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Partie II. LE PROTOCOLE DE RECHERCHE

Section 2. Les stratégies de vérification

2.2 L’analyse des données

Des « multi-dires » « pluri-sources »

Notre démarche qualitative dégage un caractère englobant avec un potentiel fort de décryptage des processus, en voulant produire des données denses et pénétrantes. Mais, à partir de cette collection de discours individuels, il nous fallait tenir un discours unique. En effet, chaque catégorie dispose d’une grille qui lui est spécifique (bien que quelques questions soient à la fois redondantes et/ou en correspondances les unes avec les autres). Complémentaires à l’analyse des écrits, elles nous ont permis de saisir et d’approfondir auprès de nos informateurs sélectionnés, les réponses à notre interrogation architectonique sur les conditions et les finalités de déploiement de la télémédecine.

Cette démarche a établi une correspondance entre les données empiriques et nos propositions

                                                                                                               

552 Cf. Annexe Tableau n°5.

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théoriques énoncées dans la problématique553. A l’intérieur même de ces catégories, des variations sont effectives . Si les patients semblent avoir la même place et rôle dans le processus de changement en cours, les particularités des situations, comme la pathologie qui diffère d’un individu à l’autre et la configuration distincte des dispositifs, obligent à réaménager certains thèmes. D’un autre côté, ayant échelonné nos entretiens sur cinq ans, nos entretiens ne sont pas tous reliés par un contexte commun bien précis. L’accent va être posé différemment sur des facettes distinctes du processus de changement en cours. De telles affirmations prêtent sans doute le flanc aux critiques théoriques et nous voudrions signifier, ce disant, qu’on ne l’ignore pas. A cela, il faut y ajouter les grilles d’observations selon le lieu investi (centre de soins ou domicile patient)554.

Dans la présente thèse, il ne s’agissait pas seulement de rechercher la présence des thèmes prédéfinis en fonction de nos intérêts de recherche, mais de se laisser également « imprégner » par la découverte de thèmes et d’éléments nouveaux à travers la lecture des différents textes et l’écoute des individus interrogés. Le tout s’est fait dans un mouvement de va-et-vient continuel entre nos hypothèses et les corpus analysés, de même que dans un effort systématique de contextualisation des énoncés.

L’analyse thématique de contenu

Tous les entretiens ont été saisis, balisés et étiquetés en tentant de suivre rigoureusement la même norme. Nous avons opéré des classifications qui ont fait apparaître les principales sous-populations en mettant en lumière les caractéristiques à chacun de ces groupes. Pour ce faire, nous avons choisi l’analyse thématique de contenu. De loin la plus fréquemment utilisée, elle est aussi une de celle qui pose le plus de problèmes car elle « combine des opérations sur le sens avec des opérations méthodologiques hasardeuses. »555. Nous admettons aisément cet aspect critiquable car notre analyse devient presque « auto-génératrice » du résultat. En revanche, nous avons pris le parti de ce choix méthodologique dans lequel le thème devient défini comme unité de signification. Par l’analyse des entretiens, nous avons produit un effet d’intelligibilité de leurs contenus en trouvant une certaine cohérence thématique. La pratique a consisté à isoler des thèmes dans le texte afin de le ramener à proportions utilisables et à permettre la comparaison avec d’autres textes traités de la même façon. Ce

« méta-discours » produit sur les données textuelles, consiste comme le souligne Laurence Bardin, à « repérer des noyaux de sens »556 dont la présence (ou l’absence), la fréquence, l’intensité, la direction ou la co-occurrence seront significatives dans notre cadre de l’analyse.

                                                                                                               

553 Cf. Annexe Tableau n°6.

554 Cf. Annexe Tableau n°7.

555 Rodolphe Ghiglione et Benjamin Matalon, ibid., p. 185.

556 Bardin, Laurence, L’analyse de contenu, Paris, Presses universitaires de France, 1986, p. 105.

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Tout au long de ce quatrième chapitre, nous avons cherché à agir en fonction de critères d’utilité.

Notre cadre opératoire a été conçu comme le procédé permettant de rendre nos connaissances à la fois pertinentes et le moins « suspectes » possibles. Nous reconnaissons que le choix de nos terrains d’enquête et les stratégies de vérification qualitatives adoptées ne sont sans doute pas la voie unique dans la mise en exergue des conditions et des finalités de déploiement de la télémédecine à domicile.

Les décisions prises au sein de cette recherche ont impliqué une certaine subjectivité. En ce sens, nous acceptons par avance la controverse et la discussion ultérieure. Mais notre thèse n’en sera pas pour autant l’expression d’un « scepticisme conciliant » car nous avons tenté dans ce chapitre de nous rendre « maître » de bon nombre d’arguments.

Cette seconde partie a répondu sociologiquement à un double objectif. Elle a permis de mener une interrogation sur l’efficacité et la rigueur formelle des théories et des méthodes disponibles. Puis, elle a conduit une réflexion dans la mise en œuvre de ces techniques en déterminant ce qu’elles « ont fait » à notre objet de recherche.

Le protocole mobilisé dans la présente recherche a bien exposé les divers moyens que l’on a prévu de se donner pour construire notre questionnement central, l’inscrire ensuite dans une configuration théorique et mobiliser les méthodes afin de prouver ce que l’on a avancé dans le scénario hypothétique. Bien évidemment, nous admettons plus modestement que notre recherche ne peut pas

« révéler le monde tel qu’il est » et qu’elle est plus une tentative pour construire une représentation de la télémédecine qui va capturer certains aspects de la réalité. Dans ce sens, on partage pleinement l’idée de Serge Proulx lorsqu’il évoque « la part de mystère »557 contenue dans les usages, que nous ne pourrons jamais atteindre totalement.

L’approche proposée par la sociologie politique des usages a été particulièrement désignée. Elle relativise l’idée du déterminisme technique et social tout en montrant que les systèmes techniques étaient des construits sociaux. L’analyse des conditions et des finalités de la télémédecine exige de ne pas réduire l’explication des usages des technologies à un principe unique, mais de constamment prendre en compte les interrelations complexes entre outil et contexte, offre et utilisation, technique et social. La sociologie politique des usages est éclectique puisqu’elle repose sur des emprunts effectués aux schèmes de la coévolution de la société et des techniques, mais aussi à l’héritage du déterminisme et au bilan du constructivisme social. Elle est aussi pragmatique parce qu’elle vise à adapter les méthodes et les concepts sélectionnés en fonction des problèmes à résoudre.

                                                                                                               

557 Serge Proulx, 1994, op. cit., p. 151.

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Ces conditions et ses finalités ne peuvent être envisagées indépendamment du programme politique et se concrétisant, sur le terrain, par la mise en place de nouveaux dispositifs. Quelque part, nous nous situons plus dans le versant d’une coproduction de la technique et de la société que d’une coévolution, à travers l’analyse des alliances, des controverses, des relations de pouvoir, des représentations sociales et institutionnelles. Notre scénario hypothétique se base sur l’ « impression » que les conceptions sous-jacentes à l’objectif central de la télémédecine à domicile, modelées par des conceptions économiques, reposent sur des critères de contrôle administratifs de temps, de quantité, de coûts, d’optimum, et qu’elles sont probablement incompatibles avec l’efficience clinique et thérapeutique des services de soins.

L’impératif se situe maintenant dans l’exposition de notre analyse, à travers laquelle va pouvoir se développer notre mouvement de pensée, s’épanouissant avec les idées forces des différents chapitres qui en seront constitutifs.

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Partie III. CONDITIONS ET FINALITES DE