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Partie III. CONDITIONS ET FINALITES DE DEVELOPPEMENT DE LA TELEMEDECINE A DOMICILE DEVELOPPEMENT DE LA TELEMEDECINE A DOMICILE

Chapitre 5. L’informatisation du système de santé

1.1 La santé pour tous

L’interventionnisme de l’Etat

Au fil des siècles, les hommes n’ont cessé de lutter contre la maladie, de rechercher le bien-être physique et une sécurité corporelle toujours croissante. Le besoin de se protéger contre les risques est sans doute des plus anciens. Il a longtemps été renvoyé à la charité et à la solidarité familiale. Dans les sociétés d’Ancien Régime, la prise en charge de la maladie s’inscrivait dans un système de solidarité à trois niveaux : les solidarités familiales assurent quand elles le peuvent la gestion des risques de l’existence ; les solidarités professionnelles ont cette fonction à travers le rôle des corporations qui représentent des confréries et s’appuient sur le pacte d’assistance mutuelle et enfin, l’Eglise apporte secours à travers son action dans les hôpitaux, léproseries, etc. à ceux qui ne trouvent pas d’aide dans les deux formes précédentes de solidarité560.

Les premiers hôpitaux ont donc été créés par l’Eglise. Dans ces dispositifs d’hospitalité la fonction spirituelle prédomine la fonction soignante, et l’hôpital est essentiellement une institution ecclésiastique dont la priorité n’est pas le soin médical. En un temps où misère, maladie et infirmité sont étroitement associées, ce sont surtout des lieux d’asile où les médecins en sont presque absents et le remède est avant tout de nourrir les malades. Il s’agissait surtout d’accueillir, mais aussi de surtout de surveiller et de tenir à distance du reste de la population les personnes les plus pauvres et marginalisées561. Le pouvoir royal s’inquiéta d’ailleurs de cette population et créa en 1656 à Paris, l’hôpital général qui regroupe sous une administration unique les divers établissements destinés aux infirmes, aux pauvres, ainsi qu’aux vieillards de la capitale562. Marqué par la place et le rôle de la charité, le XVIIe siècle est caractérisé par ce que Michel Foucault appelle « le grand renfermement

»563, c’est-à-dire le moment où la société s’organise selon le principe de l’ordre et forclôt en son sein les pauvres, qu’ils soient valides ou invalides, malades ou convalescents, curables ou incurables ; leur oisiveté représente une menace pour l’ordre établi. A cette époque, le pouvoir de l’Etat s’exerçait directement sur les individus, il était disciplinaire et se manifestait par un « droit de prise » sur les choses, le temps, les corps564.

La fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècles correspondent à une transformation de fond de la société qui touche à la fois l’économie et le politique. Pour la pensée des Lumières, la société cesse d’être                                                                                                                

560 Philippe Adam et Claudine Herzlich, Sociologie de la maladie et de la médecine, Paris, Nathan Université, 2003, p. 25.

561 Bruno Palier, La réforme des systèmes de santé, Paris, Presses Universitaires de France, 2009, p. 9.

562 Philippe Adam et Claudine Herzlich, op. cit., p. 91.

563 Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972, p. 56.

564 Michel Foucault, Histoire de la sexualité. Tome 1. La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 211.

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référée à un ordre transcendant, elle trouve en elle-même le principe de son organisation à travers le recours au contrat social définit par Rousseau. Pour Robert Castel, le marché et le contrat sont les « opérateurs » de ce passage d’un fondement transcendant à l’immanence de la société elle-même.

