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Partie II. LE PROTOCOLE DE RECHERCHE

Section 2. Cadre conceptuel

2.3 Alliances et controverses

Le modèle de la traduction

Dans ce paragraphe, consacré aux alliances et controverses, nous présenterons deux modèles qui guideront notre étude. Le premier, qui jouit d’une certaine notoriété et légitimité importante dans l’analyse des processus d’innovation, est celui du modèle de la traduction proposé par Michel Callon442. Nous poursuivrons ensuite avec l’approche des politiques et des alliances d’acteurs proposée par Vincent Lemieux443. Ces approches se situant à des niveaux différents (micro-macro), permettront de saisir la mise en place de la télémédecine à domicile sous ces deux versants.

Plusieurs études portant sur le changement technologique dirigent leur attention exclusivement sur l’innovation technologique ; cette perspective permet d’apprécier le cheminement de l’objet ou du système technique face à un ensemble de contraintes et de possibilités. D’autres sont centrées exclusivement sur l’usager ; elles permettent d’évaluer l’appropriation des techniques et les formes émergeantes d’usages.

Compte tenu de la question spécifique que nous avons préalablement formulée, il est nécessaire de pouvoir étudier à la fois l’offre technologique (le programme politique) et les usagers de façon à analyser les formes de collaboration et d’affrontement qui émergent dans le cours du changement. La sociologie politique des usages articule dans son approche les processus d’innovation technologique avec celles relatives à la dynamique des acteurs sociaux. Pour Thierry Vedel et André Vitalis, le processus d’innovation passe nécessairement par l’établissement d’une coopération entre différents groupes d’acteurs : « L’établissement de cette coopération est influencé à la fois par les caractéristiques de la technologie (qui définit un champ de contraintes et une gamme d’options entre lesquelles il faut choisir) et par le contexte social (ressources dont disposent les acteurs, cadre réglementaire régissant leurs capacités d’intervention, schémas culturels qui orientent leurs                                                                                                                

442 Michel Callon, « Eléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint-Jacques et ses marins pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », L’Année sociologique, vol. 36 (1986), p. 169-208.

443 Vincent Lemieux, « Les politiques publique et les alliances d’acteurs », dans Vincent Lemieux et al., Le système de santé au Québec. Organisations, acteurs et enjeux, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1994, p. 107-128.

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stratégies). »444. Les objets techniques y sont définis comme des construits résultant des interactions entre les différents acteurs ou groupes sociaux. Dans ce sens, et à la manière des faits scientifiques, « un processus d’innovation technique se présente [...] comme une compétition entre différents projets et s’achève lorsque l’un deux s’impose sur les autres. »445. L’examen des controverses qui accompagnent tout processus d’innovation peut montrer l’imbrication étroite des contenus techniques et sociaux ; ce qui explique que deux projets en compétition impliquent en général la confrontation de deux conceptions du monde et de la société. Le processus d’innovation est une succession d’épreuves et de transformations où une série d’acteurs se trouvent en relation. L’intérêt réside alors dans l’effort de resituer la télémédecine à domicile dans son environnement social, organisationnel et technologique, ainsi que la volonté de la définir comme le résultat d’une série de compromis.

Pour ce faire, nous mobiliserons l’approche proposée par la théorie de la traduction. L’école de la traduction, à laquelle est identifié le Centre de sociologie de l’innovation (CSI) de l’Ecole des Mines de Paris, a inspiré un certain nombre d’analyses portant sur les technologies médicales. Le principe moteur de l’innovation est décrit par les tenants de la traduction comme un processus d’interactions (traduction) s’opérant à travers la mise en réseau d’une multitude d’acteurs diversifiés. La traduction consiste en une opération qui permet d’établir « un lien intelligible entre des activités hétérogènes.

»446.

