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Le "théâtre carcéral" : des complexités sociales en prison et de l'art comme possibilité de créer du "commun" : etude menée en France et en Espagne

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Academic year: 2021

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(1)

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Submitted on 31 Jan 2020

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Le ”théâtre carcéral” : des complexités sociales en prison

et de l’art comme possibilité de créer du ”commun” :

etude menée en France et en Espagne

Alexia Stathopoulos

To cite this version:

Alexia Stathopoulos. Le ”théâtre carcéral” : des complexités sociales en prison et de l’art comme possibilité de créer du ”commun” : etude menée en France et en Espagne. Art et histoire de l’art. Université Charles de Gaulle - Lille III, 2019. Français. �NNT : 2019LIL3H011�. �tel-02462047�

(2)

Université de Lille 3

Ecole Doctorale SHS Sciences de l’Homme et de la Société

Laboratoire CECILLE Centre d’Etudes en Civilisations, Langues et Lettres Etrangères

Section CNU 18

Thèse pour obtenir le diplôme de doctorat,

présentée et soutenue par

A

lexia

STATHOPOULOS

Le théâtre carcéral : des complexités sociales en prison et

de l’art comme possibilité de créer du commun

ETUDE MENEE EN FRANCE ET EN ESPAGNE

Soutenance le 4 avril 2019

À la Bibliothèque du Centre de détention de Bapaume (France)

Direction de thèse Marie-Pierre LASSUS

Membres du Jury

Fanny T.AÑAÑOS Rapporteur Gilles CHANTRAINE Président du jury Anne-Marie FIXOT Rapporteur Marc LE PIOUFF Examinateur Bernard PETITGAS Examinateur

(3)

AVIS AUX LECTEURS

Ce travail tend à valoriser la parole de celles et ceux qui vivent ou qui travaillent en prison ; des paroles recueillies tout au long de ma recherche dans le cadre d’entretiens. Véritables références dans mon processus d’écriture, j’ai choisi d’en reproduire de larges extraits : cela explique le format particulier de ce document, qui les donne à voir (en page de

gauche) en regard du corps de texte (en page de droite). A l’aide de ce symbole ◄, j’inviterai régulièrement le lecteur à se référer aux paroles retranscrites en parallèle de mon écriture.

(4)

REMERCIEMENTS

Merci à l’ensemble des membres du jury, et particulièrement à Marc LE PIOUFF, sans qui je n’aurais peut-être jamais eu le courage de me lancer sur le chemin sinueux et riche de la recherche.

Merci à Sylviane PASCAL, pour son soutien inconditionnel dans cette aventure et dans ma vie. Merci à Luc-Noël GALLI pour son écoute, son regard et pour l’aide précieuse qu’il m’a apportée dans ce long travail d’écriture, de relecture et de mise en page.

Gracias a Alejandro MOGO GARCIA por su apoyo, su comprensión y su ayuda diaria en los momentos más oscuros del camino que me ha llevado hasta aquí.

Merci à Marie-Pierre LASSUS, pour avoir suivi mon travail pendant ces années de doctorat.

Merci surtout à toutes celles et ceux qui ont accepté ma présence dans leur quotidien carcéral, personnes détenues, membres du personnel pénitentiaire et autres, pour m’avoir permis d’apprendre et de comprendre davantage ce monde qu’est la prison. Pour votre confiance et vos paroles, sans lesquelles ce travail n’aurait jamais pu voir le jour, je vous remercie sincèrement.

(5)

SOMMAIRE

AVIS AUX LECTEURS ...2

REMERCIEMENTS ...3

SOMMAIRE ...4

Introduction générale

INTRODUCTION GENERALE DE LA THESE ...13

I. «LA PRISON EST UNE FORME DE HORS-CHAMP SOCIAL » ... 15

II. LE CONCEPT DE THEATRE CARCERAL ... 23

II.1. La notion de représentation : l’essence du théâtre ... 26

II.2. Représentation et rôles en prison : esquisse du théâtre carcéral ... 29

III. STRUCTURE ET DYNAMIQUES DU TRAVAIL ... 35

PARTIE 0 : Positionnement méthodologique et éthique I. ENTRER EN RECHERCHE ...38

II. L’ENQUETE ETHNOGRAPHIQUE EN PRISON ...42

II.1. Observation participante et recherche active ... 42

II.2. Positionnement et éthique : trouver sa juste place ... 48

III. LA PAROLE AU CŒUR DE LA RECHERCHE : UN TRAVAIL POLYPHONIQUE ...55

III.1. Enquête qualitative et savoirs expérientiels ... 55

III.2. La richesse de l’informalité ... 57

III.3. Les entretiens semi-directifs ... 59

III.4. Retranscrire les paroles et les utiliser ... 65

PARTIE 1 : Entrer dans le théâtre carcéral CHAPITRE 0 : INTRODUCTION AU DISPOSITIF CARCERAL, CLEF DE VOUTE DU THEATRE CARCERAL ....69

I. LA NOTION DE DISPOSITIF ...69

II. LES DISPOSITIFS EN PRISON : CLEF DE VOUTE DU THEATRE CARCERAL ...74

(6)

CHAPITRE 1 : SORTIR DU COMMUN ...82

I. LA PRISON : « BOITE NOIRE » A L’INTERIEUR DE LA SOCIETE ? ...82

I.1. Invisibilité et inaccessibilité des prisons : un dispositif de « boîte noire » qui exclut ... 83

I.1.A. Les prisons à l’écart du monde extérieur : relégation géographique et « boîtes noires » architecturales ... 84

I.1.B. « L’administration a cette tendance naturelle à vouloir cacher ce qui se passe à l’intérieur » : la prison comme « boîte noire » institutionnelle ? ... 91

I.2. La prison : un dispositif de « chambre noire » révélateur de processus sociaux et sociétaux ...94

I.2.A. « On est juste un reflet de la société nous en prison » ... 94

I.2.B. « Mais quand vous êtes le prisonnier vous regardez ce qu'est votre société » : un dispositif optique qui va dans les deux sens ... 98

II. EXCLURE DU COMMUN : DISCOURS ET PRINCIPES AU CŒUR DU DISPOSITIF CARCERAL ...100

II.1. « On a différents objectifs à répondre qui sont complètement opposés » ... 101

II.1.A. « La prison a avant tout un rôle de sécurité » : un dispositif qui doit punir aux yeux de la société ... 102

II.1.B. « Nous notre mission première c’est la prévention de la récidive » : un dispositif « réinsérant » ? ... 104

II.1.C. Un dispositif politique : « les prisons ce qu’on y met actuellement c’est très politique » ...107

II.2. Détour par l’Espagne : principes de la peine et traitement pénitentiaire ... 112

II.2.A. Principes et régimes de détention ... 112

II.2.B. Le traitement : gage de « réinsertion » ? ... 115

III. « UNE PRISON N’EST PAS L’AUTRE » : ETAT DES LIEUX ET DES FORMES DU DISPOSITIF CARCERAL ...121

III.1. Le centre de détention de Bapaume et le « régime de responsabilité » ... 125

III.1.A. Organisation et régime en portes ouvertes : une « pré-autonomie pour la sortie » ... 125

III.1.B. « Travailler sur le parallèle avec la vie dehors » ... 129

III.2. Détour par l’Espagne : vers une « normalisation » de la vie en détention ... 131

III.2.A. Importer les codes de la ville dans les « centres types » ... 131

III.2.B. Les « modules de respects » espagnols ... 133

III.2.C. Tentative de mise en place d’un « programme respect » au CD de Bapaume ... 136

III.3. La maison centrale de Vendin-le-Vieil : une nouvelle structure hyper-sécuritaire ... 139

III.3.A. Enjeux et contraintes de l’ouverture d’un établissement hyper-sécuritaire ... 139

(7)

IV. ENJEUX ET CONSEQUENCES DU DISPOSITIF CARCERAL : DEFINITION DES

PROCESSUS DE SORTIE DU COMMUN ...148

IV.1. Précisions et usages terminologiques autour de la notion d’exclusion ... 148

