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Une reconnaissance d’une finalité alternative dans la mesure de placement : entre protection et reconstitution de la stabilité familiale ?

PARTIE 1 : Les ruptures de parcours lors du retour au sein de la famille : une logique de réunification familiale

B. Les conséquences lourdes de l’échec d’une restitution familiale, symbole d’une problématique sous-estimée

2. Une reconnaissance d’une finalité alternative dans la mesure de placement : entre protection et reconstitution de la stabilité familiale ?

51 - La prévalence d’un maintien des liens familiaux. Si le principe du placement est construit sur la base d’un objectif de retour au sein de la famille, la mesure sera nécessairement tournée vers un maintien des liens. Mais est-ce que la finalité d’un placement doit-il toujours être véritablement le retour de l’enfant au sein de sa famille ? La loi de 2016 est venue tempérer cette finalité en introduisant des mécanismes, tout d’abord d’évaluation de la situation du mineur afin d’apprécier l’orientation à prendre dans la protection et des mécanismes in fine permettant une rupture totale ou partielle des liens avec la famille176. Mais ces décisions restent difficiles à prendre et plusieurs années

peuvent s’écouler, laissant le mineur dans une possible incertitude concernant son avenir. De plus, ces situations ne semblent pas correspondre pour des mineurs plus âgés pour lesquels la sortie du dispositif de protection se fera généralement par l’arrivée de la majorité plutôt que par une adaptation de leur statut.

52 - L’objectif multiple du placement. Certains professionnels se posent la question de savoir si la mesure de placement ne constituerait pas en elle-même un obstacle au retour de l’enfant au sein de la famille, par la rupture dans les relations qui est créée177.

Il n’est pas anodin de passer d’une vie partagée quotidiennement à un cadre de visites. Les échecs des retours peuvent également mettre à mal cet objectif et décourager tant les parents, les professionnels que les enfants. Certains auteurs remettent en question la mesure même de placement dans ses capacités à pouvoir permettre un maintien des liens familiaux pour aboutir à une réunification à terme. Un auteur évoque notamment une

« parentalité tronquée » qui s’exercerait dans le cadre de la séparation178. Il ne faut pas

remettre en question la logique même du retour qui est nécessaire pour les situations se traduisant par des carences éducatives pouvant, en faisant l’objet d’un accompagnement adéquate, être rapidement comblées. Mais les situations sont beaucoup plus difficiles à appréhender lorsque les circonstances justifiant le placement prennent place dans un cadre de violences ou lorsque les enfants ont déjà fait l’objet de multiples retours aboutissant à des échecs. Il est ainsi possible de se questionner : le retour de l’enfant est- il un objectif mis en place in abstracto ? Dans cette situation, la mesure de protection est

175 Op.cit., D. Rousseau, E. Riquin, M. Rozé, P. Duverger et P. Saulnier, « Devenir à long terme de très

jeunes enfants placés à l’Aide sociale à l’enfance », Revue française des affaires sociales Janvier 2016, page 366.

176 A. Ramadier et P. Goulet, Rapport d’information sur l’aide sociale à l’enfance déposé en application de

l’article 145 du Règlement, 3 juillet 2019, n°2110, pages 47 à 50.

177 H. Milova, « Placement en foyer et retour en famille », Revue Quart Monde, n°178, Enfants placés,

Février 2001, page 37.

178 Op.cit., C. Aranda, « Le point de vue des parents d’enfants placés avant l’âge de trois ans - Parentalité

basée sur deux intérêts qui entrent en conflit. Un auteur disait à ce propos « La protection

de l’enfance est un dispositif complexe dont la complexité même est la conséquence de la multiplicité des finalités qui y sont poursuivies »179. D’une part, il a une nécessité du

maintien des liens familiaux. D’autre part, la mesure de placement s’explique par le but de la protection. Le maintien des liens avec les parents fluctue en fonction des chances de retour qui sont appréciées par les professionnels. Il est donc indispensable de prendre en compte dans le travail qui devra être fait, la spécificité de chaque famille, d’une famille ayant des carences parentales aux familles maltraitantes180.