En effet, Michel Callon447 puis Madeleine Akrich, Michel Callon et Brunon Latour448 ont caractérisé les différentes étapes (les étapes de la traduction), non linéaire mais « tourbillonnaire », permettant de retranscrire et comprendre le succès ou les échecs des innovations. Dans son article de 1986, Michel Callon pris l’exemple devenu emblématique depuis, du réseau formé autour de la raréfaction des Coquilles St Jacques (CSJ) des côtes bretonnes, en décrivant les différentes étapes de la traduction qui mettent en exergue les stratégies adoptées par les principaux acteurs. Les grandes étapes sont l’analyse du contexte, la problématisation, l’intéressement, l’enrôlement et la mobilisation, qui sont autant d’opérations de traduction. Intimement liées, elles sont présentées chronologiquement mais peuvent se chevaucher. Tout d’abord, l’analyse du contexte, consiste à repérer les acteurs (humains) et les actants (non-humains) en présence, à discerner leurs intérêts et leurs enjeux. La problématisation désigne le mouvement par lequel un acteur ou un groupe d’acteurs définit un projet,                                                                                                                

444 Thierry Vedel et André Vitalis, op. cit., p. 8.

445 Thierry Vedel, op. cit., p. 21.

446 Michel Callon, « Sociologie des Sciences et économie du changement technique : l’irrésistible montée des réseaux technico-économiques », dans Madeleine Akrich, Ces réseaux que la raison ignore, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 53-78, p.

55.

447 Michel Callon, 1986, op. cit.

448 Madeleine Akrich, Michel Callon et Bruno Latour, « A quoi tient le succès des innovations. Premier épisode : l’art de l’intéressement », Annales des Mines, juin 1988, p. 4-17. Madeleine Akrich, Michel Callon et Bruno Latour, « A quoi tient le succès des innovations. Deuxième épisode : l’art de choisir les bons porte-parole », Annales des Mines, septembre 1988, p.

14-29.

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formule un problème, en vue de le présenter comme indispensable, comme un point de passage obligé pour les autres acteurs. Elle suppose de discerner l’ensemble des acteurs indispensables à la réussite du projet et de leur expliquer et démontrer en quoi leur présence est nécessaire dans le projet. Dans un second temps, elle suppose d’identifier les points de passage obligés pour les acteurs, c’est-à-dire les points qui vont apparaître comme indispensables aux acteurs et indiquent leur nécessité de se rassembler. C’est à partir de ce passage qu’une collaboration active de toutes les parties devient effective. Il convient à présent d’intéresser les acteurs et actants identifiés durant la phase de problématisation, c’est-à-dire de les transformer en alliés. Cette étape consiste à concrétiser le réseau d’alliances envisagé au cours de la problématisation et de soumettre les alliances à des épreuves de force. Les acteurs qui maîtrisent la chaîne de traduction mettent en place des dispositifs d’intéressement, de manière à détourner les autres entités de leurs objectifs et à les faire passer par le point de passage obligé. Lorsque les acteurs acceptent de jouer le rôle qu’on leur a assigné, on peut parler d’intéressement réussi : « L’intéressement, s’il réussit, confirme la validité de la problématisation, qui dans le cas contraire se trouve réfutée »449. Concernant l’enrôlement, l’objectif n’est pas seulement de chercher à motiver les acteurs mais aussi de leur confier un rôle en vue de les impliquer et de les faire agir où chacun devient co-producteur de la démarche. L’enrôlement désigne

« le mécanisme par lequel un rôle est défini et attribué à un acteur qui l’accepte. »450. C’est dans l’interaction des acteurs, et plus précisément dans leurs conversations, que le dispositif se construit.

Les alliés « s’alignent » sur les objectifs et selon les modalités qu’ils ont également contribué à définir. L’objectif de cette étape de mobilisation est de rallier le plus grand nombre d’alliés et de faire tenir ensemble tous les alliés intéressés, c’est-à-dire de rendre le réseau alors formé, cohérent et convergent. Ce ralliement implique de choisir des intermédiaires et des représentants afin de désigner les porte-parole de chacun des groupes formant le réseau. Ainsi, mobiliser progressivement des acteurs qui s’allient revient à constituer « une chaîne d’intermédiaires qui aboutissent à un seul et ultime porte-parole. »451. Un porte-parole s’exprime au nom d’une ou plusieurs entités du réseau et font taire celle-ci : « le destin de l’innovation, son contenu mais aussi ses chances de succès résident tout entier dans le choix des porte-parole qui vont interagir, négocier pour mettre en forme le projet et le transformer jusqu’à ce qu’il construise un marché. »452. Il permet de simplifier le réseau d’alliances, de réduire la longueur des chaînes de traduction. Les acteurs font masse pour rendre crédibles et indiscutables les propositions auxquelles quelques actants ont adhéré précédemment et qui fondent l’objectif commun. Toutefois, mobilisation et consensus peuvent être contestés à tout moment, soulignant la fragilité du processus de traduction. Un réseau doit donc être consolidé et                                                                                                                

449 Michel Callon, 1986, op. cit., p. 189.

450 Ibidem.

451 Ibid., p. 197.

452 Madeleine Akrich, Michel Callon et Bruno Latour, sept. 1988, op. cit., p. 24.

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renforcé continuellement, le rendre irréversible et l’étendre à des acteurs influents qui auront pour mission de le consolider.

