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Un risque d’échec du retour familial en opposition avec la volonté d’une continuité du parcours de l’enfant

PARTIE 1 : Les ruptures de parcours lors du retour au sein de la famille : une logique de réunification familiale

B. Les conséquences lourdes de l’échec d’une restitution familiale, symbole d’une problématique sous-estimée

1. Un risque d’échec du retour familial en opposition avec la volonté d’une continuité du parcours de l’enfant

43 - Les circonstances d’une instabilité du parcours. Une restitution familiale ne constitue pas la fin de tout suivi en protection de l’enfance car cela ne signifie pas nécessairement que le cadre offert au mineur soit suffisamment sécurisant. S’il est considéré qu’un placement réussi équivaut à un retour en famille, encore faut-il que ce retour soit jugé définitif. L’échec du retour se traduit par une situation de danger toujours présente ou qui réapparait au fil du temps, nécessitant ainsi un nouveau retrait de l’enfant. La stabilité octroyée à l’enfant a été considérée comme étant favorable au développement de celui-ci et permet plus facilement une transition vers l’âge adulte157. Or, même si ce

principe est assuré dans la loi, sa mise en œuvre pose de nombreuses difficultés.

Une stabilité du parcours de l’enfant passe tout d’abord par une stabilité du placement. Cet objectif est loin d’être atteint dans la mesure où, en dehors des enfants faisant l’objet d’un placement en famille d’accueil qui conservent généralement la même prise en charge jusqu’à la fin de leur protection, ceux qui font l’objet d’une protection plus tardive ou sont placés au sein d’institutions connaissent un parcours beaucoup moins homogène. Les enfants faisant l’objet de multiples lieux d’accueil sont appelés « les

enfants déplacés »158. A cela s’ajoute la problématique des allers et retours entre le foyer

familial et les structures d’accueil. L’échec d’un retour devra faire l’objet d’un nouveau replacement. Ces enfants dont la restitution n’est pas définitive sont appelés généralement des enfants « re-placés »159. Les ruptures peuvent être encore plus accentuées si les

tentatives de retour et les échecs y succédant sont répétitifs. Cette situation est loin des objectifs de stabilité dans la prise en charge qu’exige la réforme de 2016. Il est indiqué que les enfants vivent dans un entre-deux, sous une forme ressemblant à une résidence alternée160. Or ce type de parcours peut s’avérer très problématique et avoir des

conséquences importantes sur le mineur. La stabilité est demandée car elle permet justement le développement de l’enfant. L’une des raisons de la protection de l’enfance est de veiller à ce développement de l’enfant, qui n’est plus possible dans le cadre familial. Il parait ainsi contradictoire que le parcours de l’enfant en protection de l’enfance, en étant jalonné de ruptures, puisse justement compromettre le développement de celui-ci. Il est cependant légitime que des ruptures ne puissent être évitées : ce sont des ruptures nécessaires. C’est notamment le cas d’une restitution familiale puisqu’une mesure de placement est construite pour être temporaire et non durable. Or, une rupture, si elle est nécessaire, doit de ce fait faire l’objet d’une anticipation, d’une préparation et d’un suivi, dans le but d’éviter que ce retour ne se transforme en allers et retours.

44 - Continuité du parcours et intérêt de l’enfant. Le Conseil économique, social et environnemental161 indiquait que « si cet intérêt de l’enfant peut dans certains

157 Observatoire national de l’enfance en danger, « De la prise en compte, en protection de l’enfance, de

l’enfant et de son parcours », Cinquième rapport annuel au Gouvernement et au Parlement, avril 2010, page 43.

158 Op.cit., A. Oui, ONED, Rapport « Les études de parcours en protection de l’enfance au niveau national

et leurs enseignements », page 7.

159 Ibid., ONED, page 8.

160 Op.cit., E. Potin et C. Rollet, Enfants placés, déplacés, replacés : parcours en protection de l'enfance,

Pratique du champ social, Édition Érès, Novembre 2012, page 196 et A. Oui, ONED, Rapport « Les études de parcours en protection de l’enfance au niveau national et leurs enseignements », page 8.