IV.2. Désinsertion : ne pas participer au commun ... 152

IV.2.A. Désinsertion et réinsertion : que signifie « être inséré » ? ... 152

IV.2.B. Travailler et se former en prison : état des lieux et limites de la « réinsertion » professionnelle en prison ... 157

IV.3. Désaffiliation : complexité des relations avec l’extérieur ... 166

IV.3.A. Désaffiliation et désocialisation ... 166

IV.3.B. Perte et complexité des liens avec l’extérieur : « C'est inhérent à la détention » ... 168

IV.3.C. Surveillant pénitentiaire : un métier « désocialisant » ... 172

IV.4. Disqualification sociale : stigmates et sentiment de superfluité ... 176

CONCLUSION DU CHAPITRE ...182

CHAPITRE 2 : ENTRER DANS LE THEATRE CARCERAL ...185

I. LA PRISON DANS UN PARCOURS : MISES EN CONDITIONS AVANT D’ENTRER DANS LE THEATRE CARCERAL ...185

I.1. Mises en conditions des personnes avant l’incarcération : devenir un « détenu » ... 186

I.1.A. « Un point vers lequel convergent des destins individuels » ... 186

I.1.B. « Un itinéraire en relation avec l'institution judiciaire » ... 191

I.2. Se former à la prison : parcours d’entrée des membres de l’administration pénitentiaire ... 195

I.2.A. « Pourquoi avez-vous choisi d’entrer dans l’administration pénitentiaire ? » ... 196

I.2.B. L’ENAP, « starting-block du départ du métier » ... 200

I.2.C. « Tu gères de l'humain c'est un métier. Faut quand même avoir certaines prédispositions » .202 II. ENTRER DANS UN (AUTRE) MONDE ...208

II.1. Le « choc carcéral » : basculer dans un nouvel environnement de vie ... 210

II.1.A. « Ce choc-là tout le monde l’a ressenti » : un dispositif en rupture avec l’extérieur ... 213

II.1.B. Une dépersonnalisation et une entrée dans le théâtre carcéral ritualisées ... 215

II.2. Se confronter à un « nouveau monde » codé : un dispositif acculturant ? ... 220

II.2.A. « La prison a un fonctionnement quand même à part, c’est une société dans la société »...220

(8)

III. LES REGLES DU JEU CARCERAL : PREFIGURATION DES LOGIQUES DE RÔLES

AUTOUR DE L’OBJECTIF DE « REINSERTION » ...234

III.1. Le sens de la peine et les mécanismes de son application ... 236

III.1.A. Le sens de la peine : trame de fond du théâtre carcéral ... 236

III.1.B. La Justice en prison : pouvoirs décisionnels autour de l’application de la peine ... 239

III.2. Le « parcours d’exécution des peines » : un dispositif au cœur de la logique de monstration du théâtre carcéral ... 248

III.2.A. Une commission pluridisciplinaire unique pour instituer les échanges entre les acteurs ... 249

III.2.B. Les limites du « parcours d’exécution des peines » : les limites de la « réinsertion » ? ... 254

CONCLUSION DU CHAPITRE ...262

CONCLUSION DE LA PARTIE 1...264

PARTIE 2 : Participer au théâtre carcéral CHAPITRE 0 : INTRODUCTION A LA MECANIQUE DES MASQUES DU THEATRE CARCERAL ...267

I. LA MECANIQUE DES MASQUES AUTOUR DE TROIS PRINCIPAUX MONDES INTERACTIONNELS ENTRECROISES ...268

II. LE THEATRE CARCERAL, PERTURBATEUR DE L’ENTRELIEN HUMAIN ET REVELATEUR DES COMPLEXITES SOCIALES EN PRISON ...272

III. PLAN DE LA PARTIE 2 ...278

CHAPITRE 1 : LE THEATRE CARCERAL DES PERSONNELS DE L’ADMINISTRATION PENITENTIAIRE ...282

I. DES TENUES DE ROLES DANS LES INTERACTIONS AVEC LES PERSONNES DETENUES ...283

I.1. Les acteurs du SPIP « au carrefour de l'accompagnement » des personnes détenues ... 283

I.1.A. Porter les missions des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation en détention ... 283

I.1.B. Se positionner en tant que CPIP pour tenir son rôle auprès des personnes détenues ... 286

I.2. Surveillant pénitentiaire, une définition de rôle complexe : « être polyvalent pour être le psychologue, l'assistant social, le flic ... » ... 292

I.2.A. Qu’est-ce qu’un « bon surveillant » ? ... 293

I.2.B. Positionnement et port de l’uniforme : « garder sa place » et représenter l’autorité de l’Etat en détention ... 298

(9)

II. ROLES ET POSITIONNEMENTS INTRA-ADMINISTRATION PENITENTIAIRE ...306 II.1. La place du SPIP dans l’établissement : positionnements interprofessionnels et interpersonnels entre deux corps d’une même administration ... 307 II.2. Les relations entre les acteurs de l’établissement : enjeux et positionnements chez les

« personnels en tenue » ... 313 II.2.A. Des rapports hiérarchiques complexes : entre application des directives, dissonances

de positionnements et enjeux de reconnaissance ... 314 II.2.B. Entre professionnalisme et affectif, quelle solidarité dans les rangs de la pénitentiaire ? .. 327 CONCLUSION DU CHAPITRE ...331

CHAPITRE 2 : LE THEATRE CARCERAL DES PERSONNES DETENUES ...334

I. DES TENUES DE ROLE DANS LES INTERACTIONS AVEC LES REPRESENTANTS DE

L’ADMINISTRATION PENITENTIAIRE ...336 I.1. Le rôle du « détenu » : se soumettre aux rapports d’autorité et intégrer une réduction de

sa personnalité ... 336 I.2. « En fin de compte y'a des carottes et des bâtons » : s’adapter au rôle de détenu pour accéder à la « réinsertion » ? ... 340

I.2.A. S’adapter aux règles du jeu carcéral « pour sortir plus vite » ... ... 340 I.2.B. ... « Mais je trouve que des fois ça marche pas quoi en fait. » : un système non

systématique qui induit un rapport de méfiance entre les acteurs ... 343 II. ROLES ET LOGIQUES SOCIALES ENTRE PERSONNES DETENUES : ADOPTER DES

SOCIABILITES « DE CIRCONSTANCES » POUR « SURVIVRE » ...348 II.1. Des relations « de circonstances » et des nouvelles formes de sociabilité ... 348 II.2. Violences et méfiance en détention : intégrer des modes défensifs de socialisation pour

« survivre » ... 351 II.2.A. De la nécessité de « se montrer fort » et de se protéger des autres ... 351 II.2.B. Hiérarchisations entre les peines et échelles sociales en prison : des logiques

d’écartement et de regroupement ... 362 II.2.C. Des masques et des rapprochements « de circonstances » : l’exemple de la

« radicalisation » en prison ... 374 II.3. De la convivialité en détention : dégager des « respirations sociales » pour rendre le rôle

praticable ... 381

II.3.A. Des logiques de « dépannage » et de convivialité : « c'est l'entraide entre nous justement

pour pouvoir subvenir à certains besoins » ... 382

II.3.B. De la solidarité dans l’« équipe » des « détenus » ... 388 CONCLUSION DU CHAPITRE ...393

(10)

CHAPITRE 3 :

LES CONSEQUENCES (A-)SOCIALES DU THEATRE CARCERAL : DE LA PRECARITE

DU SOI ET DU COMMUN EN PRISON ...395

I. LE JEU A L’EPREUVE DU JE : DES IMPACTS DU THEATRE CARCERAL SUR LES INDIVIDUALITES ...396

I.1. « Peut-on être soi-même en prison ? » ... 397

I.1.A. Rester soi-même quand on est surveillant pour donner du sens à son rôle ... 398

I.1.B. « Jouer l’acteur ou le con » quand on est « détenu » pour préserver son individualité ... 401

I.1.C. Des coulisses nécessaires pour survivre au théâtre carcéral et sortir de la représentation . 405 I.2. La mise à l’épreuve du soi dans le théâtre carcéral ... 409

I.2.A. Travailler dans le dispositif carcéral, « ça use psychologiquement » ... 409