Au cours de ces différentes étapes de la traduction un réseau a été constitué, la problématisation s’est

« transformée » en un réseau de liens contraignants. Il s’est dessiné un « acteur-réseau », c’est-à-dire un réseau qui agit comme un acteur associant de gré ou de force de multiples autres actants et qui tente de tenir ensemble les alliés et de rendre les asymétries irréversibles. Le processus des innovations ne se retrace pas selon un schéma linéaire marqué d’étapes irréversibles et successives, comme le modèle diffusionniste de Rogers453 le suppose ; mais bien un processus chaotique, tourbillonnaire, marqué d’essais et d’erreurs, de confrontations, de négociations et de compromis. Les réseaux alors formés sont parfois amenés à se déformer et se recomposer : « A chaque boucle, l’innovation se transforme redéfinissant ses propriétés et son public. »454. Par conséquent, le sort d’un projet dépend des alliances qu’il permet et des intérêts qu’il mobilise : « l’innovation c’est l’art d’intéresser un nombre croissant d’alliés qui vous rendent de plus en plus fort. »455.

Si la controverse révèle les choix opérés par les acteurs, son étude permet également de saisir l’action collective en train de se faire : « L’intérêt des controverses technologiques est double. D’abord, elles révèlent l’existence des nombreuses négociations qui précèdent et éliminent les choix techniques proprement dits, tout en montrant le caractère limité de ces négociations. Ensuite, elles constituent un terrain d’accès privilégié pour étudier les mécanismes par lesquels certaines solutions s’imposent d’abord localement, et finissent par s’étendre. »456. Une controverse peut se définir comme autant de tentatives d’éclaircissement des groupes d’acteurs concernés autour des objets techniques impliqués.

C’est un espace d’expression sur des problèmes posés et des solutions envisageables, permettant une remise à plat et une reformulation des objectifs. L’intérêt dans notre recherche sera d’expliquer la naissance, le déroulement et l’éventuelle clôture des controverses sur la télémédecine en leur donnant une place à part entière dans la constitution des réseaux socio-techniques. Nous porterons notre attention aussi bien sur la nature de la controverse, c’est-à-dire le sujet sur lequel elle porte, que sur les acteurs qu’elle implique, les intermédiaires sur lesquels elle s’ancre et les transformations qu’elle entraîne.

Ce modèle de la traduction sera essentiellement mobilisé dans l’analyse des différentes logiques d’implantation de nos trois applications technologiques. Pour autant, l’un des problèmes majeurs de l’école de la traduction, est qu’elle tient rarement compte des rapports de pouvoirs hiérarchiques qui façonnent le processus. On ne voit plus qu’une longue série de relations d’alliances, de négociations                                                                                                                

453 Dominique Boullier, « Du bon usage d’une critique du modèle diffusionniste : discussion-prétexte des concepts de Everett M. Rogers », Réseaux, vol. 7, n°36 (1989), p. 31-51.

454 Madeleine Akrich, Michel Callon et Bruno Latour, sept. 1988, op. cit., p. 21.

455 Madeleine Akrich, Michel Callon et Bruno Latour, juin 1988, op. cit., p. 17.

456 Michel Callon, « Pour une sociologie des controverses technologiques », Fundamenta Scientiae, vol. 2, n°3-4 (1981), p.

381-399, p. 385.

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et de compromis entre phénomènes sociaux et techniques considérés a priori d’égale importance. La mise sur le même pied de tous les acteurs et actants et l’agnosticisme des rapports de force préexistants conduisent à une sous-estimation des facteurs politiques. La politique n’est pas niée, mais elle est censée se construire d’en bas, dans les interactions et les réseaux. Alors qu’elle a le mérite de décrire une situation qui nous paraît être idéale dans toute dynamique de changement technologique, l’approche semble trop ignorer les conditionnements de l’offre technologique maintes fois révélés déjà par les recherches empiriques, en occultant les effets structurants de l’offre technologique457.

