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Le maintien de la place primordiale de la famille illustré par les caractéristiques de la mesure de placement

PARTIE 1 : Les ruptures de parcours lors du retour au sein de la famille : une logique de réunification familiale

A. Le maintien de la place primordiale de la famille illustré par les caractéristiques de la mesure de placement

21 - La place de la famille. La construction d’une mesure tendant au retrait de l’enfant de son milieu d’origine s’oriente vers la finalité d’une restitution familiale. Lorsque l’enfant fait l’objet d’une mesure de placement, la place des parents auprès de l’enfant se trouve bien évidemment modifiée et doit être repensée66. Mais cela signifie

que le lien et le rôle des parents sont maintenus, dans l’objectif de permettre un retour au sein du foyer familial. La seule manière est de maintenir une place pour la famille.

22 - La double subsidiarité des mesures de protection. Il est possible de mettre en avant le caractère subsidiaire d’une mesure de placement, et de manière générale d’une mesure de protection de l’enfance. La protection de l’enfance constitue une aide sociale qui est un droit pour les individus mais seulement un droit subsidiaire, appréhendé comme un ultime recours67. Par subsidiaire, il est entendu que l’aide sociale n’interviendra que

dans le cas où le bénéficiaire ne peut satisfaire, lui-même ou grâce à une solidarité familiale, le besoin pour lequel l’aide est demandée68. Ce principe appliqué à la protection

66 I. Corpart, « Le droit de l’autorité parentale retouché par la loi relative à la protection de l’enfant », RJPF,

n° 6, 1er juin 2016.

67 M. Borgetto, Aide sociale, Synthèse JurisClasseur, 2019, §3. 68 Ibid., M. Borgetto, §3.

de l’enfance, les parents constituent les protecteurs prioritaires de leur enfant. Le besoin doit donc être satisfait par les parents du mineur. Ce n’est qu’à titre subsidiaire, c’est-à- dire lorsque les titulaires de l’autorité parentale ne sont pas à même d’assurer cette protection, qu’il y aura une intervention des autorités publiques.

Mais cette intervention des autorités publiques est également doublement subsidiaire. Si des carences sont observées, elles doivent être prises en charge en priorité dans le cadre d’une protection administrative, sur une décision du Président du Département. Une protection administrative de l’enfant n’est envisageable que si les titulaires de l’autorité parentale se placent en qualité de demandeur de l’aide ou s’ils consentent à l’exécution de cette protection, selon l’article L.223-2 du Code de l’action sociale et des familles69.

Il est parfois évoqué la notion de « modèle contractuel » de la protection, reposant sur un consentement éclairé des parents ou du moins sur une participation réelle de leur part70.

Ce n’est qu’en cas de défaillance de ce niveau de protection ou en cas de refus des titulaires de l’autorité parentale qu’interviendra une protection judiciaire, beaucoup plus contraignante71. La protection judiciaire ne se justifie que comme un ultime moyen

d’assurer la protection du mineur et permettant de passer outre le consentement des titulaires de l’autorité parentale. Une place fondamentale est donc laissée au consentement des parents puisque les mesures respectant la volonté des parents sont prioritaires aux mesures judiciaires. Mais l’absence de la nécessité d’obtenir le consentement des représentants légaux de l’enfant ne signifie pas une exclusion totale de la famille. En effet, le juge des enfants, doit « toujours s'efforcer de recueillir l'adhésion

de la famille à la mesure envisagée »72. L’adhésion n’implique, en revanche, pas le

consentement et il ne constitue pas un élément indispensable à l’exercice des mesures73.

Mais cette recherche de participation des parents permet tout de même d’observer un maintien de la place de la famille dans le sens où l’adhésion de celle-ci participe à la réussite de la mesure de protection, visant à terme à la levée de celle-ci.

Le caractère subsidiaire de la protection se vérifie également dans le type de mesures mises en place par les organes décisionnaires. L’objectif est toujours en priorité d’assurer un maintien du mineur dans son environnement familial74. Un auteur réaffirmait que la

séparation d’un enfant et sa famille ne devait être envisagée que si aucune autre solution n’était suffisante pour permettre d’assurer la protection de l’enfant75. Le choix du

vocabulaire utilisé dans le cadre des mesures a aussi son importance. Les interventions judiciaires en protection de l’enfance sont désignées comme des mesures d’assistance éducative. Le terme « assistance » signifie être présent au côté de quelqu’un, lui apporter une aide, et « éducative » renvoie à la notion de guider76. Par l’utilisation en particulier

de ces notions, il est important de dire qu’une mesure d’assistance éducative se traduisant par un retrait de l’enfant de son cadre de vie ne constitue pas une mesure visant à

69 S. Bernigaud, Droit de la famille, Chapitre 241 : « Action sociale en faveur de l'enfance », Dalloz Action,

2020-2021, 8ème édition, Édition Dalloz, Novembre 2019, § 241.321.

70 T. Fossier, « Les droits des parents en cas de placement éducatif », AJ Famille, 2007, page 60.

71 Op.cit., S. Bernigaud, Droit de la famille, Chapitre 241 : « Action sociale en faveur de l'enfance », Dalloz

Action, 2020-2021, 8ème édition, Édition Dalloz, Novembre 2019, § 241.293. 72 C.civ., art. 375-1.