161 Op.cit., Conseil économique, social et environnemental, Avis « Prévenir les ruptures dans les parcours

cas extrêmes être menacé par le lien parental, il est à coup sûr malmené par les ruptures de prise en charge fréquentes qui sont imposées à l’enfant ou à la ou le jeune ». Il est

certain que plus que la nécessité de respecter les droits familiaux, c’est l’intérêt de l’enfant qui dicte en priorité aujourd’hui une décision de retour à travers cette mise en balance de maintien des liens familiaux et nécessité d’une protection. Certains considèrent que les ruptures, les changements au sein d’un parcours sont inévitables et représentatifs d’une vie dont la situation n’est pas figée162. L’important se situe dans l’accompagnement de

ces changements plutôt que leur évitement. Il est vrai que certains changements sont inévitables dans le parcours mais la préservation de la stabilité de l’enfant, de son environnement est souvent quelque chose qui est cité au titre de l’intérêt de l’enfant. Dire que le changement n’est pas synonyme de difficulté car la personne sera confrontée à des changements toute sa vie est une affirmation ne tenant pas compte de la spécificité d’un enfant, et notamment des enfants placés qui font l’objet d’une vulnérabilité particulière163.

45 - Conséquences psychologiques d’un échec d’une restitution. Certains exposent que les allers et retours entre le foyer familial et les structures d’accueil seraient beaucoup plus destructeurs pour l’enfant et son développement que les nombreux changements de cadres de placement dont il pourrait faire l’objet lors de sa prise en charge164. En effet, l’élément central dans les allers-retours, non retrouvé dans l’instabilité

des lieux d’accueil est ce caractère d’échec. Une mesure de placement est toujours considérée comme le dernier recours pour veiller à la sécurité de l’enfant165. Il est déjà

considéré qu’à ce stade même, cette première séparation constitue une rupture pour l’enfant, pouvant entrainer des conséquences sur son développement. Ainsi, par un échec du retour, il est de nouveau infligé à l’enfant une séparation avec les parents. Pire, dans cette situation, au traumatisme de la séparation même, se mêle l’espoir initial des retrouvailles avec sa famille suivi ensuite de la déception de son échec. S’il est ajouté des ruptures à répétition, il apparait impossible pour le mineur de pouvoir construire un projet de vie, de pouvoir nouer des liens, pourtant nécessaires à son développement. Cet échec peut entrainer un sentiment de désillusion et de perte de confiance d’une part envers la famille, puisqu’il peut considérer que par cet échec, la famille n’a pas réalisé les efforts suffisants pour offrir un cadre sécurisant166. D’autre part, cette perte de confiance

s’exprime également à l’encontre des travailleurs de la protection de l’enfance par un questionnement afin de savoir pourquoi ceux-ci maintiennent les parents dans sa vie alors que manifestement, aucun retour n’est définitif167. Il pourrait également reprocher une

insuffisance dans la protection. De plus, cela entraine des conséquences dans le comportement pour les placements futurs. S’il s’agit du même lieu de placement, il aura une crainte d’en être de nouveau retiré. S’il s’agit d’un nouveau lieu de placement, il

162 Op.cit., Ministère des Solidarités et de la Santé, « Enfance protégée : Restitution de la Concertation

nationale - GT n°1 : Sécuriser les parcours en protection de l’enfance », 26 juin 2019, page 16.

163 L. Fermaud, « L'intérêt de l'enfant, critère d'intervention des personnes publiques en matière de

protection des mineurs », RDSS 2011, page 1136.

164 S. Hélie, M-A. Poirier et D. Turcotte, « Risk of maltreatment recurrence after exiting substitute care:

Impact of placement characteristics », Revue Children and Youth Services Review, 2014.

165 Op.cit., L. Maufroid et F. Capelier, « Le placement du mineur en danger : le droit de vivre en famille et

la protection de l'enfance (première partie) », JDJ, Édition Jeunesse et Droit, n° 308, Août 2011, page 18.

166 Op.cit., E. Potin et C. Rollet, Enfants placés, déplacés, replacés : parcours en protection de l'enfance,

Pratique du champ social, Édition Érès, Novembre 2012, page 131.

pourrait perdre l’envie de s’y intégrer, en estimant qu’il risque de nouveau d’en être retiré168.