L’idéal que défendent les Lumières est celui d’une société dans laquelle chaque homme serait libre d’accéder aux opportunités économiques, de bénéficier des richesses que ses efforts peuvent créer565. La richesse de la nation repose sur l’emploi de la force de travail et le pauvre devient du même coup riche potentiellement par sa capacité de travail. Le droit à l’assistance s’inscrit dans une problématique dans laquelle le rapport au travail est central. A la fin du XIXe siècle l’organisation du travail qui en découle, sans faire disparaître les formes traditionnelles de production (artisanat, agriculture), attire une main-d’œuvre de plus en plus importante. La révolution industrielle instaure un mode de relations salariales dans lesquelles le travailleur est en position de « fragilité ». La montée du paupérisme et des maladies associées qui touche alors les « conditions d’existence des populations qui sont à la fois les agents et les victimes de la révolution industrielle »566 génère des tensions sociales. Les politiques sociales ont en premier lieu aidé les travailleurs les plus pauvres à faire face à la maladie. C’est finalement le développement du travail salarié et de l’industrialisation qui va rendre nécessaire la mise en place de mécanismes collectifs garantissant le revenu des personnes malades, par ce nouveau rapport économique qui se construit à partir de l’apparition de l’économie industrielle et du déploiement des rapports marchands.

Les évolutions qui touchent la société vont être accompagnées par l’organisation de la médecine et les progrès médicaux. Dans le prolongement de cette dynamique qui tend à transformer les hôpitaux en un élément de technologie médicale, la fonction soignante va devenir progressivement prédominante avec la naissance de la médecine clinique. A la fois moyen d’identification de certaines pathologies et discipline en constante évolution, la médecine, grâce à la montée du pouvoir médical, va aller de pair avec son utilisation dans le cadre de commissions administratives. Le médecin « expert » naît avec le XIXe siècle et va le rester jusqu’à nos jours. Le corps médical va occuper une place de plus en plus importante dans le système de régulation sociale. D’importantes découvertes au XIXe siècle vont modifier les connaissances médicales et le pouvoir des médecins. La découverte des vecteurs des maladies (bacilles par Koch, bactéries et microbes par Pasteur) permet des avancées dans l’hygiène publique et de meilleurs résultats dans l’intervention des médecins567. Les grandes épidémies de tuberculose, typhus, choléra qui sévissent en Europe seront abordées à partir d’une approche hygiéniste. Appuyés sur leur savoir, les médecins vont s’organiser pour asseoir leur domination. Sous la Seconde République, ils participent aux conseils d’hygiène au niveau du département et de                                                                                                                

565 Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995, p. 182.

566 Robert Castel, Ibid., p. 18.

567 Claire Salomon-Bayet, « La gloire de Pasteur », Romantisme, vol. 28, n°100 (février 1998), p. 159-169.

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l’arrondissement, ainsi que dans les commissions d’hygiène des cantons ; la loi sanitaire de 1902 étend leur influence en créant les bureaux d’hygiène municipaux. Le pouvoir médical en définissant une hygiène publique et ses commandements à l’usage de tous « s’est introduit, grâce aux commissions d’hygiène, dans la plupart des rouages administratifs, pour avoir part aux décisions relatives au contrôle du milieu et tirer d’elles en même temps ses moyens d’action et un pouvoir. »568. Le médecin devient l’un des relais de l’Etat, il est « la voie par laquelle s’est accomplie la pénétration de l’autorité normative jusque dans l’intimité des familles. »569.

Le système de santé trouve ses sources à la fin du XIXe siècle dans l’alliance entre les vues hygiénistes et les objectifs des pouvoirs publics concernant les problématiques liées au secteur du travail. Avec le développement industriel, il importe que la main-d’œuvre ouvrière puisse physiquement répondre aux besoins de production. Les notions de solidarité entre les différentes couches de la société et de prise en charge collective, par l’assurance, des différents risques de l’existence s’imposent peu à peu. Cette logique sera renforcée par le plan français de Sécurité sociale de 1945 et c’est à l’intérieur de la condition salariale que sera réfléchie la question de la sécurité d’existence, à partir du triptyque salaire minimum, protection sociale et garantie de l’emploi. Au plan social, la fin de la Seconde Guerre mondiale correspond à un moment de reformulation du contrat social. L’idée selon laquelle chacun doit se voir reconnaître un droit à la Sécurité sociale est exprimée dans l’art. 22 de la Déclaration universelle de 1948570. Il s’agit alors d’assurer à tous les citoyens un accès égal aux soins de santé tout en garantissant la croissance économique. Le modèle français de Sécurité sociale institué en 1945 définit un objectif de couverture universelle de la population en retenant cependant les techniques assurantielles attachées au statut salarial571. De ce fait, diverses catégories n’entrent pas dans la couverture attachée au statut salarial. C’est la raison pour laquelle, la Sécurité sociale a été complétée par des dispositifs assurant une garantie de ressources aux personnes qui n’y sont pas rattachées par le travail572.

