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PARTIE 1 : Les ruptures de parcours lors du retour au sein de la famille : une logique de réunification familiale

A. Une tempérance du rôle de la famille au détriment de la finalité d’une restitution familiale

1. Une atténuation progressive de la place de la famille par la lo

34 - Un revirement dans les missions de la protection de l’enfance. Le contraste entre la réforme de 2007 et celle de 2016 est saisissant. La loi du 5 mars 2007 oriente les actions éducatives vers une finalité de travail sur les carences familiales. Notamment, selon l’article L.112-3 du Code de l’action sociale et des familles tel que rédigé en 2007, le but de la protection de l’enfance est « de prévenir les difficultés

auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l'exercice de leurs responsabilités éducatives, d'accompagner les familles et d'assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs ». La

mention du mineur, sujet principal de la protection, ne se retrouve qu’in fine du texte de

119 Op.cit., C. Aranda, « Le point de vue des parents d’enfants placés avant l’âge de trois ans - Parentalité

et maintien des liens », Recherches familiales, n° 16, Janvier 2019, page 61 et M-P. Martin-Blanchais, « Les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance », Rapport remis le 28 février 2017 à Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes.

120 F. Eudier et A. Gouttenoire, « La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant – Une réforme

loi relative aux missions de la protection de l’enfance. L’article évoque également que les mesures sont en faveur du mineur mais également en faveur des parents, insistant ainsi sur la nécessité d’inclure les parents au sein des mesures de protection. Il y a donc par cette définition une place essentielle laissée à la famille121, possiblement au détriment de

la personne de l’enfant. Aucune mention n’est faite d’une aide adressée au mineur, de répondre aux besoins de l’enfant. Cette réforme faisait écho à l’atténuation progressive observée dans la protection de l’enfance de cette vision du parent coupable au profit d’une vision d’un parent plutôt incapable, en incapacité éducative, et pour lequel les autorités publiques devaient apporter leur aide afin de pallier les carences et reconstruire un cadre familial adapté.

La réforme du 14 mars 2016 opère une modification totale de cet article L.112-3 dans lequel il est maintenant énoncé en son premier alinéa que le but de la protection de l’enfance est de « garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l'enfant, à

soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits ».

Contrairement à 2007, on ne retrouve nulle trace de difficultés auxquelles seraient confrontés les parents ni la nécessité d’accompagner les familles. Pour de nouveau voir la mention des parents au sein des textes, il faut regarder le second alinéa qui évoquent seulement des actions de prévention en faveur de l’enfant et des parents122. Les difficultés

éducatives auxquelles les parents peuvent être confrontés ne sont plus présentées comme une des missions principales de la protection de l’enfance mais comme un élément à prendre en compte dans la détermination des modalités de mise en œuvre des décisions. 35 - La tempérance des limites temporelles. L’obligation a été faite depuis longtemps de procéder à une révision annuelle de la situation de chacun des enfants. En imposant une révision de la situation, il est appuyé sur le caractère temporaire de la mesure en donnant ainsi une révision « automatique », n’impliquant plus uniquement la nécessité pour les titulaires de l’autorité parentale d’en demander une levée pour pouvoir envisager un retour de l’enfant123. Mais le renouvellement d’une mesure reste toujours

possible, malgré les limitations temporelles retrouvées tant en matière administrative124

qu’en matière judiciaire125. Ainsi, « le caractère aléatoire des relations humaines conduit

à remettre en cause ces délais fixes. Pour tenir compte de l’évolution de la situation, la mesure peut donc être rapportée ou modifiée dans l’intérêt de l’enfant bénéficiaire »126.

Le renouvellement reste soumis à l’appréciation humaine, renouvellement qui par le rallongement de la mesure de placement, amenuise les chances de restitution familiale. Outre cet aspect, une disposition nouvelle mise en place par la réforme de 2007 vient ébranler cette limite temporelle de la mesure. En effet, l’article 375 du Code civil, en son alinéa 4, applicable en matière judiciaire, expose que lorsque la situation le justifie, donc en cas de carences graves et durables de la part des responsables du mineur, une mesure de placement peut être prononcée pour une durée supérieure aux deux ans, et ce pour assurer une continuité de la prise en charge du mineur. Or, il est possible de relever que cet article ne remet en revanche aucune autre limite temporelle, ce qui veut dire que le

121 F. Capelier, « L’AED et l’AEMO : approche juridique d’une alternative au placement », Empan, Édition

ERES, n°103, Mars 2016, pages 23.

122 Ibid., F. Capelier, page 24.

123 Op.cit., L. Bellon, « Le poids des mots, le choc du réel ou quelles garanties donner aux enfants en danger

confiés à l’ASE ? », JDJ, Édition Jeunesse et Droit, n° 368-369-370, Août 2017, page 32.