Les politiques publiques et les alliances

La recherche de coopération devient l’occasion de débats importants entre schémas culturels différents, où les conflits, négociations et alliances peuvent figurer au premier plan de ce jeu politique. Une sociologie politique des usages peut donc facilement être couplée aux modèles sur les alliances développés en science politique. Selon les auteurs, ces modèles sont articulés autour des notions de « communautés des politiques publiques », de « coalitions partisanes », de « sous-systèmes de politiques » ou tout simplement d’« alliances ». Malgré les particularités auxquelles elles renvoient, ces différentes notions réfèrent toutes à l’idée d’un positionnement d’acteurs autour d’enjeux spécifiques :

« Une alliance est un ensemble plus ou moins conjoncturel et plus ou moins négocié d’acteurs individuels ou collectifs qui ont des rapports de coopération et de conflit à la fois et qui cherchent à obtenir grâce à cette alliance des avantages plus grands que s’ils n’en faisaient pas partie. »458.

« Les alliances prennent des formes diverses. Elles peuvent être, en tout ou en partie, des associations permanentes ou des réseaux d’associations permanentes ; elles peuvent donner lieu à des coalitions temporaires à l’intérieur d’elles-mêmes ou avec des acteurs d’autres alliances ; elles peuvent aussi se traduire en tendances faites de coordination tacite plutôt qu’explicite. »459.

Visiblement, dans chaque secteur de politiques publiques existe une « communauté » d’acteurs où à l’occasion d’une politique donnée, un « réseau » de certains d’entre eux interviendrait dans les processus par lesquels se réalise la politique, au lieu de poser, au départ, l’existence de                                                                                                                

457 Jean-Guy Lacroix, Gaëtan Tremblay et Gilles Pronovost, op. cit., p.117.

458 Vincent Lemieux, L’étude des politiques publiques: les acteurs et leur pouvoir, Québec, Presses de l’Université Laval, 2002, p. 52.

459 Vincent Lemieux, 1994, op. cit., p. 109.

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« communautés » et de les réduire aux organisations et groupes spécialisés qui seraient des acteurs dominants. Les acteurs qui participent aux politiques du secteur de la santé à propos de la télémédecine seront caractérisés par leur appartenance à des alliances qui se recoupent en partie ou ne se rencontrent pas.

Les alliances font référence à des relations entre alliés, plus ou moins cohésives entre elles. Certains des participants à une alliance peuvent se coaliser pour un temps avec des acteurs d’autres alliances, selon des stratégies commandées par les situations qui se présentent. Vincent Lemieux arrive à identifier un certain nombre d’entre elles, au nombre de six, qui peuvent exercer à un moment ou l’autre, seules ou avec l’aide d’autres alliances, un pouvoir important dans la réalisation ou non des politiques publiques. Concernant la télémédecine, nous reprendrons dans sa typologie, l’alliance administrative, médicale et industrielle. Nous y joindrons celle de l’alliance associative. L’objectif étant d’arriver à identifier un certain nombre d’alliances qui ont exercé à un moment ou l’autre, seules ou avec l’aide d’autres alliances, un pouvoir important dans le déploiement de la télémédecine à domicile.

Pour le dire vite, l’alliance administrative est constituée de « fonctionnaires du Ministère mais aussi de plusieurs cadres du réseau, dans les hôpitaux et les conseils régionaux en particulier. »460. L’alliance médicale regroupe la « grande majorité des médecins. Les dirigeants de la Corporation des médecins et des syndicats de spécialistes et d’omnipraticiens sont les principaux porte-parole de cette alliance. »461. L’alliance industrielle « manifeste la présence du monde des affaires dans le secteur de la santé. »462. Même si l’alliance précédente s’oppose parfois à l’alliance médicale, les jeux de coopération avec elle sont plus déterminants que les jeux de conflit. L’alliance associative regroupe quant à elle les associations de représentants des usagers. En définitive, l’enjeu sera de saisir les principes ayant présidé à la constitution de ces dernières. L’on aura selon que le principe de l’efficience, de l’appartenance ou du contrôle soit central, respectivement, une théorie d’inspiration économique, sociologique ou politique des alliances :

