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PARTIE 1 : Les ruptures de parcours lors du retour au sein de la famille : une logique de réunification familiale

A. Une tempérance du rôle de la famille au détriment de la finalité d’une restitution familiale

2. Un idéal de restitution familiale mesuré par la pratique

39 - Un contexte de carences éducatives majoritaire. Lorsqu’il est évoqué la protection de l’enfance, dans l’opinion public se matérialise généralement la figure d’un parent maltraitant. Or en réalité, les cas les plus fréquemment rencontrés relèvent plutôt de parents ayant des carences éducatives ou un fonctionnement familial non adapté pour le mineur143. Ces situations sont plus propices au retour familial puisqu’un travail sur les

compétences parentales doit pouvoir être réalisé. Ainsi, un échange demeure nécessaire entre les organes de la protection de l’enfance et les parents. Certains professionnels reprochaient d’ailleurs qu’avec la loi de 2007 ayant relégué l’intervention judiciaire en arrière-plan en portant de forte exigence à l’accord parental, la protection de l’enfance

138 F. Capelier, « Le versement des allocations familiales aux parents des enfants confiés à l'ASE :

stigmatisation ou justice sociale ? », JDJ, Édition Jeunesse et Droit, n° 324, Avril 2013, page 5.

139 Ibid., F. Capelier, page 5.

140 Intervention de Madame A. Archimbaud, Sénatrice de la Seine Saint Denis (2011-2017) lors des débats

relatifs à la proposition de loi relative au versement des allocations familiales et de l'allocation de rentrée

scolaire au service d'aide à l'enfance lorsque l'enfant a été confié à ce service par décision du juge (rejetée),

27 mars 2013.

141 Op.cit., Commission nationale consultative des droits de l’Homme, Avis sur le droit au respect de la vie

privée et familiale et les placements d’enfants en France, Assemblée plénière du 27 juin 2013, page 10, § 26.

142 Op.cit., Intervention de Madame A. Archimbaud, Sénatrice de la Seine Saint Denis (2011-2017) lors

des débats relatifs à la proposition de loi relative au versement des allocations familiales et de l'allocation

de rentrée scolaire au service d'aide à l'enfance lorsque l'enfant a été confié à ce service par décision du juge (rejetée), 27 mars 2013.

143 Op.cit., P. Fiacre et C. Bigote, sous la direction scientifique de J-Y. Barreyre, « Les implicites de la

protection de l’enfance : Les parents d’enfants placés dans le système de protection de l’enfance », Recherche commanditée et financée par l’ ONED, Octobre 2013, page 46.

s’était transformée plus en un dialogue avec les parents qu’à un véritable travail avec l’enfant, choix qui était regretté par les professionnels144. Sans tomber dans une

conception trop familialiste de la protection de l’enfance, il reste important de pouvoir garantir un travail avec les parents, travail sans lequel un retour au sein du foyer n’est pas envisageable145.

40 - L’enjeu des motifs de placement. L’un des constats qui se retrouve le plus souvent dans la difficulté relationnelle des parents avec les organes de protection de l’enfance est celui de la problématique des motifs du placement. Deux questions se posent ici. Tout d’abord, les parents mettent en avant le manque de communication des professionnels à l’égard des raisons justifiant le placement. Plus qu’un manque d’informations sur ce point, c’est aussi un manque de compréhension qui amène un sentiment d’injustice dans le retrait de l’enfant. Ainsi, « lorsque les parents disent ne pas

comprendre les raisons du placement et que les professionnels estiment l’avoir expliqué à de nombreuses reprises, il peut en fait exister un écart entre ce qui est dit aux parents et les raisons non explicites de la poursuite du placement. Il en résulte une situation de blocage où les uns trouvent que le placement est injustifié, les autres pensent que les parents sont “dans le déni de leur difficulté” »146. Il est donc important que les parents

puissent comprendre les raisons conduisant à une prise en charge de l’enfant, afin de pouvoir s’y adapter. Cela a été rappelé par la Cour d’Appel de Lyon147 qui évoque, face

à l’incompréhension des parents sur la nécessité d’un changement de conception de l’autorité parentale de leur part, qu’« il reste impératif qu'elle puisse être expliquée aux

parents qui en l'absence de cette compréhension restent dans le déni de leurs besoins et dans la contestation du placement de leurs enfants ».