124 CASF., art. L.223-5. 125 C.civ., art. 375 alinéa 3.

126 Op.cit., L. Maufroid et F. Capelier, « Le placement du mineur en danger : le droit de vivre en famille et

placement peut être prononcé pour une durée indéterminée, jusqu’à une décision contraire127. Cette mesure se comprend par une volonté de venir stabiliser le parcours de

l’enfant. Ces instabilités pouvaient être illustrées par le fait que les mesures de protection faisaient, par leur limite temporelle, l’objet de multiples renouvellements par le juge. Cette situation était facteur d’instabilité dans la prise en charge du mineur, dont le cadre et le mode de vie étaient, de ce fait, largement dépendants des nombreuses décisions relative à l’enfant. Il a été permis au juge de pouvoir entériner le constat d’une impossibilité de retour du mineur sur le court terme afin d’éviter toute instabilité dans sa prise en charge. Cette mesure peut faire l’objet de critiques. Même s’il a été affirmé que cette possibilité ne constitue pas une mesure permettant d’entériner une rupture juridique entre parents et enfant128, certains auteurs évoquaient que « La notion de séparation

durable est donc contradictoire avec celle de soutien à la famille dont les membres restent en relation »129. Ainsi, se pose la question de savoir si la faculté de prononcer un

placement durable pour le juge ne serait pas en contrariété avec l’objectif initial d’une restitution familiale. Il semble ainsi que le choix fait par le législateur pour éviter tout risque de rupture ait été celui de limiter le questionnement sur un retour au sein de la famille.

36 - L’adaptation du statut sur le long terme. L’apport de la loi de 2016 s’inscrivant en contradiction avec la logique familialiste est celui de la prise en compte d’une protection durable adaptée pour l’enfant. En d’autres termes, les autorités sont invitées à envisager des alternatives au placement afin de garantir la stabilité des conditions de vie de l’enfant. La réforme de 2016 vient faire prendre conscience des aspects néfastes d’un placement durable. Une commission pluridisciplinaire, prévue à l’article L.223-1 du Code de l’action sociale et des familles vise à examiner la situation d’enfants durablement placés afin de déterminer si une adaptation sur le long terme du statut est nécessaire. De même, l’article L.227-2-1 du même code impose au service de l’Aide sociale à l’enfance de veiller à la stabilité du placement de l’enfant en s’interrogeant sur la nécessité de mettre en place des mesures autres que le placement, qui seraient plus susceptibles d’assurer la stabilité du parcours130. La loi s’oriente

notamment vers des mécanismes tels que la délégation de l’autorité parentale, la tutelle du mineur, les procédures de délaissement et également l’adoption. Or, même si dans le cadre des procédures d’examen de la situation du mineur l’hypothèse d’un retour au sein du foyer familial peut être envisagé131, il peut être cependant constaté que

proportionnellement, les mesures d’aides au retour se trouvent limitées dans la réforme de 2016 puisqu’un seul article n’évoque cet aspect de la protection de l’enfance132. Il est

possible de se demander si ce manque d’intérêt pour le retour familial ne constitue pas

127 Ibid., L. Maufroid et F. Capelier, page 21 et Observatoire national de l’enfance en danger, « Tableau

analytique de la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 », page 7.

128 Op.cit., S. Bernigaud, Droit de la Famille, Chapitre 242 : « Dispositif judiciaire de protection de

l'enfance en danger : l'assistance éducative », Dalloz Action, 2020-2021, 8ème édition, Édition Dalloz,

Novembre 2019, § 242.302.

129 M. Huyette et P. Desloges, Guide de la protection judiciaire de l’enfant, 4ème Édition, Dunod, 2009,

page 270.

130 Op.cit., S. Bernigaud, Droit de la Famille, Chapitre 242 : « Dispositif judiciaire de protection de

l'enfance en danger : l'assistance éducative », Dalloz Action, 2020-2021, 8ème édition, Édition Dalloz,

Novembre 2019, § 242.301.

131 G. Raymond et M. Bruggeman, Assistance éducative, Rép. Civ., Février 2020, § 134.

132 Article 18 de la Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant : « Au terme de l'accueil d'un enfant par le service de l'aide sociale à l'enfance, le président du conseil départemental s'assure qu'un accompagnement permet le retour et le suivi de l'enfant dans sa famille dans les meilleures conditions ».

une sorte de constat d’insuffisances et de fréquents échecs, vecteur d’allers et retours au sein de la protection de l’enfance et entrainant ainsi de nombreuses ruptures. Se pose la question de savoir si le législateur a considéré que pour assurer une continuité dans le parcours de l’enfant, il fallait plutôt axer la réforme sur une protection extérieure à la famille plutôt que sur une accentuation d’une amélioration des restitutions familiales. Il apparait nécessaire d’avoir eu à engager une réflexion sur la question d’éviter à l’enfant de rester au sein d’un statut précaire que lui confère l’assistance éducative en envisageant la possibilité d’une prise en charge plus sécurisante, lorsque la restitution familiale ne semble pas la solution. Mais au vu de la réforme de 2016, il y a un déséquilibre dans le traitement de ces problématiques avec une mise sous silence de la restitution familiale, pourtant pas exempte d’insuffisances. Il y a une importance marquée dans cette loi sur les dispositifs de ruptures relatives des liens entre les parents et l’enfant.