I.2.B. De l’enfermement mortifère : « ici on est exposé à un dessèchement de l'intérieur » ... 414

II. DE LA QUASI IMPOSSIBILITE DE CREER DU COMMUN EN PRISON ...418

II.1. Des relations entre personnes détenues et membres de l’administration pénitentiaire : de quels liens peut-on parler ? ... 420

II.2. « Copains de prison, copains de carton » ? De la complexité de créer du commun entre personnes détenues ... 428

CONCLUSION DU CHAPITRE ...439

CONCLUSION DE LA PARTIE 2...440

PARTIE 3 : L’Art comme possibilité de sortir du théâtre carcéral et de créer du commun CHAPITRE 1 : INTRODUCTION A L’INTERVENTION ARTISTIQUE EN PRISON ...447

I. DES ACTIVITES CULTURELLES EN PRISON ...451

I.1. Enjeux politiques et dispositifs interinstitutionnels du développement de l’offre culturelle en prison ... 452

I.2. Mise en place et fonctionnalités des activités culturelles dans le dispositif carcéral ... 462

I.2.A. De l’occupation utile du temps de la peine : sortir de la vacuité du temps carcéral et faciliter la gestion de la détention ... 462

I.2.B. De la socialisation : « Finalement les activités c'est que le prétexte à recréer du lien social » .. 477

II. DES EXPERIENCES ARTISTIQUES COLLECTIVES DANS LE THEATRE CARCERAL ...483

II.1. De la création vitale dans le théâtre carcéral... 483

II.2. L’art comme expérience ... 486

(11)

CHAPITRE 2 :

L’EXPERIENCE-EXPOSITION DES TRACES ET DES HOMMES AU CD DE BAPAUME ...502

I. PRESENTATION ET DESCRIPTION DU PROJET D’EXPOSITION ...503

I.1. Genèse du projet d’exposition : quels enjeux pour le musée des beaux-arts de Cambrai ? ... 503

I.2. La constitution d’un « groupe projet » ... 508

I.3. La construction de l’exposition : repères chronologiques et étapes du projet ... 512

II. POUR UNE ANALYSE DE L’EXPERIENCE VECUE ...518

II.1. Synthèse d’une évaluation collective de l’expérience d’exposition ... 522

II.1.A. Légitimités et non-savoir : deux notions clés pour repenser la médiation ... 524

II.1.B. Apports du projet aux différents partenaires institutionnels et scientifiques ... 526

II.1.C. Les enjeux de l’art en prison révélés par le dispositif de l’exposition : une expérience de double médiation ... 530

II.2. Eléments d’analyse des processus créatifs et des dynamiques sociales dans le collectif formé : de quel commun peut-on finalement parler ? ... 534

II.2.A. Des processus créatifs et des expériences artistiques individuelles : une diversité de démarches au service d’un projet commun ... 535

II.2.B. Dynamiques interactionnelles et sociales au sein du groupe de participants : du commun à l’épreuve des logiques du théâtre carcéral ... 545

CONCLUSION DU CHAPITRE ...549

CONCLUSION DE LA PARTIE 3...550

CONCLUSION GENERALE DE LA THESE ...554

ANNEXES ANNEXE 0 : Formations et expériences précédentes ...563

ANNEXE 1 : La prison dans l’imaginaire social, symptôme d’un manque de (re)connaissance ...566

ANNEXE 2 : Imaginaires sociaux autour de la prison et de la figure du « détenu » ...572

ANNEXE 3 : Imaginaires sociaux autour des métiers de la pénitentiaire ...579

ANNEXE 4 : La métaphore théâtrale pour préciser le positionnement du chercheur ...589

ANNEXE 5 : Entrer en recherche ANNEXE 5.A. Solicitud de investigación en el CP de Albolote ...596

ANNEXE 5.B. Demande d’autorisation de recherche à la DISP de Lille ...599

ANNEXE 5.C. Descriptif du projet de recherche et de la méthodologie pour le CD de Bapaume ...606

ANNEXE 5.D. Descriptif du projet de recherche et de la méthodologie pour le CP de Vendin-le-Vieil ...609

ANNEXE 5.E. Autorisation de la DISP de Lille ...611

(12)

ANNEXE 7 : Grilles des entretiens semi-directifs ANNEXE 7.A. Grilles des entretiens au CD de Bapaume

ANNEXE 7.A.a. Grille d’entretien semi-directif aux membres de la direction du CD de Bapaume ...619

ANNEXE 7.A.b. Grille d’entretien semi-directif au DPIP du CD de Bapaume ...621

ANNEXE 7.A.c. Grille d’entretien semi-directif aux personnels de surveillance du CD de Bapaume...623

ANNEXE 7.A.d. Grille d’entretien semi-directif aux personnes détenues du CD de Bapaume ...625

ANNEXE 7.B. Grilles des entretiens au CP de Vendin-le-Vieil ANNEXE 7.B.a. Grille d’entretien semi-directif aux membres de la direction du CP de Vendin-le-Vieil ... 627

ANNEXE 7.B.b. Grille d’entretien semi-directif au DPIP du CP de Vendin-le-Vieil ...629

ANNEXE 7.B.c. Grille d’entretien semi-directif aux CPIP du CP de Vendin-le-Vieil ...631

ANNEXE 7.B.d. Grille d’entretien semi-directif aux personnels de surveillance du CP de Vendin-le-Vieil ... 633

ANNEXE 7.B.e. Grille d’entretien semi-directif aux personnes détenues du CP de Vendin-le-Vieil ...635

ANNEXE 7.C. Grilles des entretiens au CP d’Albolote ANNEXE 7.C.a. Guion de entrevista a la subdirectora de Tratamiento ...637

ANNEXE 7.C.b. Guion de entrevista a los coordinadores de las actividades socioculturales ...639

ANNEXE 7.C.c. Guion de entrevista a un artista voluntario en el módulo sociocultural ...642

ANNEXE 8 : Tableaux récapitulatifs des entretiens réalisés pendant cette recherche ANNEXE 8.A. Entretiens réalisés au CD de Bapaume ...644

ANNEXE 8.B. Entretiens réalisés au CP de Vendin-le-Vieil ...645

ANNEXE 8.C. Entretiens réalisés au CP d’Albolote ...646

ANNEXE 9 : Positionnements des personnes interrogées pendant les entretiens semi-directifs ...647

ANNEXE 10 : Questionnements méthodologiques et éthiques autour de la transcription des entretiens ...651

ANNEXE 11 : La relégation géographique des prisons loin des villes : l’exemple des lieux de ma recherche... 654

ANNEXE 12 : La relégation sociale et symbolique des prisons ...656

ANNEXE 13 : Se projeter dans une « réinsertion » professionnelle ...659

ANNEXE 14 : Précisions sur le maintien des liens familiaux pendant l’incarcération ANNEXE 14.A. Dispositifs et conditions du maintien des liens familiaux au quotidien ...662

ANNEXE 14.B. Les liens familiaux comme point d’ancrage d’une possible projection vers la sortie ...670

ANNEXE 15 : « Quelle est selon vous l’utilité de la prison ? » ...672

ANNEXE 16 : Présentation des principaux métiers de l’administration pénitentiaire et conditions d’accès ... 678

ANNEXE 17 : Motivations à passer le concours de surveillant ...681

ANNEXE 18 : Le « parcours arrivant » au CD de Bapaume ...682

ANNEXE 19 : Prison et Justice ...688

ANNEXE 20 : L’orchestre participatif au CD de Bapaume ...692

ANNEXE 21 : Une politique culturelle volontariste en France ...702

ANNEXE 22 : Les trois protocoles d’accord Culture-Justice ...706

ANNEXE 23 : Les temps de réflexion collective après l’exposition : notes des séances d’évaluation ...710

ANNEXE 24 : « Murs », extraits ... 714

(13)

LE THEATRE CARCERAL :

DES COMPLEXITES SOCIALES EN PRISON

ET DE L’ART COMME POSSIBILITE DE

CREER DU COMMUN

(14)