Il est également estimé que les conditions demandées aux parents pour permettre une levée de la mesure de placement sont plus strictes et vont au-delà des raisons initiales. De manière logique, si une mesure de placement est destinée à être temporaire, la résolution des circonstances motivant la mesure de protection sur l’enfant devrait justifier une levée de cette mesure148. Or dans les faits, ce n’est pas le cas. Plusieurs raisons

peuvent l’expliquer. Tout d’abord, il est possible qu’aucune condition au retour ne soit mise en avant dans une décision de placement d’un enfant. Ce cadre concerne majoritairement les décisions judiciaires dans la mesure où la protection administrative reste subordonnée au consentement des parents. Ensuite, à l’inverse, lorsque les conditions sont spécifiées, soit elles sont difficilement atteignables pour les parents, soit elles évoluent au fil du placement149, renforçant ainsi le sentiment d’incompréhension des

mesures. Or, comme l’affirment deux auteurs150, s’il est interprété strictement les

dispositions légales en vigueur, dès lors que le motif ayant justifié le placement a disparu, il convient de mettre en place le retour de l’enfant auprès de sa famille, quand même bien

144 C. Jung, L’Aide Sociale à l’Enfance et les jeunes majeurs - Comment concilier protection et pratique contractuelle, L’Harmattan, Juin 2010, page 118.

145 Op.cit., Ministère des Solidarités et de la Santé, « Enfance protégée : Restitution de la Concertation

nationale - GT n°1 : Sécuriser les parcours en protection de l’enfance », 26 juin 2019, page 13.

146 Op.cit., P. Fiacre, C. Bigote sous la direction de J-Y. Barreyre, « Les implicites de la protection de

l’enfance : Les parents d’enfants placés dans le système de protection de l’enfance », Recherche commanditée et financée par l’ONED, Octobre 2013, page 67.

147 Cour d'appel de Lyon, Chambre spéciale des mineurs, 24 août 2011, n° 11/00002.

148 C. Mangin, « Famille et placement: de la contrainte au dialogue ? », JDJ, Édition Jeunesse et Droit, n°

197, septembre 2000, page 9.

149 Ibid., C. Mangin, page 9.

150 Op.cit., L. Maufroid et F. Capelier, « Le placement du mineur en danger : le droit de vivre en famille et

des difficultés familiales perdureraient. Celles-ci devraient faire l’objet de mesures d’accompagnement autres que le placement. Même si cette solution semble en effet celle se rapprochant au mieux de la logique juridique et de la protection des droits de la famille, dans les faits, elle serait difficile à respecter. En effet, tout d’abord, l’accompagnement autre que le placement proposé pour les difficultés parentales qui demeurent peut ne pas suffire. Une situation de danger peut continuer à exister, même avec la disparition des motifs initiaux. Dans ces conditions, remettre l’enfant à sa famille alors qu’une situation de danger reste toujours existante parait peu probable. Cela reviendrait alors à restituer l’enfant à sa famille avec l’accompagnement nécessaire, puis constater de nouveau une situation de danger justifiant un retrait de l’enfant. Les temps de mise en œuvre de ces mesures sont vecteurs de danger et de risques pour l’enfant, risques que les professionnels aujourd’hui ne sont plus enclins à prendre. Également, certains professionnels peuvent avoir comme conception que l’enfant sera mieux protégé au sein de sa famille d’accueil ou au sein de l’établissement, quand bien même les motifs de placement ont disparu151.

Par exemple, les professionnels peuvent se fonder sur le fait que l’enfant a noué des liens affectifs avec la famille d’accueil et ordonner un retour au sein de sa famille serait vecteur de traumatismes et de rupture pour celui-ci. Ou alors, ils estimeraient que le parcours scolaire de l’enfant serait mieux assuré au sein de son lieu d’accueil. Il se retrouve toujours cette idée d’assurer le maximum de sécurité pour l’enfant et d’éviter de créer des ruptures ou des situations de danger en préconisant un retour au sein de la famille. Or, cette conception de la protection de l’enfance a fait déjà l’objet de vives condamnations de la part de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, puisque contraire au droit au respect de la vie familiale de tout individu. En effet, la Cour estime que « le fait qu’un

enfant puisse être accueilli dans un cadre plus propice à son éducation ne saurait en soi justifier qu’on le soustraie aux soins de ses parents biologiques »152. Pour la Cour

Européenne, cela ne justifie pas un placement. Par extension, cela ne peut justifier non plus un refus de retour.