37 - Un délitement progressif des liens quotidiens. Une autre problématique de la protection de l’enfance interrogeant la place de la famille se pose: l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale et la problématique des actes usuels. Il est organisé ici une « suppléance dans les décisions parentales »133. Les actes qualifiés d’usuels sont

effectivement pris par la structure accueillant l’enfant. Cette solution se comprend dans l’intérêt du mineur afin que sa vie quotidienne ne soit pas soumise à un mécanisme complexe où chaque décision quotidienne non importante doit faire l’objet a priori d’un aval parental. Mais certains auteurs émettent des réserves sur ces dispositions dans la mesure où elles entrainent une mise à l’écart des parents de la vie quotidienne de leur enfant. En effet, « si les difficultés familiales ne doivent pas entraver la stabilité de

l'enfant, la reconstruction du lien parental sera d'autant plus complexe à mener si une telle distance se creuse »134. Le placement en lui-même entraine déjà une absence

d’interactions quotidiennes avec l’enfant, le retrait de la place des parents dans le choix des actes de la vie quotidienne accentue encore plus le délitement des liens avec une perte d’informations concernant la vie de l’enfant135.

38 - La problématique du maintien des aides familiales. Même si l’enfant fait l’objet d’une mesure de retrait, les parents restent tenus d’une obligation alimentaire envers celui-ci. En règle générale, les parents demeurent allocataires des prestations familiales dès lors qu’ils conservent la charge effective et permanente de leur enfant136.

Dans cette réponse faisant suite à une question écrite au Gouvernement, celui-ci avait indiqué que les parents conservaient la charge effective et permanente de l’enfant dès lors qu’il était maintenu un lien affectif et éducatif, que les parents continuaient d’exposer des dépenses pour l’éducation de l’enfant et que celui-ci retournait régulièrement auprès de sa famille. Il est possible, selon l’article R. 513-2 du Code de la sécurité sociale, de décider que les prestations sociales soient versées à la personne qui détient réellement la garde de l’enfant.

En revanche, la situation est différente concernant les allocations familiales, dans le cadre d’une prise en charge judiciaire137. Le principe est celui du versement de ces

aides à l’Aide sociale à l’Enfance, puisqu’il s’agit réellement de ce service qui assure

133 Op.cit., S. Moisdon-Chataigner, « Les rapports du service de l'aide sociale à l'enfance avec les parents

de l'enfant placé », RDSS 2017 page 837.

134 Ibid., S. Moisdon-Chataigner, page 837. 135 Ibid., S. Moisdon-Chataigner, page 837.

136 Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, Question écrite n°58839 par Madame F.

Dombre Cost, publiée au Journal Officiel le 30 août 2016 et CSS., art. L.521-2.

partiellement la charge de l’enfant. Cependant, ce principe n’est pas absolu et le juge peut décider un maintien du versement de ces allocations à la famille lorsque celle-ci participe à l’entretien de l’enfant ou pour faciliter un retour de l’enfant au sein de sa famille. Or ces mesures entrainent plusieurs questions. Tout d’abord, ce maintien est subordonné à l’appréciation du juge et ne se règle ainsi qu’au cas par cas138. Même si ce versement peut

être maintenu à la famille, en cas de refus du juge, les familles se retrouvent privées de ces ressources dont elles bénéficiaient avant la mesure de placement. Cette situation peut possiblement poser des difficultés, et notamment financières pour les parents, rendant plus difficile l’objectif de reconstituer un cadre sécurisant afin d’envisager un retour139.

Cet objectif passe par une amélioration des conditions de vie, du cadre de vie et du budget de la famille140. Conserver un engagement de la famille peut s’avérer difficile si elle

souffre d’une perte d’une partie de ses revenus141. La question de l’utilisation des

allocations de rentrée scolaire pour la constitution d’un pécule peut aussi poser question. L’octroi de cette aide permettait de conserver une forme de participation dans la vie quotidienne de l’enfant. Or cette mesure peut être perçue par certains comme une forme de sanction pour le placement de l’enfant142. Rien n’a également été prévu pour pallier ce

transfert de ressource.

Ainsi, les autorités publiques disposent de prérogatives étendues afin de pouvoir se substituer aux parents et les réformes récentes ont renforcé les mécanismes juridiques visant à écarter, temporairement ou définitivement, les parents considérés comme défaillants. A ce recul du rôle de la famille dans la protection de l’enfance, s’observe également une position mesurée par la pratique d’un idéal de retour familial.

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