53 - Un placement durable et continu. Les mesures de placement ne peuvent être remises en cause, puisqu’aucune autre solution n’est envisageable, sur le court terme, pour mettre à l’abri un enfant ou du moins pour décharger temporairement un parent ne se sentant plus capable de préserver les besoins de son enfant. En revanche, un placement se traduisant par un parcours stable, même en l’absence de retour, ne devrait pas être considéré comme un échec. La sécurité de l’enfant a été préservée, ses besoins fondamentaux respectés. Les mineurs ont besoin d’une stabilité affective, de soutien qu’il est possible de trouver à l’extérieur du cadre de la famille d’origine, si une continuité du parcours est présente. Pour certains jeunes ayant fait l’objet d’un placement de longue durée, la réussite du placement est justement de ne pas avoir fait l’objet d’un retour, car ils ont la certitude que les conditions de vie ne leur auraient pas été favorables181. Ils

admettent le lien qui les unit à leur parents, tout en rejetant l’hypothèse d’un retour. Ainsi, il vaut mieux peut être un placement durable et continue, sans ruptures, que des tentatives de réunifications familiales se traduisant par des échecs. Il est possible de favoriser un maintien des liens, sans avoir pour finalité un retour familial. D’ailleurs, lorsque le retour au sein du foyer familial ne peut être envisagé, l’intervention se concentre sur une stabilité du placement. Il a été proposé d’envisager deux types de placement182. Un premier

placement peut être construit pour être d’une durée courte, « un placement court », ayant pour finalité la reconstitution de la cellule familiale. Ce placement se baserait sur un soutien apporté aux parents afin qu’ils puissent garantir un environnement sécurisé à l’enfant et par extension sur un maintien des liens entre parents et enfants. Ensuite, il pourrait y avoir un placement construit sur une durée longue, « un placement durable », dont le but serait de construire l’enfant en dehors de sa cellule familiale, par le développement de nouveaux liens mais sans rupture avec la famille. La difficulté est que cette conception s’oppose à celle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui rejette tout maintien des liens ayant pour objectif de faire connaitre l’histoire familiale au mineur plutôt que de favoriser une restitution familiale183. De plus, il est nécessaire de

179 R. Lafore, « L’enfant confié à l’Aide sociale à l’enfance – Le Projet pour l’enfant », JDJ, Édition

Jeunesse et Droit, n° 368-369-370, Août 2017, page 21.

180 M. Boutanquoi, J-P. Minary, T. Demiche, « La qualité des pratiques en protection de l’enfance »,

Rapport d’étude pour le Ministère de la Cohésion Sociale et du Logement et le Ministère de la Santé et des Solidarités, 2005.

181 Op.cit., E. Potin et C. Rollet, Enfants placés, déplacés, replacés : parcours en protection de l'enfance,

Pratique du champ social, Édition Érès, Novembre 2012, page 196 et A. Oui, ONED, Rapport « Les études de parcours en protection de l’enfance au niveau national et leurs enseignements », page 132.

182 Op.cit., A. Ramadier et P. Goulet, Rapport d’information sur l’aide sociale à l’enfance déposé en

application de l’article 145 du Règlement, 3 juillet 2019, n°2110, pages 142 à 143 et Ministère des Solidarités et de la Santé, « Enfance protégée : Restitution de la Concertation nationale - GT n°1 : Sécuriser les parcours en protection de l’enfance », 26 juin 2019, page 12.

183 Op.cit., Cour Européenne des Droits de l’Homme, « K.O. and V.M. c/ Norvège », 19 novembre 2019,

n° 64808/16, n° JurisData : 2019-020717 et M. Saulier, « Droit de visite des parents en cas de placement de l'enfant : de la nécessité d'une appréciation concrète de l'intérêt de l'enfant », AJ Famille 2020, page 66.

respecter les droits parentaux, et d’éviter tout placement qui serait injustifié, sous prétexte que le développement de l’enfant serait mieux assuré au sein de sa structure d’accueil.

54 - Un projet de vie privilégié ou alternatif. Il apparait ainsi toujours difficile qu’une mesure générale puisse convenir à la multitude de situations pouvant se présenter. Le bien-fondé du maintien des liens avec les parents n’est véritablement questionné qu’en cas d’échec de retour de l’enfant, soit parce qu’il a abouti à un replacement de l’enfant, soit parce qu’il reste impossible à mettre en œuvre. La loi a déjà pris conscience de ces situations en permettant des placements de longue durée plus stables sans modifier les liens unissant l’enfant et le parent et en permettant, de manière plus radicale une adaptation du statut de l’enfant. Mais il y a la loi et il y a la pratique. Il est évidemment difficile, pour des raisons matérielles par exemple, de pouvoir offrir une stabilité dans le parcours de l’enfant. Une décision sur le statut de l’enfant nécessite une réflexion pouvant prendre du temps, afin de respecter les droits de chacun des parents. Au Québec184, pour