41 - Une absence de droit à l’erreur pour les professionnels. Ce décalage s’exprime également par une certaine crainte concernant les hypothèses de retour. Les professionnels portent sur eux une grande responsabilité. Lorsqu’un évènement en protection de l’enfance se retrouve dans les faits divers, ce sont les travailleurs de la protection de l’enfance qui sont pointés du doigt en premier, soulevant les responsabilités et les carences de chacun. Une grande pression pèse alors sur leurs épaules et ils ne disposent pas d’un droit à l’erreur car la sécurité de l’enfant en dépend153, les

conséquences d’une telle erreur pouvant se révéler dramatiques. Se pose la question de savoir si le risque qui pèse sur chaque décision, et plus particulièrement sur un retour au sein de la famille n’entraine pas par voie de conséquence une forme de sévérité plus accrue, et limite ainsi les décisions de retour au tant que l’ensemble des conditions de sécurité ne sont pas remplies.

42 - Exemples jurisprudentiels. Cette prudence dans les choix de retour ou de non-retour peut se voir dans différentes décisions statuant sur une demande de mainlevée

151 Op.cit., P. Fiacre, C. Bigote sous la direction de J-Y. Barreyre, « Les implicites de la protection de

l’enfance : Les parents d’enfants placés dans le système de protection de l’enfance », Recherche commanditée et financée par l’ONED, Octobre 2013, page 67.

152 Cour Européenne des Droits de l’Homme, « Wallová et Walla c/ République tchèque », 26 octobre 2006,

23848/04, §71.

153 A. Abjean, E. Jouve, F. Perrier, L. Potié, N. Ayed, K. Yahiaoui et B. Mounier (équipe de la mission

régionale d’information sur l’exclusion MRIE), 5ème partie : Protection de l’enfance : Revisiter nos

par les parents. À titre d’exemple, dans un arrêt de la Cour d’appel de Besançon154, les

juges ont considéré qu’un retour au sein du foyer familial pour les enfants de la fratrie était prématuré dès lors qu’il y avait une absence de remise en cause des parents sur leur mode de fonctionnement défaillant ainsi qu’une absence d’adhésion à la mesure de placement. Les juges du fond estiment nécessaire de rappeler que l’équipe éducative

« n'agit pas contre eux mais dans le seul intérêt des enfants ». Cet arrêt illustre bien la

difficulté pour les professionnels de pouvoir effectuer un travail commun avec les parents dans un objectif de retour dans les meilleures conditions, lorsque ceux-ci n’adhèrent pas à la mesure. Le terme de risque a même été explicitement évoqué par la Cour d’Appel de Lyon155. Les juges exposent qu’ « un retour immédiat des enfants, s'il était conforme au

désir des parents de se voir reconnaître dans leur droits parentaux et dans leurs efforts de reprise en main de leurs vies, conduirait à une prise de risque et notamment d'un retour à un placement dans les mois à venir, les liens affectifs n'étant pas assez soutenus au jour de l'audience du juge des enfants ni au jour de l'audience devant la chambre des mineurs ». De plus, quand bien même des évolutions favorables peuvent être constatées,

il est généralement demandé une consolidation de ces efforts avant de pouvoir restituer le mineur. C’est notamment ce qu’explique la Cour d’appel de Lyon156 en estimant que «

dans ce contexte familial fragile en cours de reconstruction, si l'ensemble de ces éléments établit la réalité des efforts consentis par les parents en faveur de leur enfant, cette évolution est récente et mérite d'être consolidée avant qu'un retour de X. au domicile familial puisse être envisagé ».

La pression de l’opinion publique ne doit pas constituer un facteur influençant une décision de maintien du placement ou de retour au domicile familial. Il reste cependant nécessaire de conserver à l’esprit qu’un retour qui serait impréparé et qui conduirait à un échec peut avoir des conséquences importantes sur la personne de l’enfant. Il peut se demander s’il est toujours pertinent pour le droit de la protection de l’enfance actuel de conserver, dans la construction des mesures de placement, cet idéal général de restitution familiale. Autrement dit, une mesure de placement n’aboutissant pas à une restitution familiale ne devrait pas constituer nécessairement un échec pour les services de protection de l’enfance.

B. Les conséquences lourdes de l’échec d’une restitution familiale, symbole

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