INTRODUCTION GENERALE

« Le système reste mais pas les hommes. Donc c'est les hommes qui régissent par le système nos sociétés. Et finalement ce qu'on peut changer nous, humains, par ce qu'on est, c'est la société, et donner la morale au système. Mais le système en lui il nous laisse fonctionner nous les hommes, et c'est parce qu'on est qu'il est. Et c'est de là que le système est bien que si nous nous sommes bien. Donc le côté du bien et du mal, nous savons par intérêt ou par cupidité ce que nous en voulons pour protéger nos frontières de l'autre. Mais l'autre c'est qui finalement? C’était ce qu'on dit à la base Adam et Eve. Bah l'autre alors c'est ton sang! Parce qu'à la base vous avez tous le sang rouge. Donc ne pas vouloir de l'autre, c'est ne pas vouloir de soi. »1

Cette recherche s’inscrit dans un parcours universitaire et professionnel déjà marqué par plusieurs expériences en prison2. Après des études en relations interculturelles et en coopération internationale, je n’ai pas choisi de partir à l’étranger pour mon stage de fin d’études, mais de découvrir des lieux encore invisibles au niveau local ; des lieux de l’interculturalité sociale et symbolique: les prisons. L’interculturalité, dans les acceptions que la notion renferme, d’une part comme synonyme de diversité, d’autre part comme synonyme d’altérité, est une composante essentielle des prisons. Diversité d’abord, en ce que les prisons, en tant que lieux d’exclusion collective, enferment des individus qui expérimentent une cohabitation forcée et de circonstances ; celle-ci met en contact une multiplicité de personnalités, d’identités, de parcours et de modes de vie, de valeurs, de croyances, de comportements, de langages, etc., autrement dit une multiplicité de cultures différentes, au sens le plus large du terme. Altérité ensuite, en ce que la prison est pensée comme lieu institutionnel de l’écart, de l’écartement, de l’éloignement, de la déviance ; l’exclusion des personnes ayant manqué à la loi et au contrat social s’accompagne alors principalement de leur considération sociale et collective comme « autres », et du développement d’imaginaires collectifs et sociaux particulièrement puissants et réducteurs. Abdelhafid Hammouche explique que « l’interculturalité est un processus généré par la relation aux autres : cette

relation est tout à la fois pratique et symbolique et concerne aussi bien des situations de

1 Un homme détenu au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (EMC4). 2 Voir ANNEXE 0 : Formations et expériences précédentes.

(15)

contact physique que des rapports à distance et des représentations. (...) On peut donc penser que l'interculturalité est une manière de se "poser" en s'opposant aux autres – pensés comme un tout homogène - et participe de la fondation des identités collectives »3.

Mes études en interculturalité m’ont donc, par le hasard des rencontres et de la vie, poussée à questionner avant tout le rapport à l’autre, dans ces lieux « autres » que sont les prisons. Pendant plus d’un an (2015-2016), je suis allée à la rencontre de personnes qui vivent et qui travaillent en prison, dans une démarche compréhensive des expériences individuelles de la prison. Ce travail tend à mettre en avant leurs paroles, celles du dedans, et à les poser comme de véritables références à l’ensemble de la réflexion menée.

Tout au long de cette recherche, j’ai entrepris de comprendre et de saisir les complexités sociales qui sont au cœur des expériences de la prison, d’abord entre l’intérieur et l’extérieur des murs qui la matérialisent, ensuite à l’intérieur de ces mêmes murs. Je développerai l’ensemble de mes réflexions autour d’un concept central : le théâtre carcéral.

3 HAMMOUCHE A., « Définir l'interculturalité par les situations, les rapports pratiques et symboliques » in Hommes et Migrations, L'interculturalité en débat [En ligne] Hors-série novembre 2008, p.4-8. Disponible sur :

(16)

I. « LA PRISON EST UNE FORME DE HORS-CHAMP SOCIAL »

4

Avant de présenter le concept de théâtre carcéral, tel que j’entends le définir et l’utiliser dans l’ensemble de mon travail, il est important de noter que cette recherche s’inscrit, plus largement, dans une quête du convivialisme5 dans un monde devenu, à outrance, cloisonné. Dites « individualistes », les sociétés occidentales actuelles se caractérisent, d’une part, par l’hégémonie idéologique et matérielle de leurs institutions et les valeurs rentières et cloisonnantes qu’elles diffusent et tendent à imposer, et, d’autre part, par la perte de lien et de confiance entre les individus, en la société et en la possibilité d’une vie en commun. Il suffit de regarder la manière dont le monde évolue autour de nous (tyrannie du marché, course aux rendements, dérèglements écologiques, montée du racisme et de l’antisémitisme, méfiance de tous envers les autres, etc.) pour comprendre que l’espoir et la possibilité d’une vie ensemble résident bel et bien dans une prise de conscience et une action collectives, devenues vitales pour tous les individus et pour la (re)construction d’un monde sensé :

« C’est bien, en effet, la difficulté du « vivre ensemble » la condition humaine, donc du

con-vivere, qui conduit aux formes multiples de maltraitance par lesquelles l’humanité se

mutile elle-même, et entretient un rapport guerrier à la nature et aux autres êtres vivants »6.

Par définition, « l’emprisonnement fonctionne selon le principe d’une soustraction physique

et symbolique de l’individu du cours social ordinaire et de la visibilité publique »7. La prison

met ainsi à mal le principe de commune socialité entre les membres d’une même société (ici entre l’intérieur et l’extérieur des prisons) essentiel pour raviver le lien social, et au cœur de la construction des individus et des sociétés: « les sujets humains ne sont pas d’abord et pas

seulement des individus, mais avant tout des êtres sociaux. Ce sont les relations avec d’autres êtres sociaux qui constituent leur principale richesse »8. En excluant l’individu,

4 Expression utilisée par Robert Badinter dans Boomerang, diffusée le lundi 29 janvier 2018 à 9h, France Inter. 5 Revue du MAUSS, Du convivialisme comme volonté et comme espérance, [En ligne], 2014/1 (N°43).

Disponible sur : http://www.revuedumauss.com.fr/media/P43.pdf

6 VIVERET P., « Les tâches d’un mouvement coinvivialiste », Revue du MAUSS, Du convivialisme comme volonté et comme espérance, [En ligne], 2014/1 (N°43), p.25-30. Disponible sur : http://www.revuedumauss.com.fr/media/P43.pdf , p.25.

7 ARTIERES Ph., LASCOUMES P., SALLE G., «Prison et résistances politiques. Le grondement de la

bataille», Cultures & Conflits [En ligne], 55, 2004. Disponible sur : http://conflits.revues.org/1555 , p.1.

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physiquement et symboliquement par l’enfermement institutionnel, la prison (et indirectement la société) lui confisque toute possibilité de prendre part à la société, d’y contribuer et de s’y projeter comme un sujet intégré à une histoire commune, à une construction (à la fois sociale, économique, symbolique) commune9. C’est en cela que l’étude de la prison est particulièrement intéressante comme point d’ancrage pour étudier le « vivre ensemble » et la notion de commun.

« Moi l'idéal pour moi, la prison idéale entre guillemets à ce niveau-là je pense qu'on devrait toujours rester acteur de la société. On est détenu, OK. On a fauté, OK. Mais on est toujours acteur de la société. Et je pense que les gens sachant ça ne verraient peut-être plus forcément les détenus ou les prisons de la même manière. »10

Si la prison fait partie du cadre de la société, puisqu’on connaît son existence et que sa présence est en général admise (c’est un fait qu’il y a des prisons en France par exemple), elle est pourtant socialement hors champ, et avec elle les personnes qui y vivent ou qui y travaillent : « Il faut lire l’étonnement et la surprise actuelle face à la prison

contemporaine comme résultant d’un défaut de mémoire de nos sociétés. Elle se révèle être un des lieux les plus soumis à l’amnésie sociale. En ce sens, on peut dire qu’elle est un trou de mémoire ; de même qu’un ancien détenu doit masquer ses années d’incarcération sur un curriculum vitae, de même nous faisons en sorte de gommer le plus possible le problème des prisons dans la vie sociale »11. Autrement dit, et pour reprendre la définition

cinématographique de la locution « hors champ »12, la prison n’apparaît pas dans le champ

de vision, dans le cadrage optique de la caméra (ici la vue ou la pensée d’une grande partie de la société). Elle est donc absente du champ mais existe néanmoins dans l’idée que se fait le « spectateur » (ici le citoyen) de la « scène » (ici la société) et, de ce fait, elle est

9 ZASK J., Participer. Essai sur les formes démocratiques de participation, Editions Le bord de l’eau, Lormont,

2011

10 Un homme détenu au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (EMC5).

11 ARTIERES Ph., « L’ombre des prisonniers sur le toit. Les héritages du G.I.P. » in ERIBON D. (Dir.), L’infréquentable Michel Foucault : renouveaux de la pensée critique, Actes du colloque des 21 et 22 juin 2000,

EPEL, Paris, 2001, p.104, cité par CHANTRAINE G. in Par-delà les murs, PUF, Paris, 2004, p.9.