permettre la stabilité du parcours de l’enfant en protection de l’enfance, il est fait obligation aux autorités de mettre en place rapidement un projet de vie pour l’enfant. Contrairement à la France, il est élaboré deux projets de vie différent. Le premier dénommé « Projet de vie privilégié » met en place l’hypothèse d’une restitution familiale. Le second projet est appelé « Projet de vie alternatif » et prend en compte l’option d’une restitution familiale impossible. Ainsi, au Québec, par la mise en place d’un double projet de vie, la mesure de placement est conçue sur une finalité alternative : protection ou reconstruction de la cellule familiale.

Il est possible également, pour éviter les ruptures, d’envisager les difficultés sous un angle différent : les mécanismes de retour eux-mêmes. En d’autres termes, pourquoi la restitution familiale n’a-t-elle pas fonctionnée ? Ces retours font évidemment l’objet d’un accompagnement, et si le retour échoue, la mesure d’accompagnement n’a pas suffi. L’insuffisance de l’accompagnement peut même se situer en amont de la décision de retour et en aval, dans le suivi qui sera proposé.

184 Op.cit., K. Poitras, G. M. Tarabulsy, « Parent-child contact following foster placement : associations

Section 2 : L’accompagnement prévu au retour, angle « négligé » des

politiques familiales

Pour qu’un retour s’exerce dans les meilleures conditions, pour l’enfant, mais aussi pour les parents, il est nécessaire que ce retour soit anticipé et suivi. La Haute autorité de la santé185 indique deux raisons majeures à l’échec d’un retour : la préparation

et l’accompagnement. L’anticipation consiste à construire les conditions qui permettront, d’orienter la prise en charge du mineur vers ce retour et de favoriser l’acceptation de ce projet. Lorsque le retour est ainsi décidé, en accord avec la famille ou par une décision du juge des enfants, il sera nécessaire de prévoir l’accompagnement pour ce retour. Il conserve un double rôle : soutien à la famille et surveillance de celle-ci afin de détecter d’éventuelles aggravations qui justifieraient une protection de nouveau accrue.

Des difficultés peuvent être dégagées dans les deux aspects du retour. Sur l’anticipation du retour, les dispositifs souffrent d’un décalage entre ce que la loi prévoit et ce que la pratique permet. Les modalités de suivi souffrent quant à elles des inconvénients propres aux mesures d’accompagnement à domicile. Un débat reste ouvert sur une nécessité de créer des accompagnements spéciaux dédiés au retour, ou si une adaptation des dispositifs déjà existants pourrait suffire.

L’anticipation à la réintégration se justifie par une reconstruction nécessaire du cadre familial pour favoriser la réussite d’un projet de retour (§ 1) mais dont la réussite définitive reste tributaire d’un accompagnement sujet à défaut questionnant ainsi la pertinence de cette organisation (§ 2).

Paragraphe 1 : L’anticipation à la réintégration : Une reconstruction nécessaire du cadre familial

Pour qu’un retour puisse être définitif, c’est-à-dire qu’il n’aboutisse pas a

posteriori à une nouvelle mesure de placement durant la minorité de l’enfant, une

préparation adéquate de ce retour reste nécessaire. Pour anticiper ce retour, il est souvent évoqué le besoin de favoriser, voire de reconstruire, les liens entre les parents et les enfants. Et cela passe par un élargissement des droits de visite et des droits d’hébergement. Mais également, il faut créer les conditions du retour en apportant à la famille l’aide nécessaire. Un retour ne peut s’envisager que par un travail sur les compétences parentales et sur l’environnement de vie de l’enfant, afin de gommer les carences éducatives et/ou les conditions matérielles, les circonstances ayant conduit au placement.

L’un des prérequis avant tout retour est d’assurer une continuité des relations familiales s’exerçant par un droit de visite et d’hébergement octroyé aux titulaires de l’autorité parentale dont la mise en œuvre est compliquée (A). Outre ce travail dans la relation parents/enfants, il demeure une nécessité de conserver des dispositifs de soutien aux compétences parentales (B).

185 Op.cit., Haute Autorité de la Santé, Note de cadrage « Améliorer la prise en charge des enfants à la sortie

des dispositifs de protection de l’enfance. Volet 1 : le retour en famille et l’obligation de suivi », 2019, page 7.

A. Le maintien des relations familiales : l’exercice compliqué d’un droit de visite

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