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Une adaptation nécessaire des mesures de protection aux libertés fondamentales

PARTIE 1 : Les ruptures de parcours lors du retour au sein de la famille : une logique de réunification familiale

B. L’intervention des droits fondamentaux dans la défense d’une conception familiale de la protection de l’enfance

2. Une adaptation nécessaire des mesures de protection aux libertés fondamentales

30 - Retrait de l’enfant et maintien des liens familiaux. Bien que le principe reste que l’enfant doit être maintenu sous la protection de la famille, il est admis, que l’enfant puisse être retiré de son milieu de vie, afin de préserver sa sécurité. Dans la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la séparation d’un enfant avec sa famille constitue l’un des actes portant le plus gravement atteinte à la vie familiale. La Cour affirme que « Pour un parent et son enfant, être ensemble représente

un élément fondamental de la vie familiale »99. De plus, « Le placement de l’enfant à

l’assistance publique ne met pas fin aux relations familiales naturelles »100. D’une part,

le maintien d’un enfant au sein de sa famille est un élément de la vie familiale, protégé au titre de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. D’autre part, même si l’enfant fait l’objet d’une mesure de retrait justifiée par une situation de danger, ce retrait ne signifie pas une rupture dans les relations familiales, qui doivent être maintenues101. Même en cas de placement, la protection fondée sur l’article 8 de la

Convention demeure, en sachant que « Briser ce lien revient à couper l'enfant de ses

racines. Il en résulte que l'intérêt de l'enfant commande que seules des circonstances tout à fait exceptionnelles puissent conduire à une rupture du lien familial, et que tout soit mis en œuvre pour maintenir les relations personnelles et, le cas échéant, le moment venu, “reconstituer” la famille »102.

31 - Un objectif de réunification familiale. Une mesure de placement n’est considérée comme légitime que si elle entre dans le cadre du tempérament du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. La jurisprudence de la Cour Européenne laisse cependant une marge d’appréciation importante aux États pour déterminer le bien-fondé de cette séparation103, c’est-à-dire sur la décision même de la

séparation familiale. En revanche, les contrôles concernant les modalités de mise en œuvre de cette mesure sont beaucoup plus soutenus104. Les mesures de placement doivent

répondre à l’obligation positive incombant à l’État de veiller à la préservation des relations familiales, c’est-à-dire qu’elles doivent aboutir à une réunification familiale105.

Ainsi, il se dégage une obligation positive incombant aux États de prendre des mesures permettant d’aboutir dans le cadre d’une mesure de placement à la finalité de réunir les parents et l’enfant106. Deux points sont particulièrement importants pour la jurisprudence

de la Cour de Strasbourg : Le maintien des liens entre l’enfant et sa famille et le caractère temporaire de la mesure. La durée du placement doit être la plus courte possible et l’État

99 Cour Européenne des Droits de l’Homme, « W. c/ Royaume-Uni », 8 juillet 1987, n° 9749/82, § 59 et « Olsson c/ Suède », 24 mars 1988, n° 10465/83, § 59.

100 Ibid., « W. c/ Royaume-Uni », § 59.

101 Op.cit., L. Maufroid et F. Capelier, « Le placement du mineur en danger : le droit de vivre en famille et

la protection de l'enfance (première partie) », JDJ, Édition Jeunesse et Droit, n° 308, Août 2011, page 15.

102 Cour Européenne des Droits de l'Homme, « Gnahoré c/ France », 19 septembre 2000, n° 40031/98, §

59.

103 Ibid., « Gnahoré c/ France » § 54.

104 Op.cit., C. Laurent, « Le placement d’enfant et le droit au respect de la vie familiale », JDJ, Édition

Jeunesse et Droit, n°233, Mars 2004, page 22.

105 Op.cit., Cour Européenne des Droits de l’Homme, « Olsson c/ Suède », 24 mars 1988, , n° 10465/83, §

81 et « Johansen contre Norvège », 7 août 1996, n° 17383/90, § 78, et « Scozzari et Giunta c/ Italie », 13 juillet 2000, n° 39221/98 et 41963/98, §169.

106 Op.cit., O. De Schutter, « L’intervention des autorités publiques dans les relations familiales et

l’obligation de prévenir les mauvais traitements: vie familiale et droit à la protection de l’enfant dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme», Rev. trim. dr. fam., 1999, page 427.

doit mettre en œuvre toutes les mesures adéquates afin d’assurer le maintien des liens familiaux, toujours dans l’objectif de faciliter la finalité d’un retour de l’enfant au sein de sa famille107.

Tout d’abord, la Cour n’admet une réduction ou une suppression des relations familiales que si ces restrictions sont justifiées par l’intérêt supérieur de l’enfant108. Ainsi,

il est nécessaire pour l’État de mettre en place des droits de visite et d’hébergement dont les restriction ne sont justifiées que par l’intérêt supérieur de celui-ci. Le droit de maintenir des liens entre l’enfant et sa famille fait donc partie intégrante du droit au respect de la vie privée et familiale.