Ainsi, la généralisation de la Sécurité sociale ne se réalisera pas à la fin de la IVe République. Le système français a « l’apparence d’une mosaïque complexe de régimes juxtaposés, le régime général occupant une place largement dominante dans cette mosaïque. »573. Les ordonnances fondant la Sécurité sociale vont permettre une reconnaissance de presque tous les risques mais ceux-ci sont conçus dans une logique sectorielle. La part de l’administration, qui jusque là avait été relativement faible dans le secteur social, va connaître, avec le développement de l’Etat-providence, une forte                                                                                                                

568 Jean-Pierre Peter, « Le Grand Rêve de l’Ordre médical. En 1770 et aujourd’hui », Autrement, vol. 4 (1975-1976), p. 183-192, p. 188.

569 Ibid., p. 187.

570 Jean-Jacques Dupeyroux et al., Droit de la Sécurité sociale, Paris, Précis Dalloz, 2001, p. 44.

571 Ibid., p. 353 et 470.

572 Ibid., p. 353.

573 Ibid., p. 298.

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croissance. Cette croissance est en lien avec la conception sectorielle des problèmes à traiter : « à partir de là, le social va se développer comme secteur spécifique et faire l’objet de politiques sociales adaptées. »574. Cela constitue finalement la contrepartie concrète et visible de l’apparition d’un droit fondamental nouveau pour la personne : non plus seulement le droit à la vie, mais le droit à la vie en santé. Un droit qui oblige l’Etat à assumer de nouvelles responsabilités et qui est porteur d’immenses espoirs pour la population. A partir de ce moment, dans les démocraties occidentales, la légitimité de l’Etat repose de façon critique sur la manière dont il prend en charge la santé. La santé quitte la sphère privée et devient un enjeu politique majeur.

Du succès à la crise

Le développement du système de santé devient un gage de croissance économique, d’emploi et de bien-être social. Ce succès dans les sociétés occidentales se manifeste par une amélioration extraordinaire des conditions de vie de la population ainsi que par la présence de plus en plus lourde des technologies. Son corollaire immédiat fut l’augmentation sans précédent de l’espérance de vie.En 1950, dans les pays développés, elle se situait autour de 66 ans pour atteindre les 82 ans en 2010575. Les dépenses publiques contribuent à la croissance économique tout en améliorant non seulement le niveau mais également les conditions de vie de la population. Ces années de croissance sont aussi des années de grands progrès médicaux, ce qui signifie que non seulement les soins ont augmenté mais qu’ils ont changé de nature : « Alors qu’au début des années 1950, la part principale des dépenses de santé servait au versement d’une revenu de remplacement aux malades, à partir des années 1970, la plus grande part des dépenses de santé va au financement des soins : médicaments et autres traitement, frais de fonctionnement des structures de soins et surtout rémunération des professions de santé. »576. Désormais, les avancées médicales permettent moins la guérison que le diagnostic précoce des problèmes de plus en plus nombreux. La médecine a ajouté à ses fonctions curatives traditionnelles des orientations multiples vers des activités préventives systématiques. L’avancée significative des connaissances et des techniques a permis une efficacité reconnue et attendue de la médecine perceptible en termes d’espérance de vie et de taux moyen de réussites thérapeutiques. Ceci a généré des attentes collectives et individuelles inconnues jusqu’alors, concernant les multiples interventions médicales préventives et curatives devenues possibles et disponibles. De son côté, l’hôpital public, après avoir été pendant des siècles l’asile des « pauvres », est devenu une institution prototypique des sociétés modernes. Ses fonctions sont diverses : il est le lieu privilégié de la                                                                                                                

574 Pierre Muller, op. cit., p. 19.

575 INSEE, « Espérance de vie », [En ligne], disponible sur : http://www.insee.fr/fr/bases-de-donnees/ (consulté le 3 janvier 2010).