12 « Hors-champ, adjectif invariant en genre et en nombre : en cinéma, ce qui n'est pas dans le champ, ce qui est

laissé à l'imagination du spectateur » in Encyclopaedia Universalis [En ligne], Disponible sur : https://www.universalis.fr/dictionnaire/hors-champ/ (article consulté le 15 mars 2018).

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laissée à l’imagination du « spectateur », soit ici des personnes qui ne sont jamais entrées en prison. Or, si la prison est hors champ pour une majorité de personnes, n’est-ce pas le signe en quelque sorte qu’elle n’est pas tangible pour cette majorité ?

La prison est pourtant une institution commune, au sens où les lieux prisons et la peine de prison sont communément présents dans nos sociétés, ils existent de fait. De plus, dans notre système de ustice français comme dans nombre de systèmes judiciaires dans le monde, la peine de prison, comme toute peine de ustice, est prononcée au nom de la société, puisqu’elle est prononcée par une instance régie par des lois votées au nom du peuple français selon le principe de la démocratie. Cette société au nom de laquelle est prononcée la peine de prison déserte pourtant les prisons et n’y entre habituellement pas. Cela est évidemment dû au fait que les prisons ne sont pas des lieux « publics » au sens où ne sont pas ouvert au tout venant, et que leur accès y est restreint par de nombreuses procédures et raisons. Il faut en effet avoir une raison validée par l’institution pour entrer en prison : parce qu’on y est condamné, parce qu’on y travaille au quotidien, parce que nos fonctions ou notre activité professionnelle nous amènent à un moment donné à en franchir les portes, parce qu’on va rendre visite à quelqu’un, etc. Le fait que la prison fasse partie du fonctionnement de la société et que les peines à y séjourner pendant un temps plus ou moins long soient prononcées au nom de tous les citoyens ne semblent donc en rien des raisons suffisantes pour s’en voir autoriser l’accès. C’est en cela qu’on peut parler en un sens de lieux inaccessibles ou en tout cas difficilement accessibles à toute personne qui souhaiterait, par intérêt ou par curiosité, y entrer pour les découvrir13.

La notion de hors-champ social se retrouve dans la dualité géographique utilisée constamment, que ce soit à l’intérieur des prisons ou à l’extérieur, autour des notions de dedans et de dehors, définissant symboliquement deux espaces marqués et bien distincts entre lesquels il y a coupure : d’abord une coupure actée, puisque la première scission entre les personnes détenues et le reste de la société est posée par un acte qui va à l’encontre de la loi et donc du contrat social ; une coupure physique ensuite par les murs des prisons et les frontières géographiques que ces lieux imposent, mais aussi une coupure sociale par

13 Il ne s’agit pas là d’une spécificité qui s’appliquerait uniquement aux établissements pénitentiaires, puisque

bien d’autres structures gérées par l’Etat ne sont pas facilement accessibles pour les citoyens ; cela pose dans tous les cas la question de la transparence et de l’accès à la connaissance des instances publiques pour l’ensemble de la société.

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l'exclusion des personnes incarcérées du cours de la vie extérieure ; une coupure symbolique enfin qui fait qu’on parle constamment en termes de dehors ou dedans pour placer le propos, le champ dans lequel on se situe, comme des territoires ou des mondes pensés ou imaginés l’un en parallèle de l’autre. Parler du dedans, ou de

l’intérieur, renvoie d’ailleurs au principe premier des prisons : l’emprisonnement,

l’enfermement de personnes à l’intérieur d’un lieu clos et donc hors du cours social ordinaire de la société, du commun.

Ainsi, au-delà de son utilisation métaphorique en référence au cinéma, j’appréhende la notion de hors-champ en me nourrissant de l’approche sociologique du « champ » notamment développée dans les travaux de Pierre Bourdieu, tout en la détournant en quelque sorte, puisque ce qui m’intéresse avant tout c’est sa macro-définition dans une utilisation somme toute schématique : « Le champ est un microcosme

social relativement autonome à l’intérieur du macrocosme social.(...) Les champs reposent sur une coupure entre les professionnels (de la politique, de la religion, etc.) et les profanes »14. Dans le cas des prisons, il s’agit donc de dire que la « société civile », dans une grande proportion « profane » vis-à-vis de la réalité carcérale, formerait une sorte de grand champ global et que le monde carcéral formerait quant à lui un champ minoritaire, à part, réduit et spécifique à celles et ceux qui se trouvent à l’intérieur. Je ne prétends pas dire ici que ce que j’appelle la « société civile » soit un ensemble cohérent, uniforme et qui ne se compose pas lui-même de multiples champs, trajectoires et mondes sociaux, professionnels, culturels distincts ; et je ne prétends d’ailleurs pas en dire de même des prisons. Je souhaite simplement centrer ici mon propos et ma réflexion sur l’existence et la conception de ces deux mondes (la « société civile » et les prisons) autour des notions de champ et de hors-champ. Plus simplement, la notion de

champ est utilisée en physique et en psychologie pour rendre compte de l’appartenance des

éléments à une configuration globale. Le champ, comparable à des termes comme

système ou instance, est destiné, comme eux, à rendre compte d’un monde social

différencié où existent des régions déterminées qui ne peuvent être réduites aux structures globales de la société dont elles font partie15. La prison serait donc un

monde différencié, et qui évoluerait a priori en dehors d’un monde social global que serait

14 WAGNER, A-C « Champ », Sociologie [En ligne], Les 100 mots de la sociologie, 2016. Disponible

sur : http://journals.openedition.org/sociologie/3206.

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celui de la « société civile » ; c’est en cela qu’on peut parler de la prison comme

hors-champ social.

Si les prisons et les personnes qui y vivent ou qui y travaillent font partie d’un

hors-champ social, elles sont néanmoins présentes dans l’imaginaire social,

lui-même nourri de nombreuses images et représentations que chacun d’entre nous peut en avoir : « Les situations sociales sont formées et voilées par ce jeu entremêlé de

ces images individuelles ou collectives instruites par des affects d’amour, de haine, de jalousie, de répulsion, de compassion. Imaginaires qui facilitent ou empêchent les communications, les relations, les coopérations et induisent la méconnaissance, l’impensé des fixations et qui peuvent tout autant favoriser des constructions créatives que conduire à des phénomènes destructeurs »16. La notion

d’imaginaire social « permet d’interroger tout discours construit, qu’il soit ou non

socialement partagé par un grand nombre ou quels que soient les pouvoirs institués qui le portent »17. Même si chacune s’entend dans une perspective propre, les notions d’images18, de représentations19 et d’imaginaire social20 peuvent superposer leurs différentes acceptions pour parler des représentations que les individus ou les groupes donnent à voir quand ils « parlent de situations qu’ils vivent, lorsqu’ils

s’expriment sur les événements qui les touchent ou qu’ils tiennent pour extérieurs »21. La

16 GIUST-DESPRAIRIES F.(dir.), « Introduction », in L’imaginaire collectif, [En ligne], ERES, « Poche -

Société », Toulouse, 2009, p. 13-21, p.17. Disponible sur : https://www.cairn.info/l-imaginaire-collectif--9782749211329-page-13.htmp

17 Ibid., p.16.

18 « Image, nom féminin (du latin imago, -inis): Aspect sous lequel quelqu’un ou quelque chose apparaît

à quelqu’un, manière dont il le voit et le présente à autrui, notamment dans un écrit », Dictionnaire Larousse en ligne consulté le 20 mars 2018.