Il sera nécessaire pour l’État de tenir compte dans l’exécution de la mesure de placement des modalités de mise en œuvre de ce droit de visite. Par exemple, le choix du lieu d’accueil revêt une importance capitale dans l’exercice du droit de visite puisqu’il ne doit pas faire l’objet d’un éloignement trop important du foyer familial, au risque d’entrainer des difficultés voire des impossibilités matérielles d’un maintien des relations pour les parents. La Cour avait notamment considéré sur ce point dans un arrêt rendu le 25 juin 2019 contre la Russie109 que le choix d’un établissement situé à 2500 kilomètres

du domicile familial constituait une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, dans la mesure où cette distance très importante avait empêché toute visite du père de la mineure. Il en va de même pour la fréquence des visites, qui ne doivent pas être trop espacées dans le temps afin de ne pas compromettre les chances de réunification. Des mesures d’aides destinées aux parents sont également à mettre en place110. Toutes les

restrictions doivent être compatibles avec l’objectif de réunification : « Autrement dit, le

droit de l’enfant à maintenir des contacts avec sa famille, sauf si ceux-ci sont de nature à lui nuire, prévaut sur tout intérêt »111. Récemment, la Norvège a fait l’objet d’une

condamnation par la Cour de Strasbourg112 au motif que les autorités se sont fondées dès

le départ sur l’idée que le placement serait durable sans envisager de manière sérieuse une possible réunion familiale. Dès lors, les droits de visite n’avaient été accordés que dans le seul but pour l’enfant de connaitre ses parents biologiques et non pour faciliter un retour de l’enfant. Si l’État, par une abstention ou une restriction des droits parentaux compromet les chances de réunification familiale, il contrevient à son obligation positive de préserver la vie familiale. Ainsi, tel est le cas lorsque les mesures prises constituent des restrictions sévères aux droits de visite des parents ou conduisent à des ruptures des

107 Commission nationale consultative des droits de l’Homme, « Avis sur le droit au respect de la vie privée

et familiale et le placement des enfants en France », Assemblée plénière du 27 juin 2013 et A. Gouttenoire, « La relation parent-enfant dans la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme »,

Informations sociales, n° 149, Mai 2008, page 47.

108 Ibid., A. Gouttenoire, pages 47 à 48 et Cour Européenne des Droits de l’Homme, « Margareta et Roger Andersson c/ Suède », 25 février 1992, n° 12963/87.

109 Cour Européenne des Droits de l’Homme, « Blyudik c/ Russie », 25 juin 2019, n° 46401/08. Dans cet

arrêt, il n’était en revanche pas question d’une mesure prononcée dans le cadre de l’enfant victime mais dans celui de l’enfance délinquante.

110 Op.cit., L. Maufroid et F. Capelier, « Le placement du mineur en danger : le droit de vivre en famille et

la protection de l'enfance (première partie) », JDJ, Édition Jeunesse et Droit, n° 308, Août 2011, page 22.

111 T. Moreau, « Quelques apports de la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’Homme

relative au placement du mineur en danger », in Protection et aide à la jeunesse, Édition Jeunesse et Droit, 2008, page 28.

112 Cour Européenne des Droits de l’Homme, « K.O. and V.M. c/ Norvège », 19 novembre 2019, n°

64808/16, n° JurisData : 2019-020717 et M. Saulier, « Droit de visite des parents en cas de placement de l'enfant : de la nécessité d'une appréciation concrète de l'intérêt de l'enfant », AJ Famille 2020, page 66.

contacts prolongées, qui en plus de compromettre les chances de réunification familiale favorisent une séparation irréversible de l’enfant avec ses parents113.

32 - Problématique de la temporalité. La Cour Européenne insiste, tout comme le droit interne, sur le caractère temporaire de la mesure de protection. Elle estime notamment que ce caractère justifie la levée de la mesure lorsque les circonstances le permettent114, c’est-à-dire lorsque le danger a disparu, afin d’aboutir à la finalité de la

mesure qui est la restitution familiale. En plus d’être temporaire, la notion même de temporalité est très importante dans le cadre d’une séparation et il est nécessaire pour les autorités étatiques d’agir le plus rapidement possible115. L’écoulement d’un temps trop

important est néfaste pour les relations familiales. La Cour admet même que le fait que la situation de séparation se soit pérennisée peut constituer un obstacle à la réunification familiale car causant un bouleversement trop important pour l’enfant. Ainsi, la Cour estime que « lorsqu’un laps de temps considérable s’est écoulé depuis que l’enfant a été