46 - Risque d’un changement du lieu d’accueil. Si l’enfant fait de nouveau l’objet d’un placement, rien n’assure qu’il retrouvera la même structure d’accueil. Par exemple, un enfant a fait l’objet d’un premier placement au sein d’une famille d’accueil. L’enfant s’est adapté à cette famille d’accueil et a pu nouer des liens. Si les circonstances de danger à l’origine du placement disparaissent, le retour au sein du foyer familial est justifié et peut être mis en œuvre. Or, si par la suite, une nouvelle situation de danger apparait, un nouveau placement peut être ordonné. Et dans ce cas, rien ne garantit à l’enfant une prise en charge par la même famille d’accueil qui l’avait précédemment accueilli. Cette possibilité aurait pu atténuer le sentiment de rupture chez le mineur puisqu’il aurait ainsi été pris en charge par une famille d’accueil dont il connaissait déjà les membres. Pour un enfant ayant fait l’objet d’une prise en charge, et parfois de longue durée, au sein d’une famille d’accueil ou d’un établissement, le retour au sein de sa famille se soldant par un échec le force donc à quitter ce lieu de placement pour un nouveau milieu169. Il est possible d’y voir une double rupture, à la fois par l’échec du

retour et par le changement de lieu d’accueil. Des modifications en ce sens pour garantir un unique lieu de placement pourraient être travaillées afin de réduire ces situations. Outre le lieu de placement même, les professionnels en charge du suivi de ce mineur peuvent également changer après un replacement. À la rupture du lieu de vie s’ajoute également une rupture dans les relations du mineur et dans le suivi de celui-ci.

47 - Adaptation du mineur au lieu d’accueil. Une autre problématique peut se poser, notamment dans le cadre de placement long et précoce. Un retour est toujours difficile au sein de la famille lorsque l’enfant s’est adapté à son lieu d’accueil. En enlevant l’enfant de ce lieu de placement, ce qui est juridiquement légitime puisque les parents conservent l’autorité parentale, cela peut entrainer des troubles pour l’enfant. Ce qui peut notamment perturber le mineur est la différence dans les conditions de vie matérielles. Certains mineurs redoutent en effet un retour car ils se sont habitués à un certain confort matériel dans la structure de placement, que ce soit une institution ou une famille d’accueil, confort qu’ils ne retrouveront pas au sein de leur famille170. Outre cet aspect

matériel, il y a également toute la dimension relationnelle dans le placement. Au bout de plusieurs années de placement, les familles d’accueil offrent un cadre familial pour ces mineurs qui peuvent se sentir intégrer dans ces familles, et refuser de retourner dans leur foyer d’origine. Sans nier leur famille d’origine, ces mineurs peuvent considérer que ces familles d’accueil constituent également une part de leur famille171. Cette problématique

peut être illustrée par un arrêt déjà évoqué rendu par la Cour d’appel de Lyon172. Ce qui

était reproché ici par les parents concernaient les conditions de placement. En effet, la famille d’accueil avait un comportement « d’appropriation des enfants » et de non- respect des droits parentaux. Pour la Cour d’appel, « s'il est dommageable que cette dérive

n'ait pas été reconnue le plus rapidement possible […] , la réalité du vécu des deux

168 H. Romano, E. Izard, M. Berger, Danger en protection de l'enfance : dénis et instrumentalisations perverses, Dunod, 2016, page 82.

169 Op.cit., D. Rousseau, E. Riquin, M. Rozé, P. Duverger et P. Saulnier, « Devenir à long terme de très

jeunes enfants placés à l’Aide sociale à l’enfance », Revue française des affaires sociales, Janvier 2016, page 366.

170 Op.cit., E. Potin et C. Rollet, Enfants placés, déplacés, replacés : parcours en protection de l'enfance,

Pratique du champ social, Édition Érès, Novembre 2012, page 107.

171 Ibid., E. Potin et C. Rollet , page 109.

enfants ne permet pas, sans prendre le risque d'accroître leur désarroi psychologique, de supprimer du paysage affectif des enfants une famille qui les a élevés ».

48 - Les risques d’un échec de restitution. Parfois, l’échec d’un retour ne se traduit pas par une rupture dans le parcours de la protection de l’enfance mais par des conséquences beaucoup plus graves qui malheureusement font pointer du doigt aux yeux de l’opinion publique les discordances et erreurs pouvant être faites dans le cadre de la protection de l’enfance.