19 « Représentation, nom féminin : image, figure, symbole, signe qui représente un phénomène, une idée ;

action d’évoquer quelque chose, quelqu’un par le langage », Dictionnaire Larousse en ligne consulté le 20 mars 2018. 20 « Par l'expression « imaginaire social », on désigne l'ensemble des représentations imaginaires propres à un groupe social : les mythes, les croyances cosmiques et religieuses, les utopies. On suppose que cet ensemble, générateur de significations, participe à la vie commune, aux pratiques sociales : ce sont ces liens, ces implications du symbolique dans les pratiques qui retiennent particulièrement l'attention des analystes du social. » in ANSART P., « Imaginaire social », Encyclopædia Universalis [En

ligne]. Disponible sur : http://www.universalis.fr/encyclopedie/imaginaire-social/(consulté le 20 mars 2018).

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force des imaginaires collectifs et sociaux sur la prison dévoile la complexité de sa relation avec la société –une société qui l'envisage, la construit, l'admet, la rejette, la fantasme, comme un « huis-clos », une « microsociété » au cœur de son territoire. L’invisibilité des prisons et leur accès très restreint ont pour effet le développement d’un imaginaire social fort et d’une certaine curiosité voire fascination pour ces lieux d’enfermement ; une méconnaissance et un imaginaire qui participent aussi fortement au maintien de la prison comme un hors-champ social22.

Mon propos ici n’est pas de blâmer une partie de la société qui méconnaît les réalités des prisons ni de m’en prendre aux préjugés et aux imaginaires qui entourent la prison. Il s’agit davantage de mettre en avant ces représentations comme les conséquences de l’invisibilité des prisons et, surtout, comme des difficultés supplémentaires, des freins exprimés par l’ensemble des personnes détenues que j’ai rencontrées dans leur projection de la sortie et d’une possible « réinsertion » –entendue comme l’une des principales fonctions légitimantes des prisons. En effet, l’un des premiers problèmes soulevés par ces personnes quand elles imaginent leur retour dans la société est le regard des autres et la peur d’être enfermées à vie sous une étiquette de « taulard » sans possibilité de réintégrer réellement la société comme des citoyens lambda23.

Il faut ici préciser que dans l’imaginaire collectif « prison » signifie « prisonniers », « détenus », « reclus », « criminels », « délinquants », « repris de justice », etc. On en oublie alors souvent que nombre de personnes sont présentes au quotidien dans ces lieux sans pour autant y avoir été condamnées par une décision de justice : elles y travaillent tout simplement, ou elles y interviennent régulièrement ou ponctuellement. Ces personnes aussi sont invisibles et souvent inaudibles ou non écoutées, non prises en compte24 ; elles aussi se retrouvent hors champ. Or, le stigmate de la prison, en termes d’identité sociale, est très présent à l’esprit de certains membres du personnel pénitentiaire, qui eux aussi se sentent enfermés dans des représentations stériles et non constructives de leurs métiers, autour de la figure du « maton »25.

22 Voir ANNEXE 1 : La prison dans l’imaginaire social, symptôme d’un manque de (re)connaissance. 23 Voir ANNEXE 2 : Imaginaires sociaux autour de la prison et de la figure du « détenu ».

24 Sauf lorsque de grands mouvements de grève et de manifestations leur donnent une certaine visibilité dans les

médias, comme ce fût le cas récemment en France au mois de janvier 2018 avec un mouvement national et une mobilisation massive des surveillants pénitentiaires.

25 Voir ANNEXE 3 : « Quels regards portent les gens à l’extérieur sur votre métier? » Imaginaires sociaux

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Les représentations et les images sur des lieux inconnus ou presque tendent à accroître le gouffre, la scission faite entre les individus et les champs de la société, et dans ce cas entre

l’intérieur et l’extérieur des prisons. Intégrer et nourrir des imaginaires autour d’images et

d’idées préconçues ou reçues, empêche de connaître et de savoir ce que vit l’autre et consolide les barrières physiques, structurelles et symboliques entre les êtres et entre les mondes, en édifiant des préjugés et en enfermant l’autre dans l’altérité. Le manque de connaissance génère presque de fait un manque de reconnaissance : enfermer l’autre dans une altérité faussée et qu’on ne veut ou n’essaie pas de connaître induit une stagnation de son identité dans le regard de l’autre, et donc pour lui-même. Puisque l’identité est par définition sociale, puisqu’elle naît de la présence et de la reconnaissance de l’existence de soi pour l’autre, le déficit de reconnaissance génère une invalidité sociale de la personne qui ne bénéficie pas de la reconnaissance de la majorité. Et de ce manque de validité sociale, découle une dévalorisation de l’autre, vu comme marginal et indésirable, qui s’enferme alors dans un état de superfluité. S’il n’est pas reconnu en tant que sujet, s’il n’existe que dans l’identité dans laquelle on l’enferme, l’être humain ne peut qu’entrer dans un processus de dessèchement de soi, dans un manque et une impossibilité d’individuation, et entre dans la catégorie des superflus, d’excédent presque, dont l’existence n’apporte rien aux yeux de la majorité, et donc bien souvent à ses propres yeux : « Comment, dès lors,

espérer que les personnes sortant de prison reviennent parmi des étrangers, en tant qu’hommes considérés eux-mêmes comme des étrangers, dans une société des étrangers ? Qu’ils retrouvent légitimement la place qui leur est symboliquement ménagée dans une société d’hommes libres, égaux et fraternels ? »26

Les éléments introduits ici autour de la notion de hors-champ social appliquée à la prison entendent rappeler que « c’est bien l’état de la société civile qu’il faut

interroger à propos de l’insertion postpénale ; lorsqu’elle ne paraît plus en mesure d’accepter ni d’assurer les liens de ses membres entre eux ni avec leur environnement ; lorsqu’elle multiplie des justifications sous forme de textes légaux et de procédures additives et contradictoires ; et lorsque ces pansements procéduraux, plutôt que de traiter la question, masquent la maladie sociale et politique »27.

26 Livre blanc. Parce qu’ils sortiront un jour. L’insertion postpénale des personnes détenues, un défi citoyen.

Ouvrage collectif de l’atelier « Prison », Association Démosthène, 2016, p.35-36.

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La responsabilité de la société, dans son incapacité à maintenir et à construire du commun avec les prisons et les personnes qui y sont incarcérées, passe avant tout par la forme et les logiques qui sous-tendent le dispositif institutionnel de l’application de la peine d’enfermement : l’institution pénitentiaire.

Dans l’ensemble de ce travail, je tendrai à montrer comment, pourquoi et selon quelles logiques, « le système pénitentiaire maltraite et prend si peu soin de ce lien social qui,

pourtant, est fondateur de ce qui fait tenir ensemble des sociétés »28. Je questionnerai pour cela les possibilités de commun − d’une part au sens de lien social ; d’autre part au sens d’une participation à la construction d’un monde commun − entre l’intérieur et l’extérieur des prisons. Mon propos s’attachera à établir le fait que les complexités sociales expérimentées entre le dedans et le dehors sont corrélatives aux difficultés éprouvées à créer véritablement du commun à l’intérieur d’une institution totalisante comme la prison29. Je développerai pour

cela l’ensemble de mon propos autour du concept de théâtre carcéral, dont je vais ici introduire les enjeux.

28 FIXOT A-M., « Sortir de la sinistrose carcérale », Revue du MAUSS, Sortir de (la) prison. Entre don, abandon et pardon, [En ligne], 2012/2 (n°40), p.103-124. Disponible sur :

http://www.revuedumauss.com.fr/media/P40.pdf , p.119.

29 PETITGAS B., Engagement relationnel et bénévolat en milieu carcéral. Du don et de la reconnaissance en institution totalisante, [En ligne], Thèse de doctorat en sociologie, Université de Caen Normandie, 2017.