placé pour la première fois sous assistance, l’intérêt qu’a l’enfant à ne pas voir sa situation familiale de facto changer de nouveau peut l’emporter sur l’intérêt des parents à la réunion de leur famille »116. Il s’agit ici d’une limitation de la finalité d’un retour au sein de la cellule familiale, en se basant sur l’intérêt de l’enfant. Cet arrêt illustre ainsi la nécessaire balance entre les intérêts des parents et l’intérêt supérieur de l’enfant qui peut primer. Ici, l’intérêt de l’enfant, apprécié par la Cour comme étant de ne pas voir sa situation familiale être modifiée, prime sur l’intérêt des parents au retour de l’enfant. En revanche, il ne faut pas que la circonstance d’un temps écoulé altérant les chances de réunification ne soit la conséquence d’une inaction des autorités publiques. Dans l’arrêt

« Barnea et Caldararu contre Italie »117, il est notamment reproché aux autorités

italiennes d’avoir tardées à mettre en place les mesures de rapprochement qui avaient été judiciairement décidées. De ce fait, l’enfant avait fait l’objet d’un placement au sein d’une famille d’accueil pendant de nombreuses années, circonstance qui avait constitué un argument décisif pour les autorités dans leur choix de proroger la mesure de protection.

33 - L’exception d’une coupure définitive des liens. Les instruments internationaux veillent au respect des droits de la famille et au droit de l’enfant à être élevé par celle-ci. Dans le cadre d’une mesure de placement, cette approche conduit ainsi à considérer que le but premier de cette mesure est de parvenir à une réunification familiale. La Cour Européenne se montre sévère envers les décisions qui conduiraient à couper définitivement les liens entre la famille d’origine et l’enfant, décisions qui, bien qu’envisageables, ne peuvent se faire que dans des cas exceptionnels et seulement en conformité avec l’intérêt de l’enfant118.

113 Op.cit., Cour Européenne des Droits de l’Homme, Grande chambre, « Scozzari et Giunta c/ Italie », 13

juillet 2000, n° 39221/98 et 41963/98, § 181 et § 215.

114 Op.cit., O. De Schutter, « L’intervention des autorités publiques dans les relations familiales et

l’obligation de prévenir les mauvais traitements: vie familiale et droit à la protection de l’enfant dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme », Rev. trim. dr. fam., 1999, page 427.

115 A. Gouttenoire et F. Marchadier, « La famille dans la jurisprudence de la CEDH », Dr. famille 2017,

n°12, Décembre 2017, Chron. n°3, § 10 - Droits procéduraux.

116 Cour Européenne des Droits de l’Homme, « K. et T. c/ Finlande », 12 juillet 2001, n°25702/94, § 155. 117 Cour Européenne des Droits de l’Homme, « Barnea et Caldararu c/ Italie », 22 Juin 2017, n° 37931/15,

§ 87 et 88.

118 Op.cit., Cour Européenne des Droits de l'Homme, « Gnahoré c/ France », 19 septembre 2000, n°

40031/98, § 59 et Grande Chambre, « Strand Lobben et Autres c. Norvège », 10 septembre 2019, n° 37283/13, § 207, Obs. B. Baret, « Intérêt de l'enfant - Intérêt de l'enfant et maintien des liens familiaux : une simple question de procédure ? », Dr. famille, n° 11, Novembre 2019, comm. 220.

Cette vision de la protection de l’enfance tournée vers la famille a été matérialisée en France dans le cadre de la réforme du 5 mars 2007. Certains auteurs119 ont dénoncé

une logique de « maintien des liens à tout prix » au détriment de la personne de l’enfant. Ainsi, il s’observe un changement de logique au sein de la loi du 14 mars 2016 qualifiée comme un texte visant à atténuer « le dogme du maintien des liens de l’enfant pris en

charge par l’Aide Sociale à l’Enfance avec ses parents »120. Une nouvelle approche est

engagée dans laquelle il est pris en considération l’hypothèse d’une adaptation de la protection lorsque le retour au sein de la famille ne parait pas envisageable, afin d’éviter un placement durable.

Paragraphe 2 : Le déclin d’une conception familialiste de la protection de l’enfance : la prise en compte de l’éventualité d’une restitution familiale inadaptée

Les critiques émises à l’encontre de la réforme du 5 mars 2007 qualifiaient la protection de l’enfance de trop « familialiste » avec notamment l’idée d’une réussite de la protection dès lors que l’enfant retournait vivre auprès de ses parents. Ces avis négatifs ont mis en avant la nécessité d’une tempérance de la place de la famille dans le parcours de l’enfant.

Ainsi, il est observé une tempérance du rôle de la famille au détriment de la finalité d’une restitution familiale (A) auquel les conséquences lourdes de l’échec symbolisent une problématique sous-estimée (B).

A. Une tempérance du rôle de la famille au détriment de la finalité d’une

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