« Il y a d’abord le principe de l’efficience, propre à la science économique […] Ce sont ici les bénéfices recherchés par les alliances et les ressources qu’elles consacrent qui sont les paramètres principaux, étant entendu que, selon le principe de l’efficience, on cherchera à faire en sorte que le ratio bénéfices/ressources soit le plus satisfaisant possible. Les alliances, dans cette optique, permettent aux alliés d’obtenir des bénéfices qu’ils n’obtiendraient pas autrement (c’est la raison d’être des alliances). Les préférences non utilitaires sont au contraire bien présentes dans les études plus

                                                                                                               

460 Ibid., p. 110.

461 Ibid., p. 111.

462 Ibidem.

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sociologiques sur les alliances, centrées sur le principe de l’appartenance. Les relations entre les alliés et plus précisément leurs appartenances à des groupes d’amis ou de collaborateurs, à des voisinages idéologiques ou culturels, opposés à d’autres groupes d’appartenance, apparaissent comme constitutives des alliances […] C’est le seuil de décision qui est généralement le paramètre considéré comme le plus déterminant. C’est dû en bonne partie au fait que ces études se rattachent pour la plupart à la science politique. Le principe du contrôle ou du pouvoir devient alors central, celui-ci étant défini comme la capacité d’un acteur individuel ou collectif à conformer un choix commun à son propre choix […] le contrôle pouvant se concrétiser dans des décisions, ou encore dans des situations de non décision. »463.

Considérant le fait que nous étudions le processus de changement s’étalant sur deux décennies environ, il serait risqué de prétendre identifier avec précision les multiples évolutions et fluctuations des diverses alliances. Pour autant, cette approche des alliances sera particulièrement mobilisée dans l’étude d’un de nos terrains d’enquête, à savoir le programme politique. Nous sortirons ici des clivages classiques Etat / usagers et nous rejetterons du même coup la vision monolithique de l’Etat464. Nous insisterons, à l’inverse, sur le regroupement d’acteurs provenant de divers horizons, qui partagent certaines croyances et qui luttent pour la défense de celles-ci. Ces modèles employés dans l’étude des politiques publiques ne renient pas les effets de système qui marquent les limites, les contraintes ainsi que les possibilités d’action (environnement socio-économique, structure informelle, institution, Etat, cadre juridique ou politique, etc.). Ils insistent cependant sur les acteurs, leurs intérêts, leurs valeurs, leurs idéologies, leurs atouts, leur rationalité limitée, leur capacité d’anticipation limitée, etc. Aussi, ils portent attention aux « jeux » de ces acteurs, marqués par l’incertitude, la communion d’idées, la collaboration, le conflit, la controverse, etc. Ils favorisent la prise en compte simultanée des effets de systèmes et des stratégies d’acteurs. On rejoint ici les préoccupations de Thierry Vedel et André Vitalis selon lesquels la recherche de coopération entre différents acteurs est influencée à la fois par les caractéristiques de la technique et par le contexte social465.

                                                                                                               

463 Vincent Lemieux, Namatié Traoré et Nathalie Bolduc, « Coalitions, alignements et alliances interétatiques », Études internationales, vol. 25, n° 2 (1994), p. 237-258, p. 255.

464 C’est une constante qui caractérise différentes théories des politiques publiques, comme le montre Gilles Pollet dans un article qui fait un inventaire des principales théories concernant l’analyse de politiques publiques. Gilles Pollet, « Analyse des politiques publiques et perspectives théoriques » dans Alain Faure, Gilles Pollet, Philippe Warin (dir.), La construction du sens dans les politiques publiques. Débats autour de la nation de référentiel, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 25-47.

465 Thierry Vedel et André Vitalis, 1993, op. cit., p. 8.

127   2.4 Les rapports de pouvoir

Le pouvoir comme relation

Les traditions en sociologie politique conduisent à appréhender explicitement la dimension du pouvoir présente dans la majorité des situations de communication. Le pouvoir s’exprime dans l’ensemble du champ des interactions sociales. Le système de rapports de force qui se noue entre les

Les traditions en sociologie politique conduisent à appréhender explicitement la dimension du pouvoir présente dans la majorité des situations de communication. Le pouvoir s’exprime dans l’ensemble du champ des interactions sociales. Le système de rapports de force qui se noue entre les