sur la différenciation de l’espace, avec la présence de fonctions de niveau mondial situées à proximité spatiale immédiate d’espaces de relégation et d’exclusion697, et sur les inégalités spatiales favorisant les plus grands des centres urbains698.

Mais comment représenter cet en-semble compliqué de relations dans l’espace ? Traiter cette question im  -plique de considérer la perspective plus large de la représentation des distances. Dans ce domaine Bunge a écrit qu’il existe essentiellement deux pistes consistant « soit à repré-senter des distances compliquées sur des cartes simples, soit à repré-senter des distances simples sur des cartes compliquées »699. On no-tera que Bunge emploie le vocable de la complication et qu’il n’éprouve pas le besoin d’évoquer la complexi-té sur cette question.

Pour illustrer cette problématique de la complication des distances géné-rées par les moyens de transport, Bunge introduit l’inversion spa-tiale700. L’identification de l’inversion

695 Bozzani-Franc, « Grandes Vitesses, Métropolisation et Organisation des territoires ».

696 Graham et Marvin, Splintering Urbanism, networked infrastructures, technological mobilities and the urban condition.

697 Ibid.

698 Knowles, « Transport shaping space ». 699 Bunge, Theoretical geography.

700 L’inversion spatiale est détaillée dans la partie intitulée « Les distances reliant transport et urbanisme : du détour à l’inversion spatiale » commençant page 17.

Illustration 64. Anamorphoses de l’espace-temps japonais modifié par le développement de la grande vitesse ferroviaire (Shimizu 1992)

spatiale est une justification essentielle des recherches sur les nouvelles représentations de l’espace-temps qui pourraient restituer la complication des distances. C’est un appel direct à compliquer la carte dans le but de simplifier les distances, en l’occurrence ici les distances-temps, pour les rendre plus simples et faciles à lire.

Dans ce cadre, les anamorphoses d’espace-temps constituent la première proposition dans laquelle on déplace les lieux pour mieux respecter les distances-temps. Un exemple éloquent est proposé par Shimizu montrant la contraction du Japon par le développement de la grande vitesse ferroviaire entre 1962 et 1992701. Dans le domaine de la représentation des distances, l’anamorphose appartient au type défini par Bunge des distances simples sur une carte compliquée.

Deux éléments d’information sur les distances-temps peuvent être extraites d’une telle carte : la contraction générale de l’espace, et les déformations locales produites par les lignes à grande vitesse. Si le nouveau moyen de transport avait été caractérisé dans son effet sur l’espace, par l’homogénéité et l’isotropie, alors la forme externe générale du Japon serait restée inchangée. Seule la taille aurait diminué. Toutes les distorsions du dessin de l’enveloppe conventionnelle des côtes du Japon indiquent les directions privilégiées par la forme du réseau. La littérature sur les réseaux a abondamment exprimé l’idée que les transports

modernes provoquent l’hétérogénéité de l’espace702. Le modèle n’est cependant pas exempt de limites. La critique majeure portée à l’encontre des anamor-phoses appliquées à la représentation des distances est le fait que lorsque deux lieux se rapprochent l’un de l’autre, alors, par construction, tout l’espace inter-médiaire gagne aussi en accessibilité. Les autoroutes sont l’exemple de l’effet tunnel discuté précédem-ment703 qui voit des infrastructures munies d’un nombre limité de points d’accès réduire les gains d’accessibilité à un ensemble limité de lieux qui ne sont pas distribués de manière homogène le long de la ligne. Ce phénomène est même encore plus marqué dans le cas de la grande vitesse ferroviaire704, et constitue une des caractéristiques majeure du sys-tème de transport aérien705. Quant au phénomène d’inversion spatiale, il ne peut pas être lu sur l’anamor-phose, à cause du principe de préservation de l’ordre des proximités qui est présent dans la majorité des méthodes exposées dans la littérature706. Ce principe

701 « Time-space mapping based on topological transformation of physical map », in W.C.T.R. « Sixième conférence mondiale sur la recherche dans les transports » (Lyon, 1992).

702 Dupuy, L’Urbanisme des réseaux; Castells, The Rise of the Network Society; Graham et Marvin, Splintering Urbanism, networked infrastructures, technological mobilities and the urban condition; Knowles, « Transport shaping space ».

703 Confère « Erreur : source de la référence non trouvée » page Erreur : source de la référence non trouvée. 704 Yuji Murayama, « The impact of railways on accessibility in the Japanese urban system », Journal of Transport

Geography 2, no 2 (1994): 87; Alain L’Hostis, « Graph Theory and Representation of distances: Chronomaps and Other Representations », in Graphs and Networks: Multilevel Modelling, Geographical Informations Systems Series (London: ISTE, 2007), 177-191.

705 Haggett, Geography, a global synthesis.

706 Shimizu, « Time-space mapping based on topological transformation of physical map »; Klaus Spiekermann et Michael Wegener, « The Shrinking continent: new time-space maps of Europe », Environment and planning B.: planning and design 21 (1994): 653-673; G. Clark, « Where is Stranraer now? Space-time convergence re-visited », World Transport Policy & Practice 5, no 2 (1999): 11-17; Hiroshi Kotoh, « New ideas of time maps which shows exact times partially or maintain the topological structure », in Colloque Européen de Géographie Théorique et Quantitative (Saint-Valéry-en-Caux, 2001), 15.

Illustration 65. Carte en ressort des distances-temps du Colorado occidental (Tobler 1997)

peut être compris comme une volonté de maintenir une cohérence spatiale dans la représentation cartographique.