73 Op.cit., S. Bernigaud, Droit de la famille, Chapitre 242 : « Dispositif judiciaire de protection de l'enfance

en danger : l'assistance éducative », Dalloz Action, 2020-2021, 8ème édition, Édition Dalloz, Novembre

2019, § 242.201.

74 C.civ., art. 375-2.

75 A. Gouttenoire, Rapport « 40 propositions pour adapter la protection de l’enfance et l’adoption aux

réalités d’aujourd’hui », Février 2014, page 15.

76 L. Bellon, « Le poids des mots, le choc du réel ou quelles garanties donner aux enfants en danger confiés

sanctionner des carences des parents mais s’oriente toujours vers un accompagnement, de l’enfant et de ses parents.

23 - Le caractère exceptionnel des mesures de protection. Ce caractère subsidiaire est en lien direct avec le caractère exceptionnel, et plus particulièrement pour une mesure de retrait. Ce qui justifie l’intervention d’un tiers dans la protection de l’enfant est la notion de danger ou de risque de danger77. Le caractère exceptionnel peut-être tempéré

par la notion de « risque de danger », c’est-à-dire un danger non encore réalisé. Un simple risque n’empêche pas la mise en place d’une mesure de protection. Il y aura en revanche des différences dans l’intensité de l’intervention selon l’existence d’un simple « risque

de danger » ou d’un danger concrétisé mais également selon la nature du danger, allant

d’un environnement inadéquate pour l’enfant du fait de difficultés économiques, à des carences parentales voire des situations de maltraitances envers l’enfant. Il n’en reste pas moins que l’affirmation du caractère exceptionnel de ces mesures, justifiées uniquement lorsque le mineur est susceptible d’être dans une situation présentant un danger pour lui et prenant sa source au sein du milieu familial, participe à l’affirmation selon laquelle la famille demeure le protecteur prioritaire de l’enfant, et limite ainsi l’intervention des autorités publiques dans le fonctionnement familial, préservant ainsi la vie privée et familiale de chacun.

24 - Une temporalité réglementée. Les mesures de protection de l’enfance se caractérisent également par le fait qu’elles sont obligatoirement temporaires. Ce qui veut dire qu’à l’issu du placement, dès lors que les conditions de sécurité et de développement sont assurées et en l’absence de renouvellement, la mesure de protection doit prendre fin et le mineur doit revenir dans son milieu de vie initial78. Par ce caractère temporaire, il

est toujours mis en avant la priorité de la protection parentale sur les autres types de protection. Les autorités ne peuvent se substituer indéfiniment à la place des titulaires de l’autorité parentale. La mesure de placement ne constitue pas une solution pérenne et durable : un retour sécurisé au sein du foyer familial est indispensable.

Outre le caractère temporaire, les durées de prise en charge en elles-mêmes font l’objet d’une réglementation stricte allant de un an maximum en cas de protection administrative et jusqu’à deux ans maximum pour une protection judiciaire. Des durées qui sont à l’échelle d’une vie humaine relativement modérées, mais pour un mineur, ce laps de temps loin de son environnement d’origine peut avoir un impact significatif sur sa place dans sa famille d’origine et le rôle de celle-ci dans sa vie. En mettant en place une limite temporelle, le message est bien celui d’une réunification familiale. Dès lors qu’une mesure est temporaire, la problématique du retour doit nécessairement se poser et le travail effectué lors du placement doit être tourné en ce sens. Le but de cette limite temporelle est bien évidemment d’éviter qu’une mesure de placement ne puisse se transformer en « une solution à long terme »79.

25 - Un maintien du rôle parental. Le placement reste également tourné sur une conception familiale par la place qui est faite à la famille. Le retrait d’un enfant de son milieu d’origine ne signifie pas que cette mesure va entrainer une rupture totale avec sa

77 CASF, art. L.221-1 1° et C.civ., art. 375.

78 Op.cit., Haute Autorité de la Santé, Note de cadrage « Améliorer la prise en charge des enfants à la sortie

des dispositifs de protection de l’enfance. Volet 1 : le retour en famille et l’obligation de suivi », 2019, page 6.

famille80. Pour assurer au mieux un retour de l’enfant, il apparait nécessaire de maintenir

la place des parents au sein de la vie de l’enfant. Cette conception « familialiste », c’est- à-dire tournée vers un maintien des liens avec la famille se retrouve de manière prépondérante dans la réforme du 5 mars 2007, pondéré par la dernière réforme en date de la protection de l’enfance81.

Tout d’abord, dans le cadre d’une simple mesure de protection, les parents restent titulaires de l’autorité parentale et continuent de l’exercer, dans la limite de la conciliation avec la mesure exercée, le placement étant sans incidence sur la question de la titularité82.

Ainsi, en conservant les prérogatives relatives à l’autorité parentale incombant aux parents, il est maintenu leur place auprès de l’enfant, afin d’assurer une certaine continuité de leur rôle et éviter tout désengagement parental. Les parents peuvent donc s’investir le plus possible et favoriser à terme une réunification familiale. En revanche, il apparait évident que l’exercice devra nécessairement faire l’objet d’un aménagement et d’un contrôle au regard de l’intérêt de l’enfant83. L’aménagement se situe notamment par

rapport à l’exercice des prérogatives de l’autorité parentale, partiellement assumé par le tiers en charge du mineur. Il en résulte une difficulté entre la nécessité d’assurer une vie quotidienne pour l’enfant protégé se rapprochant le plus possible des autres enfants et la nécessité de conserver un rôle prépondérant des parents dans la vie du mineur84.

Le rôle des parents dans la détermination du parcours de leur enfant se repère également par leur intervention dans le Projet pour l’enfant (PPE) puisse qu’ils participent, de manière non obligatoire, à son élaboration et le projet final leur est remis85.

Cela permet ainsi aux parents de continuer à être acteurs dans la vie du mineur, malgré une mesure d’éloignement, et de pouvoir faire connaitre leur avis sur les orientations prises dans le cadre de ce projet. En revanche, ni leur présence, ni leur consentement ne sont nécessaires, toujours dans un objectif de ne pas « bloquer » la prise en charge du mineur, et bien évidemment pour permettre une réelle mise en œuvre du projet pour l’enfant, dont l’opposition des parents possible lors de sa mise en place initiale en 2007 avait rendu le dispositif, pourtant essentiel, presque inopérant.

Les parents, en restant titulaires de l’autorité parentale, disposent ainsi d’un droit de visite et d’hébergement de l’enfant. Ce droit de visite et d’hébergement demeure un moyen essentiel afin de maintenir le lien entre les parents et l’enfant en cas d’éloignement et sera notamment utilisé pour favoriser un retour de celui-ci au sein de son environnement de vie, en permettant spécialement un travail sur le lien affectif entre les membres de la famille86. Une mesure de placement ne met donc pas un terme à une

possibilité de maintien des liens avec l’enfant, se caractérisant par un droit de visite et d’hébergement. En revanche, il convient d’indiquer qu’une suppression totale ou une suspension de ce droit de visite ne peut se justifier que par l’intérêt de l’enfant et constitue généralement une mesure exceptionnelle.

80 S. Moisdon-Chataigner, « Les rapports du service de l'aide sociale à l'enfance avec les parents de l'enfant

placé », RDSS 2017, page 837.

81 Op.cit., Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant.

82 Op.cit., S. Bernigaud, Droit de la famille, Chapitre 241 : « Action sociale en faveur de l'enfance » et

Chapitre 242 : « Dispositif judiciaire de protection de l'enfance en danger : l'assistance éducative », Dalloz Action, 2020-2021, 8ème édition, Édition Dalloz, Novembre 2019, § 241.171 et § 242.321.

83 C. Aranda, « Le point de vue des parents d’enfants placés avant l’âge de trois ans - Parentalité et maintien

des liens », Recherches familiales, n° 16, Janvier 2019, page 55.

84 Ibid., C. Aranda, page 57.

85 Op.cit., S. Bernigaud, Droit de la famille, Chapitre 241 : « Action sociale en faveur de l'enfance » et

Chapitre 242 : « Dispositif judiciaire de protection de l'enfance en danger : l'assistance éducative », Dalloz Action, 2020-2021, 8ème édition, Édition Dalloz, Novembre 2019, § 241.171 et § 242.321 .

86 Op.cit., C. Aranda, « Le point de vue des parents d’enfants placés avant l’âge de trois ans - Parentalité et

La loi du 5 mars 2007 avait notamment axé les mesures, peut-être trop, en direction de la famille, ce qui a notamment été reproché a posteriori, dans l’application de cette réforme87. Dans un rapport remis au gouvernement en 201488, il était indiqué, au titre de

la prévention, mais qu’il est possible d’étendre dans le cadre d’une mesure de retrait, que : « La priorité est donc de proposer des aides à la parentalité, pour que le dispositif

de protection de l’enfance remplisse son objectif essentiel qui est de donner aux parents les moyens d’assurer leur mission auprès de l’enfant et, le cas échéant, de restaurer les fonctions parentales ». En effet, si la finalité de la protection de l’enfance est de mettre

fin au danger pesant sur l’enfant, permettant une restitution familiale, il est nécessaire d’axer une partie des mesures sur le développement des compétences parentales, sur l’amélioration de l’environnement familial afin d’aboutir à un cadre pérenne pour l’enfant.

Ainsi, la logique des mesures en protection de l’enfance reste marquée par le rôle nécessaire joué par les parents. Une mesure de placement de nature subsidiaire, temporaire et préservant un lien entre les parents et l’enfant s’inscrit dans une logique de conservation du cadre familial, en qualité de protection principale de l’enfant. La mesure de placement n’est pas construite comme une solution durable pour l’enfant mais relève d’une idéologie de retour familial. Cette logique de la protection de l’enfance n’est pas singulière en France et s’inscrit plus largement dans une préservation des droits fondamentaux, au premier rang desquels les instruments internationaux jouent un rôle prépondérant.

B. L’intervention des droits fondamentaux dans la défense d’une conception

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