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II. LE CONCEPT DE THEATRE CARCERAL

Ma compréhension et mon analyse de la complexité des relations sociales en prison s’ancrent dans un concept que j’appelle le théâtre carcéral. Alors que cette métaphore était au départ une intuition, mes recherches empiriques m’ont fait comprendre qu’il s’agissait en fait d’un prisme méthodologique fort et construit qui permet de cerner les situations d’interaction et de socialisation que j’observais et que je vivais en détention. D’ailleurs, grâce aux nombreux entretiens semi-directifs réalisés pendant cette recherche30, j’ai pu constater que la métaphore théâtrale était souvent utilisée ou sous-entendue par les personnes pour décrire leur expérience de la prison (« comédie humaine », « guignol carcéral »,

« mascarade », « comédie de Justice », ...). La métaphore théâtrale est en cela un instrument

heuristique clé qui permet une distanciation des relations vues/vécues/entendues et d'en décrire certaines caractéristiques essentielles.

Pour développer et mettre en lumière ce concept de théâtre carcéral, j’utiliserai dans l’ensemble de mon travail plusieurs métaphores, d’ailleurs couramment invoquées en sociologie pour décrire des univers déterminés ou des situations précises d’interactions:

- la métaphore du jeu, afin de souligner le caractère stratégique de certaines interactions pour les principaux acteurs en prison. J’utilise donc le terme « acteur » de la même manière que Michel Maffesoli : « moins comme celui qui agit, que comme celui qui joue, devant d’autres,

quelque chose »31 ;

- la métaphore du réseau, en refusant une dichotomie stérile qui ne permettrait pas de saisir la complexité des interactions sociales en détention (en opposant par exemple de manière caricaturale les surveillants aux personnes détenues) ;

- la métaphore du théâtre, qui offre un levier particulièrement intéressant pour explorer et décrire le social et ce qui se joue intramuros en prison. Je développerai particulièrement

30 Je présenterai le cadre méthodologique de cette recherche dans la suite de mon travail (Partie 0).

31 MAFFESOLI, M., La contemplation du monde, Grasset, Paris, 1993, p. 114, cité par DUBOIS J., in « Pour

une socioscénologie : de la métaphore théâtrale à sa conceptualisation. », Cahiers de recherche sociologique, [En ligne], 51, 2011, p.181-202. Disponible sur : https://www.erudit.org/fr/revues/crs/2011-n51-crs0516/1015003ar/, p.182.

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l’utilisation de la métaphore théâtrale dans mon propos, puisqu’elle permet à mon sens d’englober les deux autres champs métaphoriques que sont le jeu et le réseau32.

Il est complexe de se référer structurellement et conceptuellement au théâtre sans passer par une étude exhaustive de l’histoire et des genres théâtraux. J’entends ici présenter seulement quelques formes précises du théâtre, que j’utilise, en filant la métaphore, afin de comprendre et d’analyser l’appareil carcéral et les interactions sociales qui en découlent et le nourrissent au quotidien. Il s’agira donc de parler de ce qui constitue pour moi la matrice du théâtre, et particulièrement des caractéristiques de la représentation théâtrale et du dispositif théâtral, qui portent selon moi l’essence et la puissance du théâtre. En me référant ainsi au théâtre, j’expliquerai pourquoi ces mêmes notions de représentation et de dispositif sont centrales en prison et m’amènent à parler de théâtre carcéral pour définir le contexte et les dynamiques des relations sociales à l’intérieur des établissements.

Cette définition conceptuelle à travers la métaphore théâtrale et les notions de

représentation et de dispositif permet de comprendre précisément que, si l’expérience

carcérale est désocialisante ou désaffiliante comme nombre de chercheurs et de personnes connaissant l’univers carcéral s’accordent à le dire (car elle génère notamment une perte des liens et des repères entre les personnes détenues et l’extérieur), le drame social de la prison se situe aussi dans le fait qu’elle crée et impulse de nouvelles sociabilités (ou mécanismes sociaux) : plus que désocialisante, elle re-socialise en fait (au sens où elle induit l’adaptation ou la soumission à d’autres pratiques et exigences sociales instituées) selon un modèle différent qui donne notamment l’impression à certaines personnes détenues d’avoir été

« déracinées » des relations du dehors33 et d’avoir perdu l’ « immédiateté » de l’humain34.

Ainsi, si les comportements du théâtre carcéral peuvent en soi être vus comme les mêmes

32 « parce qu'elles n'ont pas de valeur littérale, [les métaphores] ne risquent pas d'entrer en contradiction les unes avec les autres » explique Simon Lanher in LANHER S., « Peut-on faire de la sociologie avec des

métaphores ? Usages et fonctions des métaphores filées dans l’œuvre de Erving Goffman » in Publifarum [En ligne], Les avatars de la métaphore, n°23, 2015. Disponible sur :

http://publifarum.farum.it/ezine_pdf.php?id=316, p.7.

33 Un dehors d’ailleurs souvent évoqué de manière floue par les personnes détenues, comme une unité diffuse

qui ne se définirait qu’en opposition aux dedans vécus par chacun pendant l’incarcération.

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qu’à l’extérieur, ils sont néanmoins « socialement reconfigurés par la socialisation

intramuros »35.

La représentation théâtrale transfigure le réel et la vie, et en cela met à nu les dynamiques, les mécaniques et les logiques humaines. Ainsi, dans chaque scène d’une pièce de théâtre se jouent la vie et les questions de l’existence humaine. De même, mon travail tend à saisir « comment les rapports qui s’établissent en milieu carcéral sont la reproduction des

rapports entre le corps social et la prison »36, autrement dit comment, dans chaque interaction sociale en prison, se jouent le sens profond de la peine et les principes et les conséquences de la prison pour les individus et les groupes en présence : c’est ce que j’entends développer tout au long de ce travail autour du concept de théâtre carcéral.

35 PETITGAS B., Engagement relationnel et bénévolat en milieu carcéral. Du don et de la reconnaissance en institution totalisante, [En ligne], Thèse de doctorat en sociologie, Université de Caen Normandie, 2017.

Disponible sur : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01699425/document , p.166.

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II.1. La notion de représentation : l’essence du théâtre

Toute la puissance du théâtre se concentre dans sa dimension symbolique et sa capacité à transcender et à exposer les trames, les intrigues et les dynamiques de l’existence humaine. Cette force symbolique repose sur le principe essentiel de la représentation. A l’origine du théâtre occidental, dans la Grèce Antique, il ne s’agit pas pour des acteurs de jouer et de faire illusion en portant des personnages et des rôles construits et écrits mais de mettre en mouvements et en énergie des mythes, des symboles et des images existentielles de la vie des hommes. Liés au départ au rituel, c’est-à-dire à une cérémonie réglée ou à des gestes codés suivant la liturgie d’une religion, d’un culte ou à la célébration d’une fête, la représentation et le jeu théâtral représentaient des figures sacrées ou abstraites par le mouvement, la danse, la voix, afin de faire impression sur les spectateurs.

C’est en cela que la représentation dépasse la simple situation de communication (un émetteur, un message et un récepteur, dans un contexte donné) : elle est un mouvement, une dynamique aussi perceptible qu’imperceptible, ce qui la rend particulièrement puissante ; la représentation théâtrale est une mise en circulation d’images de vie. Par ce principe essentiellement symbolique de la représentation, le théâtre est donc l’espace-temps dans lequel on montre, on laisse voir, on manipule et on joue avec les règles, les codes, les mythes. Il s’agit, par la représentation, de rendre palpable, de faire ressentir et éprouver des choses au spectateur, de donner corps aux forces et aux dynamiques invisibles qui trament et orientent les existences et, ainsi, de les rendre sensibles et visibles. L’essence du théâtre tient ainsi à ce que quelque chose se joue sur une scène, autrement dit dans un espace délimité et restreint, qui prétend pourtant suffire à la représentation du monde et de la condition humaine37.