Déplacer les lieux sur la carte n’est pas le seul moyen de représenter les distances. L’idée de dessiner les chemins entre les lieux de manière à rendre compte des différentes distances a été introduite dans les années 1980 simultanément des deux cotés de l’Atlantique707. Il n’est pas fortuit que les deux propositions, émises sans connaissance l’une de l’autre, ont visé à comprendre les distances routières dans des régions montagneuses. Dans l’exemple proposé par Tobler, la localisation des villes et des nœuds de réseaux demeure inchangée par rapport à leur localisation géographique usuelle. La longueur des routes reliant les nœuds les uns aux autres est figurée par un ressort, dont l’intensité de la tension indique le degré de sinuosité de l’itinéraire.

On constate que la sinuosité des routes n’est pas distribuée uniformément dans l’ensemble de l’espace de cette partie montagneuse du Colorado. Avec ce modèle on peut obtenir une information sur la difficulté de relier deux lieux en lisant la longueur visuelle708 des liens. Un segment rectiligne peut être converti en kilomètres de trajet au moyen de l’échelle, tandis qu’une courbe sinueuse, comprimée, indique une route plus longue. Ce principe est utilisé dans la carte en ressort pour exprimer l’idée de directions qui sont soit privilégiées, soit handicapées. Notons que ce modèle a été développé de nouveau récemment par des auteurs japonais709.

Le modèle de la carte en ressort peut indiquer les directions les plus courtes dans l’espace. En tant que carte non-euclidienne, cette cartographie exprime l’idée selon laquelle les chemins les plus courts s’écartent le plus souvent de la ligne droite, insistant sur le détour dont nous avons souligné l’importance710. Dans cette perspective, elles constituent une des réponses possibles à l’appel à une cartographie non-euclidienne711. Insistons ici sur la nature non-euclidienne de ces cartes. Leur support, que ce soit la feuille de papier ou l’écran plat de l’ordinateur, possède certes les propriétés du plan euclidien, mais les éléments de la représentation, ses points ses lignes, ses aplats de couleur montrent les chemins que l’on peut emprunter : ce sont ces chemins qui établissent les distances, et ce sont donc ces éléments qui construisent la distance et la forme de l’espace mathématique qui lui est associée ; en ce sens la représentation s’impose en lieu et place du support plan euclidien sur laquelle elle s’inscrit. Il s’agit donc bien de représentations cartographiques non-euclidiennes.

Selon un principe en partie commun avec celui des cartes en ressort, bien que l’aspect graphique ne l’indique pas immédiatement, la carte en relief d’espace temps a été introduite dans les années 1990712. Ce type de représentation préserve la localisation des lieux et exploite les ressources de la troisième dimension pour tracer les différentes vitesses et les distances-temps associées d’un réseau multimodal. Notons que la carte est toujours produite sur un support bidimensionnel, feuille de papier ou écran d’ordinateur, mais qu’elle est conçue dans les trois dimensions puis projetée. Les ressources de l’informatique ont permis de mettre au point tous les paramètres visuels, notamment la variation de la teinte des facettes et la gestion des faces cachées, pour exprimer visuellement la

707 François Plassard et Jean-Louis Routhier, Sémiologie graphique et évaluation (Lyon: A.R.T.U.R., 1987); Tobler, « Visualizing the impact of transportation on spatial relations ».

708 L’Hostis, « Images de synthèse pour l’aménagement du territoire: la déformation de l’espace par les réseaux de transport rapide ».

709 Atsuyuki Okabe et Toshiaki Satoh, « Uniform network transformation for points pattern analysis on a non-uniform network », Journal of Geographical Systems 8, no 1 (2006): 25-37.

710 Confère « Seconde affirmation : le détour est le plus souvent une recherche d’optimisation », page 112. 711 Müller, « Non-Euclidean geographic spaces: mapping functional distances »; Golledge et Hubert, « Some

comments on non-Euclidean mental maps ».

712 Philippe Mathis, Nadine Polombo, et Alain L’Hostis, « Les Grandes vitesses », in Circuler demain, par Alain Bonnafous, François Plassard, et Bénédicte Vulin, Monde en cours, Prospective et territoires (La Tour d’Aigues: DATAR Editions de l’Aube, 1993), 129-142; Laurent Chapelon, Alain L’Hostis, et Philippe Mathis, « Transport et espace: l’interaction des échelles spatiales et temporelles », in journées du programme Environnement, Vie et Société du CNRS: « Tendances nouvelles en modélisation pour l’environnement » (Paris, 15-17 janvier 1996, 1996), 13; Philippe Mathis, « Consommations d’énergie et pollutions liées à l’étalement des densités », in Environnement et Aménagement du territoire, Recherches (Paris: La documentation française DATAR, 1996), 95-106.

troisième dimension. On peut faire l’hypothèse que ce type de cartographie aurait difficilement vu le jour avant l’arrivée de l’informatique et de sa possibilité d’essais-erreurs décuplée si on la compare aux ressources offertes par les instruments graphiques manuels.

Les premières cartes en re-lief d’espace-temps ont été créées à l’époque de la mise en place du réseau TGV de l’ouest français. C’est pourquoi l’attention s’est d’abord focalisée sur la compréhension des ef-fets sur l’espace-temps du réseau en cours de déve-loppement et de ses exten-sions projetées, comme dans le Schéma Directeur de 1992. La carte ci-contre montre le creusement des vallées d’espace-temps du TGV dans l’ouest français, sous l’effet d’une contrac-tion sélective en direccontrac-tion de la capitale qui n’est pas compensée par une amé-lioration des distances le long de la façade Atlan-tique.

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