576 Ibid., p. 24.

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recherche médicale et du développement des techniques de pointe mais aussi celui où, le plus souvent aujourd’hui, l’on naît et l’on meurt577.

Dans ce contexte, la capacité de la médecine à intervenir avec succès sur les maladies semble illimitée, tout comme les besoins en santé, à côté des ressources qui y sont consacrées. La croissance de l’offre, des capacités et de l’emploi hospitalier, se présentait vers 1960 comme un mouvement irrésistible parce que soutenu par des besoins croissants, voire infinis, et étayés par des politiques volontaristes et continues. L’hôpital a bénéficié d’une forme de développement qui alliait une forte présence de l’Etat à une volonté de partager, sous la forme de « reversement » de l’économique vers le social, les fruits de la croissance. On observe donc une large extension du domaine médical, aussi bien en terme démographique (nombre de médecins, consommation médicale), qu’en termes socioculturel et technologique (extension du champ médical). Elle se matérialise par une forte évolution de la définition du terme « santé ». Autrefois définie par l’absence de maladie ou d’infirmité, la santé est désormais caractérisée, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), par

« un état de complet bien-être physique, mental et social »578. Avec cette nouvelle définition, la santé prend une nouvelle dimension, au point qu’elle a conduit à établir l’équivalence entre santé et bonheur : « La santé, c’est le bonheur et le bonheur, c’est la santé. »579.

En raison de cette croissance d’une offre de soins de plus en plus sophistiqués, le volume des consommations et des dépenses médicales n’a cessé d’augmenter. La prévalence accrue des maladies chroniques et le vieillissement des populations ont progressivement soumis une portion de plus en plus importante de la population à vivre quotidiennement dans un environnement médicalisé. La distorsion entre les dépenses et les ressources disponibles s’envisage par les coûts entraînés via la production de ces services, qui ont eu d’autant plus tendance à croître rapidement que le développement de ceux-ci nécessitait d’une part de plus en plus d’investissements en immobilisation et en équipements, et d’autre part, une main d’œuvre toujours plus nombreuse et spécialisée.

Le système de santé suit une trajectoire qui inquiète les observateurs et les responsables des politiques de santé. Compte tenu de l’importance des sommes qui y sont annuellement consacrées, il est devenu alors l’une des principales cibles de la critique contre l’interventionnisme social de l’Etat au nom de l’argument de « la mise en péril ». Sur le plan politique, il s’agissait selon Pierre Rosanvallon de

« l’Etat-providence qui est malade de la crise. »580. L’efficience clinique et thérapeutique des services de soins devient subordonnée à la nécessité de faire des économies.

                                                                                                               

577 Philippe Adam et Claudine Herzlich, op. cit., p. 37.

578 Préambule à la constitution de l’OMS, tel qu’adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19-22 juin 1946 signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 États et entré en vigueur le 7 avril 1948, Actes officiels de l’OMS, n°

2, p. 100, [En ligne], disponible sur : http://www.who.int/fr/, (consulté le 7 avril 2008).