Avec le théâtre occidental naturaliste notamment (seconde moitié du XIXème siècle), la

représentation prend la forme d’une mise en jeu construite et écrite, dont le principe est pour des acteurs de faire comme si leurs personnages, leurs considérations, leurs situations et leurs actions étaient réelles, en interprétant des rôles qui doivent être vraisemblables : c’est le principe de l’illusion théâtrale (ou dramatique) qui fait que, alors que les acteurs ne font que

jouer les actions, le spectateur finit par oublier qu'il ne s'agit que d'une pièce (ou d’une

représentation) et réagit comme si elles avaient réellement lieu. La qualité du jeu d’acteur se

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révèle alors dans la crédibilité du rôle qu’il tient et qui rejoint le principe de vraisemblance ; la réussite de son interprétation et donc de la représentation dépend alors de s’il correspond, par son jeu, aux identifications et aux représentations du spectateur et à l’image que celui-ci se fait a priori ou progressivement du personnage qu’il voit représenté. La représentation échoue quand le spectateur ne croit pas à ce qu’il voit et que l’acteur n’a pas réussi à porter les symboles, les actions et les caractéristiques essentielles au rôle qui lui a été attribué et auquel il entend donner corps et voix. L’acteur, par son corps, sa voix et sa posture, porte bien plus que sa seule personne et sa simple individualité sur scène : il est à la fois sujet et objet de représentations et de projections. La représentation théâtrale s’ancre alors autour d’une série de situations et d’actes simulés, et donc profondément faux, qui pourtant prennent vie et existent réellement en même temps qu’ils sont joués : ils sont fidèles à la réalité et créent des impressions et des réactions effectives chez les spectateurs ; par l’universalité (au sens d’humanité) de leur portée dans un contexte culturel précis mais aussi au-delà de celui-ci, en s’attachant à exposer des caractéristiques et des questionnements existentiels pour l’être humain. La représentation théâtrale est alors une recréation de la vie par des personnages et des figures, portés par des acteurs, pour des personnes réceptrices qui ne prennent a priori pas part à la représentation mais y assistent, les spectateurs. La représentation est ainsi la mise en mots et en corps de rôles, de situations et de symboles, à travers notamment le jeu d’acteurs mis en scènes sur un plateau par un metteur en scène, qui s’appuie lui-même sur le travail de construction et d’écriture d’un dramaturge.

Dans cette forme de représentation naturaliste qui m’intéresse, la notion de rôle est très importante. Le rôle est la construction du personnage que l’acteur représente sur scène : un ensemble de caractéristiques à la fois physionomiques, gestuelles, morales, sentimentales, symboliques et discursives qui permettent de cerner une personnalité ou une entité (un Dieu, une valeur, ...) et de la représenter au mieux comme une individualité en l’incarnant. Pour cela, sont visuellement et symboliquement convoqués un certain nombre de mythes (ou d’imaginaires), qui apparaissent par un ensemble de signes (couleurs, costumes, objets symboliques, etc.). Dans la commedia dell’arte notamment, des masques pouvaient être utilisés comme des objets expressifs pour transformer l’aspect naturel du visage de l’acteur et reproduire la physionomie du rôle qu’il portait38. C’est d’ailleurs en référence au théâtre qu’on parle maintenant couramment de masque pour désigner l’apparence d’un individu ou

38 Les objets masques sont encore utilisés dans certaines formes théâtrales contemporaines ou dans certaines

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l’image extérieure qu’il veut présenter aux personnes avec qui il interagit dans certaines situations.

Enfin, au théâtre, la puissance et le sens même de la représentation n’existent que par une situation globale, un contexte qui s’établit par des jeux de regards. Si le théâtre montre, c’est bien parce qu’il est fait pour être vu et donc soumis, proposé au regard de spectateurs. Cette dynamique de monstration pose d’ailleurs le principe du

spectacle (au sens étymologique du terme : de spectare, regarder) qui désigne littéralement « ce qui s’offre aux regards ». La logique de la représentation prend principalement forme dans la répartition de l’espace entre la scène et la salle (le public), délimitant ainsi l’espace de représentation et donc ce qui est montré, de l’espace de réception d’où la scène est observée. Il faut ajouter à cela la présence des coulisses, qui sont invisibles aux yeux du public, puisque hors scène et donc hors regard ; elles sont l’espace de préparation de la représentation, mais aussi l’espace de la sortie de scène (et donc de la sortie de rôle pour l’acteur).

Pour résumer, représenter au théâtre c’est imager, matérialiser, formaliser pour révéler des logiques et des mécaniques humaines, en s’appuyant sur des images, des mots, des matériaux, des symboles, des agencements. La représentation met en forme du sens à la fois par :

- des mots et des discours prononcés sur une scène −monologues, dialogues− ou non prononcés mais directifs et décisifs pour le jeu −didascalies, notes de jeu ; dramaturgie : récit construit autour de personnages, des rôles et d’intrigues, inventés ou recréés− ;

- une construction et une organisation spatiales et matérielles: la mise en scène −choix des décors, places, mouvements, jeux d’acteurs, etc.− et la scénographie −aménagement de la scène mais aussi de l’ensemble de l’espace théâtral, par exemple de la salle, du public, des lumières, etc. − ;

- un lieu, structuré et aménagé autour d’espaces et de temps exposés et visibles, et d’espaces et de temps invisibles et cachés : si la représentation se déroule sur une scène, qui est donc l’espace de l’échange et de la présentation de personnages et d’intrigues ou d’idées aux spectateurs, elle se prépare en coulisses, qui est donc un espace caché qui permet aux acteurs de composer leurs rôles avant de les présenter et de faire tomber leurs masques à la fin de la représentation pour redevenir eux-mêmes, sans rôle ni texte à porter.

(30)

La représentation ne peut alors se réaliser de manière optimale que grâce à un ensemble d’éléments (des espaces dédiés et aménagés, des limites physiques et matérielles, des décors, des lumières, des objets, des costumes, etc.) qui forment la machinerie théâtrale et que je développerai ultérieurement sous la notion de dispositif afin de préciser et de définir le

dispositif carcéral39.

II.2. Représentation et rôles en prison : esquisse du théâtre carcéral

Ces quelques éléments sur la représentation théâtrale peuvent être invoqués en sciences sociales pour comprendre et analyser les interactions sociales qui se déroulent dans certains contextes précis. Par exemple, les notions de masques et de rôles sont particulièrement riches pour analyser la nature et la forme des relations sociales, puisqu’elles permettent de mettre en valeur la construction d’une identité ou d’une apparence renvoyée par une personne (acteur social) à l’extérieur, de manière consciente ou inconsciente, et qui a pour conséquence de faire telle ou telle impression sur les personnes qui se trouvent en face. Parmi les travaux les plus célèbres prenant le théâtre comme référence, ceux d’Erving Goffman sont particulièrement éclairants puisqu’ils présentent les interactions sociales comme des représentations théâtrales. Je ne me propose pas ici de détailler la théorie complexe de présentation de soi de Goffman40 mais je souhaite seulement, par cet exemple,

soulever la force de la métaphore théâtrale dans la recherche et poser un certain nombre de références que je reprendrai moi-même dans ma présentation et mon analyse du théâtre

carcéral.

Dans les travaux de Goffman, la métaphore théâtrale prend pour objet « les efforts

individuels et collectifs que déploient les agents en contexte organisationnel pour contrôler l'image qu'ils donnent d'eux-mêmes en interaction »41. C’est donc pour étudier ces « efforts »

39 Partie 1, Chapitre 0.

40 GOFFMAN E., La Mise en scène de la vie quotidienne, Tome 1 : La Présentation de soi, Éditions de

Minuit, Collection « Le Sens Commun », Paris, 1973 (Trad. A. Accardo). GOFFMAN E., La Mise en scène

de la vie quotidienne, Tome 2 : Les Relations en public, Éditions de Minuit, Collection « Le Sens Commun »,

Paris, 1973 (Trad. A. Kihm) ou encore GOFFMAN E., Les Cadres de l'expérience, Éditions de Minuit, Collection « Le Sens Commun », Paris, 1991 (Trad. I. Joseph, M. Dartevelle et P. Joseph).

41 LANHER S., « Peut-on faire de la sociologie avec des métaphores ? Usages et fonctions des métaphores filées

Figure

Tableau récapitulatif des entretiens semi-directifs réalisés au CD de Bapaume.

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