49 - Exemple de l’affaire Marina173. Il est possible de penser tout d’abord à

l’affaire Marina, qui a entrainé une prise de conscience collective sur les insuffisances de la loi de 2007 et sur sa conception trop familialiste. La situation de cette jeune fille, décédée en avril 2009 à la suite de maltraitances de la part de ses parents, prend son cadre dans une situation plus particulière. En effet, la jeune fille n’a pas fait l’objet d’un placement proprement dit en réponse aux carences familiales. Elle a fait l’objet d’un abandon après un accouchement sous X. La mère de l’enfant s’est par la suite rétractée et l’enfant lui a été restitué. D’une part le lien maternelle n’a pas pu correctement se créer à la naissance, et d’autre part cette restitution n’a fait l’objet d’aucun suivi. Bien que cette situation soit antérieure à la réforme de 2016 qui a instauré un accompagnement à la suite d’une rétractation dans le cadre d’un accouchement anonyme, celui-ci n’est en revanche pas obligatoire. Il ne peut donc être imposé puisque légalement l’intervention administrative n’est possible qu’avec le consentement des parents. L’intervention judiciaire ne se justifie que par la présence d’une situation de danger ou de risque pour le développement de l’enfant, encore impossible à déterminer au stade de la restitution. Les informations préoccupantes adressées, dans l’affaire Marina, sont restées sans suite, tout comme les signalements au parquet. De multiples carences ont été détectées, au premier rang desquels la loi de 2007, qui a notamment placé à un rang subsidiaire l’intervention judiciaire, intervention qui aurait surement été nécessaire dans cette situation puisqu’aucun travail avec le consentement de la famille n’était possible. Il a également été mis en avant le nécessaire suivi du retour qui s’impose dans ces situations.

50 - Exemple de l’affaire Hafsa174. Plus actuelle, il est possible d’évoquer

l’affaire de la mineure Hafsa, dont les faits se sont déroulés à Grenoble et qui a conduit à la mort de la fillette à la suite de violences de la part de ses parents. Le procès a posé des questions sur de possibles défaillances des organismes de protection de l’enfance. Un placement avait été ordonné pour des suspicions de maltraitances. Devant le non-lieu prononcé par la justice, le juge des enfants a ordonné la levée de la mesure avec un retour de l’enfant au sein de sa famille. Un accompagnement sous forme d’action éducative en milieu ouvert avait été ordonné. Or, cette mesure n’a pas été suffisante pour assurer la protection de l’enfant. Les professionnels avaient éprouvés de nombreuses difficultés pour pouvoir voir l’enfant, empêchés par les parents. Les parents se trouvaient d’ailleurs en opposition avec la mise en place de cette mesure. Les réelles conditions de vie de la jeune fille, dans un logement insalubre et sans électricité n’étaient pas connues. Face à ces constats, aucune décision concrète n’avait été prise, laissant ainsi perdurer une situation de danger. Dans cette situation, des mesures renforcées auraient été nécessaires, mais les professionnels reconnaissent un manque de moyens.

173 F. Capelier, « L'affaire Marina, un cas d'école pour étudier la protection de l'enfance », JDJ, Édition

Jeunesse et Droit, n° 318, Août 2012, pages 13 à 21.

174 France 3 Région Rhône-Alpes, Article de presse en ligne « Mort de la petite Hafsa à Grenoble : les

Ces constats traduisent la difficulté face à laquelle se trouvent les professionnels de la protection de l’enfance pour décider s’il faut envisager et comment envisager un retour de l’enfant dans son environnement familial. De plus, il faut garder à l’esprit qu’un retour de l’enfant définitif ne signifie pas « un mieux-être »175 de l’enfant dans sa famille.

Se pose ainsi la question de savoir si les dispositifs actuels de la protection de l’enfance sont encore en mesure de répondre aux besoins de sécurité et de développement des mineurs. Ainsi, le placement pourrait être construit sur la base directe d’une finalité alternative, entre protection et reconstitution du cadre familiale.

2. Une reconnaissance d’une finalité alternative dans la mesure de placement :

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