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PARTIE 0 : Positionnement méthodologique et éthique

III. LA PAROLE AU CŒUR DE LA RECHERCHE : UN TRAVAIL POLYPHONIQUE

III.4. Retranscrire les paroles et les utiliser

J’ai fait le choix de ne prendre aucune note pendant ces entretiens semi-directifs, puisque je tenais à être exclusivement dans une posture d’écoute39. J’ai ensuite décidé de réécouter l’enregistrement de chaque entretien un stylo à la main, en notant chaque élément qui me semblait important dans le discours, que ce soit des éléments factuels, des intonations, des opinions ou des phrases entières, afin d’en tirer des axes de réflexion et de référence. Cette prise de note a constitué un ensemble de verbatims. J’ai ensuite entrepris la transcription intégrale de 32 de ces entretiens (sur 50 entretiens enregistrés).

Cette étape de transcription m’a fait longuement me questionner sur la méthodologie mais aussi sur l’éthique à adopter dans l’analyse et l’utilisation de ces entretiens. Je développerai ici un élément principal : la méthode d’analyse des paroles40.

Les paroles recueillies, tant sur le fond que sur la forme de mon travail, sont de véritables références. Il était donc pour moi inconcevable de ne m’en servir qu’à titre d’illustration, tout autant que de les analyser dans une perspective quantitative ou linguistique d’étude littéraire des discours, de même que dans une perspective d’analyse psychologique des personnalités. Les entretiens n’ont donc pas été pour moi des objets d’études mais bien des expériences de conversations, des espaces-temps privilégiés de parole et d’expression pour les personnes interrogées, et d’écoute et de compréhension pour moi. Ainsi, afin de m’en imprégner et de les intégrer pleinement à ma réflexion, dans une écriture polyphonique, j’ai fait le choix de les retranscrire manuellement et personnellement. Je n’ai donc utilisé aucun logiciel d’aide à la transcription41. De même, afin de les décomposer, d’en tirer les éléments

principaux et de les mettre en relation les uns avec les autres, j’ai opté pour une analyse manuelle de ces entretiens en recourant à des écoutes et des lectures multiples ; une fois de plus, je n’ai utilisé aucun logiciel ou autre outil d’aide à l’analyse (qu’elle soit statistique, quantitative ou qualitative).

39 Sauf pour les cas des deux entretiens semi-directifs qui n’ont pas été enregistrés après le refus des personnes

interrogées, pendant lesquels j’ai effectivement pris un certain nombre de notes.

40 Pour les autres questionnements liés à la transcription des entretiens semi-directifs, voir ANNEXE 10 :

Questionnements méthodologiques et éthiques autour de la transcription des entretiens.

41 Si ce n’est la plateforme en ligne oTranscribe, qui permet à la fois d’écrire sur une feuille de texte et

Concernant la forme de citation des entretiens dans mon texte, et afin de garantir l’anonymat des personnes interrogées, j’ai opté pour l’utilisation d’un « code » de référence propre à chaque entretien : « ECD_ » pour les entretiens réalisés au CD de Bapaume, « EMC_ » pour ceux réalisés à la maison centrale de Vendin-le-Vieil, « ECP_ » concernant le CP d’Albolote. J’ai également retiré tout élément qui aurait pu favoriser une quelconque identification des personnes détenues interrogées (aile d’hébergement, bâtiment, etc.). De même, concernant les personnels de l’administration pénitentiaire, j’ai choisi d’utiliser des mots précisant le rang de responsabilité de la personne tout en ne dévoilant pas complètement son grade, et à aucun moment sa fonction dans l’établissement : « surveillant », « gradé », « officier » et non pas « chef de détention » ou encore « major responsable de l’infrastructure et de la sécurité » ; de même pour les directeurs d’établissement, préférant parler de « membre de la direction » plutôt que « du directeur » ou de « la directrice adjointe ». La forme adoptée a pourtant trois failles importantes à mon sens : le cas des directeurs des antennes SPIP (DPIP), puisqu’une seule personne est à ce poste dans chaque établissement, le cas de la psychologue « parcours d’exécution des peines » (PEP) au CD de Bapaume (pour la même raison), et le cas des deux surveillants moniteurs de sport au CD de Bapaume, dont la spécificité d’une double fonction à l’intérieur de l’établissement est importante à soulever42.

De plus, j’ai fait le choix de ne pas préciser la raison de l’incarcération des personnes détenues que je cite en référence. Ce choix s’est fait pour deux raisons principales : d’une part, ce n’est pas l’objet de ce travail ; d’autre part, m’intéressant avant tout au vécu et au ressenti des personnes interrogées, je n’ai pas appréhendé le motif d’incarcération comme une variable importante. Il est toutefois vrai que je serai amenée, dans certains développements de ma réflexion, à soulever les différences de vécus entre certaines personnes selon leur motif d’incarcération ; j’utiliserai pour cela des extraits d’entretiens qui me semblent pertinents, bien qu’ils ne laissent pas toujours apparaître la condamnation de la personne qui s’exprime.

42 Pour ces cas précis, j’ai essayé de ne pas intégrer à mon écriture des passages qui pourraient être vus comme

compromettant auprès de leur hiérarchie ou de leurs équipes ; mais ne pas préciser leur rang hiérarchique (pour les DPIP notamment) n’aurait pas permis à la lecture de comprendre certaines logiques ou certaines situations évoquées selon la place dans l’établissement.

D’autre part, cherchant à comprendre aussi les similitudes entre les réflexions et les vécus des personnes détenues et des personnels de l’administration pénitentiaire, je me laisse la liberté de ne pas toujours préciser le statut de la personne dont je présenterai les propos43.

Enfin, concernant la forme d’écriture et de lecture de ce travail, il était important pour moi que, en plus des nombreuses paroles recueillies et intégrées comme références, apparaisse ma propre voix. J’ai pour cela opté pour une écriture à la première personne du singulier puisque, en plus d’une synthèse de recherche et de diffusion académique, ce texte rend directement compte de mon expérience de recherche. Il était donc important pour moi qu’on puisse lire directement cette expérience de l’errance (créative) et de l’intersubjectivité que j’ai faite pendant mes années de recherche, et notamment la difficulté à saisir toutes les facettes de la complexité de l’expérience de la prison44. Finalement, mon travail tend peut-être à être lu à

la fois comme un journal de terrain argumenté, organisé et problématisé, et comme une analyse et une proposition scientifiques.

De fait, le présent travail ne s’adresse pas seulement à un public universitaire dans la perspective d’un exercice académique réussi et de l’obtention de mon diplôme de doctorat ; il s’adresse à quiconque pourrait vouloir en apprendre davantage sur la prison et tenter de comprendre, lire, rencontrer indirectement les personnes qui y vivent ou qui y travaillent. J’envisage cette écriture comme une forme de médiation, de passage entre différents mondes, et non comme l’entérinement d’idées et de données purement factuelles ; un texte dont la lecture, je l’espère, créera de l’interaction entre ses lecteurs et les voix qu’il porte et retranscrit.

43 Bien que celui-ci soit toujours identifiable en référence à l’ANNEXE 8 : Tableaux récapitulatifs des entretiens

semi-directifs réalisés pendant cette recherche.

44 C’est notamment pour cela que j’ai choisi de questionner à plusieurs moments de mon texte la place du