579 Petr Skarabanek, La fin de la médecine à visage humain, Paris, Odile Jacob, 1995, p. 45.

580 Pierre Rosanvallon, La crise de l’Etat-providence, Paris, Seuil, 1981, p. 7.

180   1.2 L’identification de la crise

Officialisation d’une représentation économique

Sans vouloir dresser un portrait chiffré des données économiques du système de santé, nous souhaitons juste reprendre les arguments qui ont constitué le support légitimateur du mouvement de réorganisation du système de santé. Il s’agit de rappeler quelle fut l’évolution de quelques grands indicateurs économiques ayant conduit au diagnostic de crise et à la certitude qu’il fallait changer le système. Cette volonté ne résulte pas du simple constat que les dépenses de santé croissent. En effet, un tel accroissement est pour ainsi dire inhérent aux progrès de la connaissance médicale, aux exigences collectives de vivre plus longtemps en bonne santé, au vieillissement de la population ainsi qu’aux effets néfastes de l’industrialisation. Mais que les pouvoirs publics considèrent cet accroissement comme préjudiciable pour les performances de l’économie (ils parlent de détournement des ressources vers des activités non performantes), signifie le triomphe d’une vision comptable, au service d’un projet libéral de transformation de la société581. Cette démarche repose sur une logique productiviste trouvant son origine dans des discours économicistes, à travers lesquels l’Etat a repris les catégories analytiques de ce type d’analyse économique, elle-même héritière de la science économique néo-classique et marginalistes. Les services de soins deviennent « une marchandise analysable sur un marché d’où il est possible de lui déterminer un rendement optimum. »582. Dans cette optique, la productivité est essentiellement déterminée par le rendement des facteurs de production.

Concrètement, ce sera à partir des années soixante que les économistes se sont penchés sur le secteur de la santé. Cet attrait à ce moment précis ne relève pas du hasard ou d’une curiosité

« désintéressée ». C’est avant tout en réponse à son poids dans l’ensemble de l’économie. Dans ce cadre, l’expertise économique tend à supplanter les expertises juridiques et médicales qui guidaient jusqu’alors les acteurs politiques583. Les économistes de la santé rencontrent un écho croissant, servant tout à la fois d’outil pour établir un diagnostic, constituer un répertoire d’action et asseoir une légitimation. La crise économique qui se dessine dans les années soixante-dix donnera plus de légitimité et sonnera le coup d’envoi aux idées provenant des milieux intellectuels néolibéraux préconisant des changements au niveau de la gestion des finances publiques, compte tenu notamment de l’inflation qui sévit à partir de 1975. D’où l’idée de réduire considérablement les dépenses publiques consenties à la santé et d’augmenter au maximum la productivité de soins, de façon à obtenir un rendement optimum dans la façon de les dispenser. Jusqu’ici les caisses nationales                                                                                                                

581 Jean-Luc Metzger, « NTIC et Santé : de quelques ouvrages récents », Réseaux, vol. 5, n° 115 (2002), p. 267-280., p. 269.

582 Luc Bonneville, op. cit., p. 26.

583 Marina Serré, « De l’économie médicale à l’économie de la santé. Genèse d’une discipline et transformation de l’action publique. », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 3, n°143 (juin 2002), p. 68-79, p. 68.

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présentaient régulièrement des déficits que les pouvoirs publics comblaient sans y voir l’indice d’un

« vice » fondamental qui caractériserait l’institution. Sa remise en cause s’est cependant faite de plus en plus insistante avec les années, et ce, sur la base de nouveaux arguments : la persistance des maux que les politiques sociales étaient censées guérir, la croissance des coûts qu’elles ont entraînées et les limites des ressources financières pouvant y être affectées584. C’est au cours des années soixante que la Sécurité sociale apparaîtra de plus en plus « insupportable » aux milieux patronaux : « Le pouvoir politique, désormais soucieux d’internationaliser et de rendre « compétitive » l’économie nationale devient plus réceptif à des protestations qui prennent une forme plus subtile que par le passé […]

Ainsi, c’est dans le respect du « progrès économique et social » que le CNPF met désormais en garde contre les menaces qu’un développement « incontrôlé » de l’institution fait peser sur l « économie nationale » et, en particulier, sur « l’inflation » et « le développement économique ». Dans cette rhétorique, le « déficit de la Sécurité sociale » occupe une place non négligeable : c’est qu’il constitue, pour le patronat, l’un des signes les plus évidents de la gestion anarchique d’une institution au sein de laquelle les responsabilités seraient dissoutes […] Bientôt le président de la République se met à exprimer des « inquiétudes » devant le taux des prélèvements sociaux. Georges Pompidou se prend, un jour, à imaginer avec horreur une Sécurité sociale aspirant la totalité des revenus. »585.

Les économistes ont alors constitué différents modèles d’analyse dans le but d’associer un coût à la

Les économistes ont alors constitué différents modèles d’analyse dans le but d’associer un coût à la