• Aucun résultat trouvé

Le pécule comme aide à l’autonomie financière, une solution controversée 101 La création d’une épargne pour les futurs jeunes majeurs En son article 19,

Paragraphe 1 : Une anticipation insuffisante des conséquences de la majorité pendant la mesure de protection

A. Le pécule comme aide à l’autonomie financière, une solution controversée 101 La création d’une épargne pour les futurs jeunes majeurs En son article 19,

la loi du 14 mars 2016 est venue instaurer le mécanisme du pécule à l’article L.543-3 du Code de la sécurité sociale291. L’objectif premier de ce dispositif est de pouvoir assurer

pour certains jeunes sortant de la protection de l’enfance la constitution d’une somme d’argent, qui sera gérée pendant leur minorité et distribuée à leur bénéfice à la majorité. Le mineur est informé de l’existence de ce pécule durant l’entretien de préparation à la majorité par le président du conseil départemental. Cette disposition permet donc de favoriser, de manière relative, l’indépendance financière à travers la mise en place d’une épargne afin que les futurs jeunes majeurs puissent commencer leur majorité avec des économies faites durant leur minorité.

102 - Un financement par l’allocation de rentrée scolaire. Il sera utilisé, pour alimenter le pécule au bénéfice des jeunes majeurs, l’allocation de rentrée scolaire ou l’allocation de rentrée scolaire différentielle. Cette allocation familiale est ordinairement utilisée afin de préparer la rentrée scolaire d’un mineur. Elle est versée par la Caisse d’allocations familiales aux familles sous condition de ressources et fluctue en fonction de l’âge des enfants. Seront pris en compte les enfants « inscrit en exécution de

l’obligation scolaire dans un établissement ou organisme d’enseignement public ou privée »292. Sous certaines conditions, lorsqu’un enfant fait l’objet d’une prise en charge

par les services de protection de l’enfance, cette allocation de rentrée scolaire ne sera pas versée aux parents ou à l’organisme d’accueil mais sera consignée tous les ans à la Caisse des dépôts et consignations, qui en assurera la gestion jusqu’à la majorité de l’enfant. A partir de la majorité, le pécule pourra dès lors être attribué au jeune majeur. En contrepartie, bien évidemment, les familles ne perçoivent donc plus cette allocation. Pour la rentrée scolaire 2020-2021293 le montant se situe entre 469 et 503 euros (en sachant

qu’une revalorisation de 100 euros a eu lieu par le Gouvernement, les précédents montants observés étant situés entre 369 et 403 euros), ce qui représente une somme non négligeable pour les jeunes de la protection de l’enfance, dont les questions financières constituent l’un des débats les plus importants lors de l’entrée en majorité.

103 - Un soutien à l’indépendance financière. L’argent issu de l’allocation de rentrée scolaire sera mis par la Caisse des dépôts et consignations sur un compte bloqué, ne pouvant être touché ni par les parents, ni par la structure d’accueil, ni par le jeune lui- même jusqu’à sa majorité. L’utilisation de ce pécule peut être variable pour ces jeunes tant les besoins sont importants : base financière pour servir de caution à la location d’un appartement294, paiement de frais de scolarité, paiement du permis de

conduire ou même maintien sous forme d’épargne. L’important est donc que le jeune, à l’arrivée de la majorité, dispose d’une épargne, protégée de toute administration familiale, afin qu’il puisse commencer son entrée dans la vie d’adulte avec une base financière certaine.

291 Ministère des solidarités et de la santé, « La réforme de la protection de l’enfance : la loi du 14 mars

2016 relative à la protection de l’enfant et ses décrets d’application », Octobre 2018, page 32.

292 CSS., art. L.543-1 alinéa 1er.

293 Caisse d’allocations familiales, « L’allocation de rentrée scolaire (ARS) », lien hypertexte,

http://www.caf.fr/allocataires/droits-et-prestations/s-informer-sur-les-aides/enfance-et-jeunesse/l- allocation-de-rentree-scolaire-ars.

294 Op.cit., B. Bourguignon et S. Baudry, Rapport « La République doit être une chance pour tous : Pour

un accompagnement “sur mesure” des jeunes majeurs sortants de l’ASE, vers une autonomie réelle », Août 2019, page 50.

104 - Limites à l’utilisation du pécule. Le pécule, tel que mis en place par la réforme de 2016, participe donc à l’une des questions nécessaires à la réussite d’une autonomie : l’autonomie financière. Ce mécanisme est indispensable dans la problématique de la sortie des dispositifs de protection de l’enfance. Il est bien compris que l’hypothèse de départ est d’offrir aux jeunes majeurs une somme d’argent à la majorité. La réponse apportée par la loi de 2016 est donc l’utilisation des allocations de rentrée scolaire pour la constitution d’un pécule. Or, bien que l’initiative puisse être saluée dans sa finalité, le choix du mécanisme du pécule, tel qu’il est actuellement construit, n’apparait pas comme une réponse pérenne. Plusieurs limites à ce mécanisme se dégagent et font l’objet de critiques récentes.

105 - Caractère limitatif des bénéficiaires du pécule. La première difficulté qu’il est possible de relever est le caractère limitatif de cette aide. En effet, tous les jeunes pris en charge au titre de la protection de l’enfance n’en bénéficient pas. L’article L.543-3 du Code de la sécurité sociale évoque « au titre d’un enfant confié en application du 3° et 5°

de l’article 375-3 du code civil ou en application de l’article 375-5 du même code ».

Ainsi, il ne peut s’agir en premier lieu que de mineurs faisant l’objet d’une mesure de placement. Sont donc exclus les mineurs protégés dans leur cadre familial par une intervention en milieu ouvert (AEMO par exemple). De même, le placement doit nécessairement être judiciaire, c’est-à-dire tirer son fondement d’une mesure d’assistance éducative. En second lieu, tous les enfants placés n’en sont pas destinataires. Seuls en bénéficient les mineurs ayant été, au titre du placement, confiés à un service départemental de l’Aide sociale à l’enfance, à un service ou à un établissement sanitaire ou d'éducation, ordinaire ou spécialisé ou enfin dans le cas d’un mineur confié en urgence et à titre provisoire. Au même titre, sont exclus les mineurs placés chez l’autre parent ou chez un tiers de confiance dans le cadre d’une décision au fond, mais également les mineurs faisant l’objet des mesures plus récentes tels que l’accueil séquentiel. Ainsi, le public visé par le pécule semble très restreint. Les critères d’octroi sont indifférents aux possibles difficultés des mineurs, et ne se basent que sur les conditions de prise en charge. Pour résumer, sont donc exclus du mécanisme de pécule295 : les mineurs confiés à l’Aide

sociale à l’enfance au titre d’une délégation de l’autorité parentale, les mineurs confiés judiciairement à l’autre parent ou à une personne de confiance, les mineurs confiés directement par le juge des enfants à une structure d’accueil en journée ou suivant toute autre modalité de prise en charge, les mineurs confiés dans le cadre de l’enfance délinquante, les mineurs faisant l’objet d’une tutelle attribuée à l’Aide sociale à l’enfance, les pupilles de l’État et les mineurs confiés au titre d’une protection administrative. Ainsi, ce qui est pertinent pour caractériser l’octroi d’un pécule concerne le mode de placement et non pas les besoins et difficultés des jeunes majeurs.

106 - Caractère limitatif des bénéficiaires de l’allocation de rentrée scolaire. L’autre restriction quant aux publics visés porte sur l’allocation de rentrée scolaire elle- même, qui est en quelques sortes « le financeur » du pécule. En effet, cette allocation ne bénéficie pas à l’ensemble des familles. En plus de la circonstance que l’enfant soit placé, il faut que l’enfant soit éligible à l’allocation de rentrée scolaire. Le retrait du mineur de son environnement de vie n’entraine pas une attribution de droit de l’allocation de rentrée scolaire. Pour en bénéficier, l’enfant doit remplir les conditions classiques de cette allocation. Si la condition de l’âge de l’enfant ne pose pas de difficultés, en revanche celle

295 Op.cit., Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, Dossier « Les jeunes de 18 à 24 ans »,

Annexe Fiche n°7 « Les termes du débat sur les aides publiques aux jeunes majeurs », 14 avril 2016, page 12.

des ressources familiales peut entrainer des blocages. Malgré le placement de l’enfant, et donc son retrait de sa famille, il sera toujours pris en compte les ressources familiales. Si les ressources des parents ne sont pas conformes au plafond mis en place dans les conditions d’octroi de l’allocation de rentrée scolaire296, l’enfant ne peut en bénéficier et

le pécule prévu ne peut être alimenté. Le mineur est privé du bénéfice d’un pécule pour sa majorité. Outre la condition de ressources, pour être éligible à cette prestation, il faut encore que l’enfant soit à la charge effective et permanente de ses parents297, ce qui

impose un retour, régulier, de celui-ci auprès de sa famille. Pour le mineur n’ayant plus de liens avec sa famille (absence de visite, absence d’hébergement au domicile), la famille ne sera pas éligible à cette prestation, et par extension, le mineur ne pourra voir la création d’un pécule à son bénéfice, alors même qu’il apparait certain qu’il ne bénéficiera d’aucun soutien familial à sa majorité. Ce qui est contestable est que la privation de ce mécanisme de pécule peut être étrangère à toutes circonstances liées à la protection de l’enfant et ne résulter directement que des conditions du mécanisme servant à alimenter le pécule. Cela peut créer une inégalité de traitement entre les enfants placés pouvant en bénéficier et les enfants placés qui n’y sont pas éligibles et de ce fait arrivent à la majorité sans avoir de constitution de pécule. Or même si les parents de ces enfants disposent de plus de moyens, cela ne signifie pas pour autant que l’enfant en bénéficiera à sa majorité. Par la justification de la protection de l’enfant d’un cadre familial peu propice à son développement, il est peut-être contradictoire de faire bénéficier cette allocation aux enfants par le biais du pécule mais de continuer à prendre en compte la situation des parents.

107 - Un financement sujet à critique. Plusieurs critiques peuvent être faites. La première des critiques, qui constitue la principale raison à la limitation de la portée du pécule, constitue le choix de l’allocation de rentrée scolaire comme financement de ce mécanisme. L’objet initial de cette allocation est de soutenir les frais scolaires des mineurs du foyer familial298. Ce n’est pas une prestation construite pour alimenter un

pécule à destination des mineurs confiés aux autorités publiques afin de leur constituer une autonomie financière à la majorité. L’objectif de soutien financier à la scolarité des mineurs et l’objectif de constitution d’une épargne pour des enfants souvent privés de soutien familial sont totalement différents. Il y a donc un détournement de l’objet initial de l’allocation de rentrée scolaire afin d’alimenter un mécanisme qui lui est totalement étranger. Peut-être que le passage par l’allocation de rentrée scolaire pour constituer un pécule n’est pas la bonne ni l’unique solution et qu’il faudrait en effet mettre en place un système spécifique indépendant. De plus, l’allocation de rentrée scolaire est versée uniquement lorsque les enfants sont scolarisés en vertu de l’obligation scolaire. Celle-ci se terminant à partir de 16 ans et un certain nombre de mineurs de la protection de l’enfance arrêtant leur étude à la levée de l’obligation, cela conduit au constat que les potentiels bénéficiaires de ce pécule sont en réalité limités. Outre cet aspect, l’autre revers du détournement d’une aide de sa finalité initiale est l’effet de suppression de cette aide aux familles. Cette allocation est généralement versée aux familles plutôt qu’à la structure d’accueil. Dans des familles aux revenus modestes, cette aide peut paraitre fondamentale

296 Op.cit., CSS., art. L.543-1 alinéa 1er.

297 Op.cit., Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, Dossier « Les jeunes de 18 à 24 ans »,

Annexe Fiche n°7 « Les termes du débat sur les aides publiques aux jeunes majeurs », 14 avril 2016, page 11.

298 C. Daadouch et P. Verdier, « Protection de l’enfance - Loi du 14 mars 2016 : des avancées en demi-

teinte pour le dispositif de protection de l’enfance », JDJ, Édition Jeunesse et Droit, nos 351 et 352, Janvier

pour continuer à prendre en charge l’enfant, et notamment pour les frais de fournitures scolaires. Dans le cas du pécule, cette aide ne sera donc plus versée aux familles mais alimentera directement le pécule de l’enfant. Cela entraine une perte de revenu pour les familles.

108 - Une solution de « fortune ». Ce choix d’utilisation de l’allocation de rentrée scolaire a été admis comme une décision de « fortune »299. En effet, l’ancienne ministre

des familles, de l’enfance et des droits des femmes, Madame Laurence Rossignol, avait indiqué que cette solution permettait de garantir une absence de coûts supplémentaires pour l’État et les collectivités territoriales dans un contexte budgétaire déjà tendu. Ce choix d’un financement du pécule par l’allocation de rentrée scolaire est donc dicté par une nécessité budgétaire et un coût réduit. C’est ce qui a empêché la mise en place d’un financement spécifique, beaucoup plus difficile à instaurer. De plus, une telle hypothèse aurait nécessité un financement par les départements. Or, avec cette solution, il y a de fort risque que le pécule aurait été difficilement mis en place, dans un contexte où le recours à l’accompagnement des jeunes majeurs tend à diminuer de plus en plus.

109 - Un maintien indispensable du pécule. Une certitude demeure : malgré les lacunes de ce dispositif, une suppression est inenvisageable, tant pour les jeunes majeurs issus de la protection de l’enfance que pour les acteurs de cette protection. Même si le mécanisme actuel du pécule est insuffisant et laisse de côté une partie non négligeable de jeunes majeurs, il reste fondamental pour ceux en bénéficiant aujourd’hui. En 2017, la sénatrice Madame Élisabeth Doineau300 avait déposé un amendement dont le but était

d’aboutir à la suppression du pécule. Elle s’opposait au financement du pécule par des prestations sociales, bien qu’elle reconnaisse la nécessité d’assurer une participation financière à l’indépendance des jeunes majeurs. Or, proposer une suppression sans solution de remplacement est inenvisageable. Cette proposition a fait l’objet d’une opposition ferme des différentes associations de la protection de l’enfance et d’anciens enfants placés. De plus, il est risqué de procéder à cette suppression dans un contexte de désengagement progressif des départements dans le soutien offert aux futurs jeunes majeurs. La meilleure solution est donc de maintenir un système imparfait, malgré l’inégalité de traitement et les difficultés de mise en œuvre, en attendant de pouvoir le perfectionner. Il reste cependant nécessaire de trouver un autre financement à ce mécanisme afin de pouvoir en étendre la portée et de toucher réellement l’ensemble des jeunes majeurs. Certains proposaient notamment d’étendre le pécule à l’ensemble des allocations familiales301 et non pas seulement à l’allocation de rentrée scolaire. Or, en

ajoutant ces aides au pécule, elles sont retirées potentiellement à la famille. Ces aides constituent parfois des nécessités pour des familles en difficultés financières et sont vitales pour permettre à celles-ci de travailler sur la construction d’un environnement sécurisé afin de permettre et de préparer un retour au sein du foyer. Il conviendrait également de faciliter l’attribution de ce pécule dans le sens où le versement n’est pas automatique pour le majeur et est subordonné à la communication de plusieurs pièces

299 Revue Lien social, « Pécule jeunes majeurs : toujours si peu d’égard envers les sortants de l’ASE », 15

novembre 2017.

300 Élisabeth Doineau, Sénatrice de la Mayenne avait déposé un amendement dans le cadre du projet de loi

de financement de la sécurité sociale 2018 visant à la suppression du pécule dont le financement par l’allocation de rentrée scolaire est un détournement de la finalité initiale – Ouest France, Article en ligne : « Le pécule des enfants placés est maintenu », 18 novembre 2017.

301 Op.cit., A. Ramadier et P. Goulet, Rapport d’information sur l’aide sociale à l’enfance déposé en

justificatives302. Ces formalités pourraient être réalisées antérieurement à la majorité afin

d’accompagner le futur jeune majeur dans ces démarches.

Outre un accompagnement financier afin d’assurer une épargne de départ avant de se retrouver confronter à cette étape charnière que constitue la majorité, il est également mis en place, depuis 2016, un entretien d’accès à l’autonomie, dont le but premier est d’échanger avec le futur majeur sur sa future autonomie.

B. L’entretien d’accès à l’autonomie, entre injonction d’autonomie et

Outline

